Le tribalisme comme idéologie politico-économique en Centrafrique?

 

Quelqu’un l’avait déjà énoncé et nous reprendrons ici qu’un enfant n’avait jamais eu le choix de naître noir, blanc, jaune ou rouge.  De la même manière nous pourrions ajouter qu’aucun centrafricain n’avait choisi de naître dans une tribu particulière de ce pays.  Et chaque citoyen avait certainement eu, au moins, une raison légitime pour indiquer avec une fierté son ascendance dont l’histoire avait été caractérisée par les valeurs guerrières des hommes de la tribu, leur courage en face des dangers de la nature, leur ardeur dans la réalisation des travaux communautaires ou individuelles, leur habileté dans la fabrication de structures diverses, par la beauté particulière exhibée par les femmes de la tribu, et par certaines dispositions naturelles de celles-ci à avoir ou non une nombreuse progéniture, etc.  A cause de ces attributs, chaque fils ou chaque fille du pays avait été capable de se rappeler la tribu de ses parents, d’où ceux-ci viendraient à la suite des récentes migrations, certaines pratiques culturelles du clan, les alliances à la suite d’arrangements nuptiaux, etc.  Parler de ses origines ancestrales ou de sa tribu avait donné à chacun l’occasion d’apprendre sa propre histoire et de la faire connaître aux autres.  Ce serait donc aussi par ces échanges que l’on avait appris cette histoire combien riche et variée des peuples oubanguiens, aujourd’hui centrafricains.  Pour ce qui concerne la Centrafrique, on avait observé la grande diversité des tribus, puis les circonstances historiques, économiques et politiques qui avaient amené ces nombreuses tribus, près d’une cinquantaine selon certaines sources, à se retrouver aujourd’hui sur le sol centrafriain, à s’unir, et à cohabiter pacifiquement, malgré quelques rivalités du passé.  Et tout ces apects constitueraient selon nous, un exploit dont tous les fils et toutes les filles de cette même Centrafrique devraient aujourd’hui être fiers.  Dans cette diversité, les centrafricains avaient également accepté l’idée d’avoir une langue commune, le sango, qui avait servi à la fortification de l’unité nationale.

 

Malheureusement, de très nombreux enfants de ce pays avaient oublié toute cette cohabitation pacifique entre les tribus et l’humanité des centrafricains que Bathélémy Boganda avait essayé de faire traduire dans la devise nationale.  Hier, le citoyen qui s’était senti plus centrafricain que les autres pour des raisons d’appartenance tribale ou à cause d’une alliance quelconque que celui-ci aurait avec le clan au pouvoir en place, avait pensé qu’il pouvait manquer d’égard à l’endroit de ses autres concitoyens qui avaient eu le malheur biologique ou géographique d’être nés dans l’autre tribu.  Mais, est-ce qu’il y aurait dans cette Centrafrique des tribus que l’on considérerait de seconde catégorie?   Nous avons cherché en vain les références ou les repères qui soutiendraient cette idée.  Enfin, à tourner et à retourner le sujet, nous ne comprenons toujours pas pourquoi ni comment cette notion de prédominance d’une tribu sur les autres ou cette croyance s’était installée comme une idéologique politico-économique dans les esprits d’une catégorie de centrafricains.  Mieux encore, nous ne comprenons pas pourquoi le citoyen centrafricain, qu’il soit d’origine sango, gbanziri, yakoma, ngbaka, issongo, mbimou, gbaya, kaba, souma, mandja, ngbaka-mandja, rounga, banda, ngbougou, langbashi, nzakara ou zandé aurait pensé qu’il avait plus de droits civiques, aurait plus de mérites, plus d’attributs physiques ou intellectuels que celui qui était né dans l’autre tribu? 

 

Vous serez en train de vous demandez pourquoi nous avons décidé d’aborder ce sujet ici?   A la suite des querelles et des divisions entre nordistes et sudistes, des conflits armés, des génocides et autre dans de nombreux pays africains, nous avons cru qu’il était important de tirer sur la sonnette d’alarme et d’écrire un peu plus largement à propos de tribalisme en Centrafrique.  Parce que le terme “génocide” des yakomas ou celui des kabas était sorti des bouches de nombreux centrafricains, nous avons voulu profiter d’une occasion pour essayer d’enfoncer le dernier clou dans le cerceuil, puis d’enterrer définitivement la mauvaise interprétation que de nombreux citoyens de ce pays avaient fait de la notion de tribalisme.  Ceux-ci avaient décidé d’escamoter la véritable interprétation du mot tribalisme en l’utilisant comme une forme d’idéologie pour accéder au pouvoir et pour réaliser leurs rêves de carrière bien réussie.  Nous considérerons que l’usage du tribalisme pour satisfaire des ambitions politiques puis financières serait comme jouer avec le feu pour les raisons que nous allons essayer d’établir ci-après. Quand Dacko, Bokassa, Kolingba, Patassé ou Bozizé avaient respectivement été au pouvoir à Bangui, leurs proches, certains individus appartenant à leurs clans, des membres influents de leurs tribus, et, par extension leurs sbires ou leurs mercenaires, avaient crû avoir acquis, à l’occasion, des titres de noblesse.  Ceux-ci et leurs maîtres avaient organisé des escroqueries financières et opéré en toute impunité des magouilles qui avaient contribué à faire de l’économie du pays ce qu’elle serait aujourd’hui, c’est à dire une mourante.  L’usage du tribalisme comme moyen pour accéder et se maintenir au pouvoir ou comme stratégie de basses oeuvres, avait aussi servi à éliminer toute compétition régulière dans des secteurs lucratifs de l’économie, afin de s’arroger des monopoles et avoir les mains libres pour organiser des escroqueries, des raquettes, de la contrebande ou autres malversations au détriment de l’Etat.  Ces organisations tribalistes avaient été partout, dans l’expoliation des cultivateurs du café, dans l’expropriation de grands domaines forestiers pour exploiter le bois, dans l’acquisition de concessions pour l’exploitation illicite du diamant, dans la contrebande des produits pétroliers et autre produit d’importation, dans les détournements et les recels des dons divers de pays amis en faveur de l’état centrafricain.  Ces organisations avaient joué un rôle définif dans la corruption des fonctionnaires qui s’étaient crus intouchables à cause de leur appartenance au clan de tel ministre, de tel magistrat, de tel député, de tel sous-préfet, de tel commandant de brigade ou de tel kalife de Bangui.

 

Et les grands ténors de la méthode avaient été bien évidemment les responsables des grands partis politiques et tous ceux qui avaient senti qu’ils avaient un brin de pouvoir pour tirer un gain quelconque.  Les responsables politiques avaient par exemple décidé de mettre dans la tête des militants de leurs partis, des adultes, de la jeunesse ou simplement des citoyens que si le pays n’avait toujours pas réalisé les grands progrès économiques attendus, c’était par la faute des membres de l’autre tribu, des riverains, par exemple, qui auraient opéré une main-mise sur tous les secteurs économiques lucratifs du pays.  Et lorsqu’ils avaient enfin eu les rennes du pouvoir dans leurs mains, ils n’avaient pas manqué une seule occasion pour faire pire que leurs prédécesseurs.  Certaines observations par exemple révéleraient que lorsqu’un riverain occupait le palais de la renaissance, la majorité des hommes d’affaires importants du pays semblait être des riverains.  Et lorsqu’un savanier s’était établi à la villa adrienne, c’était les hommes et les femmes des régions du nord qui prétendaient soudainement être le moteur de l’économie du pays.  Il y avait bien entendu ceux ou celles, habiles, qui s’étaient “débrouiller” pour manger à tous les râteliers, à cause des alliances qu’ils organisaient savamment.  Et ce jeu, opéré au nom d’un tribalisme politique, avait donné l’impression à l’observateur d’avoir en présence dans le pays l’organisation d’une loterie nationale où seul le clan, la tribu ou la classe au pouvoir gagnait les gros lots et où les autres, les citoyens et l’état étaient les gros perdants.  Et dans l’organisation de ce jeu, cet autre, le forestier par exemple, n’avait pas eu sa license pour y participer, n’est-ce pas!  Cette dernière remarque volontairement ironique, serait destinée non seulement à montrer le ridicule de l’idée de prédominance d’une tribu sur les autres, mais aussi pour montrer jusqu’à quel point les grands dirigeants des partis politiques centrafricains avaient consciemment ou inconsciemment décidé de faire abolir la notion de nation ou encore la notion d’unité nationale qui serait essentielle pour la cohésion des habitants, de la jeunesse et pour l’avenir du pays.  Comment donc arriver à réaliser les objectifs d’un développement socio-économique rapide et harmonieux de la Centrafrique si ce tribalisme servirait plutôt à donner à un groupe quelconque nbgaka, yakoma, kaba ou gbaya, l’impression d’être les seul(e)s hommes ou femmes d’affaires ou les millionnaires du pays, et qui détournerait des ressources importantes qui auraient réellement servi à des projets de développement du pays?

 

Les dirigeants politiques qui ne savaient pas dans quelle direction précise mener la lutte contre le sous-développement de la Centrafrique, avaient non seulement manqué de conviction, de vision solide et réaliste, mais aussi de bonne stratégie.  Ceux-ci avaient eu besoin de chevaux de bataille pour leurs campagnes électorales, d’une audience pour écouter leurs discours démagogiques ou de griots pour chanter leurs hymnes.  A cause de sa facilité d’exécution, ils avaient utilisé le tribalisme comme seule stratégie de ralliement pour accéder au pouvoir, pour y rester le plus longtemps possible, et pour profiter de la manne financière qui viendrait avec l’exercice du pouvoir.  La nouvelle devise des hommes politiques avait alors été: “c’est la vie de château, pourvu que cela dure”.  Aujourd’hui, cette rituelle avait produit de la rancoeur parce que ces profiteurs tribalistes au pouvoir ou “au chômage” faisaient semblant de se plaindre des arriérés de salaires, alors que leurs trains de vie montreraient l’abondance.  Ces profiteurs avaient plus que le minimum, alors que la majorité des centrafricains tirerait la langue.  La corruption et les détournements ne seraient-ils pas en réalité les maux liées à l’exercice monopolisé du pouvoir par les membres d’un clan ou d’une tribu?  Souvenez-vous que les services de contrôle de l’état ne pouvaient pas faire arrêter le véhicule “irrégulier” d’un particulier qui avait des liens avec une autorité au gouvernement qui avait lui-même ordonné ces mêmes contrôles?  Souvenez-vous que des proches du président étaient soupconnés d’être derrière plusieurs opérations financières illégales et que le ministère de la justice n’avait toujours pas fait la lumière sur ces faits?  Les corruptions, les détournements, les contrebandes et autre malfaisance par des organisations tribalistes avaient joué le jeu de la division dans l’arêne politique et l’économie du pays, à l’étranger, en France, en Amérique du Nord ou ailleurs.  Par ailleurs, la jeunesse centrafricaine avait fini par croire que le RDC de Kolingba était le parti des yakomas, sangos et autres riverains, que le MLPC était le parti des savaniers et des kabas, ou que l’amalgame des partis qui soutiendraient Bozizé comprendraient essentiellement des gbaya, mandja et le reste.  Et l’on s’en convaincrait facilement en observant ces loyalistes, sincères ou opportunistes qui tournent aujourd’hui autour de Patassé, de Kolingba, et de Bozizé.  Et si des yakomas, sangos ou gbanziris étaient encore au MLPC, ils étaient en réalité considérés comme des traîtres à la cause RDCiste.  Toute cette atmosphere avait été malsaine comme nous le dénoncions il y avait quelques années déjà.  Et la jeunesse centrafricaine avait crû, dur comme fer, à cette conspiration en regardant avec une bonne dose de suspicion tout ce que faisaient les autres de l’autre tribu.  Enfin, si les responsables des partis politiques dans le pays se refusent de dire toute la vérité sur ce “narcissisme tribal” qui prônerait la prédominance d’une tribu centrafricaine sur l’autre, il y aurait fort à parier que la situation aboutirait à quelque chose de semblable à ce qui s’était passé dans l’ex Yougoslavie ou dans des pays de la région des Grands Lacs, ou encore à ce qui se passe actuellement au Soudan où il y avait véritablement eu des génocides comme il avait été prouvé.  Et tout ceux qui avaient parlé de génocide en Centrafrique devraient le prouver, sinon l’on pourrait facilement croire que leurs propos seraient destinés à attiser la haine entre les centrafricains pour la satisfaction d’ambitions politiques personnelles, cachés.

 

Et pour finir nos propos, si un centrafricain pense toujours que l’usage d’une idéologie politique ou économique basée sur le tribalisme ne devrait pas être vivement combattu par tous les moyens et avec rigueur, afin de permettre l’émancipation social et le développement véritablement économique de la Centrafrique, alors nous serons bien heureux de lire son argumentation sur ce site ou ailleurs.  Enfin, si vous doutez toujours de la sincérité de nos propos et de l’urgence dans les actions à prendre, nous vous recommanderons vivement de voir le film “Hôtel Rwanda” produit sous la direction de Terry George.

 

Jean-Didier Gaïna

Virginie, Etats-Unis d’Amérique (31 août 2006)