Centrafrique : inhumation ou renaissance des Aefiens ?

 (29 mars 1959/29mars 2005)

Par : Dr. Félix YANDIA

Les inquiétudes de la communauté internationale comme celles des Centrafricains de tout bord concernant l’avenir immédiat de leur pays sont justifiées. La voix du peuple, c’est la voix de Dieu, dit-on. Une véritable malédiction pèse sur certains hommes politiques : le tison ardent de BOGANDA. Ce fut le 29 mars 1959 que disparaissait de manière tragique Barthélemy BOGANDA, le père fondateur de la République Centrafricaine et Patron de l’Afrique Equatoriale Française (Gabon, Congo Brazzaville, Tchad et la R.C.A). Quarante-six ans après, c’est à la veille du 46ème anniversaire de cette disparition que doit comencer le second tour des élections présidentielles et législatives dans ce qui reste de sa République Centrafricaine. Ce jour-là les différentes autorités du pays vont, au rythme de la sonnerie aux morts, se recueillir et déposer des gerbes de fleurs sur sa tombe et sur les différents monuments aux morts de nos sous-préfectures. C’est donc "De nos ancêtres, (que) la voix nous appelle", lors de ce rendez-vous historique. Evidemment, ceux qui n’écoutent que leur ventre n’y verront qu’une simple coïncidence. Mais c’est toute la sous région impliquée dans la vie politique centrafricaine qui est menacée par ce tison ardent. Les responsables politiques de même que les intellectuels véreux convergeant vers Doumbélane, bien que la nourriture y devienne de plus en plus rare, devront faire leur examen de conscience avant cette date fatidique et cesser d’être les complices de cette tragédie annoncée. Pour rafraîchir la mémoire et aider ainsi les uns et les autres à repenser positivement dans l’intérêt général, nous rappelons ici le film des principaux évènements qui ont déterminé ce présent.

En effet, la constitution présentée par B. BOGANDA et adoptée par l'Assemblée Territoriale le 16 Février 1959 faisait déjà de ce pays un Etat aux assises démocratiques. Ainsi, outre le MESAN parti majoritaire du président fondateur B. BOGANDA, on trouvait, entre autres, les partis d’opposition comme le Mouvement pour l’Evolution de l’Afrique Centrale (MEDAC) d’Abel NGUEDE GOUMBA actuel Vice Président de la République et le Rassemblement Démocratique Africain (R.D.A) dirigé par Darlan. Aussi, avant l’indépendance, la première manifestation contre les lois de restriction des libertés a eu lieu à Bangui le 17 novembre 1960, ce qui démontre déjà l’attachement des Centrafricains à un mode de vie véritablement démocratique. Les conditions d’une alternance démocratique étaient donc réunies.

Pourtant, le pouvoir va progressivement basculer vers les dérives totalitaires. C’est ainsi que, le 23 décembre 1960, Abel GOUMBA et plusieurs de ses partisans sont "matés" puis arrêtés et le MEDAC dissout. Le MESAN devient un parti unique. Son candidat David DACKO, seul candidat, est élu en 1964 à 99,99% des voix.

A la Saint Sylvestre 1966, le colonel BOKASSA prend le pouvoir et le 4 janvier, la constitution démocratique conçue par le Président fondateur, Barthélemy BOGANDA, est abrogée pour faire place à la dictature. Mais au cours de ce règne de 14 ans, on ne compte pas moins de quatre tentatives de coup d’état et un coup de d’état effectif. Entre autres, on peut citer la tentative de coup d’état du colonel Alexandre BANZA (1969), celle d’Auguste MBONGO qui fut arrêté en 1973, puis le coup d’état du Général LIGOUPOU en 1974 et aussi la tentative de coup d’état de 1976.

Enfin, le coup d’état de 1979, baptisé opération Barracuda, qui installa DACKO au pouvoir. Ce dernier rétablit tout de même une véritable vie démocratique, avant de remettre le pouvoir en 1981 à un militaire, le Général KOLINGBA qui forma un Comité Militaire de Redressement National (CMRN).

En 1987, avec l’aide des intellectuels, est instauré un parti unique, philosophiquement qualifié de "multi tendanciel", du même genre que le MESAN REVO de papa Bok, par ses géniteurs et théoriciens, alors que le vent de la démocratie tourbillonnait déjà sur le continent. C’est aussi le début de l’administration tribalisée où tous les directeurs généraux appartiennent à un même groupe ethnique représentant moins de 1% de la population nationale (dixit Kolingba), et que, même sans soucis, les pêcheurs sont appelés dans la diplomatie, les instituteurs nommés au grade de maître de conférence avec rang de bibliothécaire à l’université de Bangui, que des illettrés sont bombardés sous-préfets dans les régions où existent les maigres recettes de l’Etat et surtout des boeufs. Le salut du peuple centrafricain est venu du Palais de Chaillot. Aujourd’hui encore, même dans un gouvernement dit de consensus, cette pratique est encore pire que durant les périodes précédentes. Après sa légitimation, quelle sera la place réservée aux affamés acolytes contre leur dignité perdue ?

En 1994, on assiste au retour d’une véritable vie démocratique pluraliste grâce à la volonté du peuple aidé par l’environnement international. La victoire est fêtée tous les soirs par les nouveaux élus dans un éthylisme incongru. Les mêmes méthodes de gouvernement refont vite surface avec cette fois les conséquences que sont les mécontentements sociaux et les multiples mutineries et tentatives de coups d’états orchestrées par le régime déchu incapable de digérer le désaveu démocratiquement exprimé. Ainsi, dans le seul but de déstabiliser un régime populaire, les structures économiques du pays sont laminées au fil des coups d’Etat et des mutineries militaires. La paix sociale est marchandée. Et le thème de la paix s’installe au centre des campagnes électorales de ceux-là mêmes qui orchestraient des coups d’Etat et des mutineries et des rebellions. Nous avons vu, au cours de cette même période, le résultat des différents gouvernements d’union nationale : des ministères entiers privatisés et tribalisés dans le seul but de cumuler les trésors de guerres pour les uns, et d’approvisionner les présidents de leur parti respectif pour les autres. Nous avons aussi vu les présidents de partis placer leurs progénitures ou leurs parents aux postes de ministre pour en récolter les fruits. Il s’agit donc d’une gestion mafieuse qui ignore de manière ostentatoire l’attente de la population. La RCA a aujourd’hui, plus que jamais besoin de tous ses fils unis pour amorcer le processus de développement.

Le peuple ainsi libéré, par un Mouvement du même nom, est en fin de compte trahi dans ses espoirs. Une partie de la classe politique s’est entendue pour faire déguerpir un président pourtant démocratiquement élu, afin, du moins dans les intentions proclamées, de poser les bases d’un processus de développement et redonner espoir au peuple centrafricain. Le résultat se chiffre par des assassinats, la destruction des potentialités économiques, l’insécurité généralisée et la misère.

A leur tour, les " libérateurs hétéroclites armés jusqu’aux dents", venus chasser du pouvoir un Mouvement qui portait le même nom, ont été accueillis par des patriotes sautillant, sans canne, dans les rues de Bangui pour marchander leur caution morale afin de se tailler leur part de gâteau sanguinolent. Non et non, un vrai démocrate ne cautionne pas un coup de force militaire, au contraire, il doit combattre de telles pratiques.

Moralité : dans un contexte où l’Unité nationale ainsi que la Dignité de l’Homme centrafricain ont été mises à mal par les différents hommes qui, les uns après les autres, ont trahi notre devise, ce mois de mars 2005 représente une dernière chance pour toute une Nation. Les valeurs qui constituaient les fondements de cette nation sont redevenues des thèmes rentables de campagnes électorales, au même titre que la paix sociale, pour ceux-là mêmes qui ont consciencieusement bâti cette politique chaotique, anti-nationale. Il faut donc mettre fin à ce cirque.

Le second tour de ces élections, dont la date n’est pas officiellement connue (!), commence le dimanche 28 mars 2005 et c’est sans doute ce qui justifie cette cachotterie. Légitimer un pouvoir issu d’une rébellion militaire, aussi meurtrière et destructrice, constitue un double crime et un précédent qui ne peuvent qu’encourager les velléités guerrières des assoiffés de pouvoirs et des aventuriers de tout poils. De même, tout retour au pouvoir d’un ancien président, qui a semé les bases de cette politique dont nous subissons encore aujourd’hui les conséquences, serait catastrophique. Il faut un nouveau visage capable de sortir la RCA de cet engrenage de la haine, de la violence et du tribalisme. Pour cela il nous faut un homme jeune, expérimenté et capable de rendre compte au peuple à la fin son mandat.

Il s’agit donc, pour chaque Centrafricaine et chaque Centrafricain, d’un défi. Chacun doit en effet, en toute liberté de conscience, prendre ses responsabilités citoyennes pour la Renaissance d’une Nation malmenée depuis son accession à la souveraineté internationale. La patrie centrafricaine telle que souhaitée par B. BOGANDA serait en danger si ce grand rendez-vous était manqué.

Les journées de prières et de jeûnes populaires ne sont pas seulement faites pour s’auto promouvoir au grade de général d’armée. Les Diacres et les Pasteurs candidats savent déjà ce qui leur reste à faire en ce dimanche 28 mars, jour de dépôts de gerbes de fleur sur la tombe du père de la Nation : prier à haute et intelligible voix et du fond du coeur, et le tison s’abattra ou non.

Enfin, Boganda est mort un jour avant la fin de son mandat de Président du Grand Conseil d’A.E.F qui regroupait le Gabon, le Congo Brazzaville, le Tchad et la République Centrafricaine. Que les parrains, eux aussi, consultent leurs conseillers occultes pour en savoir davantage. De leur courage et de leur lucidité, l’avenir de toute la sous région en dépendra.

Regards Centrafrique - sangonet