Refuser de tomber dans les erreurs du passé

 

Nous avions retenu de quelques lectures que les mécanisme essentiel qui garantirait la bonne marche de l’économie d’un pays serait la mise en place d’une réglementation qui en définirait le domaine d’application, les procédures, les obligations, les pénalités et les avantages pour chacun de ses secteurs.  Et tout ce mécanisme bien rodé devrait être à la fois novateur et dynamique pour attirer des investissements nationaux et étrangers et aboutir à la création d’entreprises dynamiques, et par conséquent, d’emplois.  Cependant ce modèle statutaire et juridique à lui seul ne suffirait pas pour démarrer et faire tourner rondement la machine de l’économie; les divers secteurs qui sont l’artisanat, l’art, l’agriculture, l’élevage, le commerce, les petites et moyennes industries devraient inclure dans leurs programmes d’intervention l’éducation des différents acteurs nationaux pour leur transmettre les connaissances, les habilités et les compétences qui seraient nécessaires pour une gestion moderne, saine et réussie de leurs activités. Les leçons du fiasco du programme des départs volontaires assistés (DVA) devraient à ce sujet servir, car le système du DVA qui avait été organisé par la Banque Mondiale, puis exécuté sous le régime Kolingba, avait démontré l’importance d’une formation professionnelle initiale adéquate et d’un encadrement efficace et continu, afin de permettre la bonne conduite et la réussite des opérations d’une entreprise que l’on qualifierait d’individuelle ou de familiale.  Le système bancaire, quant à lui, devrait être plus agressif, prêcher la mobilisation active de l’épargne nationale, si petite soit-elle, et, évaluer avec optimisme les risques, afin de permettre l’accès aisé et simplifié au crédit pour ceux ou celles qui présenteraient des projets d’activités rentables.  Mieux encore!  Il serait important de mettre en place une constitution du pays et une législation qui mettraient fin à la propension des coups d’état qui avaient instauré dans le pays des régimes despotiques, incapables de garantir la paix sociale, la libre circulation des biens et des personnes, et, qui encourageraient une concurrence loyale et sans monopole, afin d’instaurer l’éclosion d’une économie centrafricaine saine et dynamique dans la sous-région, en Afrique et dans le monde.  Et théoriquement, la combinaison de tout ce qui précède serait bien ce que le peuple centrafricain voudrait de tout coeur voir se réaliser.  Ce qui suit est l’exemple du mauvais élève qui, malgré toutes les bonnes volontés, avait eu du mal à mettre en application cette théorie.

 

Dans le pays, nous avions été témoins de l’existence d’entreprises privées telles que CIOT, COLALU, HORCEN, MANUCACIG, SOCACIG, UCATEX, etc. qui avaient à tour de rôle mis la clé sous le paillasson; d’autres sociétés d’état telles CENTRAPALM, la sucrerie de Ngakobo n’avaient plus été performants pour assurer leur existence dans le long terme, économiquement parlant. Force aussi avait été de constater qu’aucune entreprise nationale, nouvelle et viable n’avait jamais été créée pour occuper sur le marché national et africain les places laissées vacantes par les entreprises défuntes ou boiteuses.  Nous nous étions demandés si toutes les différentes versions du code des investissements en République Centrafrique, qui avaient été présentés sous les différents gouvernements, n’avaient été que des exercices de l’esprit, parce que n’ayant pas donné l’occasion aux petites industries, aux moyennes entreprises, et, à l’artisanat d’émerger, puis de créer des emplois en nombre suffisant pour assurer le pain quotidien aux hommes et aux femmes dans le pays. Où donc trouver une explication plausible à la non-éclosion en Centrafrique de ces nouvelles entreprises tant attendues?  Vous me direz que des entreprises de construction, des cabinets d’avocat, des cabinets d’expertise comptable, de nombreux bureaux d’achat de diamant et d’or, de petites unités de boulangerie, des petits bazars offrant une gamme de produits depuis les cosmétiques jusqu’aux pièces de rechange automobiles avaient vu le jour à Bangui. Mais, parlerez-vous aussi de véritable création d’emplois que ces entreprises auraient générés à Bangui?  Diriez-vous la même chose des villes de l’intérieur et des campagnes qui regroupent cependant plus du tiers de la population nationale?  Le responsable de tout cet échec avait été l’incompétence de chaque gouvernement et de nos technocrates qui n’étaient pas parvenus à réussir une véritable politique qui galvaniserait le développement économique de la Centrafrique.  Il n’y avait jamais eu création d’emplois en assez grand nombre, afin d’absorber les chiffres élevés du chômage dans le pays.  Mais enfin, comment battre le fer à froid si le feu de la forge n’est pas allumé?  Comment envisager le paiement régulier des salaires, des pensions et des bourses si ceux qui sont aux affaires sont les notables, proches du pouvoir, leurs parents et autres fossoyeurs de l’économie?

 

Nous avions aussi observé que l’alternative à la situation du chômage chronique dans le pays avait été l’éclosion du phénomène des buba-ngérés qui était né du nombre élevé des échecs scolaires et universitaires et de l’absence de véritables filières de formation professionnelle dans le pays.  Parce que le niveau des salaires et des revenus n’avait pas été réajusté à la hausse depuis plusieurs années pour des raisons connues des économistes centrafricains et des experts de la Banque Mondiale, et, parce que les salaires n’étant pas payé régulièrement dans le pays depuis une trentaine d’années, la logique aurait fait penser que les bailleurs de fonds seraient plus enclin à investir dans le pays, du fait du coût salarial et social relativement bas, ne trouvez-vous pas!  Ou bien est-ce que nous devrions simplement faire assumer les responsabilités de tout cet échec au coût du transport des marchandises qui serait le plus gros des obstacles à la création et à l’existence des entreprises dans le pays?  Pour ce qui nous concerne, les réponses définitives à ces dernières questions ne seraient que supputations.  Nous remarquerons aussi que parce que les banques ne rempliraient pas les rôles attendus d’elles, qui seraient par exemple de relaxer les conditions d’accès au petit et moyen crédit, nous avions également assisté à l’apparition du phénomène, déjà mentionné, des buba-ngérés, qui avait émergé lorsque le programme des DVA avait été institué et offert l’accès à de la liquidité. Ces buba-ngérés qui pouvaient offrir à la clientèle une large gamme de produits, avaient crû occuper les places laissées vacantes par les grandes maisons de commerce qui avaient fermé ou qui fermaient pour des raisons d’endettement ou de non-rentabilité. Mais seulement voilà, après une vingtaine d’années d’existence l’on se demanderait toujours quels avantages financiers ce phénomène avait apporté au pays?  Ce phénomène n’avait-il pas lui aussi contribué à l’assèchement des caisses de l’état?  Etre buba-ngéré c’est faire du trafic au sens strict du terme, c’est à dire faire entrer en contrebande des marchandises sans payer les taxes douanières ou en soudoyant des agents du service public, supposés être au service de l’état.  Vous remarquerez aussi qu’aucun buba-ngéré n’exporte ni ne vend des produits nationaux, provoquant ainsi un déséquilibre et un déficit de la balance des paiements  Qu’est-ce que les finances de l’état y avait gagné?  Pas grand chose ou autrement rien.  Si peut-être, la réduction du nombre officiel des demandeurs d’emploi.  Qu’est-ce que les buba-ngérés y avaient gagné?  Pas grand chose là non plus. Sinon, donnez  moi un seul exemple de buba-ngéré qui serait devenu millionnaire dans le pays en exerçant honnêtement cette activité? Chaque gouvernement sous les régimes de Kolingba, de Patassé et de Bozizé avait dû se satisfaire de l’existence du phénomène.  Les prétendus gros chiffres d’affaires réalisés par ce groupe avait dû faire la fierté des économistes centrafricains et dû satisfaire également les gouvernements successifs à Bangui, dont les proches avaient également pris part à cette contrebande d’un secteur que l’on avait qualifié d’informel.  Personne n’avait réalisé que l’existence de ce phénomène réduisait en miettes tous les espoirs d’une relance de secteurs importants de l’économie de la Centrafrique.  Est-ce que cela aurait été une des raisons pour lesquelles l’état ne pouvait pas honorer le paiement régulier des salaires, des pensions, des bourses et autres charges?  Pas entièrement.  Mais l’on ne devrait pas pour autant en écarter l’hypothèse.  Voilà donc un problème important devant lequel les autorités administratives, politiques et syndicales avaient depuis abdiqué. Mais faisons bien évidemment la part des choses.  Ces buba-ngérés seraient-ils réellement les seuls à blâmer si les gouvernements successifs à Bangui avaient été incapables de mettre en place des initiatives intelligentes qui auraient incité la création de petites et moyennes entreprises et des emplois pour ces jeunes qui ne demandent qu’à gagner leur vie? 

 

A cause du constat de la faillite de la gestion des salaires, des bourses d’études, et des caisses vieillesse, retraite et maladie, et plus généralement celle des finances publiques par l’administration centrale de l’état, nous aimerions dans le contexte des campagnes pour les prochaines élections que chaque citoyen pose les questions suivantes à Bozizé et à ses technocrates, et, aux différents groupements de syndicats.  Ces questions seraient du genre, quelles stratégies nouvelles et originales l’Office Centrafricain de Sécurite Sociale (OCSS) par exemple devrait adopter pour collecter, investir et sécuriser les pensions des travailleurs du secteur privé?  Quels mécanismes le Ministère des Finances et celui de la Fonction Publique et du Travail devraient mettre en place pour éviter que les contributions à la caisse de retraite et pension des fonctionnaires ne demeurent des écritures comptables, mais en garantissent l’existence et solvabilité véritables?  Quelles actions techniques, pratiques et concrètes, autres que les promesses démagogiques, le Ministère des Finances et celui de la Fonction Publique et du Travail devrait prendre immédiatement pour mettre fin à “l’épidémie” des arriérés de salaires, pensions et bourses d’études? Quelles nouvelles dispositions légales une nouvelle assemblée nationale, légitime devrait adopter pour mettre de l’ordre dans la définition, l’organisation et la gestion des bourses nationales accordées aux étudiants?  Considérant l’éducation et la formation professionnelle, quelles actions concrètes et immédiates devraient être prises pour réformer les programmes scolaires, pour former de nouveaux enseignants et pour recycler les anciens?  Dans quels contextes se situe le processus du recensement des fonctionnaires et quelles en seraient les implications immédiates? Quelles stratégies devraient être mises en place pour redynamiser les cycles de formation à l’université de Bangui, qui déboucheraient sur des emplois immédiats et utiles à la relance de l’économie centrafricaine?   Quelles structures et quelles stratégies nouvelles devraient être mises en place pour créer des emplois dans le pays, afin d’absorber le chômage des jeunes?  Dans le domaine de la santé, comment ralentir puis arrêter les dégâts causés par le Sida et les autres endémies dans le pays?  Comment réintégrer les malades du Sida dans la société et leur permettre de continuer d’être productifs tant qu’ils le peuvent?  Pour ce qui concerne l’armée nationale, comment faire d’elle une armée davantage patriotique, et non une milice au service particulier d’un régime au pouvoir?  Est-ce qu’il faudrait envisager une service militaire obligatoire qui fournirait les troupes nécessaires à la protection du territoire centrafricain et qui assainiraient les problèmes créés par les bandits de grands chemins et autre brigands à Bangui et à l’intérieur du pays?  Est-ce que les femmes pourraient jouer un rôle plus important dans une armée véritablement nationale et quel serait-il?  C’est là un petit échantillon de questions.  Il y en a toute une multitude à l’échelle des problèmes du pays.

 

Ce qui précède mis à part, il aurait une grosse erreur qui persisterait dans les esprits de la classe politique et certains citoyens affluents, qui serait celle de croire que toutes ces questions ne pourraient trouver réponses qu’avec une aide financière extérieure substantielle.  Si c’est le cas, nous serions alors désolés de prédire que le pays devra attendre une autre centaine d’années pour que le peuple apprenne à se prendre réellement en charge.  Selon nous, les citoyens pourraient régler immédiatement tous ces problèmes dans un environnement civique et démocratique propices, libéré des vices des chefs des partis politiques et des coups bas des généraux de l’armée.  Les citoyens ne devraient pas attendre que ceux soient les experts internationaux, les chefs des autres états de la CEMAC, une force d’interposition ou autre qui viennent régler les véritables problèmes du pays et témoigner ainsi leurs amitiés aux centrafricains. Ces problèmes sont des problèmes nationaux qui attendent que les fils du pays s’engagent formellement à les résoudre promptement avec bien entendu toute la sagesse et l’intelligence requises.

 

Ces questions sont anciennes.  Cependant, elles demeurent toujours d’actualité.   Ceux sont là des exemples de questions concrètes auxquelles les candidats aux présidentielles et aux législatives devraient répondre. Et ces réponses, satisfaisantes ou non devraient donner la mesure de la valeur des candidats et une indication de leurs aptitudes à mieux comprendre les problèmes du pays et à chercher à les résoudre. Les débats autour de ces questions devraient être publiques pour l’éducation civique du citoyen et pour permettre à chacun de voter en faveur d’un candidat, non pour son appartenance ethnique ou régionale, mais en faveur d’un choix politique totalement bénéfique pour le pays.  Procéder ainsi à la diffusion des débats et  des prises de position serait mettre à la portée de chaque citoyen tous les outils nécessaires, afin que celui-ci fasse, le moment venu, un choix politique objectif.

 

Malheureusement, les gouvernements de Kolingba, de Patassé et de Bozizé n’avaient jamais réalisé ce qui se passait autour d’eux.  Aucun n’avait eu en tête le souci de réfléchir à toutes ces questions et d’y apporter des solutions rapides et concrètes.  Chacun d’eux avait lamentablement échoué, mettant en doute la validité des idéologies des partis politiques tels le RDC et le MLPC et remettant en question le rôles catalyseurs des syndicats et des partis politiques qui avaient aussi joué aux fossoyeurs de l’économie.  Aujourd’hui ceux sont encore les mêmes –généraux et ingénieur- qui se bousculent dans l’anti-chambre des prochaines élections pour demander les voix des citoyens.  Ils ne savent pas ce que c’est que la pudeur, vous me direz!  Mais est-ce que vous pensez réellement que faire le choix de Kolingba, Patassé ou Bozizé, serait tracer une nouvelle voie vers la paix et la prospérité en Centrafrique pour les cinq ou six prochaines années?  Si la liste et les qualifications des candidats aux prochains scrutins ne sont pas satisfaisantes, aucune obligation ne devrait faite au peuple centrafricain d’aller sans faillir aux élections.  Nous suggérerons que les représentants du peuple ou la commission électorale établissent l’équivalent de ce que l’on pourrait appeler un appel d’offres pour les prochaines élections présidentielles et législatives.  Et si les propositions de candidature, reçues par la commission électorale devraient être jugées “non satisfaisantes” sur la base de critères strictement établis, le peuple, à travers ses représentants, pourrait décider objectivement d’annuler l’appel d’offres, peut-être d’en changer certaines clauses, puis de lancer un second appel.  Mais ce point serait-il assez innovateur pour être incorporé dans les articles de la nouvelle constitution du pays?  Selon nous, cet aspect éviterait au peuple d’élire un candidat qui maintiendrait le pays dans la même situation de querelles ethniques intestines et de marasme économique chronique.  Il éviterait également d’élire des membres d’une assemblée uniquement intéressés par les honoraires et qui ne feraient que de la figuration.  Ceci est important!  Nous suggérerons aux centrafricains d’y réfléchir et d’agir concrètement, avant d’aller aux élections et avant de confectionner un cahier de charges dont on sait que les termes seraient généralement ignorés, parce que le président et les députés auront été démocratiquement élus, diront-ils.

 

Jean-Didier Gaïna

Virginie, Etats-Unis d’Amérique

Regards et points de vue Centrafrique de sangonet