Symbiose n°5

Cadeaux et dons dans les pays d'Afrique francophone au sud du Sahara ; radeau de la méduse pour l’entrepreneuriat péri-urbain et  rural de proximité.

 

Mots et notions  clés:  genèse du cadeau et du don, lutte contre la corruption, fabrique de gangrène pour la République, logique de représailles, sinécure, legs colonial, empowerment et ingénierie territoriale. Entrepreneuriat rural,  intérêts humains et territoriaux de proximité.

Mots clés spécifiques : organisations de solidarité internationale, Transparency international, Afrique-Relance, Conférence Internationale Contre la Corruption (CICC), philanthropie, théorie du plat de lentilles

 

Etat des lieux du problème et pertinence du contexte.

 

A l'instar de la location, le don et/ou le cadeau permettent aux individus et communautés d'accéder à la consommation sans passer par l'acquisition. Le don et/ou cadeau ont en commun de relever du registre de la gratuité. Dans les faits ils sont interprétés comme inhérents à toute culture et appréhendés comme le paradigme de consolidation de solidarité de proximité. Mais, le cadeau et le don posent à l'analyse en entrepreneuriat, une difficulté notamment en termes de modèle qui permettrait de penser les rapports entre le fait et le droit. Le don et le cadeau ont des propriétés semblables dans les relations d'échange marchand et non marchand. Ils ont lieu à l'occasion des mariages, des naissances, et servent à porter de secours et assistance aux personnes en difficulté, notamment à l’occasion de deuil ou en cas d’accident ou autres circonstances de désolation.

Dans notre recherche et questionnement pour comprendre les mécanismes qui fondent le cadeau et le don, sont apparus les nombreux témoignages des membres d’associations de solidarité internationale rentrant fraîchement de mission des pays d’Afrique francophone au sud du Sahara. Ces braves missionnaires des temps modernes ont le tournis devant l’exacerbation de la demande des cadeaux et des dons de la part des agents de l’Etat et autres détenteurs de pouvoir locaux ; particulièrement lorsqu’il s’agit, pour les usagers des services publics d’obtenir un service auquel les plus démunis ont légitimement droit. Nous avons aussi relever que le vent de la démocratie balbutiante de l’après discours de la Baule a eu pour conséquence principale de susciter des conférences  nationales,  et autres états généraux ; tous aussi folkloriques les unes que les autres. Les revendications les plus légitimes ont tourné autour de la dénonciation du népotisme et du tribalisme ; véritable gangrène des rouages de l’Etat depuis l’accession de ces pays aux indépendances. Stigmatiser le népotisme et le tribalisme érigés en système des gestions des ressources humaines et exiger que les jeunes démocraties s’engagent à mettre l’homme qu’il faut à la place qu’il faut ont en commun de poser la question de cadeau et de don aux parents ou uniquement à ceux qui font allégeance.

 

 

Cadeau et don ont fait et continuent de faire l’actualité ; actualisante, des années quatre-vingts à nos jours. Face à l’indignation de ceux que la systématisation des cadeaux et dons horripile, ces agents des secteurs publics et parapublics l’Etat et même du secteur privé au sens large, s’abritent derrière le prétexte des origines culturelles du cadeau et don et du partage. Ce que nous ne récusons pas. Mais, le cadeau et/ou le don- sauf dans les hypothèses d’allégeance et de déférence à un pouvoir supérieur dont on cherche à obtenir les faveurs, émane du détenteur d’un bien, qui le met au service de la préservation du lien ; lien de solidarité de proximité.

 

La présente étude s’inscrit dans l’objet même de Symbiose à savoir la défense et promotion de l’entrepreneuriat social et solidaire et particulièrement en milieu rural ([1]). En somme, un des volets de cet entrepreneuriat consiste d’une part à distinguer le modèle de la réalité, , à conserver les eaux et les sols pour produire davantage et d’autre part à conserver les liens sociaux, les relations sociales et les savoirs traditionnels afin de favoriser l’avènement d’une autre société par le métissage entre l’ancien et le nouveau, l’endogène et l’exogène. A la lumière de ce point de vue, Symbiose a décidé d’enquêter sur la dimension dite « culturelle » du cadeau ; c’est-à-dire ce qui en fait la cause et la norme des comportements. Les moins outillés en matière de capital humain et capital social doivent sacrifier à ce rite pour obtenir ce qui est légitime. C’est cette approche de la légitimité du cadeau et don, quand bien même illégal qui fonde notre cheminement pour essayer de comprendre. Notre questionnement s’est donné pour objectif de décrypter, d’explorer la genèse du phénomène à la lumière des sciences sociales afin d’en appréhender les ressorts. A partir de quel critère le cadeau et le don se muent-ils en rançon ? Qui est culturellement fondé à exiger un don ou un cadeau en dehors du cercle familial ou du clan, au seul motif qu’il est dépositaire de la puissance publique ? Etant donné l’étendue du champ à investiguer, nous avons préférer restreindre notre quête de réponse au domaine de l’entrepreneuriat péri urbain et rural laissant aux organisations internationales  le soin d’organiser les campagnes de dénonciations de la corruption à grande échelle sur le continent ([2]).

 

Partons du constat que durant ces vingt-cinq dernières années, les organisations de solidarité internationale ont témoigné de leur volonté d'accompagner les pays d'Afrique francophone dans le processus d'articulation du développement de l'être et du développement de l'avoir. Ces agents catalyseurs de réflexion sur les nouvelles régulations et les actions pertinentes en matière de processus,  et de sens à donner au développement, à la lumière de deux dimensions ; c’est-à-dire faire une lecture alternative de l'accompagnement en situation entrepreneuriale fondée sur le principe générale de l'altérité, sont confrontées au phénomène du cadeau et du don comme gangrène échappant à tout rempart.

 

Les populations démunies, se battant en initiant des activités génératrices de revenus et créatrices de valeur ajoutées sociales sont astreintes à payer aux agents des douanes, aux employés des banques, du trésor, de la force publique, toute sorte d’indulgence aux risques de ne pas fonder leur entreprise.

Lorsque les organisations de solidarité internationale se désolent d'être regarder comme marchant sur les plates bandes des oligarchies locales, ces dernières invoquent les croyances et les relents culturels. Ironie de l'histoire ou histoire d'une ironie, dans les pays où le défi à relever, devant  être,  de rendre des conditions propices à l'accès à l'autonomie et à la création de richesses, afin de faire reculer la pauvreté. Il est quasiment impossible d’ouvrir un compte en banque, d’accéder aux soins médicaux ; voire obtenir des documents administratifs, sans sacrifier à ce qu'il convient d'appeler le sacrifice du cadeau et/ou du don, le culte du cadeau et du don, en lieu et place de la culture de la solidarité.

Notre observation ne nous conduira pas aux chefs d’Etat et ou leurs ministres, ni à nous intéresser aux détournements des aides publiques au développement ou à la vente des pierres précieuses ([3]). Les ONG que nous avons enquêtées ; associations d’aide dans le cadre de la coopération décentralisée ou de jumelage se sont jointes à nous pour s’indigner devant des pratiques dites culturelles des grands commis de l’Etat ; pratiques confiant au déni du  droit le plus élémentaire. Celles-ci conduisent à transformer le cadeau et le don en atelier de fabrication des usages qui sclérosent et paralysent les valeurs de la République et ses institutions déconcentrées et décentralisées. Les autorités locales ; préfets, sous–préfets, commandants de compagnies de gendarmerie en tournée, les magistrats de retour d’audiences foraines, ramènent des campagnes vers les villes où ils habitent qui des cabris, qui des poulets et ce, ès qualité et au nom de nom de la République alors que ces paysans vivent avec moins d’1/2 € par mois en moyenne. Le syndrome du manque d’argent liquide force certains dépositaires de l’autorité et de la puissance publique a rançonné carrément les petits commerçants. Les documents portant le sceau de l’Etat comme les permis de conduire, les plaques minéralogiques, les titres fonciers se refilent à la sauvette au su et au vu de l’Etat. Le système a ses logiques et quiconque ose aller à l’encontre s’expose aux représailles… 

L'expertise de S2I étant d'accompagner les porteurs de microprojets de développement; notamment par la formation et la mise en relation des différents opérateurs afin d'éviter la voie du décrochage, le phénomène du cadeau l'a emmener naturellement à cette entreprise d'élucidation. Loin d'être une prescription, ce travail est une invitation de toutes les entités ethniques à se liguer pour faire une quête de la pertinence de la part imputable à la culture et de ce qui n'est qu’une manœuvre d’extorsion de fonds. Symbiose invite toutes les entités et parties prenantes à la lutte contre la corruption requalifiée en cadeau, à se demander comment les pays d'Afrique francophone vont-ils réussir à accrocher leurs wagons à la mondialisation si les mécanismes socio-économiques d'échange et les mœurs, qui les régissent et assurent la formation d'esprit expérimental, continuent de demeurer sous l'emprise de la fourberie et autres trafics d'influence ?

Entreprendre d'élucider revient à séparer le vrai grain de l'ivraie. Qu'est-ce-qui est de la culture sur le plan socio-anthropologique et qu'est-ce qui n'est qu'édulcoration, voire émasculation d'une forme de déni de droit ?

 Symbiose s'est penchée ; sans présomption aucune, à la recherche d’une grille de lecture ; en l'occurrence, décrypter la genèse des cadeaux et des dons par un travail d'exploration, de réfutation et de récusation. Ce travail de tâtonnement conçoit la recherche ; en tant que quête de modèle d’explication de la réalité et d’invention de sens, et non comme une simple activité éloignée des préoccupations des entités ethniques et parties prenantes mais comme une activité de dissémination de stratégie et d'outils opérationnels. L'on comprendra que rendre intelligible et compréhensible la thématique du cadeau et du don ne puisse laisser Symbiose indifférente, dans la mesure où ceux qui usent et abusent des dons et cadeaux, prétendent qu’il s’agit de geste d'inspiration culturelle. La posture des tenants de cette interprétation fait des cadeaux et dons, en Afrique francophone, ce que sont les secrets bancaires dans certains pays d'Europe occidentale.

 

I) La genèse du cadeau et don ; les racines culturelles d’une réalité complexe

 

La perception et les représentations, que les pays d’Afrique francophone au sud du Sahara ont du cadeau et don, ne sont pas fondamentalement aussi insolites qu’on veuille bien le dire. Le vivre-ensemble appelle des gestes et comportements organisationnels favorisant davantage l’ouverture vers les autres que la vie en autarcie. Cette ouverture vers l’autre, se traduit dans le temps et dans l’espace par l’empathie dans les échanges, les travaux d’entraide dans les champs, l’exercice de l’hospitalité, la générosité.

 

1-1 : La posture socio-anthropologique du cadeau et don.

 

L’entraide relève de la réciprocité et rappelle la conclusion des travaux de Marcel Mauss sur le don. Par exemple au Burkina-Faso et par rapport à la tradition du Kombi-Naam en saison des pluies, les jeunes gens et jeunes filles désireux d’agir au bénéfice du village, de faire l’expérience du côte-à-côte dans un labeur collectif et d’apprendre à vivre selon la sagesse traditionnelle se répondaient à l’invitation de Kombi-Naam. Ils sarclaient, binaient ou récoltaient au rythme du tam-tam. Ils s’encourageaient mutuellement à travailler et à faire preuve de sagesse, d’honnêteté et résister à l’avidité. Il fallait savoir partager, non seulement la nourriture et le matériel agricole, mais aussi ses connaissances, son savoir-faire, les mille astuces et stratégies qui permettent aux cultivateurs de tirer d’un sol ingrat, les fruits nécessaires ( [4]). Ce don et partage favorisent aussi la mise en commun de qui l’on est, de ses qualités, de ses valeurs morales. 

L’idiot du village a droit à la nourriture même s’il ne sait faire que le pitre ! Les échanges de cadeau et don sont classiques. Le chiche et l’avare s’excluent eux-mêmes de la communauté car, le cadeau et don sont ensemble le tribut à payer pour s’attribuer les attributs de la tribu. Ce qui signifie, que la pratique des cadeaux et dons constitue le socle commun de toutes les entités et groupes ethniques et la marque de fabrique de l’espèce humaine ; qu’il s’agisse des sociétés ouvertes ou des sociétés fermées au sens où l’entend Karl Popper. Ce qui revient à dire que le cadeau et le don font partie du patrimoine de repères communs de la culture de toutes les tribus. Il faut récuser énergiquement l’affirmation selon laquelle les entités ou groupes ethniques issus des pays d’Afrique francophone au sud du Sahara seraient naturellement mieux dotés que les autres en capital culturel orienté vers la solidarité ; le cadeau et le don. Le cadeau et don sont ancrés dans toutes les cultures comme mécanisme de mobilisation du bien en vue de l’entretien du lien social, de la solidarité.

La prétention de ce papier n’est pas de mettre en avant le normatif et le conventionnel mais de présenter les cadeaux et dons comme point nodal à partir duquel des articulations et des inter -actions se font entre l’individu et ses entités ethniques ou les communautés dont il est membre, ce qui était l’objet d’une explication deviendra un sujet d’études, un lieu d’exploration. En d’autres termes, ce n’est ni un sophisme, a contrario une sophiciade, que de soutenir que tout projet communautaire et non communautariste n’aboutit,  qu’à la condition d’un bon enracinement culturel du don de soi et du cadeau. La polysémie du cadeau et du don a fait dire à certains que le caractère relativement conservateur des cultures africaines est le signe d’une nonchalance et d’une paresse ([5]).

 

1-2 : Les enjeux socio-anthropologiques des cadeaux et dons.

 

Dissipons le malentendu provoqué par des résonances ou autres rugissements de colères au sujet de la pratique du cadeau et du don. Les termes du nouveau contrat social ne sauraient se réduire à la négation de l’identité des entités ethnique. Il ne s’agit pas, non plus de considérer la tradition, la culture du don et cadeau comme un mal incurable pour la promotion de l’entrepreneuriat péri urbain et rural.

Selon Georges Bernard Shaw, il y a deux catégories d’individus sur la planète terre. Ceux qui s’adaptent au monde tel qu’il est et ceux qui veulent le transformer pour le rendre compatible avec leurs rêves. Que les seconds, qu’il faut préférer de loin, fassent des cadeaux et dons, l’utilisation la plus orthodoxe possible et telle que leur inspirent leurs cultures. Notre observation nous conduit à conclure provisoirement que le cadeau et don sont des instruments de médiation des relations sociales. Or les relations sociales sont intriquées par les modes de production et de consommation. Seul le refus d’accepter l’inacceptable garantit les relations sociales.

Si la solidarité internationale est construite sur le nouveau contrat social fait de facteurs endogènes et exogènes, inter agissant et s’articulant, la dynamique d’échange et de dialogue interculturel l’emportera et ne transformera pas le cadeau et le don en frein voire en dynamite.      

Le devoir de mémoire et de savoir de l’histoire fait injonction aux entités ethniques et les cultures des pays d’Afrique francophone au sud de Sahara d’être mieux inspirer à se méfier de la menace,  que fait peser sur eux le culte de l’individualisme, la montée de l’esprit de lucre et de l’accumulation du capital. L’histoire de la traite négrière postule que les chefs de clans ont remis aux marchands d’esclaves ; en contrepartie des dons et cadeaux, leurs braves jeunes gens et jeunes filles ; ce que n’ont pas fait les différentes tribus des indiens. Un proverbe Inuit ne disait-il pas que les dons font des esclaves comme les fouets font des chiens !  

Le cadeau et le don ont généré le mépris du pauvre ; c’est-à-dire celui dont le sort en termes de bien-être dépend d’un autre ; lequel est dépositaire d’un pouvoir et/ou d’une autorité. On assiste à une montée du retournement idéologique du cadeau et du don à tous les niveaux des rapports d’échange marchand et non marchand. A la lumière du retournement idéologique sur fond de mauvaise acculturation et inculturation, le cadeau et le don deviennent et pour l’Etat et pour les intérêts humains et territoriaux de proximité dont l’entrepreneuriat péri urbain et rural, de véritable terrain miné ou plutôt une avancée sur du sable mouvant.

 

II) Cadeaux et dons ; résultante d’un mix contestable d’idéologies néo coloniale et néolibérale

Le contexte actuel de fortes mutations internationales a accéléré l’obsolescence des idéologies néo coloniales et ouvert la porte au néolibéralisme et ses avatars. La montée en puissance des organisations de solidarité internationale, contribuant à délivrer les personnes jusqu’alors bâillonnées à recouvrer leur liberté est une véritable rempart contre des pratiques désespérantes et ancestrales de gestion des intérêts humains et territoriaux. Ceux, qui naguère croyaient détenir la clé de sortie de la pauvreté, ont été révélés impuissants par les faits ; à savoir leurs incapacité à déceler un seul des multiples facteurs, qui concourent à engendrer la pauvreté et à la pérenniser. La pauvreté prend la forme d’une guerre, qui a désarmé les idéologies néo coloniale et néo libérale. Elles sont réduites à sentir plutôt les effets de cette guerre que d’être en capacité de déceler l’origine et les causes. A défaut de proposer un nouveau contrat social, ceux, auxquels le système failli a profité, font feu de tout bois pour s’octroyer des revenus additifs, quitte à appauvrir l’Etat et les ménages ; au nom de la culture et/ou de la solidarité.

De l’avis de certaines élites africaines, l’autre versant pervers du cadeau et don qu’est la corruption, est une forme de solidarité. Avant d’établir en quoi il y a dévoiement du cadeau et don, nous faisons deux remarques.

 

D’une part la perversion de ces symboles creuse le fossé entre les riches et pauvres non seulement entre les Etats mais également à l’intérieur même d’un Etat. D’autre part l’un des effets pervers du cadeau et don  est la privation de l’Etat des recettes fiscales  à savoir l’évasion fiscale et son cortège de salaires non payés, de défaut de maintenance des infrastructures et autres équipements collectifs ; lorsque ceux-ci ont le privilège d’exister ([6]).

Venons- en à la corrélation. Le rejet du népotisme, du favoritisme et du tribalisme, n’est pas la simple diabolisation des pratiques politiques du partage de pouvoir. Il y a la rémunération ; la sinécure. Alors que le travail ; source de revenu est rare, on n’a de la peine à admettre qu’une oligarchie se partage des postes juteux par convention ou par pacte criminel, tout en sachant que les prétendants à ces postes ont, notoirement ni compétence ni aptitudes à apporter la moindre solution aux questions de société qui se posent à eux. Sur le plan managérial, la sinécure est un cadeau ou un don, qui fait main basse sur les intérêts humains et territoriaux de proximité.

Le canon de mesure de sortie de crise, auquel toutes les cultures frappées par ce fléau ont eu recours, n’est pas de déclarer la corruption invincible parce que c’est la loi du genre, voire de la mettre au rang des maladies congénitales orphelines pour certains ou de cheval de Troie pour les autres alors que par son côté protéiforme dont les cadeaux et dons, le phénomène est le tendon d’Achille des intérêts humains et territoriaux de proximité.  

 

2-1 : Des pratiques subversives et transgressives par rapport aux intérêts humains et territoriaux de proximité.

Dans certains pays, la pratique des cadeaux et dons sous forme de pot de vin est érigée en système de gouvernance ; en somme une sorte de convention contraire à la norme sociale dominante. Nous avons repérer deux types de justification pour légitimer les dons et cadeaux :

 

1) La première est l’existence d’une convention (la théorie de la Convention). Pour légitimer cette convention, on soutient, que l’Etat ne rémunérant pas ses agents ou retirant aux chefferies traditionnelles toute légalité, il est normale, que le cadeau et le don viennent en compensation. Cette convention ou pacte criminel prend deux significations ; la première est que l’on rapproche le cadeau pot de vin du pourboire à l’occidental. La deuxième est, qu’il prend la forme d’une opposition politique au pouvoir. Les oligarques ne se privant de rien, dépôt des sommes faramineuses dans les banques étrangères, acquisition de vieux châteaux et appartements cossus en   Europe, au nom de quel puritanisme refuserait-on, telle ou telle forme davantage en nature ! Le cadeau et le don entrant par définition dans les avantages en nature. La littérature dénonçant la corruption des dirigeants, leurs forfaiture et leur légendaire concussion au point d'affamer les populations n'étonne plus personne tellement les faits sont avérés ([7]).

 

2) La seconde est l’application de la théorie des legs coloniaux. Selon les tenants de cette théorie, les agents de l’Etat ont toute légitimité à recueillir des dons et cadeaux car, cela fait partie des traditions.

C’est une pratique que l’on peut classer dans les legs coloniaux. Si le blanc qui ne manquait de rien acceptait le cadeau ou le don ; sous forme d’offrande d’animaux d’élevage ; cabris, mouton, poulet, pigeon ou des produits de culture ; sac de riz, de farine de manioc, de mil et/ou sorgho, celui ; l’autochtone, qui lui a succédé, a aussi vocation à recevoir ces offrandes, à bénéficier de cette manne paysanne !

Quelle que soit la justification, les dons et cadeaux restent et demeurent du domaine de la spontanéité de la part de l’auteur du geste. Le dévoiement commence dès lors que le bénéficiaire exploite et conditionne   la remise du don ou cadeau comme préalable à toute fourniture et/ou prestation de service ; même dans le cas des missions humanitaires ou caritatives et maquille cette remise d’artifice culturel. On se trouve alors face à une préemption de droit confinant à un déni de droit élémentaire. L’extorsion de cadeau et don par intimidation ou trafic d’influence ne saurait être un geste ni légitime ni légal. Cela relève davantage d’un marché de dupes que d’une pratique enracinée à la culture.

L’initiation à l’entrepreneuriat péri urbain et rural suppose une métamorphose culturelle ; en somme c’est le résultat d’un processus à la fois d’acculturation et d’inculturation. On passe de l’âge de la pierre à l’âge du fer pour en arriver à l’âge de faire. Les cadeaux et dons portent en eux des germes de fragilisation et de fragmentation des maillons dans la chaîne de l’échange et aboutissent à inhiber les initiatives économiques.’

 

2-2 : Atelier de fabrication de la corruption plutôt qu’expression d’une culture.

 

Les entités et groupes ethniques ont plus à gagner à participer à la mondialisation qu’à contribuer à l’organisation de leur maintien à la périphérie, à leur relégation. La défense et promotions des intérêts humains et territoriaux de proximité induisent de nouvelles représentations du cadeau et du don ; la thèse de l’orthodoxie que nous défendons. La construction de la richesse nationale s’est faite sur des bases fragiles, la solution alternative ne viendra pas de l’opposition entre intérêt national éloigné, mesurer par des agrégats macro économiques abstraits. Il faut impulser d’autres dynamiques, s’efforcer de mobiliser d’autres logiques porteuses de complémentarités et non de compétition, d’interaction entre les acteurs et d’articulation des cultures de développement humain. La misère et la pauvreté traversent, tel un ouragan, les entités et groupes ethniques du monde rural générant un véritable capharnaüm, un champ de ruine. Ce capharnaüm sert d’atelier de fabrication de la corruption pour certains intérêts. Au contact de ce terroir, les greffes de la corruption ; sous toutes ses formes, ne peuvent que prendre.  

 

Revendiquer individuellement ou par convention, « habitus » au sens de Pierre Bourdieu, la culture et la solidarité ; valeurs communes à tous pour légitimer une extorsion n’est de nature à faciliter la captation des externalités positives qu’offre la mondialisation et l’insertion dans les échanges internationaux. L’ouverture au monde et sur le monde des entités et groupes ethniques implique que l’on mette terme à l’inflation du dérisoire (les pourboires, que l’on exige des ONG) et la négation du plus grave ; le déficit d’instruments de sanction, l’impunité généralisée des auteurs.

Il est urgent de la part de ceux, que les pays d’Afrique francophone envoûtent et déroutent de participer à l’émerger les éléments d’un nouveau contrat social, notamment par une éducation populaire – dans les villages, les campagnes, à la lutte contre la corruption. Un tel programme organiserait des sessions et ou séminaires, où   les objectifs consisteraient à permettre aux participants de questionner, rechercher et confronter leurs avis sur l’impact de la corruption par les pourboires sur l’entrepreneuriat rural et péri urbain.

 

Conclusion :

 

Nous ne pouvons terminer cet article sans faire allusion à cet autre versant de l’économie des cadeaux et dons. Le proverbe Inuit, auquel nous renvoyons nos lecteurs, se trouve vérifié, en l’occurrence lorsque la pratique du cadeau ou du don ; pot de vin, infeste le tissu socio-économique et les mœurs politiques à tel enseigne, que l’exercice de la souveraineté s’en trouve privatisée. Les puissances occultes ; sectes laïcs et/ou religieux voire parareligieux et paranormaux etc, qui arrosent le corps social de dons, ne le font pas sur des bases philanthropiques. Il leur arrive d’exiger une contre partie qui ne repose pas sur des valeurs monétaires. La valeur à donner pour s’affranchir ou s’émanciper d’eux n’existant nulle part, ils finissent par faire main basse sur les intérêts vitaux. C’est ainsi que l’on verra se déployer la théorie du plat de lentilles. Le donateur se mue alors en véritable pieuvre.   

Par ce prisme, nous ne prétextons nullement, initier une polémique uniquement sémantique ou sémiologique du phénomène socio-anthropologique, qu’est le cadeau et don. Tout en lui reconnaissant une part de gratuité, il convient de rester vigilent et de ne pas exagérer la dimension philanthropique. Il n’est pas aussi désintéressé ou gratuit qu’on voudrait bien nous le faire avaler.

Dans les sciences sociales, les cadeaux et dons est une thématique transversale et interdisciplinaire. Cette interdépendance de la thématique amène le droit des obligations à qualifier à limiter le seuil des dons et cadeaux au niveau mobilier et à qualifier les cadeaux et dons de contrat unilatéral. Les sciences économiques les classent dans les économies souterraines en raison de la difficulté à repérer les nature et le volume ; voire les fréquences des flux réels et flux financiers inhérents à cette forme d’échange et de circulation de biens et services.

 

En définitive, les cadeaux et dons, n’étant ni entièrement philanthropique, ni gratuit pour le donateur et susceptible de faire du donataire un esclave ; voire être pour lui, ce que le fouet est au chien, il a tout pour instrumentaliser les transactions. A la lumière de ces réfutations et récusations, il ouvre naturellement et à l’évidence une voie de recherche.

 

Dans le champ de l’entrepreneuriat, il convient de l’explorer pour débusquer les entraves à l’insertion des entités et groupes ethniques dans les pays d’Afrique francophone au sud du Sahara dans les échanges internationaux et la privatisation subtile des intérêts vitaux des Etats, sous le verni des pratiques culturelles. Solution issue de la culture économique et managériale. Cette option a le mérite d’exister mais sacralise la bipolarité Etat –Marché ; couple rejeté depuis le déclin de l’Etat providence et perpétue potentiellement l’ostracisme, que fait peser ce dévoiement, sur les pays d’Afrique francophone notamment en matière d’insuffisance et de déficits en matière de culture de marché.

 A l’aune des sciences sociales et de gestion - au risque de nous répéter, la thématique des cadeaux et dons est au cœur de la socio anthropologie comparée et sa quête de sens permettra de mettre en œuvre une démarche d’instrumentation faisant inter- agir les différents champs suivants :

1.      Sur le plan de la bonne gouvernance en générale en l’occurrence le viol du code de déontologie, les évasions et fraudes fiscales.

2.       Sur le plan entrepreneuriat péri urbain et rural de proximité.

3.       Sur le plan sens du développement. Il convient de rechercher les articulations entre le développement de l’être et le développement de l’avoir. Cette articulation et cette inter-action induisent la prise en compte du principe général de l’altérité et pas seulement de l’équité dans la construction de la solidarité internationale. L’appréhension des contours du nouveau contrat social que nous appelons de nos vœux, passe par la mise en œuvre du concept de l’empowerment des entités et groupes ethniques, puis de l’ingénierie territoriale de proximité.

 

Gervais Douba

Département Techniques de Commercialisation -  IUT ( Université de Rouen)

 Symbiose Ingénierie Internationnale

 



[1])  Pierre Pravervand « Une Afrique en marche, la révolution silencieuse des paysans africains » Plon, Paris 1989. Voir aussi le film vidéo de François Millis « Le combat des Mosis contre le désert. Une leçon d’écologie » Ouagadougou- Bruxelles. La démarche d’écoute attentive des paysans, vrais « experts de leur terroir, est notamment pratiquée par Hugues Dupriez. Cet auteur est signataire de nombreux manuels sur les savoirs paysans ( Terres et Vie » L’harmattan, Nivelles-Paris. [Edith Sizoo et Thierry Verhelst in Cultures entre elles : dynamique ou dynamite ? Editions Charles Léopold Mayer  DD34 2002] .

 

[2]) Contre les abus de biens publics « la corruption ; lutter contre le mal Sud-Africain » Publication de Afrique-Relance, Département de l’Information des Nations unies Bureau S-931 1983. 

 

[3]) Afrique-Relance « L’Afrique s’attaque à la corruption » Ernest Harsch. Publication Bureau  S-931 Nations Unies   16 Décembre 1996

 

[4] ) Edith Sizoo et Thierry Verhest  ( déjà cité)  

 

[5]) J.Binet « Psychologie économique africaine » Les Africains seraient volontiers paresseux, plus paresseux en moyenne que les Européens »

 

[6] ) Nsabimana, Tony  « La corruption en Afrique n’est pas une fatalité » Gouvernance en Afrique  fiche-dph.

 

[7]) - Giogio Blundo  et Jean-Pierre Olivier de Sarda « Etat et corruption en Afrique. Une anthropologie comparative fonctionnaires et usagers ( Bénin, Niger, Sénégal)éer » Editions Shadyc-EHESS-CNRS  Marseille Sept 2007

- Voire également Ernest Harsch « L’Afrique s’attaque à la corruption » Afrique Relance Bureau S-931 Nations Unies.

 

Diffusion: 17 mars 2008