Alphonse-Marie Toukas, journaliste, écrivain, est mort

 


 

Congo Brazzaville : Mort d’un homme des Médias, Alphonse Marie TOUKAS

 

André-Marie ToukasMarie TOUKAS, comme nous l'appelions si affectueusement, est mort ce vendredi, 12 Décembre 2008, alors qu'il venait d'avoir soixante treize ans. En octobre dernier, ses proches saisirent de cet événement (ses 73 ans) pour raviver, reconstituer la fresque de souvenirs de cette stèle culturelle, grand homme de radio et de télévision, dont la notoriété naguère acquise sur les rives du fleuve Congo allait s'étendre en Europe et plus loin que RFI pouvait emporter son souffle.

Dans cet ordre, il nous vient encore à l'esprit les mélodies et les charmes contés dans des productions audiovisuelles comme "DECOUVERTES de RFI", "Formule magique à Télé-Congo" dont Marie TOUKAS était le patron.

Alphonse Marie TOUKAS était la machine à fabriquer les "Etoiles" ; sous son impulsion, des chansons comme "Ancien combattant" et des artistes comme ZAO, ont connu un succès planétaire.

Nous le désignons à juste titre comme étant le Michel DRUCKER black et inversement. A son micro, il a accroché et approché les grands artistes de ce monde, Édith PIAFF, Jacques BREL, Henri SALVADOR  etc?.

Un registre qu'il affectionnait particulièrement. On lui sait gré d'avoir accompagné la vogue d'Angela DAVIS dans les années 70, les années yé yé, la Soul musique, le blues, la country music etc?

Pour Alphonse Marie TOUKAS, la seule chose importante qui valait la peine de compter sur terre, restait "le souffle de vie". D'un ton enjouer, comme à son habitude il ironisait : "Tant que tu respires encore, rien n'est perdu".

Et comme pour lever le voile sur un combat dont les jeux semblaient fait d'avance, il lança à sa petite fille qui le suppliait de lutter, "ce qui est apparu, disparaîtra", et c'est une loi.

A cet instant, tout se brouilla. Notre approche des problèmes passait pour être en décalage avec Alphonse Marie TOUKAS.

Tout le confortait dans une sorte de paix intérieure retrouvée. Tout était réconcilié en lui, du moins presque. Dans son regard se posait sur des horizons jusqu'ici inexplorés. Ceux qui se sont laissé approcher par Alphonse Marie TOUKAS garderont de lui le souvenir d'un homme généreux et profondément humain. Il eut une haute estime de lui-même. Serviteur exemplaire, il a servi Radio France Internationale et l'État Congolais.

Il ne s'est jamais plaint de son sort. Frappé par la limite d'âge dans l'administration du Congo-Brazzaville, notre grand homme quitte ce monde sans avoir perçu un seul sous de nombreuses années au service de son pays d'origine.

Heureusement, la petite retraite sur la vingtaine d'annuités passées à Radio France Internationale le fit vivre dignement.

Pour conclure sur le témoignage de celui qui a connu et fréquenté Marie, la seule évocation du nom au Congo faisait penser à

 

la bonne humeur, à la joie de vivre. Plus prosaïquement à la fête.

Alphonse Marie TOUKAS laisse des enfants et une famille, rien de tel pour lui rendre un hommage digne que de restituer à ses ayants droit ce qui lui a toujours refusé et qu'à l'occasion de ses obsèques, qu'on organise une fête à l'échelle des événements culturels qu'il a agrémenté de son immense talent d'HOMME DES MÉDIAS. 

Que l'histoire retienne son nom !...

 

© Correspondance : Georges TABAS - Journaliste

Paru le 13-12-2008 11:45:53

Source : http://www.camer.be/index1.php?art=4054

 


 

Parcours de vie] Alphonse-Marie Toukas

 

Mfoumou Katoumoko, “le chef à qui on ne peut pas commander”

 

Quand il est né, en 1935, dans un village du sud du Congo, alors en Afrique équatoriale française, on l’a appelé Mfoumou Katoumoko, « le chef à qui on ne peut pas commander». Mais Alphonse-Marie Toukas ne voulait pas devenir chef. Triplé aux pouvoirs magiques privé précocement de ses deux frères jumeaux, interne en culottes courtes à la Mission catholique, dandy chanteur de rumba dans le Brazzaville de l’indépendance, talent à tout-faire à Radio-Congo et à Radio-France, il rêvait de finir ses jours dans la ville chérie de sa jeunesse, au bord du fleuve, en tenancier de restaurant prospère. La politique, qu’il n’a jamais aimée, en a décidé autrement. La musique, embrassée dès l’enfance, illumine sa retraite, Porte de Clichy à Paris.

 

 

« Moi, j’ai pris la vie du bon côté. Ma mère me disait toujours : “Il y a une seule chose importante sur la terre, c’est le souffle. Tant que tu respires encore, rien n’est perdu.” Et c’est vrai ! Trois fois en tout, je suis retourné au pays, et trois fois j’ai dû revenir en France. Là, ça suffit. Je vais mourir ici, je crois bien. Je n’ai pas la nationalité française, parce qu’à chaque fois, à la Préfecture, il m’a manqué un papier. C’est l’acte de décès de mon père, il a été perdu, avec tous les troubles qu’il y a eu au Congo. Donc je reste congolais à vie, à Paris. Si j’avais pu finir ma vie dans l’ambiance des fêtards de Brazzaville, je serais reparti encore un coup. Mais j’en ai pris mon parti, parce que c’est pas la peine de s’appesantir sur les choses qui ne marchent pas comme on voudrait. Je vis ici et maintenant. Aujourd’hui, c’est mon jour, et personne ne peut me l’enlever. Demain, on verra. Il faut rendre grâce de la minute vécue. Ça aussi, c’est ma mère qui me l’a appris. Plus je vieillis et plus je me dis qu’elle avait raison.

 

Je suis né en 1935. Mon père était mort trois mois après ma naissance, d’une maladie de l’estomac. C’était un enseignant, il apprenait l’alphabet aux petits enfants. Et puis en même temps, comme il était catholique, c’est lui qui a introduit l’Eglise dans nos régions, à l’époque. Son premier fils, mon grand frère, est même devenu prêtre. En Afrique on est syncrétiques. C’est à dire que même si on va à la messe, qu’on prend la communion et qu’on va à confesse, on nous enlèvera jamais de la tête qu’il y a aussi d’autres pouvoirs à l’œuvre et en particulier, des sorciers. Même en Europe, ça existe, les sorciers, mais les gens n’y croient plus.
Je suis un acculturé à 50% seulement, malgré l’école des missionnaires, à Minduli. Ils nous avaient vraiment appris les bases pour être à l’aise en société. Jusqu’aux danses de salon, valse et tango, pour briller dans les réceptions ! Mais s’il le fallait, je crois que je saurais encore chasser. Et je n’ai jamais oublié ni les chants, ni les danses, ni les contes de mon enfance. D’ailleurs, en ce temps-là, même les curés suivaient un peu les coutumes du pays sans oser trop trancher dedans. Quand les gens se trémoussaient tout nus au clair de lune, ils avaient beau dire que le diable est dans la danse, ils ne l’empêchaient pas carrément.

A 15 ans, je suis allé comme interne à Brazzaville, toujours chez les prêtres, et après le bac, j’ai décidé de commencer à travailler pour m’occuper de ma mère. J’avais 22 ans. A l’époque, comme les cadres étaient difficiles à trouver, les sociétés allaient guetter les collégiens pour les recruter avant même la sortie. Tout le contraire de maintenant, où ils sont bourrés de diplômes, mais tous au chômage. Donc, j’ai trouvé facilement à m’employer comme contrôleur aérien à l’aéroport Maya-Maya. J’ai dû partir au bout d’un an, à cause d’un problème avec un collègue, un Français, qui a commis une grave erreur d’aiguillage et provoqué un accident. Il a prétendu que c’était moi le fautif. J’ai été innocenté et lui renvoyé, mais après ça, je ne pouvais plus rester, vous pensez ! Un Noir qui fait virer un Blanc, c’était impossible à avaler pour la colonie. Après j’ai travaillé un peu aux PTT, mais ça m’ennuyait à mourir, puis à la Shell six autres mois, avant de décider que j’étais pas fait pour la vie de bureau.

C’étaient les années de l’autodétermination, 1958 – 59, et la capitale de l’Afrique équatoriale française était quand même la ville la plus émancipée du continent, en dehors de l’Afrique du Sud. Ensuite, seulement ensuite, venait Dakar. Bien sûr, il y avait la petite société blanche, avec son esprit étroit, mais on s’en fichait pas mal. On allait au dancing, au cinéma, et on frimait en costumes tergal. Je me suis pas tellement intéressé aux événements de l’indépendance. Mon frère le curé m’avait dit : “Tu peux faire tout ce que tu veux, sauf la musique et la politique.” J’ai pas pu m’empêcher pour la musique, mais j’allais pas enfreindre deux interdictions d’un coup! J’avais créé mon groupe, le « Sympathique Jazz ». On jouait dans les bars africains en semaine, et le week-end chez les Blancs. Rumba pour les uns et pour les autres, Tino Rossi et surtout Dario Moréno, moi j’adorais ce type-là. L’argent rentrait, la vie était belle. J’étais un dandy incontrôlable, un m’as-tu-vu-iste ! Je vivais avec maman et j’avais acheté une grande concession pour toute une smala de neveux, nièces et cousins. J’oublie de dire que j’avais fauté pendant mes années de collège et j’avais aussi une fille, que j’ai reconnue et élevée.

Un jour, après un concert, un journaliste de Radio Congo m’a proposé de devenir animateur chez eux, il trouvait que j’avais du bagout. J’ai créé une émission de variétés en public qui marchait très bien. On était en pointe, le Congo avait été le premier pays de toute l’Afrique à avoir la télévision. En 1962, grâce à un concours de la coopération française, je suis allé à Paris pour me former à tous les métiers de la radio : journalisme, réalisation, animation. J’habitais à Maisons-Laffitte, en banlieue parisienne, j’ai même chanté à la chorale de la paroisse pour le 700ème anniversaire de la cathédrale de Chartres. Ce que j’ai tout de suite aimé de la France, c’était les gens. Cette année-là, je me suis beaucoup baladé dans les campagnes, dans la Drôme, en Normandie, en Bretagne, en Gascogne. A l’exception de quelques individus, il n’y avait aucune hostilité, même si certains n’avaient jamais vu de “nègre”. On me regardait avec des grands yeux, on a même demandé à toucher mes cheveux ! Mais il n’y avait pas cette méfiance un peu générale qu’on constate maintenant.
Pendant les années de collège, j’avais correspondu avec une petite Française de mon âge, c’était les curés qui nous organisaient ça. On s’était écrit pendant dix ans. Elle habitait Saint-Etienne. Elle m’a proposé de venir la voir et on s’est adoptés tout de suite. Tellement qu’on a décidé de se marier. Y a eu aucune histoire avec ma belle-famille. Par contre, mon frère le curé a écrit une lettre furibonde : chez nous, si tu épouses une femme étrangère, on a toujours peur que tu sois perdu pour la famille. On s’est mariés à Paris, on a fait une joyeuse fête avec les amis. Par la suite, on a eu deux enfants, une fille et un garçon.

L’année suivante, la troisième de notre indépendance, on est retournés au Congo et là, révolution ! Au début, j’ai continué à travailler à Radio-Congo, mais les Russes sont arrivés, et les Chinois, les Egyptiens, les Algériens, les Cubains etc. Tous avec la manie de l’espionnite. Le régime est devenu de plus en plus dur, ils ont commencé à arrêter à droite, à gauche. Enfin, ça s’est gâté et je suis parti en catastrophe. En France, j’ai passé un autre concours, je suis resté trois ans à travailler ici et là, et puis j’ai cru à tort que chez moi, ils s’étaient un peu calmés. J’ai fait une nouvelle tentative en 1966, qui n’a duré que quelques mois. Après tout, Paris, ça m’allait bien. J’ai fait plein de choses à la radio : Radio France Internationale, France Inter, France Culture… J’ai eu un autre orchestre, le « Kilimandjaro » et une troupe de théâtre, “Tous des frères”. L’agitation permanente ! Maintenant, je montre mes photos de star à mes petits-enfants, avec Johnny ou Nougaro, et je leur raconte le jour où Eddy Constantine s’est mis à pleurer dans le studio. Ça les épate et moi, ça me fait rigoler. C’était bien tant que ça a duré.

C’est en 1983 que je suis reparti pour la dernière fois, pour être auprès de ma mère. Là-bas, j’ai continué à faire l’animateur et l’homme-orchestre, “Monsieur Sourire”, comme on m’appelait. Finalement, à Brazzaville, j’ai ouvert un magnifique complexe de loisirs, avec deux salles de restaurant, une scène de spectacle et une grande terrasse au bord du fleuve, en face de Kinshasa, “L’Escale de la Corniche”. Quand ça a commencé à barder, en 1992, j’ai bien essayé de tenir le coup mais j’ai dû tout abandonner l’année suivante. Et maintenant, là-bas, tout est dévasté. Ces guerres africaines, ça arrange bien l’Occident. On fournit les armes aux combattants des deux côtés et une fois les pays détruits, on peut leur vendre tout le reste. Sur place, on en trouvera toujours qui sont prêts à tuer pour ceci ou cela. Ça, c’est l’humanité. 
Je préfère me camoufler derrière le Yi King et d’autres éléments de la spiritualité. Je suis du signe de la balance et j’aime bien l’harmonie. C’est ce que j’ai appris à mes enfants, à toujours garder le sens de la famille et à s’aimer entre eux, à ne pas laisser les petites brouilles prendre de la place parmi nous. Et puis je veux pas parler de politique, ça me réussit pas. »


L'atelier du Bruit

[16/11/2004]

 

 

Repères

Alphonse-Marie Toukas en quelques dates

1935 - Naissance villageoise dans le district de Boko, sud du Congo, alors colonie française.

1943 - Mort de ses deux frères jumeaux

- Départ à Minduli, à 80 Kms de son village, à l’école de la Mission catholique -

1950 - Arrivée à Brazzaville, comme interne

1959 - Fonde son orchestre, le « Sympathique Jazz »

1962 - Formation aux métiers de la radio à Paris

1964 - Premier exil en France, mariage avec un Française

1966 - Tentative avortée de retour au Congo. Retour à Paris et à la Maison de la Radio.

1983 - Retour à Brazzaville.

1993 - La dégradation de la situation politique le ramène une nouvelle fois en France

2000 - Mis à la retraite de Radio France Internationale

 

Ce portait a été réalisé par l'atelier du Bruit.

 

Source : http://www.alterites.com/cache/center_portrait/id_805.php

 

 

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