L’exception d’insécurité, nouvel avatar des processus électoraux en Afrique

Didier Niewiadowski, Paris - 08.01.18 justiceinfo.net

Des fidèles de l'Eglise catholique se joignent à une manifestation le 31 décembre 2017 à Kinshasa pour exiger le départ du président Kabila
Des fidèles de l'Eglise catholique se joignent à une manifestation le 31 décembre 2017 à Kinshasa pour exiger le départ du président Kabila Photo AFP/John Wessels

 

 En République Démocratique du Congo, le président Joseph Kabila, a mis au point une nouvelle stratégie de conservation du pouvoir. Cette stratégie pourrait être qualifiée d’exception d’insécurité.

Les juristes connaissent l’exception d’illégalité qui est un argument de procédure permettant à une partie à un procès de demander au juge de surseoir à appliquer un texte au motif qu’il est non conforme à la légalité. Si dans une telle espèce, le juge fait droit, le texte en question ne sera pas appliqué mais il ne sera pas annulé. De même, en invoquant l’incapacité pour l’Etat de garantir la bonne tenue de l’élection en raison de l’insécurité, un chef de l’Etat peut être tenté de ne pas appliquer le chronogramme électoral, sans pour autant annuler purement et simplement le scrutin. On appellera cet argument, qui peut être fallacieux, l’exception d’insécurité.

L’exception d’insécurité enraye un processus électoral

Des circonstances particulières peuvent créer des difficultés dans l’une des étapes du processus électoral et générer ainsi des retards dans le chronogramme. Lorsque ces retards sont peu importants et inhérents aux difficultés matérielles d’organisation, on ne peut en conclure qu’il y ait une volonté délibérée de paralyser le processus électoral. C’est souvent le cas pour une élection d’un nouveau chef de l’Etat, comme au Burkina Faso et en Centrafrique, en 2015, et récemment au Liberia, où le second tour fut reporté de sept semaines, suite à un recours juridictionnel concernant le premier tour.

Le processus électoral peut aussi être enrayé pour des motifs qui ne s’apparentent pas à la force majeure ou à une question d’organisation du scrutin. Un chef de l’Etat, n’ayant plus la possibilité constitutionnelle de se représenter ou ayant peu de chance d’être réélu, peut aussi mettre en œuvre l’exception d’insécurité. Cette instrumentalisation apparaît moins risquée qu’une manipulation constitutionnelle ou une élection entachée d’irrégularités manifestes et attentatoires à la démocratie. Le report d’une élection présidentielle pour exception d’insécurité a toutes les chances d’être mieux accepté par la communauté internationale car les motifs peuvent apparaître davantage objectifs que subjectifs.

L’exception d’insécurité, nouveau moyen de conservation du pouvoir

La conservation du pouvoir a déjà connu plusieurs modalités. Ce fut d’abord la période du parti unique avec des élections plébiscitaires, puis ce fut celle d’un multipartisme de façade et des élections respectant les exigences occidentales, comme celle du président François Mitterrand, avec le discours de La Baule, du 20 juin 1990, mais qui n’avait souvent que peu d’incidence sur la gouvernance. Les exemples abondent des manipulations constitutionnelles concernant surtout les limites d’âge et le nombre maximal de mandats, sans compter les élections qualifiées de « hold up électoral ».

Avec l’exception d’insécurité, un nouveau moyen de conservation du pouvoir est apparu. Le pourrissement d’une situation nationale déjà fortement dégradée constitue un environnement favorable pour remettre à plus tard une consultation populaire risquée ou à laquelle le chef de l’Etat ne peut plus constitutionnellement participer. Evidemment, le chef de l’Etat en difficulté, tout en donnant publiquement des gages de bonne foi, notamment en annonçant de nouveaux délais électoraux et en assurant qu’il mettra tout en œuvre pour permettre des élections « sincères et calmes » s’efforcera, en réalité, de rendre pérenne et durable la situation chaotique. Lorsqu’on ne combat pas, l’insécurité peut durer longtemps.

Le président Joseph Kabila utilise l’exception d’insécurité, avec cynisme et provocations. Son mandat présidentiel s’achevait définitivement le 19 décembre 2016. En dépit de la médiation de la Conférence épiscopale nationale du Congo et des accords du 31 décembre 2016, l’élection présidentielle ne put avoir lieu en 2017, comme Joseph Kabila l’avait promis. Evidemment, l’insécurité est la première raison invoquée pour ne pas entamer les premières phases du processus électoral. Le mandat présidentiel se poursuit donc sans échéance précise mais, en revanche, la répression est de plus en plus sévère, les groupes armés s’enhardissent, les opposants sont traqués, les pressions sont de plus en plus fortes mais il y a peu de chances que l’élection, qui aurait dû avoir lieu à l’automne 2016, puisse être organisée en 2018. 

Le président de RDC pourrait avoir des émules. Le président camerounais Paul Biya (84 ans), chef de l’Etat depuis 1982, sera-t-il une nouvelle fois candidat pour une élection normalement prévue en octobre 2018 ? Face aux crises économique, sociale et surtout politique, le président Biya pourrait être tenté par l’exception d’insécurité pour rester au pouvoir, au-delà des échéances constitutionnelles. Le président malien Ibrahim Boubacar Keita est ouvertement soupçonné par la coalition de l’opposition (FARE) d’avoir recours à l’exception d’insécurité pour repousser l’élection présidentielle, prévue cet été 2018. Dans les deux cas, le processus électoral est mis en œuvre avec une lenteur peu équivoque.

Certes, dans certains pays africains, les élections sont encore de véritables mirages de la démocratie, mais leur évitement par l’accroissement de l’insécurité est encore plus dramatique pour une population de plus en plus résignée et sans espoir. L’ONU, les institutions de Bretton Woods et la communauté internationale devraient porter une plus grande attention à cette situation, en prenant des mesures qui pourraient être davantage contraignantes.

Universitaire, l'auteur de cette analyse, Didier Niewiadowski, est ancien responsable des Affaires juridiques au ministère français de la Coopération et chef du service de coopération à l’ambassade de France au Cabo Verde et Centrafrique.