Les Chefs d’Etat d’Afrique francophone d’une part, et non francophone d’autre part, ont-ils la même liberté vis-à-vis de leurs pairs occidentaux ?

 

Par Dr Thierry BANGUI*

 

 

L’ovation qu’a reçue, le 16 août dernier, le président zimbabwéen Robert Mugabe, de ses pairs d’Afrique australe à Lusaka en Zambie[1], lors du Sommet des Chefs d’Etats de la SADC (Communauté de Développement de l’Afrique australe), ne peux m’empêcher de  mettre en parallèle l’attitude hostile que les Chefs d’Etat d’Afrique francophone en général et d’Afrique de l’Ouest notamment, avaient envers Laurent Gbagbo dans ce qu’il convenait d’appeler le « duel Chirac-Gbagbo » dans la crise ivoirienne.

 

Durant cette crise, les Chefs d’Etat d’Afrique noire francophone ont préféré se ranger derrière Jacques Chirac contre leur homologue ivoirien. Est-ce par peur de déplaire[2] à la France qui garantie leur longévité au pouvoir ?

 

En effet, on se souvient qu’en pleine crise ivoirienne, les rares dirigeants africains, soutiens de Laurent Gbagbo, étaient le Sud-africain Thabo M’Beki (anglophone), l’Angolais José Eduardo Dos Santos (lusophone). Il y avait également la société civile africaine, notamment les intellectuels (universitaires, écrivains, éditorialistes, etc.) et la jeunesse du continent, au point que le président ivoirien incarne aujourd’hui, aux yeux de la jeunesse africaine, le Chef d’Etat insoumis d’Afrique francophone (cela plaît aux jeunes !). En revanche, le Sénégalais Abdoulaye Wade, le Burkinabé Blaise Compaoré (accusé de parrain de la rébellion), le Gabonais Omar Bongo Ondimba, le Nigérien Mamadou Tandja[3] pour ne citer que ceux-là – tous, comme par hasard (!!), francophones – étaient ceux qui tiraient à boulets rouges sur Gbagbo dans le but clairement affiché de l’abattre, le croyaient, à tort, affaibli. Résultat de course : Laurent Gbagbo est sorti vainqueur du duel qui l’opposait à Jacques Chirac. Le président ivoirien a d’ailleurs, très justement, clamé fièrement sa victoire sur Chirac (et De Villepin), dans une interview qu’il a accordée au quotidien français Le Figaro, le 02 août dernier.

 

Les Hommes forts de la SADC qui sont presque tous anglophones ou lusophones[4]       - plus lucides et plus libres que leurs homologues francophones d’Afrique de l’Ouest et du Centre - comprennent que la diabolisation de Robert Mugabe, particulièrement par Londres, Washington et les médias occidentaux, trouve principalement son explication dans les réformes agraires, initiées par Mugabe, et qui ont permis aux Noirs d’acquérir des terres que monopolisaient les Blancs, très minoritaires d’ailleurs dans le pays (le Zimbabwe). Ce n’est que justice ! Et comme il se trouve que ce sont les Blancs qui ont été lésés dans ces réformes, alors, Robert Mugabe est devenu un homme à abattre pour l’Occident ! Ce qu’ont très bien compris les Chefs d’Etat d’Afrique australe (moins dociles et moins manipulables), qui lui témoignent leur solidarité, et non de faire le jeu des Occidentaux, comme les dirigeants d’Afrique francophone y excellent.

 

D’ailleurs, le discours méprisant prononcé par Nicolas Sarkozy, le 26 juillet 2007, devant les jeunes, dans le grand amphithéâtre Cheikh Anta Diop à Dakar, j’en suis sûr qu’il n’osera le faire dans les mêmes termes en Afrique Sud, en Angola ou en Libye. Comme Sarkozy connaît parfaitement la docilité de ses « amis » d’Afrique noire francophone, il ne s’est pas empêché d’en abuser. A l’exception du président de l’Union africaine, Alpha Omar Konaré, qui a vertement exprimé son désaccord à ce discours,  ses « amis » Chefs d’Etat, en exercice, n’ont rien trouvé à dire.

 

Ce qui me conduit à m’interroger : les Chefs d’Etat d’Afrique francophone ont-ils la même liberté et/ou le courage que leurs homologues anglophones et lusophones vis-à-vis de leurs pairs occidentaux ?

 

 

 

* Consultant international et Enseignant-Chercheur, Marseille (France)

 

 



[1] Robert Mugabe était également ovationné lors du Sommet de l’Union africaine, tenu à Accra au Ghana du 1er au 03 juillet 2007.

[2] « Le Noir Africain francophone [sous-entendu, les dirigeants d’Afrique noire francophone !] a une peur bleue de déplaire à l’homme politique français », l’Historien/Egyptologue et Universitaire Congolais, Théophile Obenga, invité-Afrique du journal de Radio France internationale (rfi) du 01/08/2007. Ce dernier était l’invité de Christophe Boisbouvier, au sujet de la parution de son dernier livre intitulé : Appel à la jeunesse africaine, paru en juillet 2007 aux éditions Ccinia.

[3] Mamadou Tandja qui, hier, fustigeait les manifestations des Jeunes patriotes ivoiriens qui soutenaient Laurent Gbagbo, faisant aujourd’hui face à la rébellion touareg du Mouvement des Nigériens pour la Justice (MNJ) et à la société française de l’énergie nucléaire, areva (qu’il accuse, avec la Libye, de soutenir la rébellion), se voit obliger de recourir à la même méthode, encourageant des manifestations de rue pour dénoncer le MNJ, l’areva et la Libye.

[4] En effet, sur les quatorze pays que compte la SADC (l’Angola, le Botswana, la République Démocratique du Congo, le Lesotho, le Madagascar, le Malawi, l’Île Maurice, le Mozambique, la Namibie, l’Afrique du Sud, le Swaziland, la République Unie du Tanzanie, la Zambie et le Zimbabwe), seuls la R.D. Congo, le Madagascar et, dans une moindre mesure, l’Île Maurice, sont francophones. Les onze autres sont anglophones ou lusophones.

 

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