REPUBLIQUE CENTRAFRICAINE: La multiplication des attaques renforce les craintes d’insécurité alimentaire

 

NAIROBI, 15 novembre 2010 (IRIN) - L’augmentation des attaques armées entrave les déplacements des habitants, ce qui les empêche de cultiver leurs terres et renforce donc les craintes d’insécurité alimentaire dans les régions du Haut-Mbomou et du Mbomou, dans le sud-est de la République centrafricaine (RCA), selon une organisation humanitaire internationale.


« Les terres fertiles ne manquent pas dans la région, mais la violence perturbe les modes de vie traditionnels comme l’agriculture, la chasse et la pêche, et les fermiers ont souvent peur de s’éloigner des villes pour travailler leurs champs, car ils craignent de se faire attaquer. Cela a réduit la production et poussé les prix à la hausse à tel point que tout le monde n’a pas les moyens d’acheter de la nourriture, même lorsque celle-ci est disponible », a dit Christa Utiger, coordonnatrice de la sécurité économique pour le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) en RCA.

Le 11 novembre, le CICR a indiqué que les attaques menées régulièrement par des groupes armés s’étaient traduites par un doublement de la population d’Obo, de Mboki, de Rafai et de Zemio, dans le Haut-Mbomou et le Mbomou, près des frontières de la République démocratique du Congo (RDC) et du Soudan, car les civils y ont cherché refuge.


« L’augmentation de la population a tiré la demande en denrées alimentaires vers le haut, mais les champs surexploités ont perdu en productivité, les produits sont donc devenus rares et chers. De la nourriture est bien sûr toujours produite dans la région, mais les violences dissuadent les agriculteurs de rester loin des villes pour s’occuper de leurs champs, ce qui fragilise de plus en plus la sécurité alimentaire », a dit le CICR à IRIN.


Selon le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), 20 000 personnes déplacées et 6 000 réfugiés congolais ont fui vers les villes au cours des 12 derniers mois.


Le CICR va y distribuer de la nourriture à environ 55 000 personnes d’ici la mi-décembre. « Nous prévoyons de distribuer des semences aux communautés touchées en prévision de la saison des semailles du printemps 2011, dans le but d’assurer des récoltes raisonnables à l’automne. L’objectif est de rendre les communautés autosuffisantes et d’alléger les pressions auxquelles elles font face en raison de la présence de groupes armés dans l’est de la RCA », a dit le CICR.


Selon Human Rights Watch (HRW), les rebelles de l’Armée de résistance du Seigneur (LRA) ont tué au moins 2 385 civils et en ont enlevés 3 054 depuis septembre 2008 en RCA.


« Étant donné que l’Armée de résistance du Seigneur attaque des villages de régions isolées dont les communications, les routes et autres infrastructures sont limitées, le nombre réel de victimes est probablement bien supérieur », a dit HRW dans un communiqué.


En raison de la pauvreté chronique, des violences commises par les groupes armés locaux ou la LRA, de l’absence de systèmes de santé, d’éducation et d’infrastructures publics, 16 pour cent des enfants de moins de cinq ans souffrent de malnutrition aiguë et 6,6 pour cent de malnutrition aiguë sévère, selon le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF). La population du pays est estimée à 4,4 millions de personnes.

 

 


 

 

[ Le communiqué : ]

 

RD Congo / République centrafricaine : Les victimes de la LRA lancent un appel au Président Obama
Les États-Unis doivent agir pour protéger les civils contre les atrocités et faire arrêter les auteurs de crimes de guerre

Novembre 11, 2010  - http://www.hrw.org/fr/news/2010/11/11/congo-r-publique-centrafricaine-les-victimes-de-la-lra-lancent-un-appel-au-pr-sident

 

Olivier, 16 ans, a été enlevé par l'Armée de résistance du Seigneur (Lord's Resistance Army, LRA) en octobre 2009.  Il a été le témoin d'attaques brutales perpétrées par la LRA contre des civils en RD Congo, et a été obligé d'y prendre part
Olivier, 16 ans, a été enlevé par l'Armée de résistance du Seigneur (Lord's Resistance Army, LRA) en octobre 2009.  Il a été le témoin d'attaques brutales perpétrées par la LRA contre des civils en RD Congo, et a été obligé d'y prendre part.
© 2010 Marcus Bleasdale/VII

(Washington, le 11 novembre 2010) - Les victimes d'atrocités commises par l'Armée de résistance du Seigneur (Lord's Resistance Army, LRA), ont adressé de vibrantes suppliques personnelles au président américain Barack Obama, l'enjoignant d'agir d'urgence pour mettre fin aux attaques du groupe rebelle, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui.

Entre le mois de mai et le mois de septembre 2010, Human Rights Watch a effectué cinq missions de recherche dans le nord de la République démocratique du Congo et en République centrafricaine, dans des zones où peu d'étrangers ont pu se rendre. Les chercheurs se sont entretenus avec des centaines de victimes, ont recueilli leurs témoignages et ont enregistré leurs messages au président Obama ainsi qu'à d'autres dirigeants mondiaux. Après examen de ces témoignages et sur la foi d'autres informations recueillies dans la région, Human Rights Watch a appelé à une stratégie internationale complète centrée sur la protection des civils.

Le 11 novembre 2010, Human Rights Watch a mis en ligne des dizaines de « cartes postales » vidéo, des témoignages ainsi que des lettres d'adultes et d'enfants de la région, appelant le président Obama et d'autres dirigeants mondiaux à agir pour mettre fin aux souffrances infligées par la LRA.

« Quelles que soient les pressions politiques auxquelles ils font face dans leurs propres pays, le président Obama et les autres dirigeants mondiaux devraient répondre aux cris désespérés des victimes de la LRA », a déclaré Anneke Van Woudenberg, chercheuse senior sur l'Afrique à Human Rights Watch. « Le leadership du président américain est primordial pour amener les gouvernements européens et africains à travailler sans plus attendre pour protéger les civils et arrêter les criminels de guerre responsables de ces attaques. »

La LRA est un groupe rebelle particulièrement brutal qui, depuis l'échec des pourparlers de paix régionale en septembre 2008, sème la terreur en Afrique centrale. Ce groupe a tué au moins 2 385 civils et enlevé près de 3 054 autres, selon des rapports publiés par Human Rights Watch et les Nations Unies. Compte tenu des attaques menées par la LRA contre des villages dans des régions isolées, dépourvues d'infrastructures, et où les routes et les communications sont quasi-inexistantes, le nombre réel de victimes est probablement beaucoup plus élevé.

Un dirigeant local a été contraint de fuir sa maison située dans le village de Digba, dans le nord du Congo, après une attaque de la LRA. Il a expliqué à Human Rights Watch : « Il y a beaucoup de morts, la LRA enlève les gens, les fouette, les ligote, les tue et brûle nos maisons. Nous avons vraiment beaucoup souffert à cause de la LRA. »

Au mois de mai, le président Obama a signé une loi exigeant que le gouvernement américain mette en place dans les six mois une stratégie globale et multilatérale pour protéger les civils en Afrique centrale contre les attaques de la LRA et mettre un terme aux violences commises par le groupe rebelle. Selon cette loi, cette nouvelle stratégie devrait être en place le 24 novembre.

La LRA a été chassée du nord de l'Ouganda en 2005, après avoir combattu le gouvernement de ce pays pendant près de deux décennies. Le groupe rebelle mène actuellement ses actions dans les régions frontalières reculées du nord du Congo, en République centrafricaine et dans le sud du Soudan.

Bon nombre des victimes de la LRA ont été battues à mort ou ont eu le crâne fracassé à coups de gourdin, a déclaré Human Rights Watch. Les combattants du groupe armé attachent d'autres victimes à des arbres puis leur tranchent la tête avec une machette. Les forces de la LRA ont enlevé des enfants, et les obligent à tuer des membres de leurs familles et des voisins si ceux-ci tentent de s'échapper, exhibent des signes de fatigue ou de faiblesse, ou ont perdu leur utilité aux yeux de la LRA.

Lors d'une attaque menée à Duru, au nord du Congo, le 28 août, cinq combattants de la LRA ont enlevé huit civils, à moins d'un kilomètre d'une base des forces de maintien de la paix des Nations Unies, et ont brutalement tué à coups de couteau trois des jeunes hommes capturés. Une femme et une jeune fille de 16 ans relâchées le lendemain matin ont déclaré à Human Rights Watch que la LRA leur avait donné un message pour l'armée congolaise: « Nous ne sommes pas loin et nous serons bientôt de retour. »

La LRA compte entre 200 et 400 combattants armés, auxquels s'ajoutent quelques centaines de personnes enlevées. Le groupe armé n'a pas d'objectifs politiques cohérents, et ne dispose d'aucun soutien populaire. La LRA ne peut regarnir ses rangs qu'en enlevant des enfants et parfois des adultes qui sont soumis à une immense brutalité et forcés à combattre. Trois des dirigeants de la LRA - Joseph Kony, Okot Odhiambo et Dominic Ongwen - sont recherchés par la Cour pénale internationale (CPI) et sous le coup de mandats d'arrêt émis en juillet 2005 pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité commis dans le nord de l'Ouganda. Ces trois hommes continuent pourtant de se déplacer en toute liberté, et ont été impliqués dans de nouvelles atrocités.

Les opérations militaires actuelles contre la LRA, dirigées par l'armée ougandaise aux côtés d'autres armées nationales de la région et soutenues par le gouvernement des États-Unis, n'ont pas abouti à la capture des principaux dirigeants de la LRA ni à mettre fin aux attaques de la LRA contre des civils. L'armée ougandaise et ses alliés semblent ne pas avoir la capacité, la volonté ou l'expertise requises pour appréhender les chefs de la LRA, bien qu'ils se soient trouvés très près de certains de ses principaux commandants à plusieurs reprises l'année passée.

Dans une lettre envoyée précédemment au président Obama, Human Rights Watch a exhorté le gouvernement des États-Unis à user de son influence diplomatique pour susciter une action commune menée par les dirigeants mondiaux qui sont similairement préoccupés par cette situation. Ces dirigeants devraient faire preuve de volonté politique et consacrer des ressources financières - ainsi qu'une aide en matière de collecte de renseignements et d'autres formes d'assistance - visant à constituer des unités spécialisées capables d'arrêter les principaux chefs de la LRA recherchés pour crimes de guerre et délivrer les personnes enlevées. Ces unités renforceraient de façon importante la capacité de l'ONU ainsi que des forces régionales et locales à protéger les populations civiles vulnérables.

« Il serait d'ores et déjà possible de retrouver les principaux chefs de la LRA, mais il est clair que l'actuelle stratégie qui ne consiste qu'à soutenir les opérations de l'armée ougandaise ne fonctionne pas », a observé Anneke Van Woudenberg. « Une nouvelle approche est nécessaire pour protéger les civils, améliorer la collecte de renseignements et mettre sur pied des unités compétentes pour appréhender les principaux chefs de la LRA. Sinon, la grave menace que la LRA fait peser sur les civils se poursuivra. »

Human Rights Watch a également appelé le Conseil de sécurité des Nations Unies à intensifier ses efforts et ses capacités d'intervention rapide pour protéger les civils dans les zones touchées par la violence de la LRA. Trois missions de paix sont actuellement affectées aux zones touchées par les violences, mais elles ne disposent pas de mandat transfrontière pour s'attaquer au problème d'envergure de la LRA, et n'ont pas comme objectif prioritaire d'empêcher les exactions de la LRA.

Avec près de 18 000 soldats, la force de maintien de la paix de l'ONU au Congo (MONUSCO) est la principale force de la région, mais seulement 850 Casques bleus sont déployés dans les zones soumises aux attaques de la LRA. Il n'y a aucun soldat de la paix dans le district de Bas Uélé, près de la frontière avec la RCA, en dépit des multiples attaques et d'enlèvements par la LRA dans cette région au cours des 20 derniers mois. Aucun Casque bleu n'est déployé dans les zones sous la menace de la LRA en République centrafricaine, où ne travaille qu'une petite équipe humanitaire de l'ONU. La Mission des Nations Unies au Soudan (MINUS) est présente dans la région de l'Équatoria occidental, mais s'est également avérée inefficace dans la protection des civils contre les attaques de la LRA.

« La réaction de l'ONU aux attaques subies par la population civile, et l'aide apportée aux nécessiteux, ont été lamentablement insuffisantes. L'ONU devrait au minimum commencer par déployer un plus grand nombre de ses forces dans les zones touchées par la LRA », a conclu Anneke Van Woudenberg. « Le Conseil de sécurité devrait discuter d'urgence de cette menace régionale, et s'engager à renforcer son action ainsi qu'à consacrer davantage de ressources à la protection des civils menacés par la LRA. »

Selon de récentes informations, le chef de la LRA, Joseph Kony, se serait déplacé vers la région frontalière entre la République centrafricaine et le Sud-Darfour, une zone contrôlée par le gouvernement de Khartoum au Soudan. Dans le passé, le Soudan a fourni un soutien militaire important à la LRA.

Human Rights Watch a appelé le gouvernement soudanais à s'assurer qu'aucune aide - sous aucune forme - ne soit fournie à la LRA, et a exhorté le gouvernement américain ainsi que les dirigeants mondiaux à faire pression sur le gouvernement soudanais pour empêcher que la LRA ne trouve refuge au Darfour. Le président soudanais Omar el-Béchir est également recherché par la CPI pour crimes contre l'humanité commis au Darfour.  

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Témoignages de victimes de la LRA

Claude, un garçon de 14 ans du village de Dakwa (Bas Uélé, dans le nord du Congo) :
Claude [pseudonyme] a été enlevé par la LRA le 2 juin 2009, lorsque les rebelles ont enlevé environ 55 personnes à Dakwa.

« La LRA a attaqué vers 21 heures alors que tout le monde dans le village était réuni pour l'enterrement de mon frère », a-t-il déclaré à Human Rights Watch. « Ils sont venus soudainement et ont commencé à nous attraper pour nous lier les poignets derrière le dos et nous attacher ensemble pour former une chaîne. » Claude a expliqué que la LRA a tiré en l'air, tué un policier, et piller le village en emportant des médicaments, du riz, des arachides, des poulets et autres marchandises ; puis ils ont forcé leurs prisonniers, y compris Claude, à transporter leur butin en forêt. Les adultes ont été libérés le lendemain, mais la LRA a gardé Claude et les autres enfants et les ont emmenés dans leur camp temporaire. Claude a dit à Human Rights Watch comment il a été contraint de tuer deux enfants qui tentaient de s'enfuir.

« J'ai dû frapper la tête des autres enfants avec des gourdins », a-t-il dit. « L'un était un garçon de 12 ans de Banda et l'autre était un garçon de 14 ans du village de Bayule. » Claude a également été contraint de tuer plusieurs adultes que la LRA avait capturés. « Ils capturent souvent des adultes qu'ils utilisent au transport de leurs affaires et ils nous demandent de les tuer quand nous arrivons à leur base », a-t-il ajouté. Claude a réussi à s'échapper de la LRA après près d'une année de captivité.

« Mon message au président Obama est qu'il fasse tout ce qui est en son pouvoir pour sauver les enfants qui sont encore aux mains de la LRA et de renvoyer tous les combattants de la LRA chez eux », a déclaré Claude.

Eveline, une fille de 12 ans du village de Botolegi (district de Bas Uélé, dans le nord du Congo):

Eveline [pseudonyme] a été enlevée en décembre 2009 avec trois autres enfants de son village :

« Quand nous sommes arrivés au camp du chef on m'a donné à un combattant de la LRA du nom de Nyogo. J'étais sa servante et sa femme. Il était très méchant et agressif, surtout les jours où il devait tuer des gens. Quand ils amenaient des gens au camp, ils ne relâchaient pas les adultes de peur qu'ils n'indiquent l'emplacement du camp aux soldats. C'est pourquoi ils nous forçaient à les tuer. Je ne me souviens pas du nombre total de gens que j'ai tué - un jour quatre, un autre jour trois. Ils attachaient les mains des victimes derrière leur dos et aussi leurs jambes et quelques fois aussi leur attachaient une corde autour au cou. Ils forçaient la personne à s'allonger avec le visage face au sol. Ensuite, si la LRA voulaient que nous les tuions, ils nous donnaient un gourdin et nous demandaient de les frapper à la tête. »

Eveline a réussi à s'échapper quand la LRA a été attaquée près de Samungu au mois de juin 2010.

« Le message que j'ai pour le président Obama et la communauté internationale », a-t-elle dit, « c'est qu'ils les [la LRA] chassent du Congo et qu'ils libèrent tous les enfants tombés dans leurs mains. »

Bridget, une femme de 47 ans du village de Kpanangbala (district de Haut Uélé, dans le nord du Congo) :

Bridget était assise devant sa maison avec son mari et son frère quand un groupe de la LRA a attaqué son village. Elle a essayé de s'enfuir, mais la LRA l'a rattrapée. Ils ont poignardé son mari à mort sous ses yeux et pillé sa maison. Bridget a réussi à s'enfuir, mais la LRA a ligoté son frère et l'a emmené dans la forêt. Trois jours plus tard, Bridget a retrouvé son corps. Lui et cinq autres hommes avaient été poignardés dans la forêt près de son village.

« Je suis très perturbée par tout ce que j'ai vu », a-t-elle dit. « J'espère que la communauté internationale peut prendre des mesures pour sanctionner les rebelles qui ont tué mon mari et mon frère et les faire partir du Congo. Nous avons déjà beaucoup trop souffert. »

Emmanuel, président d'une association de victimes de la LRA à Obo (RCA) :

Emmanuel est un homme de 32 ans, originaire de Obo, au sud-est de la RCA. Le 6 mars 2008, il a été enlevé par la LRA avec au moins 46 autres civils et contraint de marcher des centaines de kilomètres jusqu'au camp de la LRA dans le parc national de Garamba au Congo. Emmanuel a été retenu captif et forcé de travailler pour la LRA. Il a seulement réussi à échapper 18 mois plus tard.

« J'ai tant souffert à cause des Tongos Tongos [nom local donné à la LRA] », a-t-il dit. « J'ai survécu à de nombreux crimes dont j'ai été aussi le témoin ; j'ai tué des gens et je reviens avec des cicatrices tragiques et douloureuses. Je ne suis plus moi-même et je n'ai plus le goût ni les moyens de faire grand-chose ou de cultiver la ferme comme je le faisais. Je saisis l'occasion de demander à mon président Barack Obama de nous aider. Beaucoup de nos frères, de nos enfants, de nos mères et de nos pères sont morts à cause de la [LRA]. »

 


 

Lettre au Président Obama au sujet d’une stratégie globale des États-Unis concernant la LRA

Président Barack Obama
La Maison Blanche
1600 Pennsylvania Avenue, NW
Washington, DC 20500

Monsieur le Président,

Nous nous adressons à vous pour apporter une contribution à la stratégie globale élaborée par le gouvernement des États-Unis à la suite de la récente promulgation de la loi relative au désarmement de l'Armée de Résistance du Seigneur (Lord's Resistance Army, ou LRA) et à la relance du nord de l'Ouganda (LRA Disarmament and Northern Uganda Recovery Act). Nous estimons que cette loi constitue une étape cruciale dans la réponse à la menace représentée par la LRA en Afrique centrale. Nous applaudissons les efforts entrepris par les membres du Congrès qui ont contribué à l'adoption de ce projet de loi, ainsi que votre propre engagement lorsque vous avez signé et promulgué cette loi le 24 mai.

Nous décrivons dans cette lettre les tâches que Human Rights Watch juge essentielles dans le cadre d'une stratégie globale visant à protéger les civils contre les attaques de la LRA, et à garantir que les chefs de la LRA soient traduits en justice. Nous exposons aussi différentes options envisageables sur la façon dont nous pensons que ces tâches cruciales peuvent être mises en œuvre. Nous croyons savoir que votre administration a déjà commencé à recueillir les contributions de divers départements du gouvernement des États-Unis, et nous espérons que nos recommandations vous seront également utiles.

Comme vous le savez, Human Rights Watch rassemble depuis de nombreuses années des preuves sur les terribles exactions commises par la LRA. Nous sommes gravement préoccupés par les attaques récurrentes contre les civils ainsi que par les enlèvements d'enfants et d'adultes pratiqués à grande échelle en République démocratique du Congo (RDC), au Sud Soudan et en République centrafricaine (RCA). Près de 2 000 civils ont été tués par la LRA dans le nord-est du Congo depuis 2008 et 2 300 autres ont été enlevés, y compris de nombreux enfants. Des centaines d'autres civils ont été tués et enlevés en RCA et au Sud Soudan au cours de la même période. Près de 350 000 personnes ont été déplacées dans ces trois pays, sans accès à l'aide humanitaire pour nombre d'entre elles. Ces dernières victimes viennent s'ajouter aux dizaines de milliers de victimes des violences de la LRA dans le nord de l'Ouganda.

L'ampleur colossale des exactions commises par la LRA - qui équivalent à des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité - mérite de toute urgence l'attention et des actions concrètes de la part de la communauté internationale et des gouvernements de la région. La LRA a été décrite à maintes reprises par le Conseil de sécurité de l'ONU comme une menace pour la paix et la sécurité internationales, pourtant à ce jour les mesures prises pour mettre fin aux atrocités perpétrées par ce groupe armé sont loin d'être suffisantes.

En plus d'aider la population civile à obtenir la sécurité, mettre fin à la menace de la LRA est aussi crucial pour la prévention des conflits ainsi que pour la paix et la stabilité régionales, en particulier au Sud Soudan. Comme vous le savez, dans le milieu des années 90, le seul État à soutenir la LRA était le gouvernement soudanais à Khartoum, semble-t-il en représailles à l'appui du gouvernement ougandais aux rebelles soudanais du Mouvement/Armée populaire de libération du Soudan (Sudan People's Liberation Movement/Army, ou SPLM/A). Bien que ce soutien ait diminué et qu'il ait même peut-être cessé à partir de 2002, il y a eu des indications récentes que la LRA pourrait une fois de plus chercher à atteindre des représentants de l'État à Khartoum. Si les manœuvres du passé devaient se répéter, cela pourrait déstabiliser l'Accord de paix global (Comprehensive Peace Agreement, ou CPA) et peut-être le référendum de l'an prochain sur l'indépendance. Le gouvernement des États-Unis a investi des efforts considérables dans la recherche de la paix au Sud Soudan, qui pourraient être compromis par une menace persistante de la LRA.

Les composantes d'une stratégie globale pour contrer la menace de la LRA sont exposées ci-après.

Le renforcement de la protection des civils doit être central

Les récentes opérations militaires contre la LRA n'ont pas réussi à assurer la protection de la population civile. Les forces armées ougandaises (Uganda People's Defence Force, ou UPDF), avec le soutien du gouvernement américain, se sont à ce jour principalement occupées de cibler les principaux dirigeants de la LRA (jusqu'ici sans succès). Seuls des efforts militaires limités ont été consacrés à la protection des populations vulnérables. Les forces armées nationales en RDC et RCA, dont le gouvernement ougandais déclare qu'elles sont chargées de la protection des civils, se sont avérées largement inefficaces. Les missions de maintien de la paix de l'ONU opérant en RDC, RCA et au Sud Soudan ne sont pas non plus parvenues à répondre efficacement à la menace de la LRA, en raison de ressources limitées et de priorités concurrentes.

Le résultat a été une absence presque totale de la protection des civils dans de nombreuses zones affectées par la LRA. Cette lacune est particulièrement grave puisque l'expérience démontre qu'à maintes reprises la LRA a exercé des représailles contre les civils lorsqu'elle s'est trouvée sous la pression militaire. La non prise en compte d'une protection suffisante des civils dans les plans militaires a entraîné un coût élevé inacceptable en vies humaines et des conséquences humanitaires dévastatrices.

Renforcer de toute urgence la protection des civils devrait être une priorité absolue dans une nouvelle stratégie s'attaquant au problème de la LRA. S'appuyer exclusivement sur la mise hors d'état de nuire du dirigeant de la LRA, Joseph Kony, et de ses principaux commandants, citée souvent comme la tâche la plus essentielle pour améliorer la sécurité des civils, est insuffisant. L'arrestation, en vue de leur procès de Kony et d'autres dirigeants de la LRA qui font l'objet de mandats d'arrêt de la Cour pénale internationale, devrait être considérée comme une tâche s'inscrivant dans une stratégie plus large et plus globale pour protéger les civils, et non comme la seule tâche.

Afin de renforcer la protection des civils, une nouvelle stratégie devrait comporter les éléments clés suivants :

·                                 a. Le déploiement d'un nombre suffisant de soldats et de policiers efficaces et responsables dans les zones touchées par la LRA, qui soient chargés de la protection des civils. Cela exigera un engagement international sensiblement accru. Ajouter des troupes mal entraînées et mal équipées issues des forces armées nationales, que ce soit de la région ou d'ailleurs, serait inefficace ou probablement contre-productif. Dans le nord de l'Ouganda et au Sud Soudan, l'augmentation du nombre de soldats ougandais n'a pas sensiblement amélioré la situation pour la protection des civils.

·                                 b. L'utilisation et le renforcement de la collecte de renseignements afin d'améliorer la protection des civils. À ce jour, les renseignements recueillis grâce à des vols de surveillance et à de l'imagerie satellitaire ont été utilisés principalement pour tenter de repérer l'emplacement des dirigeants de la LRA. Mais ces informations sont également vitales pour suivre les mouvements de la LRA et pour identifier les communautés qui peuvent devenir vulnérables aux attaques.

·                                 c. Un perfectionnement des réseaux et des stratégies de communication permettant d'améliorer les flux d'information et les systèmes d'alerte précoce. L'extension des réseaux de téléphonie mobile, par exemple, apporterait un avantage indéniable à la protection des civils. Une plus grande attention devrait également être accordée à la mise en place de mécanismes permettant aux communautés locales de fournir des informations sur leurs problèmes de protection.

·                                 d. Une meilleure coordination entre les missions de l'ONU et les forces armées nationales. Alors que l'ONU a cherché à améliorer sa coordination interne, notamment par le biais de la nomination des points focaux sur la LRA dans chaque mission de l'ONU pour faciliter le partage d'information, il faudrait faire davantage pour mieux coordonner son action avec toutes les forces armées nationales concernées, en particulier l'UPDF. La mise en place d'une cellule de coordination commune qui comprenne des représentants des différentes missions de maintien de la paix de l'ONU, de l'UPDF et des autres forces armées faciliterait grandement l'échange d'informations et la coordination. Les États-Unis devraient envisager de détacher des cadres supérieurs, à la fois militaires et civils, à cette unité, basée dans l'idéal sur le terrain. Les États-Unis devraient également déterminer la façon de partager l'information avec les participants de la cellule de coordination commune et veiller à ce qu'elle dispose de ressources suffisantes.

L'arrestation des chefs de la LRA qui font l'objet de mandats d'arrêt émis par la CPI

L'arrestation des chefs de la LRA qui font l'objet de mandats d'arrêt émis par la Cour pénale internationale (CPI) est un élément essentiel d'une stratégie visant à s'attaquer à la LRA, mais elle ne devrait pas être effectuée sans tenir pleinement compte des préoccupations relatives à la protection des civils.

En juillet 2004, suite à un renvoi de l'affaire de la part du gouvernement de l'Ouganda, le procureur de la CPI a ouvert une enquête sur des crimes présumés des forces de la LRA dans le nord de l'Ouganda. Un an plus tard, la cour a émis cinq mandats d'arrêt à l'encontre de Kony et d'autres dirigeants de la LRA, dont Okot Odhiambo et Dominic Ongwen. Ils ont été accusés de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre, notamment de meurtre, de viol, d'esclavage sexuel et d'enrôlement d'enfants comme combattants. Deux des dirigeants de la LRA contre lesquels des mandats d'arrêt avaient été émis - Vincent Otti et Raska Lukwiya - sont maintenant décédés. Les trois autres sont toujours en liberté et continuent de commettre des atrocités.

L'arrestation des chefs de la LRA qui font l'objet de mandats d'arrêt émis par la CPI est importante pour contribuer à faire cesser les attaques contre les civils, pour garantir la justice pour les crimes horribles commis par la LRA, et pour promouvoir une paix durable dans la région. Le fait que les chefs de la LRA ne sont toujours pas appréhendés à ce jour les a laissés libres de poursuivre leurs attaques brutales contre les civils.

Les tentatives pour appréhender les dirigeants de la LRA ont jusqu'ici échoué. Des représentants de l'UPDF assurent que les forces ougandaises se rapprochent de leurs cibles, mais ces affirmations optimistes ont été faites à plusieurs reprises au cours des deux dernières décennies. Depuis dix-sept mois que dure la phase actuelle des opérations militaires, ces affirmations sonnent de plus en plus creux. Alors que des puissances régionales et mondiales élaborent une nouvelle stratégie globale, elles devraient reconnaître la limitation des capacités de l'UPDF à appréhender les principaux dirigeants qui font l'objet de mandats d'arrêt de la CPI. La poursuite d'opérations militaires fondées sur le seul espoir que les troupes ougandaises auront de la chance est irresponsable, et elle est susceptible de conduire à de nouvelles attaques contre les civils et à une plus grande instabilité régionale.

L'expérience dans d'autres zones de conflit montre que les opérations visant à appréhender des individus recherchés pour des crimes graves nécessitent habituellement des forces militaires spéciales ou des unités de police spécialement entraînées appuyées par des experts du renseignement et des capacités de réaction rapide, comme ce fut le cas en Bosnie. L'UPDF ne dispose pas actuellement de ces capacités et n'est pas susceptible de les acquérir dans un avenir proche. Le soutien spécialisé des États dotés de ces capacités opérationnelles est nécessaire pour appréhender les dirigeants de la LRA tout en minimisant les risques pour les civils. Le gouvernement américain devrait être en mesure de jouer un rôle important en veillant à ce que ces capacités soient disponibles, même s'il n'est pas disposé à envoyer les unités nécessaires lui-même. Les États-Unis devraient aussi user de leur influence diplomatique pour trouver d'autres pays pouvant apporter une telle expertise.

Appréhender les principaux dirigeants de la LRA recherchés par la CPI est également important pour donner un sens aux engagements pris fréquemment par les responsables politiques américains que les individus responsables de violations graves du droit international seront tenus de rendre compte de leurs actes. Si les États-Unis ne sont pas un État partie au Statut de Rome de la CPI, ils ont toujours soutenu la justice pour les crimes graves dans les situations de pays, notamment par le biais de tribunaux internationaux et de tribunaux mixtes internationaux-nationaux. Lors de la Conférence de révision de la CPI en Ouganda en juin 2010, à laquelle les États-Unis ont participé en tant qu'observateur, le gouvernement américain s'est engagé à soutenir les efforts visant à traduire les dirigeants de la LRA en justice. L'incapacité à appréhender les dirigeants de la LRA non seulement expose la vie des civils à de nouveaux dangers, mais elle risque en outre de porter atteinte à la crédibilité des efforts de la justice internationale pour que les auteurs des crimes les plus graves rendent compte de leurs actes.

Autres tâches relatives à la protection des civils devant être intégrées dans une stratégie globale

Une stratégie globale pour lutter contre la menace de la LRA devrait soutenir les efforts déployés pour sauver les enfants et les adultes enlevés, améliorer les programmes de désarmement et démobilisation volontaires, et accroître l'assistance humanitaire aux populations civiles.

Des centaines d'enfants et d'adultes se trouvent toujours avec la LRA, servant de porteurs, de travailleurs d'appoint et d'esclaves sexuelles. D'autres sont entraînés pour devenir des combattants. Des efforts accrus sont nécessaires pour secourir les personnes enlevées, y compris pendant les opérations militaires. Malgré les efforts déployés par les soldats ougandais pour limiter les pertes civiles au cours des accrochages avec la LRA, la méconnaissance des langues locales ainsi que d'autres complications ont entraîné des pertes civiles inutiles. Une attention supplémentaire devrait être accordée à secourir en toute sécurité les enfants et les adultes enlevés.

Des efforts supplémentaires sont nécessaires pour aider les personnes enlevées essayant d'échapper à la LRA et les combattants de la LRA qui souhaitent déserter. La LRA n'a pas de recrues qui rejoignent volontairement le groupe. Au lieu de cela, elle reconstitue ses rangs en recourant à l'enlèvement et au recrutement forcé d'enfants, souvent âgés de 10 à 15 ans. Des ressources supplémentaires et un soutien accru aux programmes de Désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR) ainsi qu'une campagne de communication aideraient les combattants qui cherchent à quitter la brousse. Des centres d'accueil mobiles que les personnes enlevées et les combattants de la LRA puissent atteindre facilement et sans danger devraient également être créés.

Enfin, l'aide humanitaire aux personnes déplacées internes, aux réfugiés et aux victimes de la LRA a cruellement fait défaut en RDC, RCA et au Sud Soudan. Il existe des possibilités logistiques limitées pour que les organisations humanitaires nationales et internationales se rendent dans les zones où des personnes déplacées se sont regroupées en raison de l'insécurité et du manque d'infrastructures routières. Dans les endroits où il est possible de porter assistance, les agences humanitaires se sont heurtées au manque de ressources financières. Si le nombre des acteurs humanitaires a augmenté dans le district du Haut Uélé du nord-est du Congo, l'aide apportée répond seulement à une très petite proportion des besoins humanitaires. Dans le district du Bas Uélé, dans le nord-est du Congo, ainsi que dans le sud-est de la RCA, la situation est encore plus désespérée, avec très peu d'agences humanitaires opérant dans les zones touchées par la LRA. Des efforts accrus et urgents sont nécessaires afin de développer les capacités logistiques pour les agences humanitaires (notamment des transports aériens et la construction de routes), une plus grande sécurité et une aide financière plus importante.

L'incapacité persistante de la communauté internationale à faire face à la menace de la LRA s'est traduite par des coûts élevés. Depuis 24 ans, la LRA est responsable de la perte immense de vies humaines, de souffrances humanitaires généralisées, d'instabilité dans toute la région de l'Afrique centrale et de traumatismes durables pour les victimes et les communautés touchées.

Le peuple américain et le Congrès américain ont prouvé qu'ils souhaitent voir prendre des mesures pour remédier à cette catastrophe humanitaire et pour les droits humains. Nous espérons que votre administration prendra en considération la totalité des options et poursuivra une stratégie qui à la fois veille à la protection des populations civiles et aboutit à l'arrestation et à la mise en accusation des dirigeants de la LRA pour leurs crimes horribles. Les dizaines de milliers de victimes de la LRA et de leurs proches, ainsi que les communautés qui sont toujours en danger, ne méritent pas moins.

Veuillez agréer, Monsieur le Président, l'expression de ma haute considération.

Kenneth Roth
Directeur exécutif
Human Rights Watch

CC : Mme Hillary Rodham Clinton, Secrétaire d'État
Dr. Robert M. Gates, Secrétaire à la Défense
Gal
James L. Jones, Conseiller à la Sécurité nationale
Dr. Rajiv Shah, Administrateur d'USAID

Datée le 15 juillet 2010 / publiée le 11 novembre 2010

http://www.hrw.org/fr/news/2010/11/11/lettre-au-pr-sident-obama-au-sujet-d-une-strat-gie-globale-des-tats-unis-concernant-

 

Actions humanitaires, santé – sangonet