Le changement climatique et les conflits en Afrique

 

JOHANNESBOURG, 25 février 2009 (IRIN) - Karamoja, région semi-aride du nord-est de l'Ouganda, est en crise ; à l'origine de cette crise : un cocktail explosif dont les principaux ingrédients sont les conséquences du changement climatique - 14 sécheresses en 25 ans - ainsi que les conflits frontaliers, les raids menés par des voleurs de bétail armés et des problèmes complexes de développement et de viabilité, ont appris des participants à une conférence récente sur le Changement climatique et la sécurité en Afrique.

En raison des répercussions humanitaires de ces facteurs, le Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations Unies mène à Karamoja un programme d'aide alimentaire qui dure depuis 40 ans.

La situation à Karamoja a été soulignée par l'Agence d'aide à la coopération technique et au développement (ACTED), l'organisation humanitaire française qui a organisé la conférence, avec l'Institut Egmont, cellule de réflexion bruxelloise, dans un souci de sensibilisation aux liens complexes qui existent entre le changement climatique, les conflits, les migrations et la sécurité humaine au sein des communautés d'éleveurs d'Afrique.

Ainsi, les pénuries de vivres et d'eau causées par l'impact du changement climatique pourraient aggraver les conflits actuels et en provoquer d'autres, selon un nouveau rapport du Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE) et de son Groupe consultatif d'experts, dirigé par l'Institut international du développement durable, une cellule de réflexion canadienne sur les politiques en matière de développement durable.

Dans son rapport, le PNUE appelle à mener davantage de recherches sur la façon dont le changement climatique risque d'augmenter la vulnérabilité aux conflits, et sur les manières de traiter ce problème par l'alerte précoce.

Les raids menés par des voleurs de bétail armés - essentiellement de mitraillettes AK-47 - étaient auparavant une réaction de survie lorsque les maladies et la famine frappaient une communauté ; aujourd'hui, ils sont monnaie courante, et sont menés à des fins lucratives, a expliqué Victor Onenchan d'ACTED.

La crise humanitaire qui accable Karamoja est oubliée depuis longtemps, a déploré David Knaute, autre intervenant d'ACTED. « Depuis la Grande Famine de 1980, au cours de laquelle 20 pour cent de la population totale a péri, plusieurs sécheresses consécutives ont augmenté le risque d'insécurité alimentaire ».

Le PAM nourrit au moins 970 000 des 1,1 million d'habitants que compte Karamoja. « Les problèmes d'insécurité et la présence d'armes ont également provoqué d'importants déplacements de population et de graves problèmes humanitaires ; des centaines de femmes et d'enfants fuient vers les grandes villes d'Ouganda (Kampala, Mbale, Jinja, Soroti) pour gagner de quoi vivre en mendiant, et les populations les plus vulnérables s'installent près des centres urbains, sans aucune source de revenu », a poursuivi M. Knaute.

 

Pas de lien direct

 

Les facteurs environnementaux pourraient déclencher des conflits dans une situation politique instable, a commenté Daniel Compagnon, qui enseigne à Science Po Bordeaux, l'institut d'études politiques de l'université de Bordeaux, en France.

Les experts présents lors de la conférence ont toutefois averti que les déclarations « sensationnalistes » telles que « le changement climatique provoquera des conflits » étaient à éviter.

En effet, de nombreuses recherches doivent encore être menées pour établir des liens entre le changement climatique, la sécurité humaine, les migrations et les conflits, selon Fabrice Renaud, directeur associé de l'Institut pour l'environnement et la sécurité humaine de l'université des Nations Unies.

Selon un rapport sur le conflit au Soudan, publié par le PNUE en 2007, l'on considère néanmoins que la concurrence pour l'obtention des ressources naturelles, provoquée par le changement climatique, est « directement liée au conflit dans la région, la désertification ayant considérablement ajouté aux pressions exercées sur les moyens de subsistance des sociétés pastorales, les forçant à se déplacer vers le sud pour trouver des pâturages ».

Un certain nombre d'analystes et de rapports se sont intéressés aux communautés d'éleveurs, dont les conditions de vie sont parmi les plus difficiles, et à l'incidence croissante des conflits dans ces régions, qui a été imputée à la concurrence pour l'obtention de ressources naturelles de plus en plus rares, elle-même due au réchauffement climatique.

Environ 40 pour cent des terres d'Afrique sont utilisées par des éleveurs, souvent semi-nomades. Au Kenya, les éleveurs utilisent jusqu'à 80 pour cent des terres, selon Ali Wario, président du Groupe de travail spécialisé, chargé de l'élaboration du Cadre de politique sur le pastoralisme de l'Union africaine pour l'Afrique.

Romain Benicchio, de l'organisme d'aide au développement Oxfam, a noté dans sa présentation à la conférence ACTED/Egmont que les zones sèches et les zones pastorales occupaient 70 pour cent de la Corne de l'Afrique.

Les éleveurs représentent 10 pour cent de la population kényane dans son ensemble, 20 pour cent de la population ougandaise et 10 pour cent de la population tanzanienne, et la plupart sont extrêmement pauvres : au Kenya, environ 90 pour cent de ces communautés vivent dans la pauvreté, contre une moyenne nationale de 50 pour cent, a-t-il dit.

Les pays de la ceinture sahélienne ont également traversé plusieurs longues périodes de sécheresse récurrentes ces dernières décennies, et la région a récemment été baptisée « point zéro » du changement climatique.

 

Trouver une solution à plusieurs volets

 

Plusieurs années de marginalisation politique et économique, des politiques inadaptées en matière de développement, l'augmentation des événements climatiques anormaux, et la concurrence pour l'exploitation des ressources naturelles ont compromis la capacité des éleveurs à conserver un moyen de subsistance durable, a indiqué M. Benicchio.

Celui-ci a appelé à proposer une assurance contre les risques climatiques, à améliorer l'accès aux marchés, et à créer des programmes d'aide sociale axés sur la microfinance et les allocations, pour renforcer la résistance des populations.

Selon le dernier rapport du Groupe consultatif d'experts du PNUE, pour tenter de rétablir une paix durable dans la région du Sahel, il faudra placer l'adaptation au changement climatique au centre des plans de développement et de prévention des conflits.

Les gouvernements devront réhabiliter la base de ressources naturelles, et intervenir pour faire face aux tensions liées à l'accès et au droit d'occupation des terres.

L'Union africaine, en collaboration avec le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), a lancé une initiative politique visant à résoudre certaines de ces questions.

M. Wario, qui dirige le Groupe de travail spécialisé, chargé d'élaborer le Cadre de politique pastorale pour l'Afrique de l'Union africaine, a fait savoir que l'entité établissait actuellement le programme du cadre politique.