LA DEMOCRATIE A L'AFRICAINE NE MENE NULLE PART

Les guerres et autres crises qui secouent la majeure partie des pays africains traduisent une réalité qu'on ne saurait occulter indéfiniment. En effet, les populations dans ces différents pays en dépit de la longue cohabitation, ne sont pas encore suffisamment homogénéisées au point de constituer une seule et même nation, unie par un lien sacré qui dépasse toute considération  ethnique ou religieuse. Se réunir autour d'un projet unificateur fort dans une sorte d'élan vers une destinée commune est loin de constituer un souci majeur  unanimement partagé. Ces peuples n'ont, en tout cas, jamais été capables de vivre en parfaite intelligence sur le territoire dont les contours ont été  esquissés grossièrement par une balkanisation sauvage.

Le blanc est parti, cependant il nous a légué le goût de son mode de vie que l'on a embrassé avec empressement en sacrifiant nos chères traditions sur l'autel de la modernisation, sans prendre le temps de mesurer la  quintessence du sacrifice consenti pour parvenir à la cristallisation de cette  civilisation occidentale, encore moins la sagesse de la conserver sans trop  s'aliéner. De ce snobisme de première heure le pouvoir est le seul garant car prévaut un  cruel manque d'imagination pour parvenir autrement à un mode de vie  socialement et intellectuellement respectable. Le pouvoir à conquérir coûte que coûte, pour satisfaire ces intérêts égoïstes, est par conséquent détourné de ses objectifs fondamentaux de justice et de développement en dépit des exemples  édifiants qu'offrent certains pays démocratiques en devenir tels que l'Afrique du Sud. La course effrénée au pouvoir s'est érigée en règle, envenimée par certains  vices primitifs comme le tribalisme et des velléités d'hégémonie des différentes ethnies qui peuplent nos pauvres pays, conjuguées à nos bassesses légendaires.

On verra en l'occurrence, les chefs de files de ces mouvements  guerriers se muer en hommes politiques et enfiler des costumes pour poursuivre le "combat" sur le terrain politique à la faveur de la démocratie, forts du soutien financier et de la bourgeoisie locale, et de ces capitalistes véreux qui veulent reprendre l'Afrique en otage encore une fois. Bien que la scène politique ne détient malheureusement pas le monopole de ce triste spectacle moyenâgeux focalisons nous-y.

Pour se donner bonne conscience, par pur conformisme, on organise des parodies de conférences nationales ou des grands débat stériles, pour exhorter ironiquement à la réconciliation nationale. Cependant force est de constater qu'aucune solution consensuelle et viable n'a jamais pu être sécrétée par ces nombreuses assises, et ceci pour au moins deux raisons fondamentales.
Tout d'abord parce que les parties prenantes manquent toujours de s'engager résolument à faire un diagnostic objectif des crises qui secouent leur pays depuis belle lurette et à en tirer des leçons pour l'avenir. Ensuite, il convient de dire sans fausse pudeur, que l'objectif de jeter les bases d'une large entente nationale et poser les jalons d'une société nouvelle fondée sur les principes du droit, du mérite et de la prospérité pour tous, n'est qu'une pure abstraction qui ne trouve véritablement de logis que dans des discours démagogiques à connotation philologique, conçus par ces quelques intellos qui peuplent la basse cour des pouvoirs. Le combat contre le sous développement et la pauvreté ne peut être gagné qu'au prix de ces préalables sujets à  mépris.

Conséquence logique des prouesses sus citées (excusez du peu), on convoque les africains que nous sommes, aux urnes pour choisir les hommes et les femmes en charge de conduire les destinées de leurs pays lors d'une mascarade d'élection "démocratique". Simple comme bonjour, on va bonnement jeter dans l'urne le bulletin portant la marque du parti de son neveu dont la tête est plutôt remplie de fumiers (permettez-le moi) et le coeur troqué contre une calculatrice, et on revient s'asseoir. Ils ne sont même plus capables d'exiger des heureux élus l'adduction d'eau ou l’érection d’un poste de santé si nécessaires à leur propre village, l'essentiel étant la victoire du clan. Qui a dit que la démocratie et l'analphabétisme pouvaient se comprendre ?

Après 40 ans d'indépendance, l'africain parfait ignorant de ses droits au développement, peine à comprendre que les différentes ethnies, la grande diversité linguistique et culturelle sont plutôt une inestimable richesse et doivent être mises à profit pour relever les défis du développement socio-économique, technique et même scientifique avec par exemple les riches connaissances de la médecine traditionnelle sur ce continent. Mais rien n'y fait, à l'orée de ce millénaire annoncé comme celui de tous les espoirs, on continue de s'entre-déchirer en Côte d'Ivoire, en Centrafrique, aux Congo(s), au Soudan, au Rwanda, etc. pour des motifs relevant plutôt de la  mythologie.
Pendant ce temps les envahisseurs se frottent les mains et attendant le moment propice pour bondir. Lorsque nous serons complètement à terre, il leur suffira de déposer leur valise puis de s'installer dans notre propre maison ; et ce jour, ils auront tenu le pari du "diviser pour mieux régner". De toutes les façons ils ne nous ont jamais ratés.

Loin de nous l'idée de jeter du discrédit sur l'ensemble des régimes en  place dans tous les pays du continent et encore moins de faire l'apologie de l'afro-péssimisme. Il est vrai certains hommes politiques méritent  notre plein respect, quand bien même ils sont souvent kidnappé par des groupes  d'influence fascistes ou ultra-capitalistes. Mais reconnaissons tout de même que le  manque d'impartialité de la justice, l'injonction des pouvoirs publiques dans l'attribution des marchés, les cas avérés de grossiers détournements, l'absence d'efficacité dans les prestations des services publics, le manque de vision pour le développement, le manque de courage politique des dirigeants africains lors des grandes discussions concernant l'avenir de la planète tout entière ou sur la place de l'Afrique dans le concert des nations, etc. relevés quotidiennement, sont de nature à jeter un voile de suspicion et de doute sur les qualités de ces derniers. Pour tout cela, cette réflexion aura  atteint pleinement son objectif, si elle peut ne serait-ce que contribuer à susciter des interrogations et à faire germer des idées pragmatiques conduisant à l’éclosion d’une conscience nationale, avant de faire vibrer la fibre patriotique qui est en chacun de nous et nous faire rêver ensemble une modernité républicaine basée sur la culture de l’excellence et de l’intégrité.
Le rêve au moins nous est permis. Comment envisageons nous par exemple  le paysage politique, environnemental, social et économique de la  Centrafrique dans 12 mois ? Tout peut commencer dans une sorte de rêve collectif et réaliste, croyez moi.

Serge Matchinidé (Dakar)
Mon, 30 Aug 2004 21:26:48 +0200 (CEST)

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