DECLARATION DES ORGANISATIONS DE DEFENSE ET DE PROMOTION DES DROITS DE L’HOMME RELATIVE AUX CONDITIONS INHUMAINES DE DETENTION DANS LES PRISONS, LES CENTRES DE DETENTION ET LES LOCAUX DE GARDE A VUE.

Dans le cadre des activités de promotion et de défense des droits de l’homme, une visite des prisons, des centres de détention et des locaux de garde-à-vue de la ville de BANGUI a été effectuée les 20 et 27 Mai 2006.

Il s’agit de la Maison Centrale de Ngaragba, du Centre de détention pour femmes de BIMBO, du local de la Section Recherches et Investigations (SRI), du Commissariat de police du Port et de l’Office Centrafricain de Répression du Banditisme (OCRB).

Du constat général, il apparaît que les conditions carcérales et de rétention des personnes placées en garde-à-vue se sont détériorées davantage.

Ces conditions sont indignes du traitement qui doit être réservé à une personne humaine privée de liberté.

Elles ne sont conformes ni aux lois et règlements de la République Centrafricaine ni aux normes internationales notamment l’ensemble des règles minima pour le traitement de détenus.

Elles sont contraires à la Résolution de ROBBEN ISLAND prise par la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples sur les lignes Directrices et mesures d’Interdiction et de prévention de la torture et des peines ou traitements cruels inhumains ou dégradants en Afrique et à la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradant adopté le 10 Décembre 1984, ratifiée par la République Centrafricaine le 9 Mars 2006.

I- La situation des personnes placées en garde-à-vue à la Section Recherches et

Investigations (SRI )

A la Section Recherches et Investigations (SRI ) les pratiques attentatoires à la liberté et à la dignité humaine qui existaient auparavant sous les anciens régimes ont refait surface.

Censé être un lieu de garde-à-vue, ce local est devenu un fourre-tout. Y sont même maintenues des personnes déjà placées sous mandat de dépôt et qui devaient se trouver dans un centre de détention, ce en violation de la loi et des personnes auxquelles aucun délit n’est reproché ( cas des 12 Sous-officiers qui sera évoqué plus loin).

Les arrestations des personnes opérées avant leur maintien dans ce local ne respectent pas les prescriptions légales.

En effet, plusieurs arrestations sont opérées sur des bases illégales car effectuées non pas par des Officiers de Police Judiciaire légalement habilités mais par des militaires et quelques fois dans la nuit aux environs de minuit, 3 heures et 4 heures du matin. Dans ce cas, on peut parler d’enlèvement et de séquestration.

Il en est ainsi des arrestations de Justin DJINGAM, étudiant Tchadien, Pascal NGAKOUTOU BENINGA, enseignant en mathématiques à l’Université de BANGUI, Aubain NGAÏTAM, boucher au quartier Combattant, enlevés de leur domicile par des militaires avant d’être conduits à la SRI.

Une Commission du genre Commission Mixte d’Enquête Judiciaire instituée par décret après la tentative de coup d’état du 28 Mai 2001, a été mise en place de manière informelle.

Elle est composée d’un membre du Parquet près le Tribunal de Grande Instance de BANGUI, de trois éléments de l’Office Centrafricain de Répression du Banditisme ( OCRB), d’un Adjudant-Chef, d’un Adjudant, d’un Commandant de Brigade et d’un Maréchal de Logis de la Gendarmerie Nationale désignés sur des critères que l’on ignore.

Cette Commission informelle s’apparente plus à une police politique plutôt qu’à une institution judiciaire indépendante.

Parmi les personnes arrêtées et conduites à la SRI, beaucoup ignorent les motifs réels de leur arrestation sauf la formule stéréotypée « d’atteinte à la sûreté de l’Etat » qui peut masquer des pratiques arbitraires.

Ce vocable camoufle mal le statut de détenus politiques dont Claude YABANDA cadre du parti FPP (à ce jour à la Maison Centrale de NGARAGBA), Clotilde GAMON commissaire de police, Raymond BEHOUROU, Préfet de la Haute KOTTO, Lydie NDOUBA cadre du MLPC, Marcel MORNANDJI, gardien de la paix et bien d’autres sont l’objet.

Monsieur Moussa ABDELKANI, Iman de BOGANGOLO, son frère, Moussa Younous ABDELKANI, Monsieur Abdoulaye IBRAHIM et Monsieur Issène IBRAHIM, chef de groupe et 1er Adjoint au Maire de la commune de KORO MPOKO dans la préfecture de l’OUHAM sont maintenus depuis le 12 Avril 2006, soit près de 2 mois sans aucune audition.

A la SRI , les femmes se retrouvent dans le même local que les hommes dans une promiscuité totale.

Les personnes gardées à vue et les autres sont la proie des moustiques et les abondantes infiltrations d’eau de pluie les exposent à toutes sortes de maladies. Ce local n’est pas approprié pour maintenir des personnes humaines pendant des heures voire des mois comme c’est le cas de plusieurs d’entre elles.

Certaines personnes malades ne peuvent bénéficier de soins médicaux.

Madame Lydie NDOUBA est malade. Sur présentation de prescriptions médicales, elle a demandé à plusieurs reprises au Parquet d’être autorisée à effectuer des analyses médicales. Ces demandes se sont heurtées à des refus du Parquet jusqu’à ce jour ou tout au moins on lui impose de consulter un médecin désigné par les enquêteurs.

L’article 3 de la Constitution du 27 Décembre 2004 prévoit pourtant que « Toute personne faisant l’objet d’une mesure privative de liberté a le droit de se faire examiner et soigner par un médecin de son choix ».

Le cas d’ABDOULAYE Manou, éleveur peulh, interpellé par des militaires à proximité de DEKOA, passé à tabac avant d’être amené à la Section Recherches Investigations SRI est préoccupant.

Cette personne a des problèmes de communication puisqu’elle ne parle ni le Sango, ni le Français.

Aucun membre de sa famille n’a été informé de sa situation et elle ne doit sa survie que grâce à l’aide des autres gardés à vue qui lui rétrocèdent une partie de leur nourriture et des comprimés non prescrits par un médecin.

Probablement atteint d’une maladie grave, aucun soin médical ne lui est procuré et son état de santé risque de s’aggraver avec des conséquences irréversibles si rien n’est fait dans l’immédiat.

II- La situation des 12 Sous-Officiers maintenus à la Section Recherches et

Investigations ( SRI)

Douze Sous-Officiers rentrés du nord du pays où ils étaient en mission de « sécurisation » sont maintenus à la Section Recherches et Investigations (SRI) depuis le 22 Mai 2006 dans un local exigu d’environ 6m2 sans lumière et sans aération convenable avec des risques d’asphyxie.

Il leur est permis d’être à l’air libre 5 minutes par jour. Ils sont obligés de faire les urines dans des bouteilles avant de les faire vider.

Leur statut juridique dans ce local n’est pas défini. A priori et pour l’instant, il ne leur est fait aucun reproche de nature pénale. Officiellement, une enquête administrative est diligentée par le haut commandement de l’Armée sur les circonstances de leur retour à BANGUI mais ils se retrouvent dans un local normalement réservé aux personnes gardées -à- vue.

Le cas de l’un de ces Sous-Officiers qui a subi un choc mais qui ne bénéficie d’aucun soin médical est sérieux.

Selon les informations reçues, une quarantaine d’hommes de rang qui faisaient partie de la même mission et qui sont rentrés à BANGUI avec eux dans les mêmes circonstances sont actuellement maintenus au camp KASSAÏ. On ignore les conditions dans lesquelles ces hommes de rang sont maintenus.

III- Le Centre de détention pour femmes de BIMBO

Au Centre de détention pour femmes de BIMBO, il existe trois cellules collectives abritant chacune respectivement en ce moment 14, 12 et 19 prévenues et condamnées.

La propreté de la cour commune contraste avec le mauvais entretien de l’équipement collectif.

L’hygiène des détenues n’est pas assurée : non évacuation des eaux usées qui stagnent et deviennent des nids de moustiques et tous autres microbes à proximité des lieux de préparation des repas.

Les robinets des douches collectives sont hors d’usage d’où l’écoulement permanent de l’eau ce qui constitue un gaspillage pour la collectivité.

Les WC sont complètement obstrués car non vidés depuis bien longtemps. L’intimité des femmes n’est pas préservée en raison de la communication entre les salles des WC sans fermeture.

Il a été constaté la présence de huit enfants à bas âge avec leurs mères détenues dans les cellules collectives. Cette situation n’est pas conforme à la Convention sur les droits de l’enfant dont l’éducation et la sécurité risquent d’être compromises.

IV- La Maison Centrale de NGARAGBA

La Maison Centrale de NGARAGBA contient à ce jour environ 400 personnes ( détenus préventifs et condamnés confondus).

Plusieurs mineurs se retrouvent avec des majeurs et de grands délinquants. Il s’agit de :

- Henri BRENGA ( 15 ans),

- Thomas PASSEPANDJI (17 ans),

- Patrick SANA (16 ans),

- Innocent BALIKI ( 17 ans),

- Jonathan SAKANGA ( 16 ans),

- Romaric MAGUEDE ( 16 ans)

Des personnes sont détenues depuis des mois de façon manifestement arbitraire car aucun mandat de dépôt n’a été décerné contre elles et aucune ordonnance de placement en détention provisoire n’a été prise contre elles.

C’est le cas de :

- Monsieur Justin KENGUIMON et Monsieur Dilla DAOUADA pour lesquels le Doyen des Juges d’Instruction du Tribunal de Grande Instance de BANGUI a pris le 8 Septembre 2005 une Ordonnance de refus d’informer mais qui sont néanmoins maintenus à NGARAGBA,

- le Pasteur Ruffin Pierre NGOYAS aumônier militaire détenu depuis 8 mois,

- Monsieur Joseph HOULFFOUYAN, cultivateur et témoin de Jéhovah demeurant au quartier NDANGUE, détenu depuis le 25 Juillet 2005 pour des motifs qu’il ignore,

- Monsieur Arthur YEMTO amené de CARNOT depuis le 5 Septembre 2005.

En ce qui concerne les conditions de détention, les cellules collectives dénommées « Maison Blanche » et « DDP » présentent un aspect passable sauf les douches et les toilettes dont l’état de dégradation est très avancé.

En revanche, les cellules collectives dénommées « COULOIR », « IRAK », appellation évocatrice de la situation infernale qui prévaut dans ce pays et « GOLOWAKA» où il y a les détenus de droit commun, sont insalubres.

L’hygiène est totalement absente. Les douches et WC sont hors d’usage.

Dans ces cellules, les détenus sont contraints de vider eux-mêmes tous les jours à l’aide de bouteilles et de gobelets les WC. A défaut, les excréments et les urines sont déposés dans des sacs en plastique et jetés à travers les grilles dans l’arrière- cour d’où des odeurs absolument nauséabondes et insupportables.

Beaucoup de détenus passent la nuit à même le sol , exposés à la pneumonie et à d’autres maladies.

La cellule dénommée « PORTE ROUGE » est dans un état d’insalubrité totale et ne contient plus de détenus sauf ceux qui sont considérés comme récalcitrants et qui sont sanctionnés.

Les détenus malades ne bénéficient pas souvent de soins médicaux appropriés.

Le personnel chargé de la surveillance assiste impuissant à ce qui relève de la non -assistance à personne en danger du fait de l’inaction de l’administration judiciaire ou pénitentiaire.

Monsieur André GUIMBIOKO est malade depuis bien longtemps. Il a des plaies complètement infectées au sexe. Ses urines passent par d’autres voies que la voie naturelle. Son état de santé est très inquiétant.

Monsieur Parfait MBIAMBA et Monsieur Evariste MAYO qui souffrent d’une hernie étranglée sont dans une situation identique.

Monsieur Moussa YAKAYI, amené de CARNOT et atteint de tuberculose, non seulement ne bénéficie d’aucun soin mais se retrouve avec les autres détenus sans précaution avec des risques de contamination.

Toutes ces personnes malades devraient être dans un centre médical pour des soins appropriés et non dans un lieu de détention

Il s’agit de cas manifestes de traitements inhumains et dégradants contraires aux instruments internationaux ratifiés par la République Centrafricaine tels qu’indiqués plus haut et à la Constitution du 27 décembre 2004.

V- L’Office Centrafricain de Répression du Banditisme « OCRB » et le Commissariat

de police du port

L’Office Centrafricain de Répression du Banditisme, (OCRB) est une branche de la police centrafricaine chargée normalement de la répression du banditisme comme cela est précisé dans son appellation.

Cependant, cette branche de la police se mêle de tout sans distinction, interférant dans les litiges de nature purement civile ou commerciale, agissant bien souvent sans instructions voire à l’insu du parquet et en dehors de la loi.

Lors de la visite des locaux de « l’OCRB », en réponse à une question posée sur les conditions d’interpellation des personnes, un policier a précisé que les personnes sont arrêtées, placées en geôle, le temps pour les enquêteurs de rechercher les preuves de ce qui leur est reproché.

Il s’agit d’une véritable dénaturation d’un principe fondamental en droit pénal exigeant au préalable l’existence d’indices suffisants et sérieux concordants et graves pour une arrestation.

Par ailleurs, cette pratique irrégulière explique les prolongations illégales de la durée de la garde -à-vue devenues coutumières en Centrafrique et non pas simplement une absence de moyens.

La geôle exiguë de l’OCRB d’une surface de moins de 12m2, contenait 46 personnes lors de la visite, entassées les unes sur les autres dans l’obscurité à une température qui peut avoisiner 40° lorsqu’il fait très chaud.

Quant au Commissariat du port, lors de la visite, la mission a rencontré le jeune Nelson DJADDER qui s’y trouait mais depuis lors transféré à la SRI ainsi que deux sujets de nationalités étrangères maintenus pour séjour irrégulier mais dont l’un se défendait de cette accusation en se prévalant de sa nationalité centrafricaine. La santé de l’une de ces personnes était critique.

Enfin, Monsieur Yves OSSIMBA venait d’être mis en geôle lors du passage de la mission pour une affaire manifestement de nature civile.

Au Commissariat de police du port, certaines personnes qui sont dans les geôles sont envoyées par d’autres administrations de police d’où un problème de responsabilité de l’Administration sous laquelle se trouvent ces personnes.

Recommandations

Les Organisations centrafricaines de défense et de promotion des Droits de l’Homme recommandent dans la mesure où il n’a pas été indiqué clairement que le cas des 12 Sous-officiers relève du pénal, qu’ils soient transférés dans un local militaire approprié et décent dans des conditions leur garantissant leur sécurité dans l’attente de la suite de l’enquête administrative et que le Sous-officier malade puisse recevoir des soins médicaux.

Les Organisations centrafricaines de défense et de promotion des Droits de l’Homme demandent :

- au Procureur de la République :

*de prendre des mesures immédiates appropriées en ce qui concerne les mineurs,

*d’autoriser les personnes placées en garde-à-vue, sous mandat de dépôt ou condamnées de recevoir des soins,

*d’ordonner la remise en liberté immédiate des personnes détenues arbitrairement sans mandat de dépôt ou sans ordonnance de placement en détention préventive.

- au Commissaire du Gouvernement près le Tribunal Militaire Permanent et aux autorités militaires :

* l’accès à la quarantaine d’hommes de rang maintenus au Camp KASSAÏ pour leur permettre de s’assurer des conditions dans lesquelles ces hommes de rang sont détenus.

*l’accès aux personnes détenues au Camp de Roux et restées sans nouvelles

- au Ministère de la Justice d’assurer le recyclage permanent du personnel pénitentiaire et d’organiser une formation pour ceux qui ont la charge de la surveillance des lieux de détention

- au Ministre de la Justice et au Ministre Chargé de l’Administration du Territoire de prendre des dispositions pour aménager les locaux de garde-à-vue et de réhabiliter les autres lieux de détention pour les rendre plus conformes aux normes et pour préserver la dignité de ceux ou de celles à qui la justice demandent des comptes.

BANGUI le 5 Juin 2006

L’Action Chrétienne contre la Torture et l’Abolition de la Peine de Mort

« ACAT-RCA »

Me Bruno Hyacinthe GBIEGBA

L’Association des Femmes Juristes de Centrafrique « AFJC »

Me Marie Edith DOUZIMA-LAWSON

La Ligue Centrafricaine des Droits de l’Homme « LCDH »

Me Nganatouwa GOUNGAYE WANFIYO

Le Mouvement pour la Défense des Droits de l’Homme et de l’Action Humanitaire

« MDDH »

Mr Adolphe NGOUYOMBO

L’Observatoire Centrafricain des Droits de l’Homme « OCDH »

Me Mathias Barthélemy MOROUBA.

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