Tribune : Bonne gouvernance et lutte contre la pauvreté

 

 

Englués dans les conflits et famines dont les populations les plus fragiles sont les premières victimes en dépit des efforts pour survivre, nombre de pays d’Afrique au Sud du Sahara vivent depuis l’année 2009 et jusqu’en 2010 un ouragan électoral à l’image des indépendances de l’été 1960. Qui est le metteur en scène de ce spectacle et quelle sera la composition des acteurs, le décor de la scène et qui est l’auteur des scénarii, dans la mesure où le vocable commun à tous les candidats est tramé de la notion de « bonne gouvernance » ? La question vaut le détour car, après cinquante ans de règne d’une certaine macroéconomie du développement, qui a montré ses limites, le mot qui revient de façon récurrente, est celui de « bonne gouvernance et de transparence ». Les acteurs seront majoritairement les mêmes en fin 2010 ; qui plus est, par le jeu de dynastie insolite et insolente, on continuera d’entendre encore des noms ; véritables marques de fabrique et pontes, de l’insécurité des transactions et de la sclérose des échanges. 

 

L’observation de cet ouragan laisse entrevoir la lente mais sûre constitution d’un phénomène ; celui de la conversion massive des dirigeants Africains ; déclinants ou montants à la religion du management public ; la bonne gouvernance.  Dans ce sens, face à la violence avec laquelle le monde se métamorphose, il faut souhaiter que l’évocation de la notion de bonne gouvernance et de la transparence ne se réduise à faire justifier le paradoxe de l’abondance ; c’est-à-dire comment expliquer que des pays riches en matières premières et produits de base soient paradoxalement le réservoir génétique de la pauvreté des communautés humaines et des collectivités territoriales en milieu rural. La bonne gouvernance en Afrique, a-t-elle vocation à être plutôt un effet de mode, un phénomène évanescent ou à être source d’inspiration et d’impulsion de changement de mœurs et cultures politiques, d’acteurs et d’ institutions facilitant les échanges et génératrices d’esprit d’entreprendre et d’esprit d’entreprise ; et donc les ferments du développement ? Qu’est-ce ce qui amènerait  le commun des mortels à accorder du crédit à une classe politique dont les mœurs et cultures politiques de toujours, ont pour référence la pratique d’anciens gouverneurs européens de la période coloniale et les pratiques de pouvoir à caractère paternaliste, autocratique, narcissique et clientéliste depuis la période post coloniale? Le regain d’intérêt à la bonne gouvernance et à la transparence ne saurait prendre le visage d’élixir pour les candidats ; relais locaux des politiques de promotion des produits d’exportations ; matières premières et produits de base mais, doit engendrer des mesures de démarginalisation des pauvres ; à savoir  la conversion des ces pontes à la sécurisation des transactions, par l’habilitation des droits de propriété, du passage de l’aide au contrat et à la garantie d’un Etat de droit [Hernando de Soto et  Martin ; E. 2009] pour mieux lutter contre la pauvreté et organiser les conditions d’accès à l’autonomie des populations les plus fragiles. L’allusion à la bonne gouvernance et à la transparence ne saurait être le nième Cheval de Troie au bénéfice des multinationales coalisées avec d’autres Etats ; pourvoyeurs de protection juridique et politique aux régimes corrompus. La montée du phénomène pygmalion d’une nouvelle macroéconomie du développement, malgré le début apparent d’un démantèlement de celui de mouton de panurge, de la part des nouvelles dynasties éclairées, des baronnies et oligarchies des élites politico-militaires appellent une riposte et pourquoi pas une résistance.

 

Redoutant que cette notion soit reléguée aux rangs de relique par ceux- là mêmes,  qui veulent la dévoyer en ne lui donnant qu’un contenu paralysant  et sclérosant pour les droits de l’homme, la liberté d’entreprendre et l’empêchement de toute émancipation des populations fragiles ; véritables terreau des entités chaotiques ingouvernables, nous appelons à la vigilance de tous les instants quand à l’utilisation  à tort et à travers de la cette notion . 

 

L’objectif de cette contribution à la réflexion est de réfuter, ce que n’est pas la bonne gouvernance et, d’amener en débat , ce que la mise en œuvre de la notion peut apporter ; en termes d’identification de  levier de développement, d’ingénierie territoriale et d’entrepreneuriat rural et péri-urbain; véritable clé de voûte de lutte contre la pauvreté des populations démunies, des petits producteurs et artisans dans le désarrois et sans voix.

 

I) Bonne gouvernance ; élixir ou ingénierie territoriale de lutte contre la pauvreté.

 

La bonne gouvernance comme thématique commune de campagne en Afrique au Sud du Sahara soulève ces interrogations,  par le seul fait de l’absence de préparation de terrain nourricier. N’en déplaise aux candidats, elle ne revêt plus les caractéristiques de la sorcellerie et du maraboutage au regard des exigences de la mondialisation et de l’emprise qu’exerce la pauvreté sur les populations ignorants leurs droits, analphabètes, et n’ayant aucun accès aux échanges nationaux et internationaux. Qui dit bonne gouvernance dit management public d’incitation, de coordination et d’outils d’évaluation. Or, les administrations, les institutions et acteurs de la société civile en Afrique au Sud du Sahara fonctionnent  sur  le mode et la méthode managériaux d’injonction et d’intimidation et de prescription péremptoire. Le chef ne rend jamais compte et à personne des responsabilités qui lui sont déléguées ou qu’il exerce par dévolution. Ce défaut d’ancrage de la notion dans les mœurs et cultures politiques locales ne risque-til pas d’exposer la bonne gouvernance à la privation de légitimité large et de base légale conséquente ; c’est-à-dire par bonne gouvernance, il faut entendre l’identification des facteurs concourant au développement, lequel comprend la mise en synergie de l’activité entrepreneuriale des communautés humaines et des collectivités territoriales et non uniquement des minerais de diamant, de fer   etc.

 

La majorité des régimes, qui s’étaient succédés, dans les pays d’Afrique au Sud du Sahara, depuis les indépendances a occulté la problématique du développement et de sa finalité première qui consiste à armer les communautés pour qu’elles luttent elles-mêmes et,  de façon pertinente, du point de vue de leur proximité contre la pauvreté. Cette approche passe par la sécurisation des transactions et l’amélioration des modes et méthodes de production, de transformation et d’échange. Au regard de cette démarche, notre travail sur le terrain a relevé deux insuffisances :

1)     l’intérêt national est l’ennemi des intérêts humains et territoriaux de proximité et particulièrement en matière de politiques publiques d’aménagement du territoire

2)       la pauvreté est vécue davantage comme une damnation divine que la conséquence des choix de politiques publiques sur le plan économiques.

L’idée dominante du développement a été de promouvoir les produits d’exportation en se focalisant sur les une politique d’industrialisation, de planification et d’encouragement de certains secteurs clés : diamant, bois, pétrole, etc L’aménagement du territoire n’a pas été jugé opportun comme levier de développement pour ceinturer les rares industries du secteur public de boucles d’activités et créer ainsi une fertilisation croisée, voire construire un dialogue intersectoriel. En l’absence de ce maillage, la fin des Trente glorieuses avait occasionné, pour l’Afrique au Sud du Sahara, la disparition des 86 zones franches et une explosion du secteur informel ; encore en vigueur à ce jour. Ce qui devrait arriver, arriva. A la fin des années  90, la métamorphose du système productif en Europe, suivie de la dévaluation du franc CFA ont entraîné pour les PASS ( Pays d’Afrique au Sud du Sahara) la délitement des liens sociaux et de solidarité.

 

Les dirigeants de cette partie du monde avaient réduit la crise qu’elle traversait au rang de phénomène conjoncturel alors qu’il s’agissait d’une crise à deux versants ; l’agonie d’un modèle et l’amorce d’une refondation amenées par la mondialisation. Au même moment les pays d’Asie du Sud-est, bénéficiant du phénomène des délocalisations, se constituaient leur pactole de Dragons et de Tigres et cherchaient à participer à la mondialisation ; la considérant comme une opportunité. L’Afrique au Sud du Sahara, elle, non seulement perdait tout et s’embourbait dans le sable mouvant de la politique du ventre et des conflits ethniques interminables. N’ayant exploré ni les mécanismes d’aménagement du territoire comme les Cluster ou Systèmes productifs locaux dans les régions hors zones minières, ni cherché à élucider les ressorts de ces mécanismes, pour y faire émerger des espaces et ateliers d’éducation et de formation au développement et y faire émerger des métiers, les PASS se sont vus assignés par le Consensus de Washington, à recourir à la privatisation systématique de moribondes et rares entreprises du secteur public ; comme si c’était la panacée de sortie de crise puis, ont  décrété les décentralisations tous azimuts ; sans en avoir, ni les compétences ni les moyens, à plus forte raison la volonté politique claire.

En fait, l'objectif inavoué des mouvements de décentralisation était, d'organiser des fiefs pour des vassaux et des barons locaux et non se donner les instruments de lutte contre la pauvreté. Les PASS ont considéré la mondialisation comme leur pire ennemi. Du point de vue aménagement du territoire, si l’on peut faire une autre lecture et développer une autre approche de la bonne gouvernance que de la cantonner dans de la liturgie pour Grégoriens voire des incantations de Gospel, ce serait de bonne augure pour les jeunes africains du XXIè siècle. La bonne gouvernance suppose des lieux catalyseurs de réflexion et d’action en matière de développement ; du territoire de proximité à l’échelon national. Au niveau national, la bonne gouvernance apparaît se veut la résultante des bonnes pratiques de l’échelon local et fondées sur l’approche par capabilité (A. Sen) des communautés humaines et des collectivités territoriales. C’est l’imbrication des deux, qui favorise l’émergence des intrications et des noeuds entre l’esprit d’entreprendre des communautés humaines, le territoire où sont ancrées ces communautés, ainsi que la prise en compte de leur rapport à l’autonomie et à leur propre émancipation.

Dans le domaine de la pauvreté ; paradoxe de l’abondance, la baronnie Africaine aux commandes a regardé les liens avec le territoire se détricoter au fil des années malgré le glas sonné par le Sommet de Copenhague du 12 mars 1995 ; sommet sur la pauvreté qui a fait le lit aux Objectifs du Développement du Millénaire. Le décryptage des discours des candidats et de leur porte parole laisse penser l’aggravation d’une erreur, dans l’appréhension du concept «  entrepreneuriat » ; un des champs couverts par la bonne gouvernance.  

Par rapport à la lutte contre la pauvreté et de l’organisation des voies d’accès à l’autonomie des populations et des petits producteurs, on continue de penser qu’il suffit de faire une répartition équitable des richesses pour que la pauvreté des communautés humaines et des territoires ruraux disparaissent. Puisque tout se pense d’en haut en lieu et place des populations ; combattantes de la survie, en recourant à la notion de bonne gouvernance, les oligarchies politiques et militaires, ainsi que les baronnies croient  bien diagnostiquer les attentes des populations en matière d’esprit d’entreprendre, d’aspiration à la liberté, à l’autonomie et aux échanges. A la lumière de la bonne gouvernance, il faut refonder la lutte contre la pauvreté. Il ne s’agit pas d’édulcorer mais d’entreprendre de sécuriser les transactions, de créer un climat pérenne de confiance et de lutter contre les collusions d’intérêts qui entretiennent la corruption, sclérosent et paralysent la moindre initiative entrepreneuriale des populations et hypothèquent leur avenir, ainsi que ceux de leur famille. L’effort entrepreneurial des populations ; clé de voûte de lutte contre la pauvreté est étouffé dans l’œuf par les manquements et carences des élites ; et donc du défaut de gouvernance tout court. Les populations besogneuses sont braquées par des procédures qui confinent à des conventions de mercenaires.

Par rapport à la lutte contre la pauvreté, la nécessité de sécuriser les transactions, de garantir les droits de propriété, d’améliorer les échanges constituent ; me semble-t-il les facteurs d’attractivité territoriale qui ont un impacte direct au profit des populations.

Si les candidats se disent bon manager, il convient qu’ils élaborent des outils nécessaires à cette sécurisation. Au cas où ces outils existeraient, qu’ils ne les dissimulent pas. Au contraire, il faut, qu’ils les disséminent auprès des utilisateurs. En revanche, en l’absence de ces outils, il est souhaitable d’en être l’agent de catalyse.

 

II) Et si bonne gouvernance induisait défense et promotion de nouvelles régulations et des échanges justes !

Après des décennies d’approche du pouvoir et de l’autorité à caractère paternaliste, narcissique, autocrate et clientéliste qui a abouti à faire du continent africain, la mine à ciel ouvert de coups d’Etat à répétition, d’enfants soldats, de misérables déplacés et la ruche la plus mielleuse pour tous ceux qui ont le goût le plus prononcé pour l’intrigue,  qu’adviendrait il,  si la bonne gouvernance revêtait plutôt l’approche d’une société d’alternative en lieu et place de l’aspect « réducteur » qu’est l’alternance ?

D’aucuns admettent que la bonne gouvernance ne saurait se réduire à de la cosmétique pour une politique de communication, voire de propagande. Notion relevant du champ du management, elle suppose la mise au point de politiques publiques pour   être opérationnelle. 

 

Les seigneurs des conflits ethniques et tribales, les VRP des complexes militaro-industriels, les recruteurs d’enfants soldats et autres mercenaires du commerce des armes de petits calibres et leurs munitions, sans la moindre traçabilité, doivent savoir que le mauvais maniement de la notion de bonne gouvernance peut se révéler dangereux.  En tant que notion relevant du champ du management, ce n’est pas son culte et les incantations, qui l’entourent, qui fait son efficacité, mais sa mise en œuvre. Dans ce sens j’y vois trois apports et/ou contributions possibles au repositionnement de certains Etats des pays d’Afrique au Sud du Sahara :

 

1)  Sur le plan politique. Il s’agit de piloter le pays pour le faire participer à la mondialisation au lieu de le confiner dans le rôle de passager clandestin de la communauté internationale et renforcer ainsi,  sa relégation à la périphérie du monde. La bonne gouvernance implique de la part des électeurs, des acteurs et institutions de la société civile, le développement des capacités d’évaluation des prestations et la fixation des rendez-vous de respiration électorale.

 

2)  Sur le plan économique et social et dans le cadre de la lutte contre la pauvreté, la bonne gouvernance irriguera des politiques d’alternatives en matière d’outils d’aménagement du territoire. La mise en œuvre de la notion de « territoire commun d’origine » ou « d’unité productive commune » enrichira les découpages administratifs classiques en devenant le nouvel instrument d’élaboration des nouveaux schémas directeurs d’aménagement du territoire dans la perspective de la décentralisation et, fera oublier les échecs des zones franches. Le territoire commun d’origine ou l’unité productive commune favorise, à l’échelon local, la fertilisation croisée des facteurs d’attractivité territoriale et sert de pépinière d’expérimentation sur le plan méso-économique et, de ferment d’ouverture à la solidarité internationale. On n’y réalisera alors, que la production des richesses des populations pauvres ne se mesurent pas avec les mêmes agrégats économiques classiques ; PIB et PNB mais qu’il faut réinventer de nouvelles régulations notamment l’accès du plus grand nombre à la satisfaction des besoins vitaux et le respect de leurs droits fondamentaux. On en viendrait ainsi, à élaborer des référentiels de réponses structurelles à la pauvreté et non des réponses ponctuelles à caractère soit ethnique ou tribal, voire compassionnel. La bonne gouvernance n’a rien à voir avec le versement de tribut à la tribu pour s’attribuer les attributs de la tribu.

 

3)  Enfin, la bonne gouvernance implique un état d’esprit articulé à une volonté d’entreprendre dans les domaines générateurs de transformations sociétales dont le respect et la garantie de ce respect des droits et libertés, dans le cadre du vivre-ensemble. Cette articulation génère une interaction entre les acteurs et les institutions ; depuis le niveau local jusqu’à l’échelon national. La dite interaction prend l’allure de véritable laboratoire d’identification des leviers de transformations sociétales et des facteurs clés de réussite. La difficulté de cette œuvre de refondation réside dans l’imbrication de deux principes : le croisement des savoirs ancestraux et des savoirs scientifiques d’une part et, l’application du principe général des capacités de similarité, d’autre part. L’articulation de ces deux principes et leur interaction engendrent à leur tour, le troisième principe de progrès qu’est la modifiabilité cognitive et l’éducabilité pour tous ; particulièrement dans le champ d’éducation à la citoyenneté et au développement des populations des zones péri urbaines et en zones rurales. Autant de champs à explorer, de nouvelles orientations à élucider qui permettraient à cette démarche entrepreneuriale dans les programmes de renforcement des capacités humaines et organisationnelles des populations fragiles.  

 

Conclusion :

Cette contribution au débat sur le regain d’intérêt de la bonne gouvernance dans les discours de campagne en Afrique au Sud du Sahara n’est nullement une prescription. Elle s’inscrit dans une démarche d’appel à la vigilance des élites africaines d’abord et aux amis et partenaires d’Afrique notamment les ONG et autres Organisations de Solidarité Internationale, chaque fois que la notion de bonne gouvernance est employée. Certains auteurs l’enferment dans une logique comptable, bonne gestion des deniers publics et la transparence ; ce qui est nécessaire mais pas suffisant.

 

D’autres la revendiquent qu’à des fins cosmétiques et de stratégie de communication. La bonne gouvernance est plus complexe et plus compliquée que ça. Elle repose avant tout sur un socle de valeurs démocratiques et républicaines visant à s’inspirer de la déclaration universelle des droits de l’homme et à impulser des politiques publiques  créant les conditions favorables à l’esprit d’entreprendre des communautés humaines et des collectivités territoriales, pour accéder à l’autonomie.

 

Enfin, la bonne gouvernance est une invitation à une métamorphose des mœurs et cultures politiques ; ceux à qui le peuple a accordé son suffrage doivent lui rendre compte à intervalle régulier et s’en aller quand  c’est le moment, sans recourir à des artifices juridiques pour s’incruster  au pouvoir ou user d’un coup d’Etat puis se faire élire aux termes de scrutins tramés de cafouillages. La bonne gouvernance a ceci de particulier, en ce qu’elle porte en elle le germe d’une lutte contre les impunités de toutes sortes et suggère l’inéluctable nécessité de revoir l’architecture socio politique d’ensemble d’une région dont la jeunesse n’a que de sombres perspectives et ne trouve pour solution que l’immigration clandestine au péril de sa vie. Que la mise en œuvre généralisée des outils et de l’éthique de bonne gouvernance  puisse accompagner les 46 pays d’Afrique au Sud du Sahara  à  réussir leur accrochage au wagon de la mondialisation !  

Gervais Douba

IUT-Université de Rouen

Consultant en ETD ( Entrepreneuriat Territoire & Développement )