Chonique banguissoise : « Il faut séparer le bon grain de l’ivraie »

 

 

Le 4 juin 2013, au moment où la presse annonce le départ de l'ancien président déchu François Bozizé, qui quitte le Cameroun pour un supposé exil prolongé en Afrique du Sud, on apprend que le nommé Abdoulaye Miskine, alias Martin Koumtamadji, président du groupuscule Front démocratique du peuple centrafricain (PDPC) aurait revendiqué la prise en otages de dix paysans centrafricains.Pour la libération de ces infortunés, le chef rebelle réclamerait au gouvernement la somme de 10 millions de franc cfa.

Ainsi transparait au grand jour la personnalité d'un mercenaire, prêt à tous les coups de main pour garnir sa gamelle.

 

1 – Itinéraire d’un soldat perdu de la rébellion Séléka.

 

Lorsque le général François Bozizé, en rupture de ban avec le président Ange Félix Patassé, arrive au pouvoir le 15 mars 2003 à la tête d'une insurrection militaire, soutenue par la France et le Tchad, il a dans ses bagages un certain nombre de miliciens appelés « libérateurs », parmi lesquels figure un certain général Abdoulaye Miskine.

De son vrai nom – mais est-ce vraiment la réalité – Martin Koumtamadji, l'intéressé fait office de bras armé du président.

 

En mars 2005, François Bozizé, ayant été élu président, se défait de ses anciens obligés. Les prétendus « libérateurs » prennent alors le maquis, arguant d'une dette d'honneur non soldée par le nouveau président – il aurait promis 15.000.000 de francs CFA à chacun –. D'escarmouches en règlements de compte, il faudra deux dialogues inclusifs arbitrés par le défunt président gabonais Omar Bongo pour clôre en juin 2008 un chapitre sanglant de l'histoire de la RCA.

 

Dans l'intervalle, le nommé Miskine, qui se vantera « d'avoir égorgé comme un poulet » le garde du corps du président Bozizé lancé à ses trousses, trouvera refuge en Libye. Il regagnera Bangui à l'issue des accords de Libreville de 2008, avec le titre officiel de conseiller politique à la présidence de la République. Mais la cohabitation ne sera pas une lune de miel.

 

Très vite cependant, le nouveau conseiller présidentiel fait défection, prétextant pour sa sécurité personnelle et le non versement des indemnités prévues dans le cadre du programme désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR). L’argent, toujours !

Il se réfugie au Koweit ; pays où le président Bozizé se rendra en avril 2010, dans la perspective des élections présidentielles. Officiellement, il serait parti vendre des diamants pour alimenter sa caisse de campagne. Officieusement on prétend qu'il serait allé courtiser son ancien compagnon et le convaincre de reprendre du service à ses côtés. L’appât du gain est toujours le meilleur mobile du mercenaire … et son carburant.

En réalité Abdoulaye Miskine avait déjà pris langue avec les rebelles du CPJP de Nourredine Adam (ancien garde du corps du prince d'Abou Dabi) et ceux de l'UFDR de Michel Djotodia (ancien consul centrafricain à Nyala au Soudan) et Sabone (un supposé protégé d'Idriss Déby). Ils vont créer l'alliance Séléka.

 

C'est en qualité de membre de cette coalition qu'Abdoulaye Miskine participera aux négociations du 11 janvier 2013 à Libreville, lesquelles aboutiront à la formation d'un gouvernement d'union nationale, présidé par François Bozizé, mais ouvert aux rebelles de la Séléka.

N'ayant sans doute pas obtenu le poste ministériel qu'il convoitait dans le gouvernement du Premier ministre Nicolas Tiangaye, Abdoulaye Miskine reprend le maquis, et s'installe à la frontière nord-ouest de la RCA avec le Cameroun.

 

En mars dernier, une confrontation armée entre les troupes de la Séléka et les rebelles du FDPC laissera les forces d'Abdoulaye Miskine exangues. Lui-même reconnaîtra avoir été sérieusement blessé au combat.

 

La prise d'otages revendiquée ce 4 juin 2013 par le nommé Miskine donne la mesure des rebellions centrafricaines : des aigrefins sans soldes, prêts à toutes les vilainies et compromissions pour vivre ou survivre.

L'insurrection au pouvoir n'est pour eux qu'une voie d'accès facile aux caisses de l'Etat, qu'ils croient remplies à ras bord de billets de banque.

Leur méconnaissance des rouages administratifs et financiers d'un Etat moderne traduit un manque d'instruction élémentaire dont les conséquences désastreuses accablent le peuple centrafricain depuis bientôt une vingtaine d’années.

 

2 - Un dangereux criminel récidiviste.

 

Il serait dangereux et illusoire que le gouvernement centrafricain se fasse le complice de ce rapt en s'aquittant de la rançon exigée. Payer équivaudrait à remettre un chèque à un criminel récidiviste et, surtout, reviendrait à mettre le doigt dans un engrenage infernal et mortifère.

 

Abdoulaye Miskine s'étant refugié au Cameroun, il appartient aux autorités politiques de ce pays, membre de la Cémac au même titre que la RCA, d'appréhender et de remettre à la justice centrafricaine cet ennemi public ; le rapt n'étant pas en soi un acte politique, il ne peut justifier d'un droit à l'asile politique dans ce pays voisin.

 

Au demeurant, les autorités politiques et militaires centrafricaines doivent tout mettre en œuvre pour relever le défi qui leur est lancé par un aventurier qui se prétend chef politique. En la circonstance présente, il se révèle être un pitoyable terroriste, pour user d'un vocabulaire en vogue.

Avec ce genre d'énèrgumène, la République centrafricaine n'aura pas fini de plonger dans l'horreur de la misère, de la corruption et du désordre.

 

Une question brûle cependant les lèvres : ils sont combien au sein du gouvernement de transition du Premier ministre Nicolas Tiangaye, ils sont combien autour de la table du Conseil des ministres, à partager la même conception de l'existence, à entretenir le même nihilisme ou à nourrir la même propension à nuire à leurs concitoyens qu'Abdoulaye Miskine ?

Tous ceux qui ont partagé, à un moment donné ou à un autre, le parcours cahotique et aventureux du nommé Martin Koumtamadji, alias général Abdoulaye Miskine, alias Mustapha, portent en eux le germe de cette conception peu démocratique et peu républicaine de la vie publique.

 

Au moment où le nouveau président désigné, Michel Djotodia, chef de l'alliance Séléka, prétend formé un nouveau gouvernement plus représentatif des forces politiques de la Nation, moins de 100 jours seulement après la prise du pouvoir par les forces rebelles de la Séléka, il lui revient de former un exécutif ayant une vision plus policée de la République et de la vie démocratique, composé d’hommes et de femmes intègres, cultivés, expérimentés ; au lieu de vouloir récompenser à coups de portefeuilles ministériels des sarrasins obtus et illétrés, au seul prétexte qu'ils l'auraient aidé à prendre le pouvoir. Il est temps de séparer le bon grain de l'ivraie. En effet, il est à craindre qu’après cent jours, la mauvaise herbe n’étouffe les bonnes semences.

 

Paris, le 5 juin 2013.

P.I