Centrafrique : le seul pays d’Afrique où la Cour Constitutionnelle sacralise la prédation de la République, légitime et légalise l’assassinat des institutions démocratiques.

 

« Nous cessons de vivre, le jour où nous taisons, ce que nous savons déterminant pour l’avenir des autres » Rév Martin-Luther King ( adaptation Gervais Douba)

 

Depuis le 24 Avril 2010, la Cour Constitutionnelle de Centrafrique et le Président du Conseil supérieur de la Magistrature offrent  en pâture- avec désinvolture et snobisme, les quelques valeurs fondamentales – pour ce qui en reste- du vivre ensemble dans une société. Le cirque qui se jouent a les mêmes ingrédients, que celui du Niger, à la différence que les juges de Niamey ont fait le choix héroïque d’initier et d’impulser - à travers leur décision- un modèle républicain et démocratique, plutôt favorable aux générations futures et rompant avec les interprétations complaisantes des textes ; lesquelles confinent à des pratiques fayottes ; marque de fabrique qui a fait la réputation des 14 pays d’Afrique Francophone .

Quel est l’état des lieux  et le contexte ?  La fin de la législature et du mandat du Président de la République devraient expirer le 11 juin 2010. Des élections générales étaient réputées se dérouler. Le chef de l’Etat  actuel  est candidat à sa propre succession. Dans la foulée, il a restructuré  son parti politique . Ce dernier a signé un premier décret convoquant le corps électoral en dépit de la situation d’insécurité dont sont victimes les « déplacés » . Devant le tollé suscité par l’impréparation technique de cette consultation démocratique, il annulé le dit décret et a reporté les élections à une autre date contre le bon sens le plus élémentaire. En réalité, c’était un ballon d’essai pour jauger de l’état de vigilance de l’opposition et de la communauté internationale. Est-il besoin de rappeler que depuis l’accession du Général-Président au pouvoir, il y a eu deux temps forts de simulacre et de parodie de démocratie ; le dialogue nationale et le dialogue politique dit inclusif. Le modèle républicain et démocratique affiché dans cet ancien territoire de l’Oubangui-Chari demeure un modèle vide d’orthodoxie et d’orthopraxie. Dit autrement la Centrafrique demeure le pays qui n’a jamais reposé sur aucun pacte républicain. Elle est rangée dans le groupe des pays pauvres très endettés et très délabrés. Les communautés humaines et territoriales sont prostrées sous la menace  des entités chaotiques ingouvernables politico-militaires tandis que l’Etat lui-même n’est fondé que sur le déni des droits civiques dont la sécurité des transactions et sur la pratique tous azimut de la politique de l’autruche depuis 2002. En l’absence d’un secteur marchand diversifié, couvrant l’ensemble du territoire et susceptible de ruisseler en termes d’emplois, on ne trouve que des emplois publics  et parapublics ; ce qui a pour corollaire de renforcer le pouvoir des institutions politiques, qui plus est, la Centrafrique  est ravagé depuis les années 2000  par une guerre civile . Sa vulnérabilité s’est amplifiée par l’insécurité persistante. Le nord du pays, aux confins du Tchad et du Soudan, est affecté par le conflit du Darfour ainsi qu’une rébellion locale ; la conjonction des deux engendre des exactions provoquant des déplacements des populations affamées, désorientées, prostrées et résignées parce que démunies . Cerise sur le gâteau de ce sombre tableau, l’indice du développement humain des Nations unies publiées en 2009, place ce pays au 179è sur 189. C’est le 10è pays du monde le plus infecté par le VIH. Selon le dernier rapport Onusida, seules 36 % des personnes souffrant de la maladie à un état avancé bénéficient des médicaments antirétroviraux. Ce taux ne dépassent pas 4% pour les enfants. Cette situation est corroborée par la diminution de l’espérance de vie. On est passé de 43 ans en 2004-2005 en dessous de la barre symbolique de 40 ans ([1] )

Ce rappel de contexte  permet de se faire une idée des enjeux de la démarche aristocratique et réactionnaire mais sous couvert de phraséologie juridique de la Cour constitutionnelle . Le chef d’Etat, sentant l’imminence de la fin légale de son mandat, saisit la Cour constitutionnelle pour un avis consultatif sur le risque de vide juridique, d’absence de légitimité et de légalité sur le plan internationale.

C’est un véritable ultimatum déguisé qui est une lecture inversée d’une fable de la Fontaine ; le Travailleur et ses enfants » . On dirait que celui-ci sentant la fin prochaine  de son mandat, et ne pouvant faire un coup d’Etat contre lui-même, fît venir ses enfants de la Cour constitutionnelle et leur demanda ; sans témoin, de lui concocter un avis sur mesure pour lui permettre de continuer l’aventure. Cette concertation /conciliabule se traduit juridiquement sous forme de saisine. Véritable ultimatum déguisée ; disions nous du genre ; « Eh, les gars et les filles,dans notre intérêt à tous, concoctez moi quelque chose de solide, un bunker à la fois anti atomique et anti missile et non un abri-bus  juridique » . L’avis consultatif des hommes en toge de Bangui a révélé des failles dans son architecture générale à partir d’une qualification juridique, qui a eu deux effets ; primo ; exonérer complètement le chef de l’Etat de toutes ses manœuvres dilatoires ayant abouti à l’impossibilité d’organiser cette consultation en temps et en heures et deuzio, se substituer au suffrage universel en s’arrogeant le droit de proroger la législature ; mandat du Président de la République et de l’Assemblée nationale jusqu’à un délai indéterminé, tant que les élections générales ne peuvent être organisées. Fort du gage des hauts magistrats, un projet de loi portant révision constitutionnelle a été votée dans la précipitation et promulguée à la hâte. Voilà pour le rappel de l’état des lieux.

Comme dans de nombreuses situations, l’alliance entre le politique et le droit est comparable à l’alliance du lapin et de la carpe et rappelle la fable du Chat, de la belette et de la souris. Cette qualification fait de la Cour constitutionnelle ; l’institution auxiliaire de l’exécutif et confère à l’avis ;  constitutif de trame à la décision de révision constitutionnelle, un caractère à la fois vertiginogène et traumatisantes par rapport à l’héroïque jurisprudence de la Cour constitutionnelle de Niamey. ?

Pour ce qui du caractère  vertiginogène de l’avis . Quoi que l’on dise, la cour a jeté une population ; déjà en déroute par l’éclatement des liens familiaux, entre le vide et le creux . L’avis est par nature anxiogène car, engendre une série d’interrogations et inspire de la subversion face à la mission de gardienne de la loi fondamentale de la République et des lois organiques régulatrices de la démocratie. Réputée ; en termes de représentation que l’on en a, être le gardien du phare, l’institution qui devrait rappeler d’autres institutions , l’importance du respect des balises du rempart de protection des valeurs républicaines et de la titubante démocratie, cette cour a choisi d’éteindre purement et simplement ces balises à la faveur du Président du Conseil Supérieur de la Magistrature. Cette extinction va désarticuler le peu de lien visible qui subsiste entre les institutions ; autrement dit, contribuer à aggraver et amplifier la gangrène qui sclérosait et paralysait déjà les articulations. On dirait qu’un vent de panique s’est abattu sur les institutions 

Quant à l’aspect traumatisant de la qualification, il tient à l’éthique du devoir et de la mission traditionnelle de l’institution à travers le monde civilisé et particulièrement les démocraties titubantes des pays d’Afrique au sud du Sahara. La qualification consacre la résurgence des mœurs et pratiques en vogue du temps du règne des partis uniques ; partis-Etats fondés sur l’adage « Qui n’est avec moi est contre moi » D’aucuns  démocrates Africains en général et Centrafricains en particulier attendaient de ces hommes en toge, en cette période d’affolement des institutions, une décision ; bâtisseuse de schéma directeur de principe républicain et démocratique . Celle-ci a le mérite d’incarner l’anomie même, de rendre aphone les chantres de la démocratie créatrice et est purement et simplement horripilante ; tant sur le plan juridique, qu’anthropologique que sociologique ; a fortiori politique.

Deux éminents praticiens Centrafricains du droit ; Me Zarambo et Me Pouzer ; en habiles plombiers ont très vite diagnostiqué les insuffisances architecturales du mystérieux bunker, c’est-à-dire de la technique juridique de cette contestable qualification juridique. La construction particulière de Me Zarambo, au sujet de cette décision force notre respect et admiration. Mais, comme nous le soulignions dans une précédente tribune intitulée « Rangoun ; source et norme pour Bangui »([2]) le cirque qui se joue à Bangui appelle l’exploration de toutes les dimensions conduisant à la découverte des clés de lecture de cette décision pour la compréhension du plus grand nombre. ; interrogation de l’état d’esprit générateur de ce modèle républicain atypique, l’absence de tropisme d’envergure pour arrimer ou pas  le wagon de cette nation au train de changement. 

La présente contribution n’a nullement la prétention de dire mieux que ces artistes de la procédure en droit constitutionnel . Au contraire elle entend partir de leur démonstration de la violation technique du droit  constitutionnel par la Cour Constitutionnelle, pour amener en débat- et sans polémique stérile, d’autres prismes de compréhension du mal qui sclérose et paralyse l’éclosion de la citoyenneté et les facteurs handicapant  l’accès aux droits civiques fondamentaux de l’ensemble des communautés ; composant la nation Centrafricaine. La qualification juridique de la Cour constitutionnelle consistant à assimiler l’impossibilité d’organiser les élections générales à une force majeur ; aussi éloquente et prestigieuse soit-elle, est erronée dans le fond et triviale dans sa formulation  par rapport aux caractéristiques de la force majeure dans tout système juridique et renferme les symptômes et creuset ; trop longtemps occultés par les institutions, d’une approche singulière de modèle républicain et démocratique.

Cette décision a catalysé la quête des racines profondes ; mœurs et culture politique ayant inspiré cette décision dont la phraséologie juridique n’en est qu’un pâle reflet et ne saurait  faire de la Cour, la seule responsable..

Par delà la pitoyable gaffe intellectuelle pour violation de racine d’épistémologie juridique, il n’est pas inutile de rappeler, qu ’en matière de dérapage la Cour Constitutionnelle de Bangui n’est pas à son premier coup d’essai. Elle avait naguère fait parler d’elle lors de la mise en place des structures de contrôle de validité des élections. A cette époque, avant que le Président du Conseil de la Magistrature aille sortir un vrai-faux pasteur des fins fonds de la région parisienne ; assoiffé de pouvoir, plus cupide que personne, entièrement inféodé à Bozizé, pour en faire le Président de la tristement célèbre Commission Electorale Indépendante, la Cour constitutionnelle a adressé au pouvoir sa commande.. Considérant que les élections générales allaient être une opportunité juteuse, elle a adressé, en bonne et du forme, sa commande en 4X4 climatisés et autres quincailleries comme préalables à sa participation aux opérations de vote . La Cour de Bangui est coutumière du culte de la raison du plus fort est toujours la meilleur au lieu d’ensemencer et d’entretenir la culture de l’honorabilité et de l’indépendance par rapport au Pouvoir exécutif dont les autres Cour constitutionnelle de certains pays d’Afrique au Sud du Sahara font preuve.

La présente tribune ne se voulant ni un réquisitoire ni un plaidoyer ; encore moins un pamphlet, revenons  à notre exploration des racines lointaines de la décision de la Cour.

1) La culture d’incrustation ad vitam aeternam des dirigeants aux mœurs de prédations à la tête des institutions  est-elle un élément d’explication de la décision ? La fossilisation des mœurs et pratiques politiques en Centrafrique a pour marque de fabrique et logique de ne nullement  chercher à lutter contre la pauvreté mais à asservir le pauvre en spéculant sur son ignorance, l’absence de son esprit d’organisation .Cette approche des politiques publiques fondées sur le déni des droits des droits civiques des pauvres et l’autisme généralisé de l’Etat face à la souffrance des pauvres est-elle un des facteurs ayant conduit, les hommes en toge de Bangui à prendre une telle décision ?

2) En filigrane de cette décision se cache-t-il un modèle républicain et démocratique singulier à la Centrafrique ; c’est-à-dire un modèle où se reconnaissent les communautés humaines et collectivités territoriales constituant la communauté nationale  ou il s’agit de pérenniser le modèle d’Etat ;  fruit des oligarchie et aristocratie d’élites désinvoltes n’ayant aucun scrupule à hypothéquer et préempter le présent et l’avenir de toute une nation ?

3) Enfin, la Cour se serait-elle laissée tenter par une approche ethnocentrique de la notion de force majeur. Pourquoi fait-elle appel à ce concept ? Veut-elle dire par là que les 5 ans  que le suffrage universel a donné à Bozizé est un contrat et que, si ce contrat n’a pu être exécuté convenablement, ce n’est pas du fait de Bozizé mais d’une force majeur l’en ayant empêché. Au regard de sa bonne foi, le juge arbitre reconduit Bozizé, ex-cathédra, dans ses prérogatives .

Si les juges veulent nous faire savoir qu’il n’y a dans leur décision aucune arrière pensée politique et que l’approche contractuelle est pertinente pour fonder leur décision, pourquoi ne se sont-ils pas affranchis de l’approche ethnocentrique  en faisant affleurer les caractères  imprévisible, irrésistible et  insurmontable !

A l’aune de ces considérations, l’anatomie ou la dissection de la décision de la Cour  révèle le caractère fantôme de l’état d’une part  et  les racines profondes de la crise du modèle républicain et démocratique à la sauce Centrafricaine. ,

 

I) Une décision révélatrice de la nature d’Etat fantôme de la République Centrafricaine 

Une rationalité atypique sur fond de contorsionnisme juridique  a été mise en œuvre par les magistrats de la Cour Constitutionnelle dans la construction de leur décision . Le caractère atypique de la rationalité réside dans la non prise en compte de la conjonction de l’effet rétroviseur et du principe de la décision d’opportunité.

Les juges n’ignorent nullement qu’-à partir de faisceaux d’indices suffisants et concordants,  que même les l’idiot du village et le nain de jardin le savent, leur décision allaient avoir pour effet ,à court et moyen termes ,de transformer le bail du Palais de la Renaissance , soit en bail emphytéotique ( restauration du régime de président à vie ),  soit  purement et simplement la transformation de ce bail en titre de propriété ; c’est-à-dire à la mise en gestation d’une dynastie ( restauration de la monarchie ) . Un des indices  qui crève ostensiblement les yeux se perçoit dans  la requalification unilatérale des résolutions de deux grands rendez-vous démocratiques ; résolutions du dialogue nationale et celles du théâtrale dialogue politique inclusif. Le régime a non seulement requalifié les résolutions arrêtées par consensus démocratiques mais  a unilatéralement et substantiellement  modifié leur contenu  par l’allocation des ressources, le choix de l’agenda de mise en œuvre et la cooptation des hommes ayant reçu mandat et autorité pour les mettre en œuvre.  Lorsque les institutions démocratiques donnent des orientations stratégiques, Bozizé s’en échappe par la porte de la tactique et de l’opérationnel et les rend irréalisables et non opérationnelles. Ce à quoi on assiste en Centrafrique, c’est l’émergence d’un régime assimilable à celui de Néron dans l’histoire de la Rome antique. Connaissant la nature du régime, étant parfaitement au courant que le régime se prévaut de façon récurrente de ses turpitudes depuis la fin du Dialogue national et les résolutions du DPI, les juges ont fait œuvre de complaisance et mansuétude à son égard ; laquelle mansuétude confine à une connivence avec le régime, au détriment des valeurs républicaines. La Cour Constitutionnelle ; loin de s’émanciper du pouvoir, a fait le lit aux désordres et à toute forme de climat insurrectionnel à venir. En légitimant et en légalisant la l’arrogance avec laquelle le régime du Général-Président réduit la direction du pays, à panser épisodiquement les blessures infligées par son régime aux laisser pour compte, au lieu de penser la nation, dans sa cohésion et son accès aux droits civiques fondamentaux, les juges ont joué à quitte ou double avec les valeurs de la République et ont, ainsi mis à nue, le caractère fantôme de l’Etat et de ses institutions de façade . Pour peu que cette cour le veuille, il lui suffisait de s’interroger sur la place qui est faite pour les citoyens et la promotion de leurs droits civiques dans la construction d’une nation  face aux enjeux des Objectifs du Millénaire pour le Développement et de l’incontournable mondialisation, pour rendre un avis circonstancié à la demande du fieffé spécialiste de l’instrumentalisation des institutions.

 

a) Le regain d’intérêt du couple Etat-religion dans la conduite et la gestion des affaires publiques..

 

Le phénomène singulier mais désormais ostentatoire depuis les régimes du défunt Kolingba, Patassé et maintenant Bozizé, est la montée du couple Etat-religion. Les institutions de la République sont infestées de « Raspoutine »

Cette approche illuministe des institutions vise d’une part à anesthésier l’éveil des initiatives citoyennes et à anémier toutes les velléités d’approfondissement de débats en prenant le visage de dirigeant infaillible dans les décisions puis à donner du pouvoir et de l’autorité une lecture apostolique voire sacerdotale ; donc messianique .Dès lors que l’on s’est installé dans cette posture, le peuple n’est plus la source de légitimité du pouvoir et la légalité républicaine ; sources d’inspiration des principes et des normes. Le pouvoir est de droit divin. Le débat démocratique se transforme en confrontation .On y voit que du schisme et/ou de l’hérésie ; d’où l’allégorie de la menace de la Somalisation de la situation en Centrafrique après le 11 juin 2010  par Bozizé lui-même. Par le prisme de l’Etat-religion, on  introduit les ingrédients de guerre de religion dans le modèle républicain . Les auteurs de schisme et d’hérésie passent par le fil de l’épée ; qui plus est ,on leur  impute  à la victime le tort de son crime  parce qu’elle  a osé  transgressé ou se montrer subversive . Le discours politique devient une prédication et les auteurs prennent la posture de prophète et de dépositaire  privé d’une « révélation divine ».

A l’opinion publique internationale non habituée aux acrobaties insolites des entités politiques Centrafricaines, la mise en œuvre de l’approche « Couple-Etat-religion » est corroborée par la désignation à la tête des institutions ; fabriques des valeurs républicaines et démocratiques des hommes d’église.. La médiature est entre les mains d’un prélat tandis que la Commission électorale indépendante est entre celles d’un imposteur ; un homme qui s’était improvisé pasteur et dont on ne sait de quel institut biblique, de quelle faculté de théologie il est diplômé. Si la probité et la fiabilité théologiques du prélat ne font l’objet d’aucun doute, le second incarne les marchands du temple. Nous ne préconisons pas qu’il faut chasser les hommes religieux de la direction des institutions républicaines. Nous dénonçons l’instrumentalisation de l’évangile par le pouvoir pour paraître intègre ; à des fins cosmétiques. Si le couple Etat –religion  sert de cosmétique pour afficher intégrité, désintéressement et dévotion dans la conduite des affaires, cette tartuferie fonctionne de connivence avec une oligarchie et une aristocratie

 

b) La connivence croisée entre oligarchies et aristocraties :

 

Le Président du Conseil Supérieur de la Magistrature a construit depuis le coup d’Etat du 15 mars 2003, une oligarchie civile et militaire  croisée avec une aristocratie qui va au-delà de la magistrature . Ces deux corps étant ostensiblement  chargés de snober   les intérêts fondamentaux de la République et de la démocratie .; même  si l’on a conscience que l’on foule  aux pieds l’impact de leurs décisions sur les valeurs républicaines  et les fondements de la démocratie [ Excusez nous la trivialité avec laquelle nous tenons ce propos]. La moindre difficulté en Centrafrique est imputée à l’absence ou à l’insuffisance de moyens plutôt qu’aux excès dans l’allégeance et l’obséquiosité. Sans être péremptoire ; voire présomptueux, nous n’excluons pas l’influence du poids de l’approche de l’impunité confinant à l’infaillibilité du chef dans la décision de la Cour constitutionnelle. Les éléments d’inspiration de la décision des juges viendraient indubitablement de ce fond culturel . Tout en admettant la difficulté de l’exercice, les hommes en toge de Bangui, en donnant une autre lecture de la notions de forces majeurs de façon complaisante à leur client, ont rompu les ancrages épistémologiques des concepts et des notions et ouvert la boîte de Pandore, d’abord à l’utilisation que le pouvoir en fera  pour mâter, bâillonner et réduire grossièrement les libertés publiques et privées.

 

II) Les racines de la crise ; fonctionnement anormal des fondamentaux du modèle républicain de l’Etat

 

                La Cour est supposée être le gardien du Temple de la normalité républicaine. . Voltaire faisait remarquer que la République est le temple de la démocratie et l’instituteur en est le curé. Fort de cette réflexion, le devoir et l’éthique du métier du magistrat n’est pas d’apprécier avec complaisance et obséquiosité les éléments d’opportunité que revendique le politique pour se comporter vis-à-vis du fonctionnement et de la respiration de la vie démocratique. On s’attend à ce que les juges de la Cour constitutionnelle élucident les éléments fondamentaux du modèle républicain et démocratique dans leurs dimensions économiques, sociales et politiques, surtout quand ce modèle est menacé par la soif de pouvoir autocratique, patrimoniale et à caractère clientéliste. 

Dans le cas qui nous occupe, les juges, au lieu d’élucider les éléments constitutifs de  bifurcation et de dévoiement dont le modèle républicain et démocratique est menacé, ils se sont bornés à une approche ethnocentrique et sans ancrage épistémologique. On s’attendrait légitimement à ce que  ces juges ; à l’image de leurs confrères d’autres pays d’Afrique au Sud du Sahara contribuent à  donner des repères à un modèle républicain et de démocratie sans repères. Par leur décision, ils sont entrain d’en faire  un des  plus grand repaire des oligarchies et des aristocraties . De tradition, ce qui fait la particularité de la jurisprudence d’une juridiction de cette hauteur, c’est une approche qui ; non seulement ferait référence et transcenderait  les divergences des intérêts  sociopolitiques ponctuels mais s’honorerait à rappeler  ce qui fait le socle commun du modèle républicain et démocratique. En se comportant comme elle l’a fait, la Cour constitutionnelle ; c’est-à-dire en  se référant aux caractéristiques de la force majeur, elle a manqué d’habillage et d’ancrage épistémologique à sa qualification  et à rendu une décision fondée sur une interprétation ethnocentrique, contribuant ainsi à confirmer un modèle républicain, répugnant l’accès des citoyens centrafricains aux droits civiques fondamentaux .’

L’invocation de la force majeur en droit des obligations, en Centrafrique comme ailleurs, quel que soit le système juridique et l’ordre social de part le monde, est une cause d’exonération totale ou partielle ; en cas de faute ayant entraîné ou occasionné un préjudice dans  l’exécution d’un contrat. . En l’espèce, si l’on retient la notion de faute, l’organisation des élections dans les délais s’apparente-t-elle à un contrat ? Ce qui revient à dire que ce sont les partis politiques concourant à l’expression de la démocratie et les membres de la société civile ; partie-prenante à cette consultation qui ont rendu impossible cette organisation et c’est à eux qu’incombe l’échec et non  à la CEI ni au Président de la République ; chef de l’exécutif.

Un tel rapprochement  suit le Président dans sa façon de désigner les auteurs de la faute, du manquement  . Le recours à la notion de l’auteur de la faute ne risque-t-il pas d’assimiler la décision de la Cour à la préconisation hésitante d’un consultant junior ou du stagiaire d’un cabinet de consultant et invite à se demander si les racines de cet état d’esprit qui continue d’irriguer la culture et les mœurs politiques en Centrafrique ne sont-elles  pas ancrées , d’une part dans  cette ethnocentrique en rupture avec l’épistémologie et les tensions  à l’origine de la guerre asymétrique, et le fonctionnement dissymétrique des institutions , d’autre part.

 

a) La thèse du reflet de l’état d’esprit de la société d’une décision judiciaire.

 

A la lecture de l’avis consultatif, on est mis devant le questionnement suivant : L’avis de la Cour est-il le reflet de la société centrafricaine  dans ses rapports avec les institutions pour un pays dont le coup d’Etat est plus fréquent moyen d’accéder à la magistrature suprême ? Entendons par « reflet de la société » la résultantes des ressorts psychologiques et sociologiques qui se sont fossilisés et qui fondent l’état d’esprit des communautés humaines et territoriales dans leur représentations du pouvoir et de l’autorité ; bref toutes les composantes de la culture politique.  La crise d’aujourd’hui comme celle d’alors, plongent leurs racines dans un état d’esprit d’approximation et d’expédition. Des instances déterminantes pour mettre sur pieds des mécanismes de régulation pérenne d’un modèle républicain et de démocratie tels le dialogue national, le dialogue politique inclusif, la Commission électorale indépendante, pour ne citer que ceux là sont expédiés . les débats se transforment en diatribes  entre scribes et tribuns. . Le modèle de démocratie en Centrafrique est un modèle de démocratie portée davantage vers la résignation que vers la quête d’émancipation et de création des structures porteuses de solutions durables quant à la lutte contre la pauvreté et la misère. Y-a-t-il dans les partis politiques directions chargées des questions d’éducation et de formation au développement, des questions relatives à l’amélioration du système éducatif et de formation, de promotion des régions et des collectivités territoriales. Malgré la situation géopolitique et d’enclavement géographique, le seul lien avec l’extérieur qui préoccupe les formations politiques est la revendication d’es alliances avec les partis politiques européens ou l’appartenance à des loges de toutes les obédiences possibles et imaginables ; forces occultes et religions sectaires.

La culture et les mœurs politiques en Centrafrique est  faite de sophisme et de falsification de l’histoire. Les régimes successifs se complaisent dans les lieux communs et les poncifs en s’autoproclamant tel ou tel.. Plus regrettable est l’absence de culture d’indignation collective  des crimes politiques et le niveau élevé de l’amnésie collective devant l’histoire des institutions. L’euphorie débordante accueillant les «  libérateurs » du 15 mars 2003 et la naïveté avec laquelle la classe politique a vu en Bozizé ; l’homme de la situation est à coupler le souffle.  Ce pays attend  que ce soit de l’extérieur que vient son salut au point que l’amateurisme des proches collaborateurs des hommes politique n’est pas perçu comme un frein ; pourvu que ces collaborateurs soient  des obséquieux, fassent allégeance  et prononcent des discours dithyrambiques. Ceux qui sont des brillantes étoiles en Centrafrique ne sont que des crépuscules ailleurs. Chaque fois que ces ternes étoiles sont recrutés, leur premier geste d’adresse est de mettre plus bas que  terre, l’accès aux droits civiques les plus élémentaires des Centrafricains. Les Centrafricains travaillent sans être payés pendant des mois  mais continuent de travailler  alors que les autres excellent en sinécure. Ce royaume de sinécure et prévarication pour certains et de pénurie, délestage ; voire parcimonie pour les plus grand nombre ne fait montre d’aucun contentieux avec l’absence du pacte républicain et du manque du statut de la diversité. Ce rappel nous sert de seule ligne de défense que nous avons trouvée pour justifier les fondements de  l’avis de la Cour Constitutionnel 

Contrairement à nous, une frange de l’opinion Centrafricaine a inventé de toute pièce un fondement à l’avis de la Cour pour la dédouaner ; elle qui a déjà exonéré le Président du Conseil Supérieur de la Magistrature . Cette frange ne fait qu’illustrer la thèse du reflet mais en procédant  par comparaison par rapport à ce qui s’est passé où se passe d’autres pays d’Afrique. Même si comparaison n’est pas raison, puisque s’alimente de métaphore et d’allégorie plutôt que de construction, on est en droit de s’interroger sur le fondement de l’avis consultatif de la Cour Constitutionnelle ; lequel a engendré une révision constitutionnelle expéditive ; entraînant une promulgation à la hâte. Certains soutiennent à l’appui de ce spectacle lamentable que le Centrafrique n’est pas la Côte d’Ivoire et Bozizé n’est pas Laurent Gbagbo. Mais le Président lui-même use de métaphores et d’allégories menaçantes en parlant de risque de « Somalisation » de la Centrafrique, de « dépeçage » de tous ceux qui ne courbent pas l’échine. En réalité, contrairement à la situation Ivoirienne où le Président  a admis l’évidence d’une forme de cohabitation exigée par les accords signés aussi bien en France que sous la médiation du Président du Burkina Faso, Bozizé ne veut pas entendre raison. Les accords du DPI ne sont que de la gesticulation et la notion de consensus n’est que le reflet d’une gesticulation d’élites frustrés et en mal de vedettariat. Bozizé ne veut pas qu’au lendemain du 11 juin 2010, il soit obligé par la démocratie à nommer un Premier ministre de l’opposition  et qu’il soit obligé de compter avec un gouvernement d’union nationale. Il a accédé à ce pouvoir par voie de coup d’Etat ; c’est aux mécanismes timorés de la démocratie qu’il a sortis de la torpeur en euthanasiant le régime Patassé de se soumettre à lui et non à lui de se soumettre à ces mécanismes. Le modèle républicain et démocratique de Bozizé est ainsi configuré.

Les arguments fondés sur la comparaison sont très approximatif par rapport à la courageuse décision de la Cour Constitutionnelle de Niamey et aux mouvements de citoyens au Burkina Faso et le Tchad ; tous initiant le recensement général des citoyens et préparant les listes électorales crédibles et fiables.

La comparaison ne saurait excuser l’avis de la Cour lorsque l’on se rend compte de l’utilisation qui est faite de l’avis par l’Assemblée nationale et le Président de la République. La cour aurait pu s’aménager une porte de sortie en intégrant la notion de « tenir compte des contingences  susceptibles d’affecter l’organisation» etc . Or, elle réinstalle carrément à travers la notion de ; « délai indéterminé » le pouvoir en place et lui laisse toute latitude pour organiser  à sa convenance et aussi longtemps que bon lui semblera, les élections générales. L’avis de conformité se substitue en suffrage universel et exonère Bozizé ; même de sa mauvaise foi..

Le fondement de l’avis de la Cour est réfutable tant du point de vue de la notion de faute. A la limite, elle peut tenir debout par rapport à celle d’état d’esprit. Or, l’opposition a consenti à accepter un report des élections tout en acceptant la légitimité des institutions en place et en dépit des gesticulations  des gesticulations du Président et de la CEI ; véritable courroie de transmission de la volonté Présidentielle ; tout en étant une fusible.. Comment oser démontrer que le report des élections générales présentait les caractères imprévisible, irrésistible et insurmontable. La Cour a le droit de donner des gages au Président du Conseil Supérieur de la Magistrature mais la définition qu’elle donne des caractéristiques de la force majeur est largement sujet à caution.

 

b) Guerres asymétriques et fonctionnement dissymétrique des institutions ; composante de l’état d’esprit.

               

Nos lecteurs ont pu remarquer que cette tribune n’a pas retenu pour trame une quelconque conjecture.. Mais du coup d’Etat du 15 Mars 2003 au référendum constitutionnel et des élections générales de 2005 au saucissonnage d’aujourd’hui, le modèle républicain de l’Etat et de la démocratie en Centrafrique est confus, touffus et diffus . Une  sorte de convention ; voire de connivence lient les oligarchies et les  aristocraties pour faire main basse  sur les droits civiques et hypothéquer  les accès à l’autonomie et à l’émancipation des citoyens . Cette logique a pour corollaire l’absence d’une classe moyenne ; vecteur  possible de propagation  des éléments de bien-être. Celle qui existe est  invisible et relève du secteur public. Or, elle est rarement payée. C’est elle que l’on corrompt facilement tellement elle croule sous des dettes des usuriers . La construction de la citoyenneté n’est pas à l’ordre du jour. C’est peut-être un luxe et les responsables politiques ne jugent pas urgent , de surcroît nécessaire et utile de rechercher les leviers pour la promouvoir.. Depuis 50 ans, les dépenses prébendières des chefs d’Etat et de leurs proches sont sacrées malgré un budget exsangue. Les membres de  différentes oligarchies civiles et militaires, les aristocraties locales arrivent au pouvoir  sans propriété immobilière ni compte fournis en Banque mais  s’enrichissent en un temps record  et laissent pour compte l’élaboration d’un projet de société voire l’exploration de leviers de transformation de la société.  L’aristocratie judiciaire n’a pas bonne presse en ce moment.. 

La valse de la forme d’Etat en Centrafrique ; de la république au premier empire puis retour à la république, avec des coups d’Etat en moyenne tous les 7 ans, est la conséquence de l’état d’esprit des élites civiles et militaires.  Ce sont les élites qui organisent années après années la relégation minutieuse de ce pays à la périphérie des nations de l’Afrique en générale et de la sous-région en particulier.

 

Conclusion :

 

Quel est le modèle républicain et démocratique en Centrafrique depuis les indépendances ? Celui actuel repose non seulement sur de la gesticulation , de la fourberie et de l’ assassinat politique des protagonistes mais se signale aussi théocratique, sous l’impulsion d’un pouvoir autocratique, patrimonial et à caractère clientéliste .

Vers quelle  société va ce pays ? Société de marché ? Société de passagers clandestins ? Société d’astuce et d’approximation ; c’est-à-dire de « crétoiserie » ?  Il manque à l’ADN du modèle républicain et démocratique Centrafricain actuel, le gène de construction de la citoyenneté, d’identification des leviers et des vecteurs de promotion des moyens de lutte contre la pauvreté et d’accès aux droits civiques.. La  sortie de la crise actuelle requiert la mise au point d’un pacte républicain qui esquisserait le modèle républicain et démocratique pour le premier centenaire des indépendances. Nous entendons par modèle républicain et démocratique, la mise en place de nouvelles régulations politiques inspirées par l’état des lieux socio-économiques des communautés humaines et des collectivités territoriales  qui constituent la trame de cette nation. Nous en appelons à une refondation des paradigmes et à un redoublement de vigilance dans le repérage des tropismes moteurs de cette métamorphose.

 

Gervais Douba

Université de Rouen

Membres des réseaux entrepreneuriat AUF et OPPE

Vice Président de la section française de DEI

Président-Fondateur de Symbiose Ingénierie Internationale



[1] ) Philippe Bernard «  Le Monde 15 mai 2010 »

[2] Journal « L’indépendant » et le site «  Sangonet » pour la façade Centrafricaine