Et l'on cria haro sur … le Mali !

 

« Je sais par expérience historique et vécue qu'un peuple qui en colonise un autre tend à le mépriser.». (1)

 

1 – La poursuite du fait impérial.

A la une du journal Le Monde du 2 juin 2021, l’image se veut à la fois, rigolote et informative. On y voit le chef de l’Etat de la transition au Mali, le colonel Assimi Goïta, assis en mode Alcooliques Anonymes, prendre la parole devant un aéropage où l’on reconnaît Franco, Hitler, et Kadhafi entre autres,  articuler péniblement : « Mon dernier putsch remonte à août... Ça me démange … ». Cette caricature rappelle la précédente de l’hebdomadaire satirique Le Canard Enchaîné, en février 1968, représentant le général Jean Bedel Bokassa fouillant des poubelles à la recherche de médailles militaires qui viendraient orner le plastron de poitrine de son uniforme ! Ces images dégradantes et humiliantes n’ont qu’un seul but, traduire le racisme de « l’esprit impérial » : vanité, arrogance, mépris.

 

2 – Le « triomphe » de l’esprit servile !

A la suite du coup d’Etat du colonel Goïta, le Mali devient le petit canard boiteux de la CEDEAO, la communauté économique des États de l’Afrique de l’ouest. Les présidents de ces pays menacent les militaires maliens de sanctions économiques s’ils ne remettent pas le pouvoir à un gouvernement civil ? Depuis l’Afrique du sud où il se trouve en visite officielle, le président français, Emmanuel Macron, se félicite d’avoir fait passer ce message de fermeté, et suspend toute coopération militaire avec l’armée malienne. L’Union africaine, dont le président en exercice est le chef de l’Etat congolais Félix Tshisekedi, abonde dans le même sens et suspend le Mali de ses instances. On cria haro sur le Mali (2) !

Pourtant, le même président congolais, invité à Paris à l’issue des obsèques du président Idriss Déby, avait avalisé le coup de force militaire au Tchad où le général Mahamat Déby a succédé à son père. Il s’était contenté d’un bref : « C’est aussi mon entendement », après que le président Macron eût délivré un satisfecit aux militaires tchadiens lors d’une conférence de presse. Deux poids, deux mesures. L’Union africaine ne peut mieux exprimer son esprit servile !

 

3 – On nous vend du vent ou l’avènement des marchands de haine.

Deux semaines après ces prises de positions, la France fait volte-face et le président Macron décide la fin de l’Opération Barkhane au Sahel. Il reconnaît donc l’échec de cet engagement extérieur et donne ainsi raison aux populations des pays concernés (3).

Voici venue l’heure des marchands de haine. Ils ont pignon sur rue, détiennent des titres dans la presse écrite, possèdent des parts de marché dans les médias télévisés, contrôlent des instituts de sondages et régentent des agences publicitaires et de communication. Ils concentrent entre leurs mains ce que Yona Friedman appelle « la mafia des médias » ou les médias mafieux (4). Ces derniers n’informent plus les citoyens mais ont pour seul objectif de fabriquer des opinions, à coups de débats artificiels et stériles. Ils font penser au « monde inverti » de Christopher Priest, où les éléments subjectifs prennent le pas sur les éléments objectifs. En France, le concept de médias mafieux renvoie à l’existence de deux groupes industriels et financiers qui contrôlent l’essentiel du paysage audiovisuel français. Derrière ces mastodontes, se cachent deux richissimes familles : Bolloré et Bouygues ! Ces dernières conditionnent les engagements extérieurs de la France en fonction de leurs intérêts, et font croire désormais que le ressentiment anti-français qui parcourt les pays africains est téléguidé par la Russie et la Turquie (5).

 

4 – L’exemple spécifique centrafricain.

Ayant pris pied en Oubangui-Chari en 1895 et passées les affres de la colonisation, la France est engagée en République centrafricaine depuis l’indépendance du 13 août 1960, marquée déjà par une épreuve de force politique : l’accès de David Dacko à la présidence de la République, au détriment d’Abel Goumba, alors chef du gouvernement. Le dernier épisode de l’intervention de la France en RCA remonte à l’engagement opérationnel de l’armée française en décembre 2013, à la demande du chef de l’Etat de la transition, Mme Catherine Samba-Panza, afin de mettre un terme à une situation « pré génocidaire », aux dire du ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius. La mission vise à stopper l’avancée des troupes rebelles en attendant l’arrivée des Casques bleus de l’ONU, sécuriser les populations civiles en particulier musulmanes, conduire à des élections libres, transparentes et crédibles.

Cependant, dès février 2016, la France retire ses troupes sans préavis. On apprendra plus tard que les militaires français étaient convaincus de violences sexuelles et de viols sur mineurs (6). La France a donc préféré sauver « le cul » de ses soldats, au mépris du droit, de la morale et de la sécurité des populations civiles centrafricaines.

Les élections ont lieu dans un contexte difficile mais aux résultats non contestés. Entre temps, le pays est frappé d’un embargo sur les armes voté par le Conseil de sécurité de l’ONU. Le président élu se tourne vers la France, qui le renvoie vers Moscou, sans doute pour pousser la Russie à la faute. Cette dernière négocie une levée partielle et procure des armements légers aux forces armées centrafricaines, dont elle amorce la formation. Prise à son propre piège, la France réagit en livrant 1 400 fusils récupérés sur les contrebandiers de l’océan indien ! Mais l’engagement de Moscou est incontestable et permet au président Touadéra, réélu en mars 2021, de reprendre le contrôle de la majorité du territoire.

Depuis, c’est l’hallali ! La Russie est vouée aux gémonies et ses instructeurs militaires accusés d’exactions et de viols sur les populations civiles. Les médias français se déchaînent contre les instructeurs Russes, identifiés à des mercenaires de la société Wagner (7).

En représailles, comme au Mali, la France suspend sa coopération militaire et retire son « aide budgétaire » au gouvernement centrafricain (8). Entre menace et chantage … l’acte d’intimidation est manifeste et les risques de déstabilisation sont très présents (9) !

 

5 – Les peuples ne meurent jamais.

Le président Touadéra aurait tort de prendre ces risques à la légère. Déjà, le Conseil de sécurité des Nations unies vient de rejeter la demande chinoise de fournitures d’armes à la RCA. L’embargo est de fait prolongé, à l’initiative de la France, qui a mobilisé les USA et le Royaume-Uni, en contrepartie de son vote pour la reconduction, au poste de Secrétaire général de l’ONU, du portugais Antonio Guterres, en route pour un second mandat.

Le chef de l’Etat centrafricain n’a qu’une alternative, soit continuer la « politique de l’autruche », soit promouvoir une véritable politique programmée de rupture. Entre Haïti et Cuba, la RCA est à la croisée des chemins. Un tel choix n’ira pas sans turbulences, mais à tout perdre, mieux vaut choisir le chemin de l’émancipation et de la dignité. En effet, à l’inverse des hommes, des Etats et des Nations, les peuples, eux, ne meurent jamais. Le Peuple centrafricain survivra !

Il ne semble pas que ce soit le chemin choisi, à regarder la composition du gouvernement du Premier ministre Henri-Marie Dondra. Ce cabinet, pléthorique et hétéroclite, constitué de personnalités aux profils ondoyants, est le symbole de l’« informalisation » de la politique centrafricaine, sans projet, sans doctrine et sans orientation. C’est un acte d’allégeance envers l’ancien président François Bozizé et ses parrains, le Tchad et la France ! C’est un acte manqué, vain et inutile.

Déjà, les partisans de la « nomadisation » politique réclament la mise en place d’un comité d’organisation d’un nouveau dialogue inclusif, ce serpent de mer de la politique centrafricaine.

A force de vouloir se montrer plus finaud, le président centrafricain risque de perdre sur tous les tableaux, à l’exemple hier en Côte d’Ivoire d’un certain Laurent Gbagbo. Gare !

 

Post Scriptum (qui n’a rien à voir) : Les élections régionales en France enregistrent un taux d’abstention de plus de 66 % ! Que disent les donneurs de leçon de démocratie à la RCA. Ces scrutins ont-ils été annulés ? Que nenni !

 

Paris, le 25 juin 2021

 

Prosper INDO

Economiste,

Consultant international.

 

(1)   – Morin Edgar : « Cent ans de savoir-vivre », in L’OBS n° 2953 du 3 au 9 juin 2021, pp. 63 à 68.

(2)   – La formule fait référence à la fable de Jean de La Fontaine, « Les Animaux malades de la Peste », dont la morale se résume ainsi : « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir » !

(3)   – Dix jours après le coup d’Etat qui a porté le colonel Assimi Goïta, La France a annoncé jeudi 3 juin 2021 avoir suspendu de façon « temporaire et réversible » sa coopération militaire bilatérale avec Bamako. L’annonce française vise à faire pression sur la junte militaire (Le Monde du samedi 5 juin 2021, p. 2) pour les contraindre à remettre le pouvoir à un gouvernement civil.

(4)   – Friedman Yona : « Comment vivre avec les autres sans être chef et sans être esclave », Edition de l’Eclat/poche, Paris.

(5)   – Déclaration du président français Emmanuel Macron au magazine Jeune Afrique, n° 3095, décembre 2020, p.29 : « Aujourd’hui, il y a des régimes étrangers et des projets politico-religieux qui utilisent le fait colonial comme un des leviers contre la France, y compris au sein de générations qui n’ont jamais connu le colonialisme » !

(6)   – Cf. « L’honneur sali de l’armée française » in L’OBS du 13 mai 2015. Les soldats concernés ont bénéficié d’un non-lieu prononcé par le tribunal de Paris. Ce n’est pas la première fois que ces accusations de violences sexuelles sont portées contre les troupes étrangères opérant à Bangui et les acteurs intérieurs de la crise centrafricains. Entre 2013 et 2015, les Casques bleus de l’ONU ont été accusés de viols et l’enquête interne a conduit à la confirmation de ces crimes, sans qu’aucune sanction ne soit prise, provoquant la démission du général Boubacar Gaye, commandant la Minusca en août 2015.

(7)   – Les médias cités ci-dessus, aussi bien que les autorités françaises, se réfèrent à une enquête de l’organisation non gouvernementale Sentry, abondamment citée par la chaîne de télévision américaine CNN, ainsi qu’aux résultats d’une enquête « confidentielle » de la mission intégrée des Nations unies en Centrafrique ! Tous semblent avoir oublié le temps, pas si lointain, où la France menait des actions de déstabilisation politique des Etats africains en faisant appel aux barbouzes du mercenaire belge Bob Denard. Il en va de même des Etats-Unis d’Amérique qui se sont appuyés sur les mercenaires du groupe Blackwater en Irak. Prétendre que les Russes veulent mettre la main sur les richesses naturelles de la RCA, c’est oublier que la Russie dispose en abondance de ressources minières (houille, fer, nickel, diamants, etc.) et énergétiques (pétrole, gaz naturel, hydroélectricité …) qui en font l’un des principaux producteurs et exportateurs mondiaux. A ce sujet, Il convient de stigmatiser les deux groupes distincts de citoyens centrafricains qui se sont rendus devant l’ambassade russe à Paris, l’un pour soutenir la présence des Russes à Bangui, l’autre pour la dénoncer. Ils oublient tous les deux que seules les autorités légales centrafricaines sont responsables des conventions et traités internationaux qu’elles signent.

(8)   – Par un communiqué officiel du ministère français des affaires étrangères, Paris reconnaît officiellement avoir gelé son « aide budgétaire » à la RCA et suspendu sa coopération militaire en retirant les 5 coopérants militaires détachés auprès du ministère centrafricain de la défense nationale, au motif que « les autorités centrafricaines ont pris des engagements militaires qu’ils n’ont pas tenus, tant sur le plan politique envers l’opposition que leur comportement vis-à-vis de la France » ! Si la sanction militaire demeure symbolique – la France entretient toujours une escouade à l’aéroport Bangui-Mpoko - la sanction financière est une escroquerie. Il convient en effet de rappeler que les Etats africains francophones déposent chaque année la moitié de leurs recettes d’exportations auprès du Trésor public français, comme garantie de la convertibilité du franc CFA en euro ; l’aide budgétaire invoquée n’est que la rétrocession des intérêts générés par ces dépôts. Autrement dit, ce n’est pas la France qui aide les pays africains francophones, mais ces derniers qui financent l’économie française depuis 1958 !

(9)   – L’un des risques de déstabilisation concerne l’accusation dressée par le gouvernement tchadien du général Mahamat Kaka Deby contre l’armée centrafricaine au sujet de l’attaque d’un poste militaire en territoire tchadien, ayant fait un mort, et la prise en otage de six soldats tchadiens exécutés ensuite en territoire centrafricain. Bien que cet incident soit en cours de résolution au plan diplomatique – le ministre centrafricain des affaires étrangères s’est rendue à Ndjamena – il n’est pas inutile de rappeler que le Tchad a souvent servi de bras séculier de la France en Centrafrique, en particulier lors de l’insurrection militaire du général François Bozizé en 2003, et le renversement du même en 2013. Ce dernier, comploteur compulsif, accablé d’une personnalité fourbe et instable, est toujours dans la nature et pourrait encore servir, le moment venu.