Les Etats n'ont pas d'amis, ils n'ont que des intérêts.

 

Cette citation, que l'on prête au général Charles de Gaulle, gouverne les relations entre la France et l'Afrique francophone depuis des lustres, là où les dits Africains s'investissent dans « l'attachement sentimental (affectio sociatis) aux Français.

Cette différence de perception entraîne d'importants malentendus, sinon d'énormes déceptions. C'est ainsi qu'aujourd'hui en Centrafrique, certains s'étonnent de voir la France soutenir l'embargo sur les armes décidé par le Conseil de sécurité de l'ONU. Pourtant ils oublient que celle-ci est à l'initiative de cette résolution. Les mêmes affectent de réclamer justice, là où la France s’investie dans un rapport de forces pour défendre ses intérêts.

 

1 – La France défend d'abord ses intérêts.

Où sont-ils, que sont-ils, ces intérêts qui soucient la France ? En zones rebelles essentiellement, pour schématiser. Le pétrole est au nord, à la frontière avec le Tchad, tout comme l'or et les diamants de la réserve de Ndassima, près de Bria. L'uranium est au sud-est, près de Bakouma, tout comme les mines de diamants de la faille de Bangassou. Au sud-ouest, on trouve les diamants et pierres précieuses de la zone de Carnot. Enfin, les forêts primaires s'étalent tout au long de la bande de l'Oubangui. Seules les autorités centrafricaines feignent de ne pas percevoir et comprendre ces enjeux (1).

Mais qui se cachent derrière ces intérêts défendus par les gouvernements français successifs ? Il s'agit pour l'essentiel des grands groupes multinationaux. Au nord, la société Total, qui exploite déjà le pétrole du Tchad, lorgne sur les réserves centrafricaines adjacentes. Au sud-ouest, l'établissement Rougier, bénéficiaire d'une concession forestière de quelques 250 000 hectares, aspire à étendre sa zone d'exploitation. Au sud-est, AREVA hier, aujourd'hui ENGIE, garde sous terre les mines d'uranium de Bakouma, achetées à prix d'or à la société sud-africaine URAMIN, en attendant la fin de la crise de l'énergie nucléaire née de l'explosion de la centrale de Fukushima après le tsunami du 11 mars 2011.

 

2 – La stratégie des affameurs ou la politique du blocus économique.

Pour défendre et protéger ces différents intérêts, la France n'hésite pas à promouvoir des personnalités politiques centrafricaines susceptibles de les garantir ou à déstabiliser celles qui s'y opposent.

Les uns, comme François Bozizé, disposent donc de quelques appuis : tel éditorialiste de l'hebdomadaire Le Point ou tel porte-plume de l’Élysée. Les autres sont directement financés par les grands groupes privés français, VIVENDI, SUEZ, VEOLIA, ENGIE, via des intermédiaires, leurs filiales ou centres de profit locaux.

Ces grands groupes disposent de relais dans la presse, la radio, la télévision, le numérique et les instituts de sondages, toutes structures capables de « fabriquer » des opinions et d'influencer des groupes de pression, voire à les armer (2).

C'est ainsi que les groupes terroristes coalisés au sein du CPC (coalition des patriotes pour le changement), mobilisés autour de François Bozizé, ont organisé le blocus de la capitale centrafricaine en coupant la route du ravitaillement depuis le port de Douala au Cameroun. Il s'agit d'asphyxier le peuple en espérant retourner les populations contre le pouvoir du président Touadéra. Le but de cette stratégie est simple : pousser le peuple à la révolte. Les États-Unis d'Amérique utilisent cette politique depuis 1963 contre Cuba. On connaît le résultat : la radicalisation du pouvoir et … la détestation populaire des affameurs (3).

 

3 – A la guerre, la meilleure défense c'est encore l'offensive.

Placée devant ce fait accompli qui prend en otage les populations civiles, déjà la MINUSCA se mobilise pour desserrer l'étau ; le prétexte d'une sécurisation du processus électoral devenant irrecevable. Les Casques bleus sont appelés à sécuriser les convois de poids lourds depuis la frontière camerounaise jusqu'à Bangui.

Mais comme l'explique si justement Gilles Olakounlé Yabi dans sa tribune au magazine Jeune Afrique du 5 février 2021, « les interventions militaires extérieures, quoique nécessaires à des moments critiques pour éviter le chaos et l'effondrement politique d'un Etat, ne représentent jamais une solution durable à des crises complexes et multidimensionnelles » (4). C'est la raison pour laquelle il préconise « l'impératif de résister à la distraction permanente qui interdit de penser, planifier, organiser et agir avec un minimum d'autonomie » (5).

Il appartient donc au président réélu, Faustin-Archange Touadéra, de passer à l'offensive en engageant les forces armées centrafricaines sur le terrain. Il appartient au peuple centrafricain de puiser au plus profond de sa chair, les efforts indispensables pour vaincre la peur de l'ennemi qu’il étrenne au creux du ventre depuis tant d’années (6).

La partie est cependant loin d'être simple pour la RCA où les institutions nationales sont truffées de représentants des différentes instances internationales.

C'est en effet une hérésie de trouver, au sein du Conseil national de sécurité du pays, les ambassadeurs de la France, des États-Unis, de la Russie, aussi bien que les représentants de l'Union européenne, de l'Union africaine, de la CEEAC, etc. Ces derniers n'ont donc pas besoin de nourrir des espions ou de recruter d'honorables correspondants pour être informés ; ils sont à demeure !

 

4 – La RCA n’a pas besoin d’un dixième dialogue politique inclusif (DPI).

Le 8 février 2021 dernier, l’accord de Khartoum pour la paix et la réconciliation nationale en République centrafricaine est arrivé à échéance. Il n’a pas atteint ses objectifs, en particulier le désarmement des groupes terroristes signataires. Au demeurant, cet accord avait été unilatéralement dénoncé par la coalition des patriotes pour le changement (CPC) avant leur offensive sur Bangui en janvier 2021. Le 29 janvier, en réaction à cette déclaration d’hostilité et en prévision de la caducité de cet accord, les pays membres de la CEEAC s’étaient réunis à Luanda pour appeler à un cessez-le-feu unilatéral de la part des rebelles et à l’ouverture de négociations en vue d’un dialogue politique inclusif (7).

Saisissant la balle au bond, le président Touadéra a demandé à son Premier ministre d’amorcer l’ouverture de ces nouvelles discussions ! Bientôt en verra à Bangui l’ancien président François Bozizé – le Titanic centrafricain en version Netflix – et sa progéniture, prendre part à une nouvelle conférence nationale pour la paix et la réconciliation nationale, la dixième du genre depuis 1996. Il pourra dérouler une nouvelle version de la mort de Barthélémy Boganda…

Qu’est-ce qui explique cette mansuétude à l’égard d’un putschiste compulsif ? Trois raisons motivent cette indulgence coupable du président centrafricain vis-à-vis de son prédécesseur :

-          une appartenance commune à une fraternelle franc-maçonnique de la grande Loge nationale de France ;

-          une appartenance tout aussi commune à des pastorales non ordinales et à des églises syncrétiques autoproclamées ;

-          un statut matrimonial commun de beaux-frères devant la loi, pour avoir épousé, en 2ème ou 3ème noces polygamiques, les deux sœurs d’une même famille.

Ainsi, l’intérêt général de la nation centrafricaine est subordonné à des considérations personnelles patrimoniales, religieuses et philosophiques hors de propos.

Cette dixième édition du dialogue politique inclusif, dont la Pendule de Foucault de l’Union africaine cherche encore le lieu d’élection – Luanda, Brazzaville ou Khartoum – sera un échec, comme tous les précédents, sauf à vouloir faire de la RCA un pays de morts-vivants, comme Haïti, la première République noire au monde, où les zombies ont un statut juridique particulier !

 

Paris, le 11 février 2021

 

Prosper INDO

Economiste,

Consultant international.

 

(1)   – Il convient de noter ici la tentative d’offre publique d’achat (OPA) non amicale lancée par le groupe VEOLIA contre son concurrent SUEZ. Cette opération ne semble pas concerner les autorités centrafricaines et se déroule sans leur information. Or si cette opération venait à se conclure, la société de distribution d’eau en Centrafrique, la SODECA, qui alimente la capitale Bangui en eau potable, actuellement centre de profits de la société SUEZ, passerait sous le contrôle de VEOLIA, sans que ni l’Etat centrafricain ni la municipalité de Bangui n’aient leur mot à dire !

(2)   – On fait référence ici aux sondages divulgués opportunément par l’institut de sondages IPSOS, le 25 novembre 2020, à la veille du premier tour des élections présidentielles, et publiés par le Centre d’études stratégiques de l’Afrique, propriété du groupe Bolloré, donnant le candidat putatif François Bozizé loin devant ses concurrents avec 54,7 % d’opinions favorables, contre 29,11 % à Faustin-Archange Touadéra, placé en quatrième position !

(3)   – On pourra regarder avec bonheur « Les affameurs », le western du réalisateur américain Anthony Mann, sorti en 1952, avec l’acteur James Stewart dans le rôle principal.

(4)   – Gilles Olakounlé Yabi : « Projet d’expansion terroriste en Afrique de l’ouest ; résister à la distraction, à la dispersion et à la fragmentation », in Jeune Afrique du 5 février 2021.

(5)   – Gilles Olakounlé Yabi, ibid.

(6)   – Une amie très chère, personnalité de premier plan à laquelle je tenais ce propos, m’a fait comprendre que vivant à l’extérieur de la RCA, je pouvais me permettre ce genre de propositions parce que je ne pensais qu’à moi, étant en sécurité. Elle rejoignait ainsi, dans mon esprit, la cohorte des femmes et hommes politiques centrafricains qui considèrent toute critique ou proposition alternative comme une opposition. C’est oublier et taire la souffrance des exilés. Dieu merci, certains pays africains n’ont pas ce complexe vis-à-vis de leur diaspora, qu’ils considèrent au contraire comme une arme d’influence internationale et un pouvoir de négociation. Pour être juste, rappelons que les sommes envoyés chaque année par les diasporas africaines à leur parents et alliés sont deux fois supérieures au total de l’aide publique internationale au développement du continent.

(7)   – On voit mal un tel dialogue s’organiser, et un accord de paix signé, alors que le président réélu ne sera investi que le 30 mars 2021, et l’assemblée nationale ne pourra pas être installée avant le 3 mai 2021, sauf à violer encore une nouvelle fois la constitution du 30 mars 2016.