Au secours ! « Les loups sont rentrés dans Bangui ».

 

Les ministres démissionnaires du premier gouvernement Firmin Ngrébada sont de retour, aux mêmes postes. Seule nouveauté, l'élargissement du gouvernement à 39 membres, pour faire une place au nommé Martin Koumtamadji alias Abdoulaye Miskine, qui prétend n'avoir rien demandé pour lui-même, et aux représentants des autres groupes insurrectionnels ! Les partis politiques de l’opposition démocratique sont ainsi marginalisés (1). Le gouvernement n’est inclusif que de nom.

 

Nous voici tous convoqués devant le tribunal de l’Histoire : les loups sont rentrés dans Bangui.

 

Les retraits précédents étaient une farce, un jeu de dupes, un stratagème, une pyrrhique pour gagner une place protocolaire. Pour satisfaire tout ce monde, le Premier ministre a dû revoir le périmètre des différents ministères. Celui de l'intérieur est partagé en quatre entités ; l'éducation nationale emploie quatre ministres ; l'économie nationale s'éparpille entre cinq secteurs ; l'agriculture est séparée de l'élevage, lorsque la pêche et la chasse font bande à part. Bref, les portefeuilles ministériels sont découpés en pochettes surprises.

Pis, à ces 39 ministres, il convient d’ajouter les 20 ministres conseillers à la Présidence, dont un ministre d’Etat, et treize ministres conseillers spéciaux à la Primature. Parmi ces conseillers spéciaux, figurent les quatre chefs de guerre qui ont mis le pays à feu et à sang depuis 6 ans. Ils ont rang de ministres délégués pour les zones sous leurs contrôles respectifs. Par la grâce de l’Union africaine, « les loups sont rentrés dans Bangui » !

La RCA est ainsi devenue un territoire sous occupation.

Pendant ce temps, 1,3 millions d'enfants souffrent de malnutrition ; deux millions de personnes menacées par la famine espèrent une aide humanitaire ; à l'indice du bonheur, la RCA est classée au 155ème rang sur 156 pays, juste devant l'Afghanistan, et Bangui rivalise avec Bagdad pour la qualité de la vie, la sécurité des biens et des personnes.

Espérons que les Centrafricains connaissent enfin la paix, car si rien n’advient de tel, les « intellectuels et élites politiques » du pays devront rendre compte de leur forfaiture devant le tribunal de l’Histoire.

 

Sans les vertus du Panafricanisme, le continent noir court à l’échec ...

 

L'acte insensé commis par M. Ousseynou Sy, le chauffeur du bus scolaire italien, est un signal politique fort, une interpellation symbolique majeure : l'exaspération des Africains, des deux côtés de la Méditerranée, devant le silence de leurs gouvernants et le discours de haine des populistes européens (2). Hier l'Afrique voyait fuir ses cerveaux, aujourd'hui c'est sa force de travail qui s'en va, sa jeunesse qui se suicide en haute mer.

Le « Cela suffit ! » de M. Ousseynou Sy marque un point de rupture et condamne, de fait, l'inaction politique et diplomatique des Etats membres de l'Union africaine, dans le cadre du multilatéralisme et de la recomposition géopolitique mondiale en cours.

L’acte fou de Sy Ousseynou, répréhensible en droit et dans les faits, mais tout à la fois naïf et singulier, est un appel au sursaut du Panafricanisme, « l'Afrique aux Africains », de deux points de vue :

-        d'abord, pour que la jeunesse africaine trouve à s'employer et à s'épanouir sur la terre de ses ancêtres ;

-        ensuite, pour promouvoir l'indépendance réelle du continent et encourager la solidarité entre les Africains et les personnes d'ascendance africaine, où qu'elles se trouvent dans le monde, en particulier les Afro-américains qui luttent pour l’indemnisation des descendants des victimes de l’esclavage !

A une semaine du soixantième anniversaire de la mort de Barthélémy Boganda, cet appel de détresse doit être entendu, par les Centrafricains.

 

… Et le Centrafrique à sa perte !

 

Le père fondateur de la nation centrafricaine avait averti : « le tribalisme et nos divisions ont causé notre perte dans le passé, le tribalisme et nos divisions signeront notre échec dans l’avenir ». Nous y sommes. La République Centrafricaine est désormais à la croisée des chemins, comme il a été dit lors de la conférence-débat du 2 février 2019 consacrée à l’héritage de Barthélemy Boganda (3). Soit le pays rend justice aux victimes des crimes commis, se réconcilie et repart, soit il disparaît. La nomination des chefs des milices insurrectionnelles et criminels de guerre au faîte du pouvoir n’est ni une garantie de justice ni une assurance pour la paix. Au contraire, les voici intronisés califes par les engagements pris à Addis-Abeba!

Le pays est coupé en deux, en suivant la ligne de fracture définie par le général français Soriano, en décembre 2013, lors de l’Opération Sangaris. Derrière cette ligne rouge, ils peuvent à la fois jouer les Ponce-Pilate et les ministres résidents, organisant les patrouilles mixtes et présidant les instances locales de dialogue, prévues par les Accords de Khartoum. Leurs milices ne seront ni dissoutes ni désarmées. Ils pourront alors continuer à lever des taxes, gérer les ressources naturelles des zones sous leur contrôle, rendre la justice et coopter les fonctionnaires affectés dans leur district. Un fédéralisme mou, rampant, ondoyant, virtuel, s’instaure dans les faits.

La République Centrafricaine est ainsi réduite à ses frontières d’avant 1911, celles de l’Oubangui, son noyau (4).

Pour mesurer l’étendue des dégâts causés par la politique de capitulation du président Faustin Archange Touadéra – en germe dans le concept du « désarmement concerté » - que ceux des ministres qui iront fleurir ce 29 mars 2019 la tombe de Barthélémy Boganda à Bobangui, ou s’incliner devant sa stèle au rond-point de l’avenue éponyme à Bangui, se souviennent de ses principes : Zo kwè zo (tout être humain est un homme), et de sa vision : la création des Etats-Unis d’Afrique centrale, première étape vers la réunification du continent et sa solidarité avec les descendants des Africains partout dans le monde.

 

Paris, le 26 mars 2019

 

Prosper INDO

Économiste,

Consultant international.

 

(1)   – Cf. notre chronique précédente : « La course au prix Nobel de la bêtise humaine », sur la dispute entre partis politiques de l’opposition s’accusant de plagiat. Actuellement, cette opposition apparaît divisée, fragmentée et fragilisée. Le projet de Code électoral en discussion devant le parlement finira par l’ « évaporer », s’il était adopté tel quel. En effet, il prévoit une caution de 50 millions de francs CFA pour être candidat aux prochaines présidentielles. Dans ces conditions, seuls les anciens présidents ou premiers ministres ayant pillé le Trésor public sous le couvert des fonds spéciaux pourront se présenter. Sauf à être financés par des émiratis du Qatar ou du Koweït, voire de l’Arabie saoudite !

(2) – Ousseynou Sy, chauffeur de bus scolaire italien de 47 ans, d’origine sénégalaise, a tenté de gagner l’aéroport de Rome pour quitter l’Italie, en prenant en otages les élèves qu’il transportait. Il entendait par ce geste protester contre le traitement infligé aux migrants africains par l’Europe.

(3)   – La conférence débat du 2 février 2019 a été organisée à la suite de la publication de l’ouvrage de Victor Bissengué et Prosper Indo : « Barthélemy Boganda, Héritage et Vision », L’Harmattan, Paris, 2018. Les Actes du colloque « La RCA à la croisée des chemins et l’héritage de Barthélemy Boganda » sont parus aux Editions L’Harmattan, 5-7, rue des Ecoles, Paris 75005. 10 €.

(4)   – C’est aussi l’échec de la France du président François Hollande