CONTROVERSE SUR DEUX EAUX

 

Dans son numéro 462H, le mensuel Afrique Éducation est revenu sur le serpent de mer par excellence de la politique africaine : le détournement d'une partie des eaux de l'Oubangui et ou du Congo pour renflouer le lac Tchad. Ce lac qui s'étendait autrefois sur une vaste superficie se rétrécit depuis quelques décennies comme une peau de chagrin. L'article, par un excès d'optimisme ou de prudence, le sujet étant très clivant et susceptible de dégénérer en une situation explosive, ne relève aucune de nombreuses objections dont il est virtuellement longé.

1. LES PHARAONS AVAIENT LES YEUX PLUS GROS QUE LE VENTRE

Des chefs d'État africains ont << acté >> à Abuja le transfert des eaux de l'Oubangui et ou du Congo pour alimenter le lac Tchad. Le projet est estimé à 11,5 milliards d'euros, 14 milliards de dollars. Le président nigérian et ses homologues << ont convenu de mettre en place un Fonds lac Tchad de 50 milliards de dollars (…) >> La première question qui vient tout de suite à l'esprit c'est : ont-ils les moyens de leurs ambitions ?

Il faut se garder des unanimismes de façade. Cette réunion pourrait bien ressembler aux forums sans lendemain des Centrafricains. On se réunit, mais il ne coûte rien de se réunir, on se met d'accord sur un projet << intégrateur >> et on publie un communiqué triomphaliste. Le problème, c'est que nombre de ces pays sont en difficulté. Quelle sera la contribution du premier concerné, le Tchad désargenté, qui demande l'aide du FMI et qui, périodiquement, est secoué par des mouvements sociaux ? Le dernier palmarès de l'Indice du Développement Humain fait apparaître en mauvaise posture deux pays de l'Afrique centrale : le Tchad antépénultième, et son voisin le Centrafrique, bon dernier.

Quelle sera la contribution du Nigéria, le deuxième concerné, et qui a pris l'initiative de la réunion ? Le géant africain semble enlisé dans sa lutte contre Boko Haram. Mais il triomphera, à mon avis, de ces terroristes. Car il a déjà triomphé des ennemis autrement plus puissants que les islamistes : Ojukwu et ses hommes qui voulaient la partition du pays.

De la guerre civile, le Nigéria a donc une expérience certaine, mais qu'il ne partage pas avec la Centrafrique, sa petite sœur, sommée de voler à son secours.

Les chefs d'État africains ont décidé de la faisabilité d'un projet pharaonique, qui force l'admiration : les Africains qui aident d'autres Africains ! Voilà qui change des nationalismes étriqués, forcenés et égocentriques. Ce projet fait l'unanimité, sauf que parmi ses décideurs, il manque deux pays, et non des moindres, les premiers concernés, les deux Congo. Qui peut imaginer un seul instant que ce projet qui impactera leur écosystème et même leur pluviométrie se fera sans l'aval de Brazzaville et de Kinshasa ? Leur absence est en soi un défi à l'outrecuidance du Nigéria et de ses suiveurs. Il me semble, mais je peux me tromper, que les deux Congo ne sont pas prêts de céder une partie des eaux de leur fleuve éponyme.

2. LE LAC TCHAD AU TEMPS DU PRÉSIDENT PATASSÉ

L'article d'Afrique Éducation cite l'ancien président centrafricain, un chaud partisan du transfert des eaux de l'Oubangui vers le lac Tchad. Il en parlait trois fois plus que Déby Itno, qui ne l'aimait guère ( c'est un euphémisme ), et avec une conviction telle que l'écrivain Pierre Sammy-Macfoy s'était cru obliger de lui répondre par une tribune, une des plus percutantes que j'ai lues sur le sujet. Avec le recul, je pense aujourd'hui que tout le monde s'était mépris sur les intentions véritables de Patassé. Ce virtuose de la politique, un peu démagogue, n'aurait pas bradé les eaux de l'Oubangui. Même pas pour se venger des Yakoma. Pour la plus simple raison que dans les relations houleuses qu'il entretenait avec Déby, la question du transfert des eaux de la rivière était son atout majeur, un élément constitutif de sa diplomatie, c'est-à-dire sa clé de voûte, c'est-à-dire sa pierre angulaire. La céder l'aurait privé de tout moyen de pression sur son puissant voisin, qui n'était d'ailleurs pas dupe de ses véritables intentions : le président tchadien profitera de la rébellion de Bozizé pour se débarrasser de lui.

Bozizé au pouvoir va négliger le sujet, qui passait pour être la hantise de Déby. Un jour, j'ai entendu le président centrafricain déclarer que s'il y avait assez d'eau dans l'Oubangui, on en donnerait une partie au Tchad. Cette déclaration anodine, pour son parrain était un casus belli. Tout le monde connaît la suite, l'avènement de Djotodia, le huitième président centrafricain. Lequel va s'empresser de prouver sa loyauté ou sa vassalité en faisant inscrire, à l'ordre du jour de son tout premier conseil des ministres, le transfert des eaux de l'Oubangui vers le lac Tchad. Dans l'anthologie des vassaux arrivistes qu'il faudra un jour écrire, cet exemple sera gravé en lettres capitales. Premier conseil des ministres, première décision en faveur d'un pays étranger !Malheureusement pour Djotodia, il n'y a plus assez d'eau dans l'Oubangui, depuis la construction du barrage de Mobayi. La rivière n'est plus ce qu'elle était. Ceux qui parlent de l'Oubangui sans la connaître feraient mieux de venir la remonter, de Bangui à Mobaye, pour voir ce qu'elle est devenue. Dans sa configuration actuelle, un éventuel transfert de ses eaux précipiterait non seulement sa mort mais aussi celle du lac qu'elle est censée renflouer. C'est probablement pour cette raison qu'on s'est tourné vers le Congo, plus long, plus puissant mais aussi plus éloigné du lac Tchad.

 

   Anatole GBANDI

(28 avril 2018)