En République Centrafricaine, les clichés ont la vie dure.

 

Après la vague des nominations en cascade, au gouvernement et dans les cabinets du président et à la primature, le tsunami de Khartoum poursuit sa course folle et dispendieuse, avec la mise en place des divers comités et organismes de contrôle et de suivi des Accords du 6 février 2019. Dans cette perspective, le Secrétaire général adjoint de l’ONU chargé des Opérations et le Commissaire à la paix et à la sécurité de l’Union africaine sont à Bangui pour quatre jours.

Ces structures viennent s'ajouter aux institutions déjà existantes : Minusca, Binuca, Secrétariat technique permanent des Bailleurs de fonds de Bruxelles, etc.

Bref, tel un vol de sauterelles qui s'abat sur un champ de mil, la RCA croule sous le nombre de ces commissions Théodule, où des experts en tout genre auscultent un malade imaginaire. Pour quel résultat ?

 

1 – La République de la tribu-classe du président Touadéra est en marche !

 

On comprend l'amertume du président du parti de la renaissance centrafricaine (PARC), soutien de la majorité présidentielle, qui affirme n'avoir été ni consulté ni associé aux pourparlers de Khartoum : « l'Union Africaine et l'ONU nous ont imposé ce qu'elles n'ont jamais dicté ailleurs » ! On comprend d'autant plus M. Nguérékata Mandata Gaston lorsqu'il exprime ce sentiment partagé : « la Communauté internationale nous méprise » (1).

Il ne peut en être autrement, la RCA, pays où l’irrationnel et les clichés ont la vie dure, est un État qui n'existe pas. Les hommes politiques centrafricains y violent délibérément et systématiquement les volontés exprimées par le peuple souverain, pour affermir les seuls intérêts des membres de la famille du président, son clan et son ethnie (2). Gaston Nguérékata ne fait pas autre chose lorsqu'il cite les membres du gouvernement qu'il a en estime. Ils sont tous des proches parents ou de l’ethnie de Faustin Touadéra. Et le silence assourdissant du président du MLPC, l’autre parti politique soutien de la majorité présidentielle, vaut acquiescement.

 

Et, pendant que les groupes insurrectionnels prennent possession du pouvoir à Bangui, le président Touadéra était la semaine dernière à Anvers (Belgique). Intervenant devant un  parterre de diamantaires, il leur promet « dans les tous prochains jours », un décret présidentiel modifiant le Code minier du pays ainsi que des dégrèvements fiscaux, afin de les inciter à investir en RCA. Il foule ainsi au pied l'article 60 de la Constitution, qui soumet à l'autorisation de l'Assemblée nationale tout contrat relatif aux ressources naturelles du pays ainsi que les conventions financières, au lieu de s’attacher à rétablir la sécurité et la libre circulation des personnes, des biens et des capitaux !

 

Pis, le journal en ligne Mondafrique révèle les dessous du marchandage de Sotchi, lors de la rencontre entre Faustin Touadéra et Alexeï Lavrov, le ministre des affaires étrangères de Russie : en contrepartie des permis des exploitations diamantifères et pétrolières qui leurs sont octroyés, les Russes s'acquitteront des redevances correspondantes en numéraires ; les mallettes de billets voyageront par jet privé, via l'aérodrome de Bérengo, afin de contourner les dispositions de la Banque centrale des États de la Cémac et les obligations de la zone CFA ! (3)

C'est la version russe du « milliard évaporé du don angolais » du chef de l’État de la transition, Mme Catherine Samba-Panza. Chassez le naturel, il revient au galop !

 

2 – Lorsque le GTSC met les pieds dans le plat.

 

Le groupe de travail de la société civile centrafricaine (GTSC) a visé juste, en dénonçant l'appartenance étrangère de certains chefs rebelles.  En réponse, le MPC (mouvement du peuple centrafricain) a publié un communiqué, qui éclaire d'un jour nouveau la crise centrafricaine. Le communiqué nous apprend que le « général » Al Khathim, s'appelle en réalité Mahamat Ahmat Al Hisseine, qu'il a été recruté par le général François Bozizé dans le cadre de l'insurrection militaire d'octobre 2001 à mars 2003, qu'il a été intégré dans la Garde Présidentielle en 2004, sous le matricule 2004-1-10-27.

Il a déserté la GP à la prise du pouvoir par la Séléka en 2013, ayant atteint le grade de caporal-chef, le même grade qu'un certain Adolf Hitler en son temps.

Le communiqué du MPC ne donne ni la date ni le lieu de naissance du généralissime, et encore moins sa filiation. C'est donc un mercenaire, aux termes des articles 28 et 29 de la Constitution centrafricaine.

 

Dans la foison des actes nommant les uns et les autres au gouvernement et dans les cabinets, le décret numéro 19.099 portant nomination à la primature appelle l'attention : le chef du protocole et la secrétaire particulière du premier ministre ont rang et prérogatives de chargés de mission !

Là où l'humilité et la modestie les auraient grandies, les gens de peu se vautrent dans le lucre et la luxure ; une affaire de rémunération et de gros sous. Chassez le naturel, il revient toujours au galop !

 

3 – Les petits secrets de la transhumance : création d’une brigade spéciale de sécurisation.

 

L'autre aspect de ce problème de gros sous a trait à la transhumance et à son cortège de crimes, assassinats, prises d'otages avec demande de rançons, vols et violences en réunion et en bandes organisées.

La transhumance est devenue une question internationale, prise en charge par des organisations non gouvernementales qui facilitent et entretiennent le nomadisme, au nom de la protection des peuples et de leurs mode de vie ancestral.

Ces ONG définissent des couloirs de transhumance à l'échelle continentale qu'empruntent le bétail en fonction des points d'eau ; ces couloirs sont méconnus des cultivateurs, d'où les conflits intercommunautaires, qui sont en fait des conflits socio-professionnels.

Or les bestiaux appartiennent à de gros propriétaires sédentaires qui roulent Land Rover et Toyota Land Cruiser à Conakry, Niamey, Lagos ou N’Djamena. Ces derniers engagent des bouviers, nomades peuhls le plus souvent, pour conduire le bétail le long des couloirs de transhumance. Les vachers profitent de l'occasion pour se livrer à des trafics divers (armes, cigarettes, alcool, et plus encore).

 

En Centrafrique, la transhumance est gérée par la fédération nationale des éleveurs centrafricains, FENEC, dont le représentant était un proche de l'ancien président Ange Félix Patassé. Un certain nombre de personnalités qui compte dans le pays ont des intérêts dans ce secteur à fort taux de rentabilité, comme le président déchu François Bozizé, deux officiers généraux qui lui sont proches, un ancien premier ministre de Félix Patassé, un ancien ministre d’État passé par la Cémac, etc.

On comprend désormais pourquoi, la Minusca escorte les troupeaux de bétail, au lieu de protéger les populations civiles (4). On comprend surtout la raison qui a poussé madame Koyara, ministre de la défense, à prendre un arrêté en date du 9 février 2019, « visant à la création d’un comité ad hoc chargé de réfléchir à la création d’une brigade spéciale de la sécurisation de la transhumance ».

Des militaires centrafricains pour convoyer des troupeaux de bœufs !

 

4 – La révolte des Bidons jaunes et l’appel à la résistance du GTSC.

 

Conscient de ces problèmes, auxquels s’ajoutent la pénurie d’eau potable dans Bangui, et prenant surtout ombrage de la participation de personnalités étrangères au gouvernement de la république, le groupe de travail de la société civile (GTSC) appelle à une journée de manifestation le 15 avril 2019. Cet appel a été relayé par le MDREC.

Les présidents de ces deux associations, MM. Paul Béninga et Joseph Bendounga, sont désormais les cibles du porte-parole des soutiens du président Touadéra, et accessoirement directeur des examens au ministère de l’éducation, l’inénarrable Blaise Didatien Kossimatchi ! C’est donc un fonctionnaire aux ordres, qui abreuve les présidents du GTSC et du MDREC de lourdes menaces : « les dispositions sont prises pour les traquer dans leurs derniers retranchements ». On connaissait M. Kossimatchi moins vindicatif devant les groupuscules armés. Le porte-parole du Mouvement cœurs unis est à l’image de ses maîtres : faible devant les forts et fort avec les faibles, comme au bon vieux temps du président François Bozizé, lorsque ce dernier fit bastonner Joseph Bendouga par sa Garde présidentielle. Le peuple centrafricain rappellera à M. Kossimatchi, le moment venu, le prix de sa lâcheté.

En attendant, il suffit de lui rappeler les dispositions de l’article 15 de la Constitution de mars 201, en particulier l’alinéa 4 qui stipule que « l’Etat garantit la liberté de manifestation pacifique ».

 

En attendant, le président Touadéra, dont il est le zélote, s’escrime à Washington - après Moscou - pour trouver une obole. La Banque Mondiale semble disposer à accorder un prêt de cent millions de dollars pour l’agriculture, l’énergie et le capital humain, et au besoin, creuser une centaine de forages de puits d’eau potable, en plein centre-ville de Bangui. Nous voici donc revenu au 19ème siècle.  Et pourtant, dans les années 90, la même Banque Mondiale avait convaincu les autorités locales de concéder la société nationale de distribution des eaux au groupe français Lyonnaise des Eaux, au nom de la politique néolibérale de dérégulation portée alors par le premier ministre français Edouard Balladur !

M. Touadéra a été cinq années durant premier ministre avant de devenir président de la République. Il est donc comptable de cette situation de pénurie d’eau potable dans la capitale centrafricaine.

La révolte des Bidons jaunes sonnent le glas de cette politique de gribouille.

 

Parce que l’eau, c’est la vie, il faut soutenir les Bidons jaunes et, surtout, appeler l’attention du président Touadéra sur l’intégrité physique et morale de MM. Béninga et Bendouga. On ne refera plus au peuple centrafricain le coup de la disparition de Charles Massi !

 

Paris, le 15 avril 2019

 

Prosper INDO

Economiste,

Consultant international.

 

(1)   – Interview au journal en ligne Corbeau News Centrafrique du 3 avril 2019. M. Nguérékata oublie un point d’histoire : Ernesto Guevara était médecin avant de devenir guérillero. Mao Ze Dong était instituteur avant d’entamer la Longue Marche. Le mahatma Mohandas Karamchand Gandhi était un lettré et un guide spirituel avant de conduire l’Inde à l’indépendance par la non-violence. Plus près de nous, Nelson Mandela fut avocat avant de mener la lutte contre l’apartheid. Ils avaient tous un objectif politique et un projet de société. En Centrafrique, on enrôle des bouviers, des colporteurs et des vendeurs à la sauvette pour en faire des ministres ! Et même, lorsqu’ils ont de l’instruction, nos ministres agissent sans conscience.

(2)   - Le premier ministre est un beau-frère par alliance ; les ministres de l'administration du territoire et le ministre délégué au désarmement, respectivement général et colonel dans les forces armées centrafricaines, sont des proches parents ; le ministre conseiller politique est un bel oncle ; les ministres évoqués par le président du PARC sont de la même ethnie, sinon de la région du président Touadéra ; etc.

(3)   – Le journal en ligne Mondafrique du 3 avril 2019. C’est une autre manière de contourner l’article 60 de la Constitution.

(4)   – cf. Prosper INDO : « Le bétail c’est de l’argent », in Sangonet. Le lecteur que ce sujet intéresse pourra lire avec profit les propositions de Cheick Anta Diop contenues dans « Les fondements économiques et culturels d’un Etat fédéral d’Afrique noire », Présence Africaine, Edition revue et corrigée, Paris 1974, pp.84-85.