Il faut sauver les manguiers de Bossembélé.

 

 

Parmi tous les fatras qui s'accumulent sur la République Centrafricaine, une nouvelle m'attriste : le chef de cantonnement forestier de la sous-préfecture de Bossembélé, le bien nommé Nestor Baliga, dénonce l'abattage abusif des arbres dans sa circonscription.

«  Un mois après mon arrivée dans la ville, nous avons constaté que l'air est sec, parce que la plupart des arbres y compris les manguiers ont été coupés pour la fabrication des briques cuites qui constituent la principale activité des jeunes de la localité », a-t-il déclaré.

 

Ainsi, faute d'emplois rémunérés, les jeunes sans ressources de la localité de Bossembélé, à 150 kilomètres au nord de Bangui, abattent les arbres de la commune, en particulier les manguiers, pour alimenter les fours artisanaux destinés à la cuisson des briques rouges (zaglo) fabriquées à partir de la latérite.

Cette pratique a des conséquences néfastes sur l'environnement, puisqu'elle favorise l'avancée du désert de l'extrême nord du pays vers le sud.

 

Pour les hommes de mon âge, cette triste nouvelle ravive des souvenirs nostalgiques. En effet, les manguiers avaient naguère une fonction à la fois politique et utilitaire.

 

A l'heure du déjeuner, les manguiers avaient une fonction alimentaire. Ils servaient de garde-manger à la sortie des classes. Il n'était pas question en effet, pour la majorité des écoliers, de rentrer à la maison pour manger. Il n'était pas possible de faire à pied les 5 à 10 kilomètres qui séparaient l'école des quartiers populaires où habitaient la majeure partie des élèves. De toute façon, à cette heure où le soleil tutoie le zénith, papa et maman étaient aux champs. Ils ne regagnaient le logis qu'à la fin de l'après-midi, au moment où l'astre solaire se réfugie derrière l'horizon. Une heure de course à pied à l'aller et une heure pour le retour, le retard était assuré, la sueur en plus et les coups de règle sur le bout des doigts aussi. Le maître ne s'en privait pas, il était tatillon sur le respect de l'heure.

Mieux valait donc rester à proximité de l'école.

 

Les écoliers disputaient alors les mangues mûres aux mésanges jaunes, les cayas. Outre leurs jacasseries interminables, qui ne prenaient fin qu'à la nuit tombée, ces volatiles avaient une propension marquée pour les belles mangues mûres, qu'elles picoraient avidement, ne laissant que des noyaux désincarnés pendus dans le vide.

Les plus adroits des élèves lançaient des pierres en visant les fruits convoités. Il leur fallait s'armer de patience pour en faire tomber.

Les plus téméraires grimpaient dans les arbres, à l'assaut des fourmis rouges et leurs mandibules aux morsures acidulées. Les chûtes n'étaient pas rares, tant les mangues avaient la mauvaise habitude de pousser leur pédoncule à l'extrémité des branches les plus minces et les plus éloignées du tronc.

 

Les manguiers avaient une autre fonction, stratégique celle-ci. Ils servaient de refuge aux élèves retardataires et, plus souvent encore, aux adeptes de l'école buissonnière. Ces derniers y passaient leur journée, rêvant entre les grandes racines, en attendant la sortie des classes pour se mêler aux autres enfants. Les motivations de ce comportement étaient plus ou moins futiles : une leçon non apprise, l'oubli du livre de lecture à la maison, la peur de l'épreuve redoutable de la « dictée contrôlée » ou celle du calcul mental, la faim, des vêtements sales ou trop fripés, tout était prétexte à manquer les cours. Les habitués de l'école buissonnière prenaient cette disponibilité pour faire provision de mangues. Ils les négociaient ensuite à la sortie des classes auprès des autres écoliers, ou en faisaient offrande à l'écolière pour laquelle leur cœur battait chamade.

 

Mais à chaque fois, le résultat est acquis : une punition à l'école, une raclée à la maison.

 

Qui se souvient qu'en 1966, le 4 novembre très exactement, à l'appel de l'UNESCO, c'est en cueillant et vendant des mangues sur les marchés que les élèves des écoles centrafricaines ont pu participer à la sauvegarde de Venise menacée par les inondations ? Oui, des mangues pour sauver la cité des Doges !

 

Le bien nommé Nestor Baliga n'a sans doute pas connu cette période. Aussi devrait-il raconter cette petite histoire dans les écoles de Bossembélé afin de sensibiliser les écoliers et leurs parents à la protection des manguiers et à la défense de la nature.

 

Quant aux jeunes sans emplois de la ville, on ne peut pas leur interdire de s'investir dans l'économie du pays, bien au contraire ; on leur conseillera cependant de recourir aux arbres non fruitiers pour alimenter leurs fours, à une seule condition : un arbre coupé, une jeune pousse replantée. Autrement dit, ils doivent s'investir dans l'or vert, planter des forêts d'arbres et se constituer un domaine, sous forme de coopérative s'il le faut. Dans cette perspective, ils peuvent bénéficier des conseils d'un professionnel forestier, l'estimé M. Nestor Baliga.

 

 

Prosper INDO

03 Décembre 2016