IMPRESSIONS DE BANGUI III

 

IMPRESSIONS DE BANGUI III - LA REPUBLIQUE DES ENFANTS. Par David KOULAYOM-MASSEYO

          S’il est rafraichissant, stimulant voire enthousiasmant de constater la présence de nombreux jeunes, à Bangui et partout ailleurs en Centrafrique, il est tout aussi angoissant de voir que cette jeunesse dynamique, curieuse, avide de connaissances, connectée au reste du monde, reste désespérément inoccupée, au chômage . Tant d’ énergie non canalisée, véritable bombe à retardement plus la présence massive des mercenaires étrangers camouflés dans la nébuleuse Séléka qui écume l’arrière-pays, constituent les véritables enjeux futurs de la RCA . Gouverner, c’est surtout prévoir .

 

  III .  LA REPUBLIQUE DES ENFANTS

    Certes, mon séjour au pays a coïncidé avec les vacances scolaires en Centrafrique . Certes la guerre larvée, sans nom que livrent les mercenaires apatrides et leurs suppôts à notre pays, a vidé les provinces centrafricaines de leurs jeunes…mais il est indéniable qu’on rencontre beaucoup d’enfants à Bangui . Des enfants qui errent seuls à travers la ville ou par grappes entières, qui jouent au football à longueur de journée sur des terrains défoncés, exiguës, des chaussées mêmes … Pour cela, le football est le sport idéal car il est moins exigeant en matériels : un vieux ballon même crevé ou fait de vieux chiffons, des poteaux de fortune ( sacs à dos, habits posés par terre, cailloux ) font l’affaire. Pas besoin de crampons appelés bottines ici. C’est avec leurs mgbala (sandales) que ces jeunes font des prodiges balle au pied : dribles, pointe de vitesse, jongles, ailes de pigeon… On se prend à rêver en voyant ces jeunes réussir plus de cent jongles chaussés de mgbala ! Que ne feraient-ils pas sur des pelouses !

    Les parties de football sont entrecoupées de jeux d’adresse : un mini-goal avec filet ( toile de moustiquaire ) est posé à dix, vingt ou trente mètres d’un commun accord . Ramasse la mise celui qui réussit à marquer le plus de buts . Ces joueurs crient beaucoup, ne respectent pas toujours les personnes âgées qui viennent à passer sur leur aire de jeu et parlent une sorte de Sango argotique. Leur dynamisme sur les terrains de football n’a d’égal que celui mis par certains Centrafricains à fréquenter les nouvelles églises et leur engouement pour ce sport me rappelle ce que j’ai vu à Douala. 

     Après le football, l’autre passe-temps favori des enfants de mon arrondissement est le jeu de la guerre avec des armes faites de bric et de broc jusque y compris des gilets pare-balles ! Ils ont ainsi passé une demi-journée à se faire la guerre, élaborant des plans tactiques, évacuant les blessés à dos d’homme ou sur des civières improvisées sans oublier de faire des prisonniers. Une vraie guerre en miniature et non pas une guerre des boutons !

     Les plus grands ou plus débrouillards ( collégiens, lycéens, étudiants …) font dans l’informel c’est-à-dire qu’ils sont « boubanguéré » ou moto-taxis. Le phénomène boubanguéré est fascinant à observer car il fait de Bangui une ville où l’on vous propose, le temps d’avaler une bière, tout ce qu’il  est possible et imaginable d’acheter : des habits, des chaussures, des lunettes, des bracelets, des casquettes, des cure-dents, des brosses à dents, des couverts, des bouteilles d’alcool plus ou moins douteux, des téléphones, des jouets, des friandises de toutes sortes, des beignets, des bananes, des arachides, des matériaux de construction, des outils, des bouilloires, des radios, des casseroles, des briquets, des cigarettes, des clés USB, des rallonges, des drapeaux, des médicaments….Tant et si bien que vous pouvez sortir tout nu à Bangui et revenir à la maison habillé comme un nabab avec de quoi construire une maison et l’équiper entièrement…si vous avez beaucoup d’argent.

    Quant aux motos-taxis, nonobstant l’énorme service qu’ils rendent aux plus démunis, aux familles nombreuses en les déposant dans les endroits les plus reculés de la capitale et au dehors, ils posent quelques réels problèmes qu’il ne s’agit pas d’occulter sous prétexte qu’ils pallient l’absence de transports en commun : ils polluent énormément et en plus, rares sont les conducteurs de motos à avoir leurs permis moto. Ne parlons même pas du casque qui est inconnu ici. Chaque fois que j’ai eu affaire aux motos-taxis, j’ai essayé de sensibiliser les conducteurs au port du casque, en vérité, leur seule protection ! Autant pisser dans un violon …   

 

     Un jeune ex-Séléka m’a été présenté. A ma question :

-Pourquoi t’es-tu engagé dans la Séléka ?

Il a répondu le plus tranquillement du monde :

-A cause de mes cinq mille francs ( 5000 francs CFA )

Il faisait allusion aux cinq mille francs exigés par Francis Bozizé en complément d’un dossier de recrutement  dans la gendarmerie ou l’armée nationale et dont il n’a jamais revu la couleur. Que répondre à ce jeune et plus généralement à la jeunesse centrafricaine ? Des raisons subjectives ou objectives ne manquent pas en Centrafrique pour embrasser une mauvaise cause. Cependant la jeunesse qui est l’avenir du pays doit prendre conscience de son rôle futur. Pour cela, nous devons lui offrir une bonne éducation, des équipements sportifs, des emplois y compris dans l’arrière-pays. Bref, donner des raisons d’espérer à cette jeunesse traumatisée par plusieurs années de guerre.

     L’atout de la jeunesse peut très vite se transformer en inconvénient.

Dieu bénisse la RCA.

 

      La suite au prochain numéro.

                                                                Le 13 Octobre 2016-10-13

                                                                David KOULAYOM-MASSEYO.