« Le conseil tenu par les rats».

 

 

Tout le monde connait la morale de ce conte du fabuliste français Jean de La Fontaine, qui met en scène une population de rats affligés par les attaques de Rodilardus, le chat :

 

« Ne faut-il que délibérer,

La Cour en conseillers foisonne ;

Est-il besoin d'exécuter,

L'on ne rencontre plus personne ».

 

Cette loi s'attache parfaitement à la situation qui sévit actuellement en République centrafricaine.

 

I – Anatomie d'une discorde générale.

 

A la suite du succès de l'opération « ville morte », initiée par la société civile et l'artiste Gervais Lakosso, le porte-parole du gouvernement pointe du doigt les hommes politiques.

De son côté, le représentant spécial du secrétaire général des Nations Unies et chef de la Minusca n'est pas en reste ; il s'en prend à ceux qu'il qualifie « d'ennemis de la paix », sans les nommer, et les menaces de la Cour pénale internationale. Jusqu'à la France qui, à travers la personne du porte-parole du ministère des affaires étrangères, Romain Nadal, « dénonce les provocations et les attaques contre la Minusca et lui affirme son entier soutien ». Un tel consensus dans la dénonciation devient suspect.

 

Ce tir groupé de réactions fait suite à la multiplication des accrochages sur le terrain. De Bangui à Kaga-Bandoro, en passant par Grimari et Bambari, la RCA vit une nouvelle flambée d'incidents meurtriers. Ce regain de violences coïncide avec la fin de l'opération Sangaris. Stigmatisant la passivité supposée des éléments de la Minusca positionnés à Kaga-Bandoro, la société civile réclame le départ des forces internationales de maintien de la paix de l'Onu. La manifestation de la société civile rencontre l'assentiment des Banguissois, mais la réaction de la Minusca pour dégager les barricades fait quatre morts. A partir de cet instant, tout dérape et s'emballe.

 

Le gouvernement crie à la manipulation. Selon son porte-parole, « certains hommes politiques tapis dans l'ombre et se cachant sous la bannière de la société civile tentent une fois de plus, de troubler l'ordre public chèrement acquis par le peuple centrafricain. Les manifestations et appel à la désobéissance civile du 24 octobre s'inscrivent en droite ligne du plan funeste ourdi par ses hommes politiques connus des services de police et de la justice ».

Ce jargon est emblématique de l'impuissance de tous les gouvernements centrafricains depuis le régime de Jean-Bedel Bokassa. Cette menace voilée est le symbole d'un boxeur qui frappe dans le vide, tournoyant sur lui-même, knock-out debout.

 

Comment comprendre qu'une manifestation, officiellement interdite, puisse se dérouler sans que des mesures préventives aient été prises ? Les initiateurs étant connus, pourquoi n'ont ils pas été appréhendés et conduits au poste pour s'expliquer.

 

Qui manipule qui ?

 

On n'oublie pas qu'il y a deux mois, le premier-ministre Simplice Sarandji n'a pas eu de mots assez durs pour confondre la Minusca, dont les éléments auraient été coupables d'avoir laissé s'évader des leaders de l'ex-Séléka ; ces derniers ont pu quitter Bangui pour Kaga-Bandoro. On se souvient des prises de position ferme du ministre de l'Intérieur, Jean-Serge Bokassa, reprochant à cette même Minusca de ne point appréhender les quelques 300 criminels identifiés par ses services. Le ministre a utilisé les mêmes termes que le sieur Lakosso pour fustiger les troupes de la Minusca après les évènements de Kaga-Bandoro.

 

C'est dans ce contexte qu'a été organisée la rencontre entre le chef de l'Etat et les « forces vives de la Nation ». Celle-ci n'a rien donné, conformément à la morale de la fable citée plus haut. Le Président, qui a réclamé une minute de silence à la mémoire des différentes victimes de ces derniers jours, a répété sa stratégie de « désarmement concerté ». C'est le même discours qu'il a déjà tenu devant la communauté centrafricaine de France lors de son escale parisienne, au retour de l'Assemblée générale de l'Onu. De ce discours, il ne ressort rien de concret, ni mesures phares, ni échéances programmatiques, si ce n'est l'appel à l' « Union sacrée ». En la circonstance, il serait plus judicieux d'appeler à l' « union nationale », concept plus politique et d'essence moins divine.

 

En réalité, depuis l'élection de Faustin Touadéra, tout se passe comme si la RCA vivait une nouvelle transition. Les autorités centrafricaines actuelles n'ont qu'une seule idée en tête : la Table ronde des bailleurs de fonds qui doit se tenir le 17 novembre à Bruxelles. Tout est mis en œuvre pour amadouer la communauté internationale, quitte à cacher les problèmes et les morts sous le paillasson.

La stratégie du « désarmement concerté » avec les différents groupes armés participe de cette démarche. Faire croire que tout va pour le mieux, afin d'assurer le succès de la table ronde, dont on se partagera, le moment venu, les bénéfices dans le cadre du DDRR...

 

Malheureusement, les faits sont têtus.

 

II – Les éléments en présence et leur stratégie.

 

1 – Pour la Minusca.

 

Le peuple centrafricain n'oublie pas les victimes des abus sexuels reprochés aux militaires français et aux éléments de la force internationale de maintien de la paix. Ces drames ne connaitront peut-être jamais leur épilogue.

A ces crimes, viennent s'ajouter les incursions meurtrières périodiques des ex-Séléka au sud de la ligne de neutralité, définie par la Minusca, qui court de Kaga-Bandoro à Bria. Ces deux check-point n'interdisent donc pas les infiltrations armées vers Kouango par exemple. Théoriquement, les ex-Séléka bénéficient des « mesures de confiance » instaurées par le général français Soriano à la fin de l'année 2013 : ils sont cantonnés et gardent leurs armements, mais peuvent quitter leur cantonnement sans armes.  Ce n'est plus le cas, depuis longtemps.

Enfin, le 4 octobre dernier, le colonel Marcel Mokombé est assassiné au PK.5, le quartier musulman de Bangui. La Minusca prétend avoir identifié le meurtrier mais ne peut l'arrêter, au prétexte qu'il est protégé par un groupe d'auto-défense. Il faut attendre les escarmouches de ce dimanche 30 octobre 2016, entre groupes armés rivaux de ce quartier musulman, pour apprendre le décès du commanditaire de ce cette élimination physique !

Mis bout-à-bout, ces éléments d'information donnent le sentiment d'une connivence, soit de proximité soit d'appartenance confessionnelle, ou l'exercice d'un droit de retrait non avoué de la part de certains contingents de la Minusca. Le nier serait offensant pour le bon sens populaire.

 

2 – Pour l'opération Sangaris.

 

Pour ce qui la concerne, la France met un terme à l'opération Sangaris. Cette fin était programmée depuis la fin des élections présidentielles, pour des raisons de politique intérieure française, sans rapport avec la situation sur le terrain.

Si l'opération Sangaris a bien évité un massacre de masse depuis le 5 décembre 2013 et a permis de stabiliser la période de transition jusqu'aux élections présidentielles et législatives, ce repli ne règle pas tout. Certes, il ne crée pas un vide puisque la France laisse sur place une force d'intervention rapide disposant de quelques moyens de surveillance. Mais cette force sera inopérante. En effet, elle ne pourra pas intervenir contre des groupes armés qui se déplacent désormais à motocyclette, par grappes de quatre hommes fortement armés, donc moins repérables que les pick-up surchargés de type Daesch.

 

3 – La surenchère des ex-Séléka.

 

Tout le monde pressent que les ex-Séléka n'attendent que le départ des troupes françaises pour repartir à l'assaut des nouvelles autorités et du pouvoir. L'assemblée générale des 18 et 19 octobre 2016 qui s'est tenue à Bria, a redéfini la ligne hiérarchique du mouvement rebelle et témoigne de cette option belliqueuse, puisque les « généraux » Abdoulaye Hissène (FPRC), Ali Darass (UPC) et Al Khatim (MPC), se partagent les postes de l'état-major militaire. L'aile politique sera animée par Zacharia Damane (UFDR), Nourredine Adam (FPRC) et Joseph Zoundeka. Entre temps, les ex-Séléka se sont militairement renforcés en armes et logistiques en provenance du Soudan. Le partage des responsabilités ci-dessus traduit les derniers rapports de force sur le terrain ainsi que la surenchère entre les différents chefs de guerre.

Cependant, si la ligne politique de la coalition demeure la partition de la RCA - c'est le cœur de leur action - cet objectif n'est pas encore unanimement partagé par tous. C'est la raison pour laquelle les différents mouvements politiques rattachés à ces chefs rebelles n'ont pas présenté de candidats, ni à la présidentielle ni aux législatives. Ils n'ont pas non plus appelé au boycott du référendum sur la nouvelle constitution qui réaffirme le principe de l'unité et de l'indivisibilité du pays, contrairement aux prises de position antérieures de Michel Djotodia.

En attendant la partition, leur préoccupation est autre : faire main basse et tirer profit des ressources naturelles des territoires sous leur contrôle, pétrole et diamant. Le statu quo actuel leur procure prébendes et privilèges.

Leur participation aux réunions du comité consultatif du DDRR n'est qu'une ruse pour gagner du temps. La duplicité est au cœur de leur stratégie.

 

4 – Le retour des Bozizé.

 

Les anti-Balaka ont eux aussi repris les sentiers de la guerre. Le retour du fils Bozizé à Bangui leur a redonné confiance. D'abord arrêté par la Minusca, au vu d'un mandat d'arrêt international, Francis Bozizé a été déferré aux autorités centrafricaines qui l'ont ausitôt remis en liberté, comme on se débarrasse d'un colis encombrant.

De son côté, ayant apporté son appui à la candidature de son ancien premier-ministre, alors que ce dernier avait été exclu du parti Kwa na Kwa dès l'annonce de sa candidature à la présidentielle, François Bozizé, le président déchu, est convaincu de reprendre son « bien ». La stratégie des Bozizé, père et fils, consiste à coller au chef de l'Etat élu. Ils ne doutent pas que la multiplication des escarmouches finira par affaiblir ce dernier. Ils parient sur la déconvenue de Faustin Touadéra.

Ils n'ont que faire du succès de la table ronde de Bruxelles. Ils ont déjà acté que les fonds qui seront accordés n'iront pas financer le DDRR, mais prendront une tout autre direction, comme en 2008 et 2010. Voilà pourquoi leurs représentants au sein du comité consultatif du DDRR ont quitté cette instance, une enveloppe vide. Ils jouent le départ de Faustin Touadéra, eux aussi.

 

5 – L'attentisme des forces vives de la Nation.

 

Depuis la proclamation des résultats de la présidentielle et des élections législatives, les partis politiques de l'opposition démocratique font profil bas. A l'Assemblée nationale, où les députés indépendants constituent désormais la « majorité » parlementaire, leurs députés se comptent sur les doigts de la main et occupent des strapontins. Ils sont devenus inaudibles.

Après une telle déconvenue, la sagesse commanderait que chaque mouvement fasse son aggiornamento, revoit sa stratégie et ses alliances, reconsidère ses objectifs, restructure son organisation interne, etc. Rien de tout cela ne vient.

Si l'on fait un sort à part au président de l'URCA, Anicet-Georges Dologuélé, qui s'exprime encore au plan international, répétant inlassablement : « Touadéra n'a rien fait », les autres leaders politiques ont la tête dans le bonnet. Ils ne portent aucune proposition de sortie de crise, à l'exemple du dernier communiqué du MLPC appelant à une collecte pour venir en aide aux victimes des récents évènements de Kaga-Bandoro, compassion honorable et respectable mais sans réelle portée politique.

 

6 – L'énigme Faustin Touadéra.

 

Elu triomphalement au mois de mars dernier, le président Faustin Touadéra avait toutes les cartes en main pour abattre le château de cartes qu'est devenue la République centrafricaine. Cependant, après seulement six mois de présence à la tête de l'Etat, il est de plus en plus rejeté par la population. Cette défiance est la conséquence d'un mauvais positionnement. La population attendait la justice pour les victimes, il leur demande d'accorder le pardon. Elle souhaite le désarmement effectif des groupes armés, il leur promet la réconciliation nationale. Elle réclame le retour de l'ordre public, il leur oppose le « désarmement concerté ». Elle recommande la fin de l'impunité, il invoque l'Union sacrée. Elle recherche la compassion, il se retranche derrière la Table ronde des bailleurs de fonds de Bruxelles. Etc.

Le président Touadéra est une énigme. Trois raisons à ce sentiment de flottement. D'un côté, il a brutalement coupé les ponts avec tous ceux qui l'ont aidé dans son ascension et qui pouvaient le conseiller utilement, sans doute par peur de la Françafrique. De l'autre, son staff est totalement divisé, partagé entre les anciens caciques du régime Bozizé et les ralliés de la dernière heure (aventuriers et copains de fac). Enfin, son gouvernement dit de « remerciement » est inefficace car déséquilibré. Ce gouvernement est constitué en grande partie par d'anciens candidats malheureux à la présidentielle qui ont réalisé des scores médiocres, entre 0,5 % à 6 %. Ils ne constituent pas un socle électoral solide et n'ont aucun poids politique.

 

Que faire ?

 

Le chef de l'Etat a tort de faire une fixation sur la date du 17 novembre 2016. Il n'est pas certain que la Table ronde de Bruxelles se tienne à la date convenue. On peut craindre un report de cette réunion. Il aurait plutôt intérêt à veiller au bon équilibre interne du budget de l'Etat, en faisant transiter par le Trésor public, aussi bien tous les dons et prêts internationaux que les ressources douanières du Guichet unique de Douala, ainsi que les ressources des autres régies financières. La lutte contre la corruption est un impératif !

En second lieu, il lui faut renouer avec ses amis d'hier. Il n'est pas sûr qu'ils seront dans les mêmes dispositions d'esprit à son égard, à l'issue des présidentielles françaises de mai 2017.

Enfin, il semble urgent qu'il prenne conscience de la faiblesse de son équipe et la remanie profondément.

Dans les trois mois qui viennent, le gouvernement ne doit avoir qu'une seule priorité en tête : le rétablissement de la sécurité et de l'ordre public, sans lesquels aucun pays ne marche droit. Il appartient donc au président de prendre une décision forte, quitte à bousculer ses alliés.

 

III – Un choix « au fil de l'épée ».

 

L'heure n'est plus à psalmodier indéfiniment le mantra de l'unité nationale et de l'indivisibilité du territoire. Le gouvernement actuel n'a pas les moyens militaires et politiques d'imposer le désarmement forcé des groupes rebelles de l'ex-Séléka. On voit mal la Minusca en prendre l'initiative. Quant au désarmement « concerté », si cher au président Touadéra, il n'arrivera pas. Les ressources financières attendues des bailleurs de fonds à la prochaine réunion du 17 novembre 2016 à Bruxelles n'y suffiront pas, l'appât du gain des différentes rébellions étant devenu inextinguible.

Pour preuve, lors de l'assemblée générale citée plus haut, les ex-Séléka ont exigé du gouvernement :

-        le dédommagement des combattants victimes des conflits armés (?),

-        la prise en charge sociale des invalides, des veuves et des orphelins victimes des conflits armés,

-        la réhabilitation des éléments des forces de défense et de sécurité (les déserteurs) radiés de leurs corps respectifs !

 

A ce tarif, l'alternative est désormais simple, soit le dépôt inconditionnel des armes et le retour des rebelles dans la légalité républicaine, soit la partition et l'indépendance des régions du nord (Vakaga, Bamingui-Bangoran).

 

Face à ce choix, le gouvernement centrafricain se trouve sur le fil du rasoir. La solution la moins traumatisante pour le peuple centrafricain serait l'indépendance du nord ; une goutte de pétrole ne vaut pas une vie d'un homme, le plus misérable soit-il. Le gouvernement devrait donc prendre l'initiative d'un tel débat devant l'Assemblée nationale. Cette réflexion, que j'avais proposée en son temps, a été occultée lors du référendum sur la nouvelle constitution. Il revient désormais aux représentant du peuple de s'en saisir. Les forces de maintien de la paix de l'Onu en Centrafrique aurait ainsi une mission claire : à l'exemple de la ligne verte (la ligne Attila) instaurée entre la République de Chypre et la République turque de Chypre du Nord, elle servirait de ligne rouge de démarcation.

A ceux qui s'offusqueraient d'une telle proposition, faisons remarquer que l'Alsace et la Lorraine ont longtemps appartenues à l'empire allemand (1871-1918) et au IIIème Reich (1940-1945), avant de revenir définitivement dans le giron de la France à l'occasion de la constitution de la Communauté européenne en 1957. Plus proche de la RCA est le cas du Soudan et de Sud Soudan.

 

Si l'Assemblée nationale vote pour l'indépendance de l'Aoûk, elle épargnerait à la République centrafricaine une guerre civile fratricide. Les partisans de l'ex-Séléka pourront se replier dans leur nouvel Etat, sous protection de la Minusca.

Si les représentants du peuple venaient à repousser cette proposition, en se prononçant pour l'intégrité et l'indivisibilité du territoire actuel, alors il faudra se donner les moyens juridiques et militaires pour engager le désarmement forcé de tous les groupes armés et autres milices.

Pour cette dernière engeance, imitons Jean de La Fontaine,

 

« le Doyen Touadéra devra

rechercher, et le plus tôt

que le plus tard,

Pour attacher le grelot,

au cou de Rodilard,

de tous les rats le plus sot ».

 

 

Paris, le 01 novembre 2016

 

Prosper INDO

Président du CNR