UNE PRIME POUR LES ASSASSINS

 

 

   Une guerre ne se termine pas nécessairement par une victoire. Elle peut se terminer par la paix des braves. Mais quand elle se prolonge ad vitam aeternam, on est tenté de la conclure par d'autres moyens : le DDRR par exemple. Ce moyen, peut-il mettre fin au conflit centrafricain ? Il est temps que nous nous interrogeons sur le Désarmement, la Démobilisation, la Réinsertion et le Rapatriement des hordes qui écument la Centrafrique. À quoi sert le DDRR ?

 

1. LA CHARRUE AVANT LES BOEUFS

 

   Cette question ne se serait jamais posée si on avait indemnisé toutes les victimes des rebelles, si on avait rapatrié tous les exilés qu'ils ont poussé hors de la Centrafrique, et si on avait traduit en justice les principaux responsables de toutes ces rebellions. Elle se pose donc parce qu'on a inversé l'ordre des priorités, en commençant par exhiber des primes au yeux des belligérants, et en espérant ainsi les obliger à déposer les armes une fois pour toutes.

   Cette politique a un avantage : celui d'acheter la paix. Elle a un inconvénient : celui de récompenser le crime. Je répète que dans un pays normal, on se serait préoccupé du sort de toutes les victimes, de tous les rescapés et de tous les exilés avant de promettre le moindre centime aux criminels. On va m'objecter que la paix n'a pas de prix, que dans sa situation de pays sans armée ( les FACA sont en formation ), la Centrafrique n'a rien à opposer à la folie sanguinaire des groupes armés. Si le DDRR parvenait à arrêter l'effusion de sang, il aurait retiré une écharde du cœur du continent. C'est le souhait de tous les Centrafricains. Mais je ne souscrirai à cette objection que le jour où on m'aura démontré que les rebelles, qui nous ont jusqu'ici habitués à des palinodies, vont cette fois-ci respecter leur parole.

   Les mercenaires qui ont aidé Bozizé à perpétrer son coup d'État avaient été indemnisés. Cela ne les a pas empêchés de revenir le renverser.

   À quoi sert le DDRR ? Et d'abord, qui va désarmer les groupes armés ?

 

2. ENTRE FUMISTERIE ET POKER MENTEUR

 

  Qui va désarmer les rebelles endurcis par des années de rébellion ? Pour le moment, je ne vois personne. Les Français de l'opération Sangaris pouvaient le faire, avec le concours de la MINUSCA. Mais M. Hollande en avait décidé autrement. Il craignait probablement un enlisement en Centrafrique, alors qu'il pensait, à ce moment là, se représenter à la présidentielle, avant que des sondages catastrophiques ne l'eussent contraint à baisser pavillon.

   Si donc pour le moment personne ne peut désarmer les rebelles, à quoi sert le premier D de DDRR, le plus important des deux D ? La réponse est simple : il ne sert à rien. C'est une coquille vide. A quoi sert le dernier R de DDRR, le plus important des deux R ? La réponse est simple : il ne sert à rien. C'est une coquille vide. Il n'y a ni Désarmement ni Rapatriement à l'horizon ; ou alors ils se feront contre espèces sonnantes et trébuchantes, sans garantie aucune de paix véritable. Parce que les rébellions en Centrafrique sont devenues, je l'ai déjà dit, un fonds de commerce. Et c'est pour cette raison que les hors-la-loi affluent de partout, et probablement aussi pour le traitement qui leur est réservé : ils sont souvent caressés dans le sens du poil.

   Samba Panza au pouvoir savait que ses jours étaient comptés, qu'elle ne parviendrait pas à réduire les rébellions et par conséquent à sécuriser le pays. Elle n'avait pas d'armée. Elle n'avait pas de milice. Et pour lui compliquer la situation (vous voyez que je la défends maintenant), et pour lui compliquer la situation donc, la Sangaris et les troupes onusiennes venues lui prêter main-forte s'étaient transformées en forces d'interposition, qui ne s'interposaient qu'après coup : les exemples sont légion : chacun choisira celui qu'il connaît.

   La paix s'étant échappée, la paix s'étant métamorphosée en bêtes féroces, il ne restait, pour tenter de la reconquérir, que le DDRR entre les mains de Samba Panza. Autant dire rien. Mais ce rien lui permettait de jouer la montre, de parlementer et de donner l'illusion d'œuvrer pour la paix.

   Avec les dirigeants actuels, le DDRR est entré dans sa phase expérimentale. Quelques rebelles ont déposé les armes en échange d'aide pécuniaire et matérielle. Dans le même temps, le plus puissant des chefs rebelles s'est retiré du processus. Ceux qui y croient encore font semblant, puisqu'ils continuent de s'armer et de massacrer les populations civiles.

   À ce propos, l'embargo de l'ONU sur les armes en Centrafrique a favorisé de fait les rebelles qui, par définition, sont réfractaires à toute loi, à tout interdit. Ils en ont profité pour s'armer et s'accaparer de toutes les richesses du pays. Ils se sont enrichis au point de considérer aujourd'hui le DDRR comme des clopinettes. Alors est-ce trop demander à l'ONU que de contribuer au ramassage des armes que son embargo et que son impéritie ont fait fleurir comme de l'ivraie sur tout le territoire centrafricain ? Comment peut-on décréter un embargo et ne pas se donner les moyens de le contrôler sur le terrain ?

 

3. POLITIQUE FICTION

 

   Chers lecteurs, pensez-vous qu'avec un DDRR irakien, on aurait vaincu l'État islamique ? Pensez-vous qu'avec un DDRR syrien, l'État islamique serait vaincu.

   Seule, l'armée irakienne peinerait encore devant les islamistes, mais elle avait le soutien d'un allié sûr, les États-Unis, dont les forces aériennes ont été d'une efficacité redoutable dans les batailles.

   Seule, la Syrie serait peut-être déjà vaincue. Mais elle a bénéficié elle aussi de soutiens sûrs : la Russie et l'Iran. C'est donc une coalition qui a gagné la guerre contre Daech.

   Qu'on arrête de nous bassiner les oreilles avec le DDRR. Il n'est ni dissuasif ni moralement défendable : les massacres du premier mai témoignent de son inanité. Son existence n'a pas empêché Abdoulaye Hissène de rassembler à Kaga Bandoro une coalition qui fait trembler la capitale. J'ai observé avec consternation les réactions de panique de l'establishment. Dans sa tête, reprendre la capitale, c'est reprendre les exactions. Ce qui est à la limite un sacrilège. C'est Bangui qui a fait de ce monsieur rebelle, un ministre. Elle ne peut se résoudre à l'idée qu'un de ses anciens ministres, conspirateur invétéré, revienne la frapper. C'est-à-dire faire à Bangui ce qu'il fait tous les jours en province. A-t-on poussé de grands cris quand quarante-quatre personnes ont été massacrées à proximité de Bambari ? Le Premier ministre s'est-il fendu d'un discours de condamnation ou d'une excuse à la radio ? La vie d'un Centrafricain de province ne vaut-elle pas celle de son compatriote de Bangui ? La capitale vit dans la psychose d'un coup de force des rebelles. Mais pour le moment, le grand chef rebelle n'a pas eu besoin de se déplacer. Ses desperados fanatisés ont frappé à sa place, dans l'enceinte d'une église, ce qui représente à mon avis le véritable sacrilège, auquel a répondu en représailles un autre sacrilège, la destruction d'une mosquée.  

 

 

                                      Anatole GBANDI (19/05/2018)