Forum centrafricain et Actualité d’un débat d’hier.(*)

 

En décembre 1991, dans un des cahiers que j’adressais aux partis politiques comme contribution à la préparation de la Conférence nationale, il était déjà acquis pour moi que la Conférence nationale, faisant le bilan des trente années de la gestion de l’indépendance, en appellerait à un changement de cap et donc à une rupture : rupture avec ce que j’ai appelé les « archaïsmes » :

 

Les Archaïsmes

Un musée à la dimension d’un Pays !

Ecran figé !

Vision d’arrêt sur image !

D’une année à l’autre,

La République Centrafricaine offre à ceux qui y reviennent

Cette tragique sensation de vie arrêtée.

Alentour, tout bouge.

Ici le temps s’est arrêté.

Atmosphère de midi.

Le soleil brûlant au-dessus de nos têtes oblige au repos.

Le vent est tombé et ne joue pas dans les branches des arbres.

Il ne fait pas non plus bouger l’herbe des champs.

Tout est calme.

Ce qui a bougé dans cette ambiance atone ?

Ce sont les enfants, qui, dans l’intervalle, sont nés.

Ils ont vite grandi.

Ils ont remplacé les adultes qu’on a connus,

Et qui s’en sont allés :

Car l’espérance de vie est encore et toujours faible.

Mais ces enfants ont le même visage :

Regard tragique, grave et désemparé de leurs aînés.

Les mêmes structures de vie,

Se dégradant au rythme du temps qui passe,

Les exposent aux mêmes impuissances

Et aux mêmes désarrois !

Là où il y a un emploi,

L’outil de travail ne s’est pas renouvelé :

La production n’a aucune chance de s’en trouver améliorée.

Et on en reste au même point

Qu’avant l’indépendance

A refaire les mêmes gestes,

Mais pour des résultats de moins en moins garantis.

Les reconversions ou adaptations,

Sous forme de regroupement des services ou des centres de production

Enregistrent toujours les limites des moyens :

Elles sont nécessairement et à chaque fois

Réductrices d’espaces et d’ambitions.

Spectacle de désolation de nos campagnes

Désertées par les jeunes partis vers les villes !

A ceux qui sont restés

Il a manqué la force pour entreprendre le voyage

Et l’audace pour l’aventure.

Il leur reste à vivre le sursis

Que leur accorde encore l’assaut conjugué de la maladie et de la faim.

Les villes de province ont perdu leurs centres d’attraction

Avec la fermeture des petits commerces et des petites industries.

Moura & Gouveia, Dias et Santos sont partis,

Relayés par Khalil ou Aziz…

Une autre technique de distribution,

A la hauteur d’une économie qui ne produit plus,

Et d’un pouvoir d’achat devenu nul !

Attraction de la grande ville :

Le dernier rêve ou la dernière illusion :

Bangui, la Capitale,

La Ville de tous les paris !

On y espère la concentration des moyens

Qui ont déserté la province :

Mais c’est pour y trouver

Une pléthore de besoins face à une pénurie dramatique de solutions !

C’est bien le scénario d’une descente aux enfers

Si on n’y prend garde !

 

Il faut une forte dose de cynisme pour faire du triomphalisme et annoncer des bilans positifs : il n’y a aucune preuve de ce qui aurait été fait pour épargner à la République centrafricaine une mort lente, mais certaine.

Sur toute cette tragédie, les discours officiels choisissent de jeter un voile pudique.

Il y a du « refus à l’évocation », sauf à l’assortir d’une condamnation sans appel de toutes les évaluations négatives vite et volontiers considérées comme « verbalisme », « incantation », « désinformation ».

Il y a du « refus à l’évocation », sauf, -lorsqu’ils sont bien obligés de reconnaître des évidences, à se réfugier immédiatement derrière le handicap des héritages, qui explique que les résultats ne sont pas à la hauteur des attentes.

Le « Médecin malgré lui » (David Dacko)  ne pouvait ou ne savait rien faire.

Les deux « Intrus » (Bokassa et Kolingba) par lui introduits avouent être partis de rien ; et il faut être Dieu pour faire surgir de l’être d’un néant !

Une action suppose un projet.

Les performances supposent des objectifs.

Un héritage qu’on évoque très peu ou très mal, c’est le rappel par Barthélemy Boganda des objectifs permanents de toute politique : assurer au Peuple les moyens de « se nourrir », de  « se vêtir », de « se loger », de « se soigner », de « s’instruire ».

Quels sont les mécanismes qui ont été mis en place pour assurer ce minimum ?

La situation du Pays au regard de ce « b a BA » de toute politique peut être vérifiée, qui atteste, -hélas !-, que, élus des hasards des circonstances, les conducteurs de l’indépendance de la République Centrafricaine ne pouvaient s’inventer autrement que comme des aventuriers sans projets et sans objectifs.

Sans génie, ils ont commencé par user tout ce qu’ils ont trouvé, puis se sont livrés à des tâtonnements, bricolages et improvisations aux résultats prévisibles : nuls comme nulle était l’inspiration qui les a fait naître !

La population décroît parce qu’elle n’a pas trouvé les moyens pour faire face à la maladie. Fort significative cette réflexion :

« Nous amenons les malades à l’hôpital pour avoir le permis d’inhumer ! »

La population décroît parce que la famine a fait son apparition et s’est installée.

On meurt de faim dans une République Centrafricaine naguère prospère !

Le Pays connaîtra très rapidement un gros problème d’illettrisme.

On ne construit plus ou pas assez d’écoles.

Il n’y a pas assez de maîtres ;

Et c’est le moment qu’on choisit pour inciter au départ un certain nombre d’entre eux, tandis qu’on ne se préoccupe nullement de la formation de ceux qui restent pour qu’ils soient toujours opérationnels !

Aucun programme de formation à l’emploi, qui eût pu résorber la délinquance et sauver tous les Jeunes largués du système scolaire parce qu’il n’y a pas de places pour tous, à la vérité !

L’entrée en sixième soumise à concours est bien une manière de se donner bonne conscience : l’Etat qui ne peut donner le moyen d’ouvrir l’école à tous se disculpe à bon compte en instaurant ce barrage artificiel, qui fait apparaître qu’il est de la responsabilité du seul jeune de n’avoir pas été à la hauteur de ce qui est exigé pour l’entrée au collège.

C’est une technique bien rodée : le fou est celui que nous enfermons pour nous persuader que c’est de son côté et non du nôtre qu’est la maladie !

Structures pour assurer la formation ou la santé…

Nnous n’avons que des héritages ou des habitudes d’un autre temps, qui ne résistent pas à l’usure. Et nous voilà courts de moyens : en quantité, assurément ; mais aussi et sans conteste : en qualité, dès lors qu’il n’y a eu aucun effort d’adaptation aux besoins nouveaux !

 

La Conférence Nationale doit définir ou repréciser la responsabilité de tous ceux qui ont été investis du pouvoir suprême. Elle doit mettre fin, par la même occasion, à la dimension étriquée de « chef de tribu » imposée depuis toujours à cette position sociale d’envergure.

 

Hier, la capitale politique du Pays avait été déplacée dans un petit village de la Lobaye et nous vécûmes au rythme de la vie des Pygmées…

Le monde clos de la forêt dense, sans soleil et sans horizon ;

Un monde sans ambition parce que dénué de tout point de repère ou de comparaison qui eût pu aider à s’affranchir du corset que représente l’univers de l’économie de cueillette !

Nous avons achevé le parcours avec le triomphal, mais non moins ridicule couronnement du chef du clan baptisé pour la circonstance « Empereur » : seule concession à l’air du temps et seule ouverture à la modernité !

 

Aujourd’hui, c’est une bourgade de la Basse-Kotto qui est à l’honneur.

Illustration de la nouvelle donne :

« Je suis pour l’efficacité ; et je sais surtout qu’avec les cadres Yakomas j’ai assez de monde pour diriger ce Pays. Je n’ai pas besoin des autres. »

Ces mots terribles ont une signature : ils sont d’un des inspirateurs de la politique actuelle et traduisent une volonté d’exclusion qui n’épargnera personne : sauf les « petites âmes prédestinées à toutes les prostitutions ». Et il y en eut, en effet :

Pour se trouver des généalogistes de commande ;

Pour se faire naître dans le village de l’homme du pouvoir ou de l’un de ses proches…

Et pour s’assurer de cette manière une place au soleil !

Le reste, -et un grand reste  - ? 

Son destin est à « marcher à l’ombre et à crever ».

 

Il est bien prétentieux de penser que, dans un cadre si étroit, on pourrait réunir toutes les conditions d’efficacité  pour une action à la dimension de la gestion d’un Etat.

La Conférence Nationale doit imposer l’ouverture à la dimension de la Nation :

Elle doit exiger que soient définitivement abandonnés  les comportements et pratiques du passé.Elle doit exiger le passage aux règles incontournables de la gestion d’un Etat moderne qui n’est en aucun cas réductible  à la gestion d’un village ou d’une tribu.

SI la rigueur est toujours de règle, puisqu’il y est toujours requis honnêteté, compétence  et sérieux, la dimension est tout autre : un Etat moderne, c’est non seulement une grande quantité de besoins à satisfaire, mais aussi et à cause de cela, la nécessité d’agréger le plus grand nombre de compétences –et donc de personnes- pour satisfaire ces besoins : sans exclusion. Arrêter les contributions à un groupe, de surcroît minoritaire, au détriment du plus grand nombre n’est pas un mode ni raisonnable ni efficace de conduire une communauté d’hommes de la dimension d’une Nation….

 

Chemin faisant, nous avons recensé les handicaps de la Société centrafricaine et les forces d’inertie qui ont grippé les rouages et empêché la machine de tourner au bon rythme. Les ruptures à opérer sont indiquées par la même occasion pour sauver l’avenir :

Contre l’aventurisme, il faut une ligne directrice et une perspective politique claire.

Contre l’amateurisme et ces improvisations révélatrices d’une absence totale d’imagination, il faut des objectifs définis.

Contre la démobilisation, il faut enfin, en s’ouvrant à l’esprit et à la dimension de la nation, créer les conditions du dynamisme collectif plus porteur d’espoir et d’efficacité.

La Démocratie apparaît souvent comme un sujet de débats et discours académiques. On peut la circonscrire dans un schéma bien simple en la concevant comme un cadre de vie qui assure à chaque citoyen le bien-être, garantit les libertés individuelles et la dignité humaine.

Dans un tel cadre,

On est citoyen à la condition de se considérer « bâtisseur de la cité ».

On est citoyen parce qu’on est  concerné et qu’on s’implique dans tout ce qui est entrepris pour l’épanouissement de la vie commune.

C’est le devoir de toute politique de créer l’esprit citoyen : la mobilisation de tous les talents individuels au service d’une œuvre et d’une utilité communes.

La solidarité internationale s’inscrira en appoint pour renforcer la mobilisation interne et  aider à créer les conditions d’une efficacité plus grande.

Elle ne sera jamais un supplétif dans un jeu interne faussé.

Elle ne sera pas la compensatrice d’une démobilisation interne généralisée.

 

Au regard de ces exigences, l’on appréciera le chemin qu’il nous reste à parcourir.

Le temps presse.

 

 

B. MANDEKOUZOU-MONDJO

 

 

(*) Il est une complexification du débat que représentent les revendications territoriales de la Sélèka ou des Musulmans. Ceci me paraît être une variante de la critique portée contre  les politiques d’aménagement du territoire opérées par tous les pouvoirs successifs : plus au profit des clans, tribus et régions que dans le sens bien compris du service de la Nation entière.