LA VIE AU VILLAGE (1) DE BOZIZE

 

S'il y a  deux livres dont je dois recommander la lecture pour cette année finissant, ce seront certainement :

  1. « En attendant le vote des Bêtes sauvages », Ahmadou Kourouma, Éditions du Seuil, août 1998 ; et
  2. « Radioactif », Vincent Crouzet, Éditions Belfond, 2014.

 

Pourquoi ?

  1. Dans cet état fictif qu'est devenu l'ex Centrafrique du 1er décembre 1958, certains osent parler d’élection alors que  la crise centrafricaine n'est pas une crise de légitimité. En effet, la RCA est aujourd'hui un failled state. Lorsque dans ce qui apparaît être un état fictif, on ne parle que d’Élections, on est autorisé à s'interroger sur la perception que nous avons de nos propres réalités. 60% du territoire national échappe au contrôle des autorités centrales et dans les 40% restant, il y a de larges zones qui échappent à tout contrôle, pour preuve, même à Bangui, il y a des zones où il est difficile d'y mener des activités politiques. Plus d'un million de déplacés interne et environ 500.000 dans les pays voisins. L'état civil, totalement ou partiellement détruit. Un état fictif, sans armée avec une police et une gendarmerie réduites. Je conseille la (ré)lecture du roman d'Ahmadou Kourouma d'abord pour le titre qui correspond à ce que nous sommes devenus , des bêtes, que certains veulent dompter ou sacrifier au service de leurs calculs, même si les réalités recommandent un autre agenda, une solution. Ensuite pour sa morale.
  2. Entre 2007 et 2009, un nom avait défrayé les chroniques. SAIFEE DURBAR. Un sujet venu du Pays des Purs (le Pakistan) ex-ami et conseiller de Patassé, principal financier du coup d'état du 15 mars 2003 et nommé par Yangouvonda, Ministre Résident de la RCA en Grande Bretagne. C'est lui, l'acteur principal de ce thriller qui tourne autour du rachat des mines d'uranium de Bakouma (Mbomou, Sud-RCA) par AREVA. Cette enquête romancée, présente non seulement la nullité absolue de Yangouvonda mais aussi et surtout comment lui (Yangouvonda), son neveu Ndoutingaye, les Présidents Sud-Africain et Namibien, ainsi que quelques personnalités en Afrique et en France, se sont partagés un gros paquet de millions de dollars. Le 18 juin 2014, quelques jours après la sortie de son roman, Vincent Crouzet est entendu par la justice française durant 7 heures. C'est dire le poids des révélations de son roman. « RADIOACTIF » est avec « Pouvoir et Obéissance en Centrafrique » de Didier Bigo, un livre que chaque centrafricain devrait posséder ou avoir lu. Il permet de comprendre le mécanisme et le règne de la « MAFIACRATIE » en RCA et les tentacules des intérêts déployés autour de l'ex Centrafrique du 1er 1958. La vacuité de ses dirigeants, les mœurs débridées, la course à l'argent, au pouvoir ; etc. « SAVOIR, C'EST AVOIR CONSCIENCE » j'ai l'habitude de dire. Nous devrons avoir conscience que si nous sommes aujourd'hui au fond du trou, c'est aussi en partie à cause d'une conception patrimoniale du pouvoir. J'offre donc 15 exemplaires de RADIOACTIF à l'Université de Bangui et 5 à la maison de la Presse et des Journalistes de Bangui.

 

Mais de quoi suis-je en train de parler ?

Place à un article de presse(2) : « Le plus grand crash financier de l'histoire du géant nucléaire français cache-t-il la plus grande opération de retro-commission de la décennie?

7 ans après. Longtemps le rachat d'Uramin, jeune start-up minière immatriculée aux Iles Vierges Britannique par Areva pour 2,5 milliards de dollars, est demeuré en dehors des radars de la justice. Si bien que ses architectes, ou supposés tels, n'ont eu qu'un mot à la bouche. «Prescription». Un signe de fébrilité de plus en plus prononcé ces dernières semaines. L'enquête sur cet OPA acté par une entreprise publique française sur les seconds marchés boursiers de Londres et de Toronto entre les deux tours de la présidentielle de 2007 a enfin démarré. La cour des comptes en examinant la gestion du nucléaire français a d'abord sonné l'alarme. Une alerte adressé directement au parquet national financier pour faux, usage de faux, présentation de faux bilan etc… 

Les investigations préliminaires ont attendu la fin du procès Brero, du nom de l'affaire «d'espionnage» interne à Areva pour frapper. Les premières perquisitions. 

Et les premiers témoins se dévoilent. Dans Le Point (5/6), sur deux pages, un ancien conseiller du président Centrafricain se livre.  Saifee Durbar parle pour la première fois depuis 5 ans à la presse. Evoquant l'intervention de Patrick Balkany, du roi des mines congolais (et ancien consul de France au Katanga) Georges Forrest et de son ancien employé Daniel Wouters (recyclé entre 2006 et 2011 à Areva), l'homme dénonce un scandale d'Etat, tout en assurant se tenir à la disposition de la justice.

Un Rajah et des milliards

Mais le «Rajah», surnom de l'intermédiaire indo-pakistanais n'a pas été avare de confidences pendant son silence médiatique. Notamment nvers un homme, que Bakchich avait déjà rencontré : Vincent Crouzet, l'auteur de Radioactif, roman espionnage qui retrace l'affaire. Où Uramin devient Urafrik, Anne Lauvergeon Henri de Nogaret, Sarkozy, Balkany et Guéant deviennent les rois mages. Mais le «Rajah» demeure le «Rajah», un homme rond, roublard, capable de passer du service d'un président centrafricain (Patassé) à celui qui le putschera (Bozizé) sans perdre d'influence. Surtout Durbar a été récipiendaire d'un secret qu'il a su monnayer. L'ancien vice-ministre des affaires étrangères de Bangui a assisté la construction de la mécanique de la vente d'Uramin, ses bénéficiaires, ses intermédiaires.

Autant de détails qu'il a livrés en 2009 à Vincent Crouzet. « La scène que je raconte dans le roman est authentique. J'ai été contacté par une connaissance commune qui m'a proposé d'aller rencontré Saifee Durbar à Londres. Comme mon héros, j'ai passé une journée avec lui, dans sa maison, et il m'a conté sa version de l'histoire d'Uramin».  Ou comment la direction du géant nucléaire français a décidé, pour se maintenir en poste sous un président qui ne l'apprécie guère, de cacher sous la plus grande opération d'Areva à ce jour, une gigantesque entreprise de retrocommissions. 2,5 milliards de dollars répartis entre les clans au pouvoir en Afrique du Sud, en Namibie et en Centrafrique, celui qui allait prendre le pouvoir en France, la direction d'Areva et les fondateurs d'Uramin. «Il m'a dit avoir les documents chez ses avocats, des doubles et des clés USB. Il savait que j'avais des entrées hauts placées dans les services de renseignement et l'appareil d'Etat. J'ai transmis le message». En échange de son silence Durbar souhaite que son passage dans les prisons françaises soient le plus court et le plus confortable possible. Condamné à trois ans de prison pour escroquerie, l'homme ne passera que trois mois au quartier VIP de la prison de la Santé, du 2 décembre 2009 au 18 février 2010. Son bracelet électronique lui sera enlevé dès septembre suivant. «Pendant tout ce temps, je l'ai accompagné et j'ai continué à suivre le dossier. Je ne crois pas qu'il m'ait menti ou manipulé. Il avait trop à perdre à ce moment-là», assume Crouzet. «Une fois qu'il a quitté la France, il m'a lancé comme une boutade tu devrais en faire un roman». 4 ans après Vincent Crouzet l'a fait, sans en avertir sa source. « Je n'ai pas demandé son autorisation et c'est vrai que j'ai un peu poussé le trait sur son rôle dans Uramin. Il en a été le témoin pas forcément la matrice».

Et les informations livrées par Durbar parsèment son roman. Le montant des commissions rétribuant chacun des clans touchant à l'affaire est détaillé avec précision. 490 millions de dollars au clan Mbeki qui faisait miroiter à Areva l'achat de 12 EPR, 573  pour la bande à Sarkozy, idem pour la direction d'Areva, 49 destinées aux poches de Bozizé, 49 pour son homologue namibien et enfin 656 à l'endroit des fondateurs d'Uramin.

Avec en prime l'identité du répartiteur: le Hollandais volant, civilement connu sous le nom de John Deuss. Un broker spécialisé dans les matières premières très implanté dans les paradis fiscaux des Maldives aux Antilles néerlandaises si chères à Patrick Balkany, acteur trop méconnu du deal Uramin dès 2007.. Dont les atours laisse augure d'un des plus grands détournement d'argent public du siècle, concocté dans les coulisses de l'élection présidentielle 2007. »

L'article de presse ne vous a pas convaincu ?

Extraits du roman (3) (Saifee Durbar = Fahad Khan = Le Radjah. Bozizé Yangouvonda = Brother = Bro= Mon frère)  :

 

« Brother. Mon frère. Tu es comme mon frère. Plus qu'un ami. Nous partageons le fric, les poules, les comptes à numéro, nous mélangeons tout, mon jet est celui du Président, mon appartement à Londres celui du fils du Président, je baise la sœur de sa putain, tu sais, je peux te faire gagner une montagne de dollars, mon frère, et demain je baiserai ta putain, écoute-moi, Brother, écoute-moi et je te ferai roi de tout, chez toi, il y a de l'or, et des diamants, et il y a plus, il y a dans le cœur du centre de l'Afrique, écoute ce que je te murmure, ma parole vaut ton or, et tes diamants, et plus et mille fois plus que toutes les voix de tes courtisans, regarde ma peau, Bro, elle est cendrée, je suis comme toi, je ne suis pas comme eux, chez les Blancs, pour les Blancs, je reste un colored, un métèque, je suis comme toi, Black de Black, mon cœur est comme le tien, mais vois-tu, regarde, regarde, mon Falcon, ma villa à Monte-Carlo, celle où loge ta première dame cette nuit, mon écurie de Formule 1, regarde le solitaire sur l'index de ma fiancée, et maintenant regarde mes yeux, je te dis la vérité, parce que tu es mon frère, je sais faire du pognon comme eux, et parce que nous à la vie à la mort, toi, moi, nous allons prendre leur fric, nous allons nous gaver, nous le méritons, nous méritons de leur prendre, tu es mon frère, mon Président. 

Le Radjah a embobiné le patron de ce petit pays africain. En l'espace d'une seule nuit. La totale. Désormais, il décide de tout ce qui touche à l'économique et au financier, au grand dam des ministres n'ont plus voix au chapitre, et ont pour instruction de passer par la case du Radjah, dans sa ville, zone PK11, résidence présidentielle. Le super conseiller spécial met ce qui ne l'était pas encore en coupe réglée. L'ambassadeur de France n'y voit que du feu, le poste DGSE n'y voit que du feu.

 Pourtant.

Se préparait un blasphème sans nom dans la touffeur de Bangui. Dans les palais présidentiels africains tout est lenteur, hormis  le démarrage des cortèges. Sous l’œil assoupi de sentinelles désinvoltes, on y croise des courtisans inquiets accablés par la canicule, des militaires galonnés adipeux, un jeune clergyman porteur de valise qui va et vient, et puis un vieux conseiller blanc assommé depuis longtemps par le whisky chambré et les répétitives fellations sans limite d'âge, des ambassadeurs désorientés, une délégation chinoise vorace et quelques putains de haut vol griffées LVMH. Enfin, dans le bureau du patron, dans l'ombre, il existe le premier chuchoteur qui propage les rumeurs, détruit les carrières, assure la fortune. Toujours porteur des bonnes nouvelles, il délimite farouchement son territoire autour du régnant en consacrant l'essentiel de sa ruse, tout son temps, et ses talents. C'était  bien dans le murmure que le Radjah dispensait ses avis au Président centrafricain... »

 

Pour la suite...c'est par ici RADIOACTIF, Paris, Éditions Belfond, coll. « Domaine Français - Policiers », 2014, 496 p. (ISBN 978-2-7144-5651-9)

 

Bonne lecture.

 

 

Clément De Boutet-M'bamba

 

1 : Village de Bozizé = Centrafrique sous Bozizé, 2003-2013

2 : Uramin-Areva: le roman de 2,5 milliards de dollars, www.bakchich.info/soci%C3%A9t%C3%A9/2014/06/06/uramin-areva-le-roman-de-2-5-milliards-de-dollars-63417

3 : Radioactif, pages 25-26-27