Les Présidentielles en Centrafrique

 

Ce qui est sûr et ce qui l'est moins!

ou

Eléments de choix de candidat

 

 

 

            Préambule

 

Législatives annulées – et non les présidentielles – sur tout le territoire national. Pourquoi ?

 

Car ce qui peut sortir des urnes aux législatives, déroulées au même moment que les présidentielles, et dans les conditions que nous savons, rendra le pays ingouvernable.

Le futur président n'est donc pas assuré d'avoir une majorité au Parlement.

En annulant les législatives, l’ on offre la possibilité aux candidats de l'un et de l'autre finaliste aux présidentiels, d’avoir plus de chance d'être choisis par rapport aux autres.

Le Président élu aura plus de chances de disposer d'un plus grand nombre de députés que précédemment, voire d'une majorité d'élus acquis à son programme politique. C'est une précaution, somme toute, pas si mal de la part du CCT car, ce faisant, il fait de la stabilité future du pays, sa priorité. C'est bien vu !

 

Du choix d’un Président de la République

Sous réserve de report une nouvelle fois, ce second tour devrait avoir lieu le 14 février prochain, en même temps que les législatives. Or si l’on admet que les mêmes causes entraînent les mêmes effets, la perspective du second tour n’offre rien de bon. On peut, certes, nous rétorquer avoir tiré les leçons du 1er tour. Mais, il est souvent très difficile de faire passer un message à la masse en un temps aussi court. Aussi, les bévues répertoriées au 1er tour, et qui ont fondées les contestations des candidats malheureux, risquent de se reproduire.

Cette insistance de procéder à des élections groupées, font planer un doute certain, voire une suspicion sur le scrutin de second tour déjà !  En effet, qui paie, commande. La R.C.A., nous le savons tous n’a pas les moyens financiers pour organiser des élections. La prise de position du candidat malheureux, Jean-Serge Bokassa, et qui passée en boucle sur les réseaux sociaux, tend à accréditer l’idée que M. Dologuélé est le candidat que l’on veut nous imposer. La réponse de la direction de campagne de M. Touadéra,  à l’hebdomadaire Jeune Afrique (qui semble-t-il a perdu depuis belle lurette son objectivité et son indépendance, en prenant fait et cause pour M.Dologuélé,) et qui n’a publié que des extraits tronqués, n’a convaincu personne.

Nous sommes en droit de nous interroger donc : allons-nous vers une élection présidentielle à l’ivoirienne de 2010, où un banquier choisi par le monde des finances a finalement été imposé par la force ?

C’est en tout ce que redoute bon nombre de centrafricains.

 

Le choix électif d’un candidat par le citoyen s’article par rapport à quatre motivations essentielles, selon moi.

1)   Le choix partisan de ceux qui militent et sont donc acquis aux thèses d’un candidat.

2)   Le choix par affinités personnelles, amicales ou familiales.

3)   Le choix par rapport au passé d’untel ou une telle aux affaires, sa réputation et son sens de l’état avéré ou non.

4)   Enfin, une lecture sérieuse des propositions, des projets et donc de leurs orientations idéologiques et sociétales (ce point est crucial).

 

C’est ce dernier point qui a ma préférence. Mais j’entends aussi les observations du genre : « un programme, ce n’est qu’un programme. On peut promettre ce que l’on veut, et faire tout autre chose une fois élu. »

Or une telle  remarque ne tient pas. En effet un programme politique de gouvernement, en tant  qu’expression du projet de société, est la traduction d’une idéologie. Celle-ci est une somme de valeurs et donc d'idées auxquelles l'on tient. Au risque de manquer de sérieux, ou de passer pour  un opportuniste sans consistance : un    ka mo té gué.

 

            Nous sommes en présence de deux choix de société

 

                        A)    Les propositions de M. Dologuélé

 

J’ai lu et relevé, peut-être à tort, les propos suivants sur un réseau social :

 

"Je lis et entends çà et là que je serai le candidat des hommes d’affaires et de la Communauté Internationale, par opposition à une candidature qui serait celle... des pauvres ou du peuple. Encore une grosse escroquerie démagogique. Je ne brigue pas la Magistrature Suprême pour dire aux compatriotes que je leur ressemblerais dans la pauvreté. Je veux les sortir de là. Je souhaite qu’il y ait une classe moyenne dans mon pays. Je rêve d’une Centrafrique avec des milliers de millionnaires, voire des milliardaires. Alors le niveau de vie aura changé, grâce à des centaines de milliers d’emplois offerts par les nombreuses entreprises créées par des centrafricains. "

 Anicet Georges Dologuélé

 

Et plus précisément, celle-ci, en bas de la page 20 de son Projet de société dans la rubrique, Pilier N°2 Relançons l’économie :

« La colonne vertébrale de notre politique de développement sera de favoriser l’investissement privé étranger et l’avènement d’une classe moyenne d’entrepreneurs centrafricains. Un esprit d’entreprise productif doit être favorisé pour créer de la richesse et de l’emploi, à travers des opportunités de profit. La stimulation du secteur privé sera encouragée par le secteur bancaire, la micro finance, les assurances et les nouvelles technologies de l’information. »

 

Ces expressions montrent clairement, qu’il s’agit d’une orientation sociétale de type libérale voire ultra-libérale, tout étant question d’appréciation. Ce n’est point scandaleux d’être aussi clairement pour la droite mondialiste. Notre sol et notre sous-sol sont riches. Les secteurs privés ont tout à fait intérêt à s’y intéresser. Mais je ne crois pas à l’émergence d’une classe moyenne, comme semble le soutenir M. Anicet Georges Dologuélé, par l’enrichissement de secteur privé dans la main des nantis qui ensuite embaucheront. D’une part, parce que, s’il y a une embauche massive – ce dont je doute – elle ne peut concerner qu’une main-d’œuvre peu qualifiée donc, mal payée. Il faudra du temps pour former des techniciens. L’unique lycée technique et l’inexistence de lycées professionnels plaident dans ce sens. Accorder des crédits aux entrepreneurs centrafricains, pour qu’ils créent leurs affaires.

 

Nous avons eu, par le passé, des velléités de cette sorte et qui se sont avérées catastrophiques dans les années 90. Il s’agit des fameux DVA. Car, l’on avait manqué en amont d’une préparation sérieuse des ressources humaines à la gestion de pme. On ne se lève pas un matin, en se disant, je veux m’installer à mon compte… Le sens des affaires ne se décrètent pas. Il s’apprend car c’est un monde dur où la concurrence est rude. Nous avons, en tant que pays membre de la CEMAC, des investisseurs camerounais notamment plus rompus dans les négoces et qui ne feront qu’une bouchée de nos affairistes naissants. Comment les prémunir contre les plus forts ? Car il s’agit, je le répète, de la libre entreprise où les prix ne seront pas contrôlés par l’Etat. Dans une économie libérale, c’est en effet le marché qui dicte sa loi. Les entrepreneurs plus nantis peuvent facilement « tuer » la concurrence, en baissant leur prix considérablement, sans faire faillite, pour les remonter après coup. C’est ce que pratiquaient d’ailleurs, les commerçants yéménites, libanais et autres, sur des produits tels que le sucre, la farine et le ciment… Ils organisaient la pénurie, en rachetant massivement quand les prix étaient bas. Puis, ils pouvaient fixer les prix qu’ils voulaient, avec évidemment le soutien d’hommes politiques véreux, qui étaient leurs associés pour plomber leur propre pays et sa population.

Les arguments sur le passé de gestionnaire de ce candidat, je les entends aussi. Mais je ne prends pas position, car on peut s’amender dans la vie et donc apprendre de ses erreurs, si erreurs ou fautes, il y a eu. Et jusqu’à preuve du contraire, il y a présomption d’innocence. D’ailleurs, si l’A.N.E. avait retenu ma proposition d’organiser un ou deux débats entre les deux tours, sût été l’occasion pour les uns et les autres d’interpeller un candidat sur son parcours…

C’est sur le plan idéologique que  je ne souscris pas au projet de société de M. Anicet-Georges Dologuélé car, je suis intimement convaincu qu’il conduira à accroître les inégalités sociales, et à creuser les fossés encore plus entre ceux qui n’ont rien et ceux qui logent dans de superbes villas entourées de murs épais pour cacher leur opulence. Je fais un tel  choix par refus d’option idéologique ultra-libérale. Mais je reconnais la clarté de ce projet et sa cohérence idéologique.

A sa décharge, je n’éluderais pas ce qu’avait réalisé le Président Wade au Sénégal. C’est tout à fait la même orientation idéologique ; En brillant économiste, l’ancien président sénégalais qui avait bénéficié d’opportunité  et de contexte économique particulier, a doté son pays d’infrastructures qui manquaient cruellement. Il a changé le visage du Sénégal. Mais comparaison n’est pas raison…

En revanche, une économie socio-libérale serait mieux adaptée pour notre pays. Celle où l’état dispose de part à hauteur de 30 à 50 % dans toutes les entreprises, pour infléchir l’orientation au profit de l’économie nationale. Ce fut le choix de Jomo Kenyatta, qui avait exigé que les entrepreneurs étrangers transmettent leur savoir-faire aux indigènes, les forment aussi. En sorte, une ouverture maîtrisée par l’Etat à l’économie du marché. Ce que n’avait pas fait, semble-t-il, M. Dologuélé quand il fut aux affaires sous M.Patassé…

Dans un billet fort brillant, publié sous le titre «  Reconstruire la République Centrafricaine : Peste ou choléras voilà leur programme », Prosper Indo a interpellé les deux candidats, avant de prendre position, en précisant son choix. Je partage l’essentiel des arguments avancés.

Par exemple :« La seconde objection vise le financement de ce imposant programme. Les besoins de financement exprimés par le candidat prennent la forme d'un vaste « plan de sauvetage » estimé à 2 000 milliards de francs CFA, financement qui sera sollicité auprès de la communauté internationale. On s'interroge : ainsi, pour sortir de l'assistanat, il faut recourir à l'assistanat ? Cruel dilemme ». Fin de citation.

 * La confiance étant un élément fondamental en économie, il se pourrait que le sieur Dologuélé compte sur elle, pour avoir les moyens de financement de son projet. Ou très simplement, si le milieu de la grande finance place sa confiance en lui, il réussira à obtenir les fonds nécessaires pour réaliser ses projets sur le plan des infrastructures.

 Car ce fut le cas de M. Alassane Ouattara en Côte d’ivoire, qui a reçu auprès des organes financiers des emprunts colossaux pour financer sa politique économique ultra-libérale. Cependant l’état de l’économie la R.C.A., ne peut être comparé à celui de la Côte d’ivoire, même si potentiellement, nos ressources sont supérieures par tête d’habitant. La confiance n’étant pas un facteur objectif, donc versatile, j’opterais quant à moi, comme M. Prosper Indo, pour la prudence. Parce que l’instabilité politique chronique de la  Centrafrique ne plaide pas en sa faveur. L’arrivée des investisseurs, est donc peu probable, avant un temps certain.

Donc ce qui est moins sûr, c’est précisément ce que propose M. Dologuélé. Il serait fort risqué pour un investisseur, dans les conditions sociale et sécuritaire actuelle en R.C.A., de se lancer dans de grand projet. Il faut tout d’abord créer les conditions d’une nette amélioration tous azimuts : la refonte de l’armée  de la police et de la gendarmerie. Reconstruire l’état et ses institutions.

 Parce que l’instabilité politique chronique de la  Centrafrique ne plaide pas en sa faveur, l’arrivée des investisseurs, est  peu probable. Il faut garantir la sécurité avant tout. Sauf, si l’on est un homme providentiel Mais, je ne crois ni au surhomme ni à l’homme providentiel…

 

La question de l’impunité

Cette situation interpelle les deux candidats. En raison, pour M. Dologuélé, de l’accord politique contracté avec le K.N.K et donc avec M. Bozizé. Et pour M. Touadéra, du fait que M. Bozizé fut son mentor en politique et qu’il fut le premier vice-Président de K.N.K et premier-ministre de façon continue pendant près de cinq ans. Là se situe ma réticence envers l’un et l’autre des deux candidats.

Elle doit être inviolable quels que soient les accords électoraux. Les crimes de sang et leurs auteurs doivent répondre de leurs actes. La séparation des pouvoirs entre l’exécutif et le judiciaire ne doit souffrir d’aucune exception. En clair, les sieurs Bozizé et ceux des anti-ballakas et les leaders de la Sélékas MM. Djotodia et Noureddine Adam, accusés de crimes doivent rendre des comptes à la justice nationale ou internationale.  Aucun prétexte, fusse-t-il au nom de la réconciliation ne serait servir de moyen pour dérober ces personnes à la justice, comme ils le veulent. Nous reviendrons au temps  passé où les crimes et les injustices, ne furent point punis, si d’aventure cela se réalisait.

C’est une justice indépendante et libre qui doit décider du sort de toutes ces personnalités. L’heure est venue pour qu’advienne un état de droit, garant de la justice pour tous, de la sécurité et du bien-être général.

 

                        B)   Les propositions de M. Touadéra

 

                  Dans l’axe 5 de son projet de société, on y lit ceci : 

« La relance de la recherche agronomique fera partie des priorités du Gouvernement pour la modernisation du secteur en vue d’améliorer la compétitivité des filières agricoles, le développement des groupements coopératifs sur de nouvelles bases, le soutien au développement de politiques agricoles communes dans la sous-région. Les actions de soutien à la production traduites par les fournitures d’intrants et petits outillages agricoles aux ménages de petits producteurs, la redynamisation des structures d’encadrement par le redéploiement des cadres d’encadrement dans toutes les régions du pays feront partie du programme du Gouvernement.

La promotion et la diffusion d’engrais, des pesticides et de tous les intrants agricoles appropriés, la promotion de l’utilisation de la traction animale, la redynamisation des programmes d’encadrement et de vulgarisation des techniques dans toutes les zones de productions agricoles sont autant d’actions à entreprendre.

Le secteur de l’élevage sera renforcé pour améliorer la production animale grâce à l’appui de nos partenaires qui seront également sollicités pour renforcer les capacités des institutions nationales telles que l’ICRA, l’ACDA… Tout doit être mis en œuvre pour pacifier la cohésion entre les agriculteurs et les éleveurs par une meilleure définition des couloirs de transhumance. Le Gouvernement mettra en place une stratégie concertée pour favoriser le retour des éleveurs peuls partis du pays pour s’installer dans les pays voisins. Il veillera aussi à leur accueil et réintégration dans leurs zones respectives »

Il semble donc que le secteur agricole et l’élevage soit la clé de voûte de ce programme.

Comme je l’ai souvent écrit dans la tribune: «  Que voterai-je en 2015 ?

 Je me cite :

« Transformer la R.C.A. en un vaste chantier de constructions, adapter

à la particularité, aux besoins et aux richesses de chaque région, me

semble une proposition de base. Placer l’agriculture, l’éducation,

l'école de la seconde chance, la santé et les infrastructures au cœur

de tout projet, me semble un indicateur de choix tout à fait essentiel.

Mais alors la sécurité, qu'en sera-t-elle? En réalité, deux choses sont

Fondamentales, quant à la souveraineté d'une nation. »

 

En somme parvenir à l’autosuffisance alimentaire, en comptant d’abord sur nous, et en maîtrisant les apports extérieurs de capitaux. Puis en exportant les surplus des productions agricoles…

L’orientation idéologique du programme est sociale et patriotique. Je la qualifierais d’orientation sociale-démocrate ou sociale-républicaine, car il ne s’agit pas de laisser faire les entreprises partout. Mais l’Etat se doit d’agir dans tous les secteurs où il en va de sa souveraineté pour que ses options ne soient pas dépendantes des puissants lobbies financiers mondialistes.

Je suis donc en accord avec cette orientation sociétale, exprimée par M. Faustin Archange Touadéra.

 L’on doit avant tout compter sur soi. Les investisseurs deviendront des partenaires sur la base d’un contrat gagnant-gagnant. Ce qui est plus engageable, vu d’où l’on part…

Aussi,  voterai-je pour une telle orientation, car plus en adéquation avec la situation concrète du pays.

Patriotiquement,

Léon Kidjimalé Grant

31/01/2016

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*l’ouvrage : «  Economie de la confiance » d’Eloi Laurent aux Edions La Découverte

Notes :

 « La confiance est-elle la panacée, pour un monde en crise ? "Il n'y aura pas de croissance sans confiance", déclarait François Hollande au G8, en ajoutant : "Et il n'y aura pas de confiance sans croissance." Comment comprendre l'omniprésence de la confiance dans les discours sur l'économie ? Peut-on la définir ? La mesurer ? Quelles sont ses différentes formes ? »