Centrafrique - Etat de grâce fragile
RFI Actualités (31 mars 2003)
Un accueil triomphal, des
opposants de retour à Bangui, le choix d’un Premier ministre «au-dessus de
tout soupçon» : l’auteur du dernier coup d’Etat centrafricain bénéficie
d’une conjoncture exceptionnelle. Mais les espoirs immenses soulevés par le
général François Bozizé sont à la mesure de la situation catastrophique dans
laquelle est plongée le pays. «Ils vont voir le maçon au pied du mur», a
assuré le tombeur d’Ange-Félix Patassé au lendemain de la conquête de Bangui.
Historique, «du jamais vu en
Centrafrique», commente un témoin cité par l’AFP. Cent mille personnes
vendredi dans les rues de Bangui, non pas pour fuir, piller ou protester, mais
pour exprimer l’espoir d’un retour à la paix et à l’Etat de droit : ramené à une
population centrafricaine totale de moins de quatre millions de personnes, c’est
un chiffre considérable, un quasi-plébiscite ! Et aucun témoignage n’indique
qu’une quelconque contrainte ait été exercée pour engager les Centrafricains à
faire allégeance au nouveau maître de Bangui. La marée humaine qui a envahi
l’avenue Barthélémy Boganda, ce 28 mars, manifestait l’enthousiasme d’une
population manifestement soulagée du départ des anciennes autorités et des
intentions du nouveau-venu.
Ces Centrafricains, aujourd’hui réunis dans l’espoir d’une paix retrouvée, ont
en effet payé le prix fort des nombreuses mutineries et tentatives de
déstabilisation perpétrées dans leur pays au cours de ces dernières années. Les
derniers mois ont été terribles. Incapable de payer ses fonctionnaires (plus de
deux ans d’arriérés de salaires), impuissant à constituer une armée nationale
digne de ce nom, le régime a offert le pays au pillage des mercenaires qu’il a
dû engager pour tenter, en vain comme on le sait, de se maintenir. Mais, outre
la guerre, c’est la fin du climat d’affairisme qui ronge la Centrafrique et de
l’économie de prédation qui caractérise l’activité que les Banguissois voulaient
célébrer vendredi. En tout cas ils veulent y croire.
Les premiers signes donnés par le nouveau pouvoir sont encourageants. Au
lendemain du coup d'Etat du 15 mars, les propos du nouvel homme fort appelant à
la paix et à la réconciliation et marquant son souci de ne pas s'approprier le
pouvoir en intégrant les forces politiques et les anciens chefs d'Etat à la
reconstruction, avaient déjà favorablement impressionné. Le choix, stratégique
pour le poste de Premier ministre de l’opposant historique Abel Goumba,
compagnon de route du père-fondateur de la Centrafrique indépendante Barthélémy
Boganda, avait définitivement rassuré sur les intentions du général. La
réputation d’intégrité dont jouit Abel Goumba rejaillit ainsi sur les projets de
la nouvelle équipe. En retour, celle-ci aura fort à faire pour conserver, ou
faire fructifier, ce capital de confiance et se montrer à la hauteur. Dimanche
enfin, plusieurs exilés politiques sont rentrés au pays à bord du premier vol
Air France depuis le putsch. Parmi eux l’opposant Charles Massi, l’ancien député
et ministre Charles Armel Doubane et l’homme d’affaires Sani Yalo, considéré
comme le financier de la rébellion.
Et ce n’est qu’une première vague. Si l’ancien Premier ministre Jean-Paul
Ngoupandé n’était pas du voyage, son retour est annoncé. Son ancien directeur de
cabinet Karim Meckassaoua, exilé en France, est d’ores et déjà retourné à
Bangui, en même temps que le secrétaire général du parti de l’ancien président
Kolingba, lui-même réfugié en Ouganda mais désormais autorisé à rentrer lui
aussi à Bangui.
![]() Condamnation et modération |
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Certes, tout cela n'est pas très
conforme aux principes démocratiques dont il vaut mieux pouvoir se prévaloir par
les temps qui courent. Le coup d'Etat de François Bozizé a été fort mal reçu,
officiellement, par une communauté internationale qui a très vivement condamné
le procédé. Mais pas jusqu’à la rupture pourtant, et aucune action de
représailles n’a été engagée pour restaurer le pouvoir d’Ange-Félix Patassé. Ce
dernier est renversé à un moment tragique de l’histoire de son pays et sa
contribution au désordre est avéré. Et François Bozizé a pris soin de rassurer
les partenaires régionaux de la Centrafrique et a demandé, et obtenu, le
maintien du contingent de la Communauté économique et monétaire d’Afrique
centrale (CEMAC), dont seuls les Equato-guinéens se sont retirés, alors que le
Tchad déployait sur place plusieurs centaines d’hommes. La France, qui a envoyé
elle aussi plusieurs centaines d’hommes pour assurer la sécurité des étrangers,
poursuit sa mission d’assistance logistique au contingent de la CEMAC.
Ainsi, en dépit de la gravité de ces derniers épisodes, dans le contexte d’une
Centrafrique exsangue, les signaux envoyés par Bangui ne peuvent laisser
indifférents une communauté internationale, et surtout régionale, même hostile.
Reste enfin à savoir si elles laisseront au maçon le temps de construire son mur
tant il est vrai que le petit jeu de ces ambitions, qu’elles soient congolaise,
tchadienne, ou autre, pèse d’un poids historique dans la déstabilisation du pays
aujourd’hui encore soumis à une militaire étrangère toujours lourde de menace
pour la souveraineté nationale.
GEORGES ABOU
31/03/200
«Du jamais vu en Centrafrique».
100 000 personnes dans les rues de Bangui, vendredi dernier.
©AF