Dans sa villa pillée: "Il était une fois... Ange-Félix Patassé"

BANGUI, 20 mars 2003 (AFP) - 17h25 - Deux cadavres en putréfaction gisent devant le mur d'enceinte. Leur odeur pestilentielle imprègne chaque recoin de la villa du président déchu centrafricain, Ange-Félix Patassé, entièrement mise à sac.

Samedi dernier, dès les premières heures du putsch éclair des rebelles du général François Bozizé, une foule en délire s'est ruée à l'intérieur de la Villa Adrienne. Celle-là même où le président Patassé martelait à chacun de ses visiteurs, comme pour mieux s'en persuader: "Mon peuple m'aime!"

En son absence -il était parti assister à un sommet de chefs d'Etats au Niger-, les soldats de la force de paix de la Communauté économique et monétaire d'Afrique centrale (Cémac) qui gardaient l'endroit se sont vite repliés sous les tirs nourris des "libérateurs". "On ne va pas garder des meubles", aurait lancé l'un d'eux.

Les "patriotes" du nouveau régime, qui montent aujourd'hui la garde autour de cette résidence fantomatique, ont assisté à la Bacchanale du petit peuple de Bangui.

"C'était la fête. Les gens buvaient le vin et le champagne trouvé dans les frigos, mangeaient la viande boucanée. Tout le monde était saoul et chantait", se souvient un jeune rebelle, surnommé "S'en fout la mort".

"Les femmes prenaient les vêtements de la mère supérieure (ndlr: l'épouse du président), les assiettes. Elles marchaient avec, en criant dans les rues, pour prouver que Patassé est bien parti", raconte le jeune homme.

"On pouvait pas les empêcher, explique le caporal chef Joachim Ngoume, chef de la section rebelle montée de la résidence. On n'est pas venus pour brutaliser le peuple. Les gens ont soif. Ils étaient pris en otage: les arriérés de salaires, la misère, les exactions."

La cour intérieure est jonchée de douilles de kalachnikov, de morceaux de viande rongés par les mouches, de chaussures de femme.

La Buick blindée présidentielle est restée intacte. Pas la grande statue en bois à son effigie, les doigts en V de la victoire, qui trônait du haut du perron, littéralement renversée, face contre terre.

Les huit chiens de M. Patassé pleurent dans leur chenil. Quand à sa tortue, "Ca va être la bouffe pour la troupe", explique un "patriote". "On n'a rien à manger, et si Patassé était là, on devait le croquer aussi".

L'intérieur de la villa n'est plus que fatras de paperasses jonchant le sol en un épais tapis, lits cassés, sièges renversés, cadres éventrés.

On piétine des photos officielles ou de famille, des comptes-rendus, des projets personnels d'agronomie, des pochettes de cassettes vidéo aux titres évocateurs: "Les cadavres ne portent pas de costard", "Mobutu, roi du Zaïre".

Ses détracteurs accusaient Ange-Félix Patassé de s'être accaparé les richesses du pays. Spacieuse, sa villa banguissoise était en tout cas modeste.

Avec ses carreaux simples, ses peintures passées, ses lits rustiques, la Villa Adrienne n'a rien d'un des ces palais de jungle mêlant gréco-romain et hollywoodien mégalomaniaque, légués à la postérité par certains "roi-nègres" de l'Equateur.

Seul luxe apparent, un salon composé de fauteuils de style, roses à dorures torsadées, où le président recevait ses invités et suivait à la télévision les matches de football du championnat de France.

Ces fauteuils auraient appartenu jadis à l'ancien président André Kolingba, dont les maisons avaient toutes aussi été pillées, après son putsch manqué de mai 2001, affirme un jeune rebelle.

Au rez-de-chaussée, une grande photo noir et blanc encadrée montre le président déchu jeune, quand il était ministre de l'ex-Empereur Bokassa 1er. Avec cette légende en lettre gothiques: "Tout pour le bien-être du peuple centrafricain. Il était une fois Ange-Félix Patassé, ministre du Développement rural".


Actualité Centrafrique de sangonet - Dossier 15