Ange-Félix Patassé, l'alchimiste écarté
Le Monde 17 mars 2003 - Dans l'osmose
atrabilaire avec l'esprit du temps, hier impérial aujourd'hui
démocratique, cet homme a cultivé mégalomanie et paranoïa.
Pendant onze ans ministre de Jean-Bedel Bokassa, puis premier
chef du gouvernement de l'empereur - dont il organisa le sacre
napoléonien, le 4 décembre 1977 -, Ange-Félix Patassé est
aussi le premier président incontestablement élu en 1993, quand
la France s'était lassée de jouer au gendarme à Bangui.
Démagogue hors pair, il avait promis des "usines à
billets"dans tous les villages, en sango, la langue
nationale. Insomniaque, il veillait sur son pouvoir jusqu'au bout
de nuits généreusement arrosées, quitte à réveiller
l'ambassadeur de France pour lui apprendre que l'attaché de
défense venait de franchir "la barrière pour le
déloger". Le lendemain, une vague empreinte dans le gazon
présidentiel fit foi de ses élucubrations.
Le soir, depuis toujours, "le barbu", ainsi surnommé
en raison de sa barbiche poivre et sel, a été d'humeur
peccante. Jeune cadre à Paoua, dans le Nord, où il est né en
1937, il refaisait déjà le monde à la lueur d'une
lampe-tempête sur la véranda de... l'administrateur colonial.
Revenu de Bordeaux inspecteur agronome, il se prétendait
"ingénieur" et offrit à qui voulait l'emporter
l'ouvrage volumineux dont une note en bas de page renvoyait à
"sa" variante de maïs, particulièrement résistante.
Dès lors, l'autosuffisance alimentaire était "assurée
pour l'Afrique centrale".
Caudataire de Bokassa Ier, il finit tout de même par s'attirer
les foudres de l'irascible maître de Berengo, l'été 1978, un
an avant la chute de l'empereur. Débuta alors sa métamorphose
en opposant, à la tête du Mouvement pour la libération du
peuple centrafricain (MPLC), à forte dose de diatribes
anticoloniales. Ce qui ne l'empêcha pas, impliqué dans une
tentative de coup d'Etat en 1982, de se réfugier à l'ambassade
de France, à vélo, déguisé en religieuse. Profitant d'un
sauf-conduit, il vécut en exil au Togo, puis en France, avant de
regagner la Centrafrique, dix ans plus tard.
Le sacre des urnes ne l'incita pas à s'occuper modestement de
ses compatriotes dont deux tiers vivent aujourd'hui dans la
"pauvreté absolue". Vingt mille fonctionnaires
cumulent une trentaine de mois d'arriérés de traitements.
Mais l'alchimiste au pouvoir, et sa cohorte de "conseillers
spéciaux", travaillaient à l'uvre noire.
"Mohlo, viens avec la carte !" A cette injonction,
l'ex-chef du protocole impérial, Simplice Mohlo, dépliait la
géologie du Centrafrique pour que le président puisse
prospecter du diamant, à l'aide d'un pendule...
Stephen Smith