François Bozizé: de l'exil au pouvoir suprême
 

1) RIVALITES ENTRE LA CEN-SAD ET LA CEMAC

Le leader de la Grande Jamahiriya arabe socialiste, Mu'ammar Al Kadhafi, en veut terriblement à Idriss Déby de l'avoir roulé dans la farine. A Niamey, en marge du Sommet de la CEN-SAD (Communauté des Etats sahélo-sahariens), il avait réuni les présidents Déby et Patassé pour une cérémonie de réconciliation sous sa tente dans la matinée du 15 mars. Après avoir pris le thé de la réconciliation, les deux présidents ennemis se sont donné la main sous l'œil vigilant du Guide devant quelques photographes qui ont immortalisé l'événement. Mais cette séance n'était qu'une véritable comédie à la tchadienne dans la mesure où au même moment, les troupes de François Bozizé soutenus par des éléments tchadiens, préparaient leur assaut final dans Bangui. Ni Kadhafi, ni Patassé n'en étaient avertis.

Le colonel qui n'a pas admis que Déby le prenne pour un " gamin " a déclaré à Ouagadougou dans son chemin du retour qui l'a conduit par la suite à Bamako : " Pendant les dix-huit mois que les soldats libyens assuraient la protection du président Patassé et les principaux sites de la capitale, il n'y a jamais rien eu. Il a fallu qu'ils se retirent et soient remplacés par les forces de la CEMAC pour que Bangui tombe ".

Pour tenter de rattraper le coup pour son très fidèle allié Patassé, il a, dans la foulée, envoyé, le 19 mars, le secrétaire général de la CEN-SAD, le Libyen Madani Al Mirghani, dire au président Déby que l'Organisation (CEN-SAD) " condamne toute prise de pouvoir par les armes et se refuse de reconnaître tout pouvoir qui n'est pas issu des élections ". Autant donc dire que pour le colonel Kadhafi, Ange-Félix Patassé est toujours le président de la RCA même avec résidence à Lomé.

Le voyage de Mirghani à N'Djamena avait également pour but de contrebalancer la position plus nuancée de la CEMAC qui, au travers d'une visite éclair la veille à Bangui des ministres congolais Rodolphe Adada et gabonais Jean Ping, avait déjà donné le ton avec le célèbre Monsieur " le président " (François Bozizé, ndlr) du ministre congolais des Affaires étrangères. Les données étant ainsi engagées, c'est sans surprise que lors du Sommet du vendredi 21 mars à Brazzaville, les chefs d'Etat de la CEMAC, à savoir le Gabonais El Hadj Omar Bongo, le Congolais Denis Sassou Nguesso, et le Tchadien Idriss Déby, ont décidé de maintenir et de renforcer leur force en RCA. Le président tchadien qui redoutait l'attaque des miliciens MLC de Jean-Pierre Bemba a d'ailleurs anticipé une telle décision en y dépêchant (officiellement) " 200 soldats " rapidement portés à " 400 ". En réalité, ils seraient près du double du chiffre annoncé et prêts à faire face à toute attaque des 3.000 bembaïstes massés de l'autre côté du fleuve à Zongo.

Tout en condamnant (du bout des lèvres) " toute prise de pouvoir par des voies non constitutionnelles ", les chefs d'Etat de la CEMAC ont exclu des sanctions contre le nouveau régime, pour ne pas accroître la souffrance de la population. Cette position est résolument aux antipodes de celle de la CEN-SAD sous la houlette de Mu'ammar Al Kadhafi qui n'a pas encore dit son dernier mot. On s'attend dans certains milieux tchadiens à une forte réactivation des rébellions tchadiennes dans les prochaines semaines.

 

2) RETOURNEMENT DE VESTE

La chute du président Ange Félix Patassé a pris de court certains membres de sa sécurité rapprochée. Si les 700 soldats de la Garde présidentielle ont été vite désarmés pour être progressivement réintégrés dans différentes unités de l'armée centrafricaine en reconstruction (François Bozizé, dit-on à Bangui, n'est pas rancunier), les " ex-secu " français tentent, aussi, de leur côté de se remettre en selle avec la nouvelle équipe au pouvoir. C'est par exemple le cas des Blanc, Ganne et autres Barril qui étaient présents lors de la prise du palais présidentiel par les hommes de François Bozizé. Certains mercenaires ont par la suite tenu un langage

surréaliste aux nouveaux maîtres du pays quand ils leur ont fait croire qu'ils préparaient - en douce - à leur niveau, l'arrivée de François Bozizé au pouvoir tout en servant (loyalement) Ange Félix et Angèle Patassé. Il n'y a que des Centrafricains pour croire à ce genre de légendes. Toutefois, on ne sait pas exactement ce qu'en passe Patassé de son exil doré à Lomé où il est propriétaire d'une maison à étage qui, aux dernières nouvelles, nécessitait une petite couche de peinture.

 

3) APRES LA NOMINATION DU DOYEN ABEL GOUMBA, BEAUCOUP DE DECUS PARMI LES OPPOSANTS EN EXIL.

La nomination de l'opposant Abel Goumba a surpris tout le monde à commencer par le principal intéressé qui ne l'a appris que par la radio nationale. Dans le cercle des initiés, on préférait plutôt citer les noms de Goupandé, Pouzere et Karim. Mais si Goupandé a été le premier opposant à saluer le coup de force " salutaire " du général François Bozizé, ce qui sous-entendait son soutien implicite à son action future, il a l'inconvénient d'être perçu comme l'homme des " bailleurs de fonds " de surcroît assez peureux et qui n'hésite pas à prendre la tangente dès que la situation se dégrade. De plus, le courant entre les deux hommes pendant leur exil à Paris ne passait pas toujours cinq sur cinq. Or Bozizé entend devenir le venir patron du pays, ce qui aurait été pas très facile avec l'ancien premier ministre Jan-Paul Goupandé. Cette image l'a fortement desservi au moment où Bozizé pesait le pour et le contre de chaque candidat à la primature.

Quant à Maître Pouzere, avocat de renom et professeur de droit, il est accusé (pour avoir résidé à Libreville ces dernières années) d'être un peu trop proche du président El Hadj Omar Bongo, tout comme le nommé Karim qui fut un bras droit du général pendant sa longue traversée du désert à Paris.

Cela dit, les trois hommes, selon l'entourage du nouveau président, devraient se retrouver aux avants postes de la nouvelle équipe au pouvoir au regard non seulement de leur talent individuel mais aussi du fait que François Bozizé n'entend exclure personne dans la difficile tâche de reconstruction nationale qu'il est en train d'entamer.

afriqueeducation.com (N° 129-130 - BIMENSUEL DU 1er AU 30 AVRIL 2003)


Actualité Centrafrique de sangonet - Dossier 16