POLITIQUE EPHEMERE et POLITIQUE DURABLE (REPONSE A L'ARTICLE : AMERES DESILLUSINS DE LA TRANSITION)

 


Simon-Pierre  KOYT

17 Rue du Pont Bruant

89100  SENS

 

Sens, le 7 août 2004

 

 

POLITIQUE EPHEMERE et POLITIQUE DURABLE

 

( Réponse à l’article de Jean-Pierre REDJEKRA : Amères désillusions de la Transition…)

 

 

En politique, il y a les illusionnistes et il y a les réalistes. L’illusionniste procède par incantation, invective et mauvaise foi ; le réaliste par l’action, la vérité et le dialogue. Alors que l’homme d’action s’implique et défend ses idées qu’il met à l’épreuve des faits, l’illusionniste se tient à distance aux moments cruciaux, points de bifurcation de l’histoire, et fait après entendre sa voix, s’en prenant à tous ou presque, s’érigeant en donneur de leçons.

 

Il y a au moins trois points sur lesquels il m’apparaît essentiel de ne pas laisser dire et écrire n’importe quoi, surtout par un prétendant à la conquête du Pouvoir comme l’est le compatriote Jean-Pierre REDJEKRA : 1) L’impérieuse nécessité de la réconciliation nationale démarrée par le Dialogue National de septembre-octobre 2003; 2) L’obligation de restaurer dans les brefs délais les institutions démocratiques en République Centrafricaine ; 3) Le soutien indispensable de la Communauté Internationale à la reconstruction de la République Centrafricaine.

 

Premièrement : L’IMPERIEUSE NECESSITE DE LA RECONCILIATION NATIONALE DEMARREE PAR LE DIALOGUE NATIONALE DE SEPT-OCT. 2003

 

         Notre pays, la République Centrafricaine, a accédé à l’indépendance formelle en 1960 comme la plupart des anciennes colonies européennes en Afrique Noire. Pourtant, notre situation générale, quarante quatre années plus tard, est catastrophique, nous plaçant très en retard par rapport à bon nombre des pays avec lesquels nous avions pris le départ en même temps pour le développement humain et durable, cela en dépit des innombrables atouts dont nous disposions à savoir d’énormes ressources du sol et du sous-sol, une langue nationale, le sango, parlée par tous et donc facteur d’intégration nationale, un héritage politique unificateur, celui du Président Fondateur Barthélemy BOGANDA.

 

Nous avons nous mêmes dilapidé nombre de nos atouts pour finir par une guerre civile avec la résistance civile patriotique intérieure derrière la CPPO présidée à l’époque par le Professeur Abel GOUMBA, la rébellion des patriotes en armes derrière le Général François BOZIZE, et l’action coordonnée politico-militaire de la CPC dont le Secrétaire Général était Karim MECKASSOUA, tous unis pour mettre un terme au régime tyrannique et cynique d’Ange-Félix PATASSE. Le pays a connu là une situation de conflit que seule la guerre de Koungou-Wara a dépassé dans l’histoire de la nation. Mais la guerre de Koungou-Wara, c’était la résistance du Peuple contre le colonisateur, contre les déportations pour travaux forcés qu’il opérait, contre les exactions de ses sociétés concessionnaires, alors que là, c’étaient des Centrafricains contre d’autres Centrafricains.

 

Le 15 mars 2003 a été une étape, l’ouverture à d’autres possibles nous donnant l’opportunité de nous interroger sur nos propres responsabilités dans la catastrophe où se trouve plongé notre pays.

 

Je salue les compatriotes qui ont pris part au Dialogue National de septembre-octobre 2003, et les félicite pour la profondeur de leur réflexion. Notre peuple a montré à travers eux une marque de son génie laissant entrevoir que si nous sommes capables du pire, nous sommes aussi capables du meilleur. Face aux difficultés colossales auxquelles le pays doit faire front, il est une lapalissade que l’union fait la force, et on ne peut s’unir véritablement que si on sait se pardonner les uns les autres. Ce Dialogue National a donné lieu à un diagnostic complet du pays. Les recommandations qui en ont émanées représentent à mes yeux une incitation à l’action dont tous les Partis Politiques, quels que soient leurs projets de société, ont intérêt à s’en inspirer.

 

Je suis scandalisé de lire sous la plume d’un compatriote, qui se dit homme politique, l’exhortation à la chasse aux sorcières, le rejet des amnisties nécessaires, et surtout l’anathème contre des assises nationales ayant rassemblées des Centrafricaines et des Centrafricains de tous horizons. Ce sont de tels mépris des autres et du génie national qui nous ont conduit à la catastrophe. Je pense pour ma part que quel que soit notre type d’engagement, en politique ou ailleurs, il nous faut apprendre à entendre la voix de la sagesse ; l’immaturité politique ne saurait tenir lieu durablement de source d’inspiration à une action politique absente, surtout venant d’un responsable politique dont le jeune Parti auquel il appartient, devra encore faire ses preuves.

 

Deuxièmement : L’OBLIGATION DE RESTAURER DANS LES BREFS DELAIS LES INSTITUTIONS DEMOCRATIQUES EN RCA

 

         Il y a une chose que je ne comprends pas : comment peut-on dénoncer les atteintes graves aux libertés fondamentales qui ont court actuellement en Centrafrique, surtout celles commises par le pouvoir en place, et vouloir en même temps que se prolonge la durée de vie de ce régime d’exception ?

 

Le compatriote Jean-Pierre REDJEKRA doit s’interroger sur ses convictions démocratiques car, sauf à passer pour le serpent qui se mord la queue, il ne peut se dire démocrate et vouloir que se prolonge un régime où une seule personne détient les pleins pouvoirs, en l’occurrence le Général François BOZIZE qui, au travers de l’Acte Constitutionnel n° 2, s’est arrogé la part du lion dans le partage des pouvoirs pendant la période de transition, instaurant de fait un régime certes provisoire, mais néanmoins de pouvoir personnel. Ajouter à ce régime d’exception, les atteintes aux droits des personnes, avec les arrestations des journalistes, les menaces et intimidations des responsables politiques, sans compter la mauvaise gestion des entreprises publiques et para-étatiques. Tout cela n’est pas pour encourager à laisser la situation actuelle perdurer, sinon c’est le risque d’un retour en arrière.

 

Oui, il y a encore de l’insécurité dans le pays, mais des progrès notoires ont été accomplis avec l’aide des Forces de la CEMAC et de l’Armée Française. Il reste encore du chemin à faire pour nous doter d’une Armée Nationale, d’une Gendarmerie Nationale, d’une Police Nationale, bref de Forces Publiques Nationales capables de faire régner l’ordre républicain partout sur le territoire national et ceci en tout temps. Mais cela ne saurait servir de prétexte pour faire reculer la restauration des institutions démocratiques, restauration de la Démocratie qui passe par le vote de la Constitution, l’élection au suffrage universel d’un Président de la République, l’élection d’une Assemblée Nationale représentative et la composition d’un Gouvernement issu de la majorité parlementaire ; enfin, et ce n’est pas l’un des moindres, la mise en place d’institutions judiciaires indépendantes et rendant la justice au nom du Peuple souverain.

 

La Démocratie a fait ses preuves en matière de développement humain, de développement économique, de développement durable, et plus personne ne s’avise de nos jours à prétendre sérieusement que c’est un luxe pour quelque peuple ou quelque pays que ce soit. C’est ce que nous réclamons pour notre pays, pour notre Peuple, en tout cas nous mis pour l’immense majorité de la classe politique, et le Peuple lui-même au travers du Dialogue National de septembre-octobre 2003. Que Jean-Pierre REDJEKRA veuille se distinguer en prenant le contre-pied de tous ! Soit ! Mais alors, qu’il ne se dise pas démocrate au risque d’être en porte-à-faux avec lui-même ou de jouer à l’illusionniste devant le miroir aux alouettes.

 

Troisièmement : LE SOUTIEN INDISPENSABLE DE LA COMMUNAUTE INTERNATIONALE A LA RECONSTRUCTION DE LA RCA

 

         Franchement, devant les gigantesques défis auxquels la République Centrafricaine est confrontée aujourd’hui : ravages sanitaires dus au paludisme, au SIDA et autres grandes endémies faisant craindre une extinction de certaines de nos populations ; sous-nutrition et malnutrition aggravées ; analphabétisme élevé dans les campagnes (on parle d’un taux de plus de 70% de la population analphabète ) avec trois à quatre années blanches dans la scolarisation compromettant ainsi durablement le devenir de plusieurs générations ; le tissu économique et les finances publiques en lambeaux après différents conflits armés, ce qui met l’Etat dans les pires difficultés pour assurer ses charges régaliennes, ouvrant ainsi la voie à la corruption qui prospère partout dans le pays ; etc., etc. ; dans une telle situation de son pays, se mettre à tirer à boulets rouges sur la Communauté Internationale à propos de l’aide qu’elle apporte à l’effort de reconstruction nationale, de la part de quelqu’un qui se prétend responsable politique, c’est non seulement irresponsable et contre-productif, mais de surcroît suicidaire.

 

         Tous les pays du monde qui ont connu une situation grave de conflit armé ont eu recours à l’aide internationale dans leur effort de reconstruction. Pour ne parler que des grands pays : il en a été ainsi des Etats Unis d’Amérique au sortir de la guerre de sécession de 1861-1865 ; il en a été ainsi de l’Union Soviétique au sortir de la révolution de 1917 et de la guerre civile qui s’en était suivie ; il en a été ainsi de la Chine après le triomphe de l’Armée Rouge sur les troupes d’occupation japonaises et dans la guerre civile contre le Kuomintang sitôt après ; il en a été ainsi pour les pays de l’Europe de l’Ouest après la seconde guerre mondiale avec le plan Marshal américain, et ceux de l’Europe de l’Est avec l’aide de l’URSS ; etc., etc. La RCA, à son échelle, comme tous ces pays, a fait l’état des lieux et envisagé des voies de sortie ; puis elle a négocié et négociera avec la Communauté Internationale l’aide dont elle a besoin pour appuyer ses propres efforts. C’est le chemin de la raison. Prétendre se passer de cette aide internationale, ou vouloir recourir à cette aide internationale en commençant par rouler des mécaniques n’est que mensonge, pure illusion.

 

         Dans le domaine de l’effort national propre au pays, il faut aussi faire preuve d’honnêteté intellectuelle : après le 15 mars 2003, c’est le Gouvernement National de Transition, conduit par le Professeur Abel GOUMBA, qui a pris le premier les mesures vigoureuses dans le domaine de l’exploitation du bois centrafricain, et dans le domaine de l’exploitation minière, dont en particulier l’exploitation et la commercialisation du diamant centrafricain. Ce qu’a fait et fera l’actuel Gouvernement dans ces deux domaines vient consolider l’action déjà entreprise, une action courageuse qui a été de grande ampleur et dont les esprits lucides évaluent à sa juste valeur la portée. Le Front Patriotique pour le Progrès dont je suis membre se prévaut de cette action de son leader à la tête du Gouvernement National de Transition durant les huit mois qu’il l’a dirigé

 

Alors que le pays était par terre et que l’urgence était d’abord de rétablir le calme en faisant taire les armes, puis de réconcilier les cœurs et les esprits qui s’étaient déchirés, ceci tout en veillant à faire l’état des lieux pour pouvoir tenter ensemble autant que faire se peut de dessiner les perspectives futures, certains théoriciens de la politique éphémère disent qu’il aurait fallu surtout ‘discourir’ devant une Assemblée qui n’en avait ni les fondements ni les attributs, dans ce contexte de régime d’exception. C’est tout l’art qui sépare l’homme politique bâtisseur du politique démagogue qui agite l’écran de fumée sans aucun effet sur la matière qui la produit. C’est à cela que je pense lorsque me reviennent à l’esprit les propos de cet homme politique français qui disait au Congrès du Parti Socialiste de Grenoble 2000 :

 

« Deux conceptions de la politique sont donc face à face : la politique éphémère et la politique durable. La politique éphémère n’a besoin que de slogans, la politique durable a besoin d’explications de fond. La politique éphémère n’a besoin que de ‘coups’, la politique durable a besoin de priorités. La politique éphémère n’a besoin que de sondages, la politique durable a besoin de courage.

Cela ne signifie pas évidemment être insensible aux demandes du moment : on ne parvient pas au long terme sans se préoccuper du court terme.

Dans sa biographie de Mendès-France, Jean LACOUTURE a cette formule : ‘Il est recommandé à ceux qui veulent changer le monde d’être plus sérieux que ceux qui se contentent de le regarder tourner’. Le sérieux, c’est celui de la vérité nécessaire pour analyser les évolutions profondes de notre société et pour dire les conditions d’une solidarité durable. »

 

Je relève pour conclure qu’il y a comme une forme d’infantilisme à fustiger à tout va le Dialogue National, la Communauté Internationale, le Gouvernement en place, etc., etc., et à réclamer le parrainage de ce Gouvernement pour l’IECA ( Initiatives Economiques CentrAfricaines ) qui est une Organisation Non-Gouvernementale  qui gagnerait plus à ce que ses dirigeants la tiennent en dehors des polémiques politiciennes.

 

 

Fait à Sens le 7 août 2004 par :          

Simon-Pierre  KOYT

Président de la Section Ile De France

Coordonnateur des Organes Régionaux du FPP en France

 

Article cité en référence : Amères désillusions de la transition du 15 mars 2003, ou les transformations qui n’ont pas été véritablement amorcées… (04 août 2004)

Actualité Centrafrique de sangonet - Dossier 19