Et s’il fallait passer par la préférence nationale pour l’émergence d’une économie centrafricaine

Je vois déjà les réactions que va susciter cette interrogation. J’imagine déjà l’amalgame à venir, l’ivoirité.
Et pourtant la question posée est cruciale, vitale comme dirait l’autre, pour que quelque chose d’autre voie le jour sous notre soleil, le soleil centrafricain..

Lorsque le gouvernement centrafricain, au travers du ministre Marboua, avait annoncé sa banqueroute et son incapacité à payer les salaires, les bourses et les pensions ; un débat s’en était suivi sur les fora kodro et be-africa.
Dans ces échanges, j’ai défendu l’idée selon laquelle, il fallait qu’il ait des opérateurs économiques Centrafricains, capables de créer une richesse locale qui se traduirait par l’embauche et un taux de « bancarisation » élevé.

Aujourd’hui, je repensais de nouveau à ces échanges, à l’essence qu’il fallait en tirer, et j’en suis arrivé à cette conclusion : pour qu’une économie nouvelle et réellement capitaliste voie le jour chez nous et soit profitable à tous, il faudrait qu’il ait des hommes et des femmes dans toutes les sphères économiques.

Je les vois déjà venir, les partisans du libéralisme économique. Je vois déjà les uns et les autres me sortir les arguments des livres et revues économiques ; mis comme l’a dit Crépin Mboli-Ngoumba dans ‘A contre-courant des compromissions centrafricaines’ : « Les nécessités et les réalités locales finissent toujours par triompher. »

L’un des problèmes premier du Centrafrique, est l’argent. Le manque d’argent et la non-orthodoxie financière a fait le lit de la pauvreté avec toutes les conséquences que nous connaissons aujourd’hui.

Par définition, le centrafricain est chez lui, dans son pays, sur ses terres et son espace vital. Par définition toujours, le présent et le devenir de son pays est le premier de ses soucis. Par définition toujours, là où il y’a son trésor, se trouve son cœur.

En 18 années de présence quasi-permanente à Bangui, excepté la pause de deux ans pour raison scolaire au séminaire de Yaloké entre 1992 et 1994, je n’ai pas vu un grand changement du essentiellement aux opérateurs économiques, suivez mon regard.
Si je parle de Bangui, c’est parce qu’elle est symbolique de l’ensemble de la situation nationale.

Il existe à Bangui deux zones à grandes activités économiques : le KM5 et le Centre-ville.
Je lisais dernièrement un article où un étranger arrivant à Bangui, au centre-ville où il voulait se rendre, fut étonné lorsque le conducteur de taxi lui dit : « c’est ici le centre ville, nous sommes arrivés. »
Cette personne de décrire maintenant le spectacle : des petits bâtiments, des routes remplis de nids de poule, manque d’originalité dans le style architecturale et.. »

Lorsqu’un individu vient investir chez nous ou vienne faire des bénéfices, son investissement se résume généralement à son apport financier et rien d’autre.
Des bâtiments qui datent de l’époque coloniale n’ont changé que de propriétaire et de couleur. Année après année, Bangui, ces centres économiques ne changent pas de visage et demeurent les mêmes, pourquoi ?

Dieu seul sait le nombre de milliards de FCFA sortis des poches des centrafricains pour remplir celles des Portugais, Grecs, Espagnols, Français, Libanais, Syriens, Yéménites…. Et depuis peu des Sénégalais, Maliens, tchadiens, Nigérians, Guinéens…..

Les Français ont compris que face à la machine Hollywoodienne, il fallait mettre en place un système qui puisse leur permettre de protéger leur culture afin de leur éviter de disparaître sur le plan culturel. Ils ont mis en place ce qu’on appelle « Exception Culturelle », même au niveau des instances européennes, ils la défendent corps et âmes ; car il y va de leur existence en tant que peuple, nation et histoire culturelle.

Pourquoi ne ferions nous pas pareil ? Pourquoi ne mettrions-nous pas en place l’exception économique Centrafricaine ?

La mondialisation telle que conçu, est une autre forme de colonisation, alors que nous ne sommes pas encore entièrement sortie de celle des Français, nous voilà déjà embarqués dans celle de l’argent et de la loi du capitalisme bestial, celui du tout et maintenant.

Nationalisation et Privatisation, Etatisme et Libéralisme ; que choisir ?
Là encore dans ce domaine, les Français viennent de nous donner une belle leçon et avec l’un des personnages les plus en vue de la société française d’aujourd’hui.
Dans le feuilleton de l’ouverture du capital d’EDF, les salariés craignaient une éventuelle privatisation, et ont pour cela, entrepris des activités pour faire changer d’avis le gouvernement. Nicolas Sarkozy, Ministre français de l’économie leur répondra : « il ne sera jamais question de privatiser EDF, ni aujourd’hui ni demain ; ni par un gouvernement de gauche, ni par un gouvernement de droite », si cela ne s’appelle préférence nationale, que l’on me dise ce dont il est question. Et un peu plus loin, Sarkozy d’ajouter qu’aucun gouvernement français ne permettra de remettre ce qui touche à l’industrie et l’indépendance nucléaire et électrique de la France entre les mains de privés, fussent-ils entièrement français.

Et si nous faisions pareil, et si nous privilégions les nôtres, et si nous ouvrons la voie aux nôtres. Lorsque je parle des nôtres, je parle bien-sur de centrafricains. Mon message est clair et ne comporte pas de contraste, entre se taire et subir ou parler et subir, je choisis la seconde option.
Nous ne pourrons jamais fermer nos portes aux autres, nous ne pourrons jamais vivre reclus entièrement sur nous. Conscient en plus à cause de notre enclavement que nous avons besoin des autres pour nous en sortir.
Mais personne ne viendra le faire à notre place. Toute personne bien intentionnée soit-elle, ne viendra bâtir le pays à notre place, c’est à nous et plus singulièrement aux opérateurs économiques Centrafricains de faire ce pays.
Je vis depuis un certain nombre d’années ne France, je vois comment de près ou de loin, le MEDEF fait la politique de ce pays. Et si nous faisions pareil, et si nous permettions l’éclosion d’initiatives privées, en créant un cadre juridique pour permettre aux centrafricains d’évoluer et de devenir acteur de leur développement.

Les étrangers viennent, se font de l’argent et rentrent chez eux, en partant, rien de bon et de concret n’est légué au Centrafrique.
Qu’ont laissé les différents opérateurs économiques qui sont passés chez nous ? En 18 années de présence permanente à Bangui, la seule réalisation architecturale digne de ce nom faite par les opérateurs économiques, est la tour SEFCA au centre-ville dont les travaux ne sont toujours pas achevé.

Les bénéfices effectués par ces gens sont rapatriés chez eux, sans une autre forme de procédure bancaire, ces argents passent dans des valises diplomatiques des coursiers administratifs que sont devenus nos dirigeants à cause de quelques liasses de billets ou par les concernés eux-mêmes, puisqu’ils ont tous des passeports diplomatiques centrafricains et peuvent ainsi circuler en toute liberté au pays et dans le monde.

Il est aujourd’hui quasi-impossible de savoir avec exactitude l’argent généré et contrôlé par les Libanais et compagnie pour la simple raison qu’ils ne tiennent pas pour la plupart de comptabilité et n’ont même pas de compte en banque, comble de l’ironie et de l’absurdité.

Et si nous reprenons le contrôle de la production diamantifère en remettant sur la table, la bourse de diamant de Bangui, en faisant aussi de telle sorte que dans nos différentes zones d’exploitation diamantifère, aucun carat de diamant qui sorte, ne sorte sans les mailles de la république ?

Et si nous obligeons toutes les sociétés forestières à respecter les injonctions du gouvernement centrafricain en ce qui concerne la transformation du bois et la non-exportation des grumes ?

Et si nous désengorgions le centre de Bangui, en créant des zones d’activités dans les différentes circonscription de la ville, en obligeant les investisseurs à un seuil minimum d’investissement tant au niveau emplois et locaux ?
Et si nous réfléchissons pour permettre au 86% de la population active qui pratique l’agriculture de passer à une agriculture commerciale, exportatrice et génératrice de revenu, de prospérité.

Les questions à poser sont nombreuses, je me suffis à celle-là pour l’instant.

Est-ce que la préférence nationale à elle seule suffit de faire démarrer l’économie centrafricaine ?
Non, mille non que cela ne suffise pas, pourquoi ?

Parce qu’un travail d’éducation s’impose. Nos parents et grands-parents ont été formaté à être bureaucrate.
La bureaucratie les a atteints, et ils n’ont jamais vu dans une autre direction. Que l’on ne vienne pas me dire le contraire ou parler de méconnaissance, pour la simple raison que si nous considérions cette génération qui vient jusqu’en 1960 et que si nous essayions de voir le nombre de compatriotes ayant prospéré grâce aux affaires, la quantité est quasi-négligeable. Toujours dans cette lancée, si nous essayons alors de les comparer aux étrangers qui ne font pas des affaires, mais des bénéfices et des chiffres(c’est la triste réalité) chez nous ; ces Centrafricains qui ont fait des affaires ne pèsent pas ou pratiquement rien face aux moyens-orientaux qui font la pluie et le beau temps chez nous et depuis peu les roitelets. Que faire ?

L’état, et oui encore lui(tout est politique), doit initier des actions dans le but de permettre l’éclosion d’une économie nouvelle portée par des Centrafricains, tout en laissant la porte ouverte aux étrangers.
Les Centrafricains qui font des affaires ou qui espèrent en faire, doivent respecter le cadre prévu par la loi, en s’acquittant entre autre des taxes et dus, sans prendre la tangente de la facilité.
Les techniciens et cadres des administrations centrafricaines ne doivent pas créer des obstacles aux Centrafricains entrepreneurs.
Les appels d’offres relevant de l’état ne doivent plus être une affaire d’initiés et une nébuleuse mafieuse.

Les Centrafricains doivent savoir que notre pays dispose d’énormes potentialités, et qui dit potentialités, dit aussi transformation. Malheureusement pour nous, cette transformation ne s’est jamais fait pour nous. Elle s’est fait pour d’autres personnes, des étrangers pour la plupart, composée des personnes de bonne foi et pour exemple je citerai le Grec Panayatopoulos mais surtout et en quantité quasi industrielle ; d’individus sans foi ni loi.

Le salut de la RCA doit aussi passer par l’émergence d’une nouvelle économie, portée par des Centrafricains, et pour cela je ne vois qu’une chose : la PREFERENCE NATIONALE, non pas comme l’ivoirité, mais comme moyen permettant de faire sortir notre pays en y associant les compatriotes qui auront compris qu’ils sont acteurs de leur développement et non-spectateurs de ce pillage organisé de notre pays et de notre patrimoine qui n’est pas inépuisable.
 

 Clément BOUTE MBAMBA

(Tue, 10 Aug 2004 16:39:30 +0200)

Actualité Centrafrique de sangonet - Dossier 19