Deux élections, deux peuples, deux classes politiques (Sénégal, Centrafrique)

 

Parmi les Africains qui ont suivi le déroulement des élections sénégalaises avec intérêt tout particulier, il y a eu certainement les Centrafricains. On peut s'en rappeler, ces derniers sont allés à une échéance présidentielle cinq mois plus tôt, soit le 19 septembre 1999.

Les contextes sont certes différents :
D'un côté, une démocratie déjà - relativement - ancienne; de l'autre, un pluralisme tout récent, après des décennies de dictature dont celle, ubuesque, de l'Empereur Bokassa (1966-1979).
De l'autre côté, un pays souverain qui organisait lui-même ses élections, et de l'autre, un Etat sous tutelle internationale, dont le scrutin était conçu et piloté de l'extérieur, souvent en violation flagrante et cynique du code électoral; avec une Commission Electorale Mixte <<Indépendante>> (CEMI) sans réelle influence pour satisfaire le besoin de transparence, tant elle était corrompue et manipulée.

Ce n'est pas au Sénégal qu'un ambassadeur de France pouvait se permettre de déclarer publiquement, pour justifier la compétence et la moralité du président de cette CEMI, qu'il est ... <<un ami de la France>> (sic). Drôle de critère!
On y ajoutera, pour finir, que Diouf n'est pas Patassé, et que, malgré l'usure du pouvoir (10 ans comme Premier Ministre, suivi de 19 ans comme Chef d'Etat), l'image nationale et internationale du leader sénégalais n'a tout de même rien à voir avec la personnalité très controversée du Président centrafricain.

Mais on notera qu'avant et pendant les campagnes, les dirigeants du PS (parti socialiste), tout comme ceux du MLPC (Mouvement de Libération du Peuple Centrafricain), avaient annoncé la victoire de leur candidat respectif dès le 1er tour - <<Premier tour, KO>>, avaient claironné les <<patassistes>>. <<Le Président Diouf sera élu dès le 1er tour avec 60% des voix>>, pronostiquant pour sa part le Ministre d'Etat sénégalais Tanor Dieng.
Au Sénégal, le Président Diouf n'a pas été élu dès le 1er tour. Par contre, en Centrafrique, le <<1er tour KO>> a bien eu lieu. Pourquoi ? Pourquoi, alors que M. Patassé et son parti avaient perdu les élections législatives 9 mois plus tôt, en décembre 1998 ? Comment le MLPC a-t-il fait pour gagner dès le 1er tour avec 51,84% des voix alors qu'il n'atteignait même pas 35% des voix au 1er tour des législatives ?

Certes, la MINURCA, appuyée par certaines grandes puissances a tout fait pour que M. Patassé soit maintenu. L'ambassadeur d'un grand pays ami de la RCA a même annoncé son élection dès le 1er tour avant la fin du dépouillement des votes par la Cour constitutionnelle centrafricaine... Une dépêche de l'AFP, reprise par Africa n°1, citait cette <<source diplomatique>>.
Mais cela ne suffit pas pour expliquer que la transparence ait pu jouer au Sénégal, mais pas en RCA. Nous, Centrafricains, nous avons le devoir de nous pencher sur l'expérience sénégalaise, pour savoir comment nos frères sénégalais ont pu obtenir ce résultat, surtout face à un parti au pouvoir depuis 40 ans, et implanté dans tout le pays.

La première chose à noter, c'est que l'opposition sénégalaise a formé un vrai bloc, un front uni contre la fraude. Très tôt, elle s'est mobilisé comme un seul homme pour contrer les mesures prises pour organiser la fraude. Tous les leaders étaient sur le terrain, plus d'un mois avant le jour du vote, pour sensibiliser les Sénégalais à la lutte contre la fraude. Des délégations ont été envoyées à l'étranger pour expliquer la situation. L'opposition a mobilisé ses propres experts. Chaque candidat a contribué financièrement à la lutte contre la fraude.
La Société civile sénégalaise n'est pas restée passive. Les syndicats, les ONG, les confessions religieuses, ont travaillé pour la transparence. La presse privée a joué un rôle capital. Les radios privées diffusaient les résultats dès qu'ils sortaient des urnes avant qu'ils ne puissent être manipulés. L'ONEL a joué son rôle, et a observé une vraie neutralité.
Chez nous, les partis de l'opposition se sont réveillés tard. Très peu de ses leaders se sont rendus vraiment sur le terrain, et à temps. Pendant ce temps, le MLPC était présent depuis longtemps grâce aux sous-préfets et aux maires qu'il a choisis, et à ses cadres qui sillonnaient les villages. Le MLPC s'est donné le temps et les moyens de verrouiller le scrutin. Les candidats de l'opposition, minés par des conflits de générations et des conflits ethniques et régionalistes, passaient le plus clair de leur temps à s'entredéchirer à Bangui. L'UFAP (Union des Forces Acquises à la Paix) était gagnée par la <<réunionite>>. La plupart de ses représentants à la CEMI étaient achetés par le MLPC, et ne faisaient rien pour contrer la fraude. Ils n'étaient intéressés que par les <<perdiem>>, les bons d'essence et les véhicules. Le soir, on les voyait plus dans les bars et dancings qu'aux sièges de leurs partis.

On a très peu vu la Société civile. Les syndicats ne mobilisent déjà plus pour leurs revendications catégorielles. Pour le vote, on ne les a pas vus sur le terrain, en dehors de prises de paroles dans des meetings à Bangui, juste avant le vote. Il n'y a vraiment que la presse écrite d'opposition malgré son manque de moyens et de son faible tirage, à s'être impliqué courageusement. Grâce soit rendue au Citoyen, au Démocrate et à l'Hirondelle, qui étaient bien seuls! Chacun ne tire qu'à quelques centaines d'exemplaires diffusés à Bangui.
L'opposition sénégalaise s'est organisée pour se donner les moyens financiers de contrer le PS. Chez nous, la plupart des candidats d'opposition étaient désargentés. Chacun roulait pour son compte, et cherchait même parfois à piéger d'autres.

En conclusion, s'il est vrai que l'étranger a pesé pour fausser le résultat, il est exact aussi que nous, centrafricains, n'avons pas assez fait pour contrer la fraude et empêcher le <<1er tour, KO>>.
A nous maintenant de tirer les enseignements de l'expérience sénégalaise pour l'avenir.

 

KoliKondo Gérard-Jacques
Centrafricain résidant à Dakar

Quelques indications chiffrées du 1er tour qui s'était déroulé le 27 février 2000 :
Abdou Diouf : 41% des suffrages
Abdoulaye Wade : 30,97%
Moustapha Niasse : 16,76%
Djibo Kâ : 7,08%

(04 mars 2000)

Actualité Centrafrique - Dossier 2 . Actualité internationale africaine