PATASSE PEUT-IL PRETENDRE A UNE AIDE EXTERIEURE ?

 

C’est en posant cette question au demeurant anodine, si l’on se réfère à la réalité politico-économique centrafricain, que le directeur de la publication LE DEMOCRATE a été placé en garde à vue depuis le 11 mai 2000.

Si l’on en croit la réaction des "personnes autorisées ", cette arrestation obéirait à deux considérations :

1° - Un cadre proche de la présidence de la République considère cet article comme un acte de trahison au prétexte suivant : " Au moment où la RCA attend de la communauté internationale un geste substantiel pour financer la restructuration des forces armées, certains soit disant journalistes de la presse privée préfèrent semer le doute par la publication d’articles antipatriotiques afin de priver la RCA d’une aide indispensable ".

2° - De leur côté, les autorités judiciaires représentées par le procureur de la République, publiaient un communiqué qui se termine par cette apostrophe : " Depuis la période difficile que la République Centrafricaine a traversé avec l’appui de la communauté internationale, certains fils égarés du pays, savamment baptisés "journalistes " ne cessent d’appeler à la haine tribale, à la violence, et aux actes contraires à la dignité humaine. La justice, gardienne des libertés, de la sécurité et de la paix publique, ne saurait rester indifférente à des comportements nuisibles à l’état de droit et à la démocratie ".

Où l’on apprend sous la même signature que le ministère public est juridiquement fondé à agir d’office, au prétexte que l’auteur de l’article incriminé était arrêté sous l’inculpation d’incitation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes en raison de leur origine… et l’offense au chef de l’Etat ".

On reste perplexe devant la lecture duale d'un même article.

 

I

Rappelons qu’est appelé patriote " un homme qui aime sa patrie, qui s’efforce de la servir ". Soulignons qu’une patrie renvoie à une "communauté politique d’individus vivant sur le même sol et liés par un sentiment d’appartenance à une même collectivité. " (Le Petit Larousse illustré, 1993).

Est-ce que dans l’article incriminé le directeur du DEMOCRATE a signifié son désamour pour la RCA ? Apparemment non ! Refuse t-il de servir son pays ? A tout le moins non  puisqu’il concourt à la place qui est la sienne à informer la communauté politique dont il fait partie. C’est encore semble t-il le rôle de tout journaliste. Dénoncer ceux qui par leurs turpitudes ne servent pas la RCA, serait donc un acte antipatriotique ? On reste confondu.

A l’évidence, la réaction présidentielle traduit un embarras, celui de ne pas pouvoir profiter de l’aide financière substantielle attendue de la communauté internationale. Car à bien lire le commentaire de ce cadre proche de la présidence, l’amour du journaliste pour sa patrie n’est pas en cause ; seul l’article incriminé serait antipatriotique ! D’où la tentative de discrédit introduite subtilement en parlant de "soit disant " journaliste.

Question : Qui délivre les cartes de presse et sur quels critères d’agrément ?

Comment un gouvernement patriotique distribuerait des cartes de presse à des individus qui n’en rempliraient pas les conditions d’habilitation, et laisseraient paraître depuis si longtemps des publications qui ne seraient pas agréées par lui ? Cette incompétence ne serait-elle pas, un acte anti-patriote ?

La sémantique de la présidence de la République devrait être revue, car elle est en contradiction avec la position du ministère public.

En effet, pour les autorités judiciaires, les personnes poursuivies, en l’occurrence le directeur de la publication LE DEMOCRATE, ne sont pas de " soit disant " journalistes, mais des fils égarés du pays savamment baptisés " journalistes ". Autrement dit, le patriotisme du directeur du DEMOCRATE ne peut être contesté. Seule sa qualité de journaliste peut prêter à interprétation puisque " savamment baptisée ". En d’autres termes, le responsable de la publication incriminée est un patriote considéré à tort comme journaliste par l’autorité qui a délivré son accréditation.

Aussi, ne pouvant suivre le pouvoir politique sur la voie empruntée par son conseiller en communication, l’autorité judiciaire va s’appuyer sur une qualification particulière, plus conforme au droit ; celle relative à la discrimination, à la haine ou à la violence… et l’offense au chef de l’Etat.

On se demande bien où se situe l’offense. en effet, il est de notoriété publique qu’Ange-Félix PATASSE est un chef d’entreprise et se décrit comme tel dans tous ces entretiens publiés par l’hebdomadaire Jeune Afrique. Le ministère public feint-il d’ignorer que le président PATASSE est actionnaire principal dans au moins une société de commercialisation de diamants gérée par son fils et la fille d’un président d’une République amie ? Cette société échapperait-elle à l’inscription sur le registre du commerce ? D’ailleurs de quel chef de l’état s’agit-il ? d’Ange-Félix PATASSE ou du converti MUSTAPHA ?

Est-ce faire preuve d’une attitude incitatrice à la discrimination et à la haine ou à la violence que d’écrire : " La région du Nord est une poudrière où sont disséminées les armes de guerre pour attendre le moment venu ? "

Si oui, que le ministère public, garant de la sécurité et de la paix publique, nous informe sur les mesures de recherche diligentées par ses soins pour arrêter, juger, les assassins du préfet REHOTE, pour appréhender les braconniers qui harcèlent les fonctionnaires des Eaux et Forêts, en charge des réserves animalières de la Wakaga ou du parc Saint-Floris, etc…

Si oui, que le ministère public garant des sceaux et des droits de l’homme, nous éclaire sur les informations qu’il a délivrées pour démasquer, arrêter et traduire devant les tribunaux, les théoriciens et les propagandistes de la thèse de séparations des " savaniers " et des " riverains ".

Si oui, que le ministère public garant des libertés individuelles, nous communique la preuve de ses réquisitions contre les nommés GRELOMBE, REHOTE, BODO etc, les condamnant à la peine capitale, et la nature de leurs crimes. Que le ministère public nous explique comment le consort YOLOGAZA, convaincu de tentative de détournements de fonds (325 milliards CFA) au détriment de la BEAC, a pu quitter le territoire centrafricain sans être inquiété. Qu’il nous confirme l’ouverture d’une enquête préliminaire à l’encontre des membres du gouvernement DOLOGUELE II qui ont loué à des particuliers, pour leurs intérêts personnels, des véhicules automobiles de fonction appartenant à l’Administration centrafricaine. Enfin, que le ministère public nous signale les articles de loi qui réserve à MM. FEINDEIRO, MBAIOKOUM, METEFARA etc, les postes de la haute fonction publique et les ministères dit de souveraineté.

Dommage que le représentant du ministère public ne se soit pas porté garant de la règle constitutionnelle. Mais ne pourrait-il, même si le procureur de République peut plaider l’incompétence de sa juridiction, au nom de la garantie des libertés individuelles et de la séparation des pouvoirs, interroger le président PATASSE sur le non-respect de la disposition constitutionnelle de la RCA qui interdit au chef de l’Etat d’être également et en même temps le chef d’un parti politique ?

On dit que la justice est la mère de toutes les sûretés. Que le ministère public fasse preuve d’indépendance, d’intelligence, voire d’honnêteté intellectuelle et morale en poursuivant les crimes et délits révélés ci-dessus. Qu’il s’efforce de servir la RCA en délivrant des instructions en ce sens, sauf à se considérer comme une instance antipatriotique, au service de PATASSE

 

II

Reste le fond du problème : PATASSE peut-il prétendre à une aide extérieure ? Nous disons non, pour la raison qui suit.

A la suite des négociations qui ont abouti aux Accords dits de Bangui, la communauté internationale a subordonné son concours à la réalisation d’un certain nombre d’objectifs et le respect de certains principes de base de la démocratie et de la bonne gouvernance, parmi lesquels, la réduction des effectifs de la garde présidentielle, la réintégration de celle-ci dans des forces armées centrafricaines restructurées, le rétablissement de la règle démocratique et du fonctionnement régulier de ses institutions républicaines, le respect de la bonne gouvernance.

Or, aucune de ces recommandations n’a été suivie. Depuis juillet 1996, le président PATASSE et ses gouvernements successifs ont tergiversé, ne concédant que sur la forme :

la garde présidentielle a été rebaptisées FORSDIR sans que ses missions et ses effectifs aient été modifiés. Pis, certains de ses membres en missions dans le M’Bomou et la Basse-Kotto, ont exécuté Antoine BODO lieutenant à la retraite, le commandant de la brigade de Kémbé, des parents et voisins venus à la rescousse.
les forces armées centrafricaines ne sont toujours pas restructurées, malgré la présence au gouvernement d’un ministre chargé spécifiquement de cette mission . Elles demeurent l’arme au pied, faute de carburant dit-on (!), pour se porter au secours des fonctionnaires des parcs et réserves animalières en butte à des bandes de braconniers munis d’armes de guerre ; on ne peut arguer de l’aide internationale pour mettre en œuvre certaines dispositions opérationnelles qui ne requièrent aucun financement.
les élections législatives et présidentielles ont été trafiquées sans vergogne afin de garantir au président PATASSE et à ses proches de gouverner sans partage.
la bonne gouvernance est un vœu pieux, dès lors que les membres du gouvernement eux-mêmes se livrent à des malversations, trafics d’influence et autres abus de biens sociaux à des fins personnelles. Ces dérives sont renforcées par la main mise du premier ministre sur la totalité des secteurs ministériels bénéficiaires des aides directes ou directes ou indirectes internationales.

Pendant ce temps, les fonctionnaires et les retraités accusent des retards de rémunération de plus de onze mois. Les services publics tombent en déliquescence. La sécurité des citoyens et de leurs biens n’est pas garantie. Les enfants en âge de scolarisation entament leur troisième ou quatrième année blanche, suivant les préfectures, etc…

Aucune des conditions posées par la communauté internationale n’étant réunie, on ne voit pas pourquoi le président PATASSE et son gouvernement pourraient prétendre à une aide extérieure qui, en tout état de cause, n’irait pas en faveur du développement et de la lutte contre la pauvreté.

En effet, la communauté internationale consentirait-elle cette aide financière qu’elle serait immédiatement détournée à d’autres fins, qui pour faire l’acquisition d’appartements dans le 16ème arrondissement parisien et de villas, qui pour honorer des miliciens exécuteurs de basses œuvres, qui pour financer des publi-reportages dans l’hebdomadaire Jeune Afrique, qui pour payer les frais d’études de sa progéniture, en France, en Suisse, en Afrique du sud, au Canada et aux Etats-Unis.

Non, Ange-Félix PATASSE ne peut prétendre à l’aide extérieure dans les conditions actuelles. Ce serait un crime contre le peuple centrafricain que d’accorder au gouvernement DOLOGUELE III les moyens politiques et financiers de sa radicalisation.

Il faudrait d’abord nous expliquer en quoi l’aide extérieure est indispensable, quelles mesures de restructuration des forces armées elle est censée financer, quel sera le délai de réalisation et de mise en œuvre de ces mesures, le mode d’évaluation de leurs résultats et conséquences.

A ces conditions, il faudra désormais ajouter une considération nouvelle : la liberté de la presse, son indépendance, et la garantie de l’intégrité physique et morale de ses journalistes.

Il appartiendra au ministre de la Justice de faire la démonstration de son efficacité républicaine ; faute de quoi nous serions fondés de demander à son subordonné, le procureur de la République, de le poursuivre pour le délit suivant : " Incitation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes en raison de leur origine, leur religion ou profession ".

 

Paris le 15 mai 2000

A. POLEMARQUE

Actualité Centrafrique - Dossier 2