Suicides en série à Bangui

 

Les cas de suicides se multiplient en Centrafrique, témoins du profond malaise économique et social que traverse ce pays encore mal remis des conséquences des mutineries militaires de 1996 et 1997.

Sous le titre "La série noire continue", le journal Le Citoyen évoquait récemment "la sinistrose" qui règne à Bangui où trois personnes viennent de se donner la mort en moins d'une semaine.

Jusqu'à une époque récente, seuls quelques dizaines de jeunes se suicidaient chaque année, le plus souvent par intoxication médicamenteuse.

En deux ans, même si l'on ne dispose pas de chiffres officiels, le phénomène s'est énormément amplifié et étendu à toutes les couches de la société. Ce sont maintenant des cadres, des intellectuels, des personnes âgées qui se donnent la mort par intoxication, balle ou pendaison.

Le dernier cas en date est celui d'un cadre de la Banque internationale pour la Centrafrique (BICA), qui s'est tiré une balle dans la tête dans sa voiture, au petit matin, sans laisser d'explication.

La semaine précédente, un homme d'une quarantaine d'années se jetait du haut d'un bātiment de trois étages d'un lycée de Bangui et l'on retrouvait le corps d'un jeune homme pendu au quartier Bearex.

Il y a un mois, la presse locale relatait le suicide par médicaments d'une jeune fille au Lycée Marie-Jeanne Caron.

La plupart du temps, l'entourage des suicidés parle de différends avec la famille, de désespoir. Autre raison avancée: l'implication dans certaines affaires sur le point de déboucher sur des poursuites judiciaires

Anatole Wanzani, sociologue, estime que "la misère et la pauvreté ont sérieusement entamé l'instinct de conservation des Centrafricains qui voient dans le suicide une délivrance; c'est l'expression du comble même de l'exaspération", analyse-t-il.

Le phénomène est également répandu chez les nombreuses jeunes femmes victimes de viols: "une fille qui tient à son avenir, à sa dignité, et qui subit un jour une telle humiliation, vit un traumatisme extrême qui l'expose au suicide à tout moment", explique le sociologue.

L'absorption à haute dose de Nivaquine, normalement utilisée pour traiter le paludisme, apparaît comme le moyen le plus utilisé par les candidats au suicide... quand il ne s'agit pas tout bonnement d'insecticides.

"Le plus souvent, explique le docteur Dominique Sénékian, les individus s'intoxiquent après avoir consommé une grande quantité d'alcool, au point que parfois, on se demande si on a affaire à un suicide ou à un accident.

Dans certains quartiers de Bangui, les revendeurs à l'étalage de produits pharmaceutiques refusent de vendre plus de cinq comprimés de Nivaquine au même client dans la journée.

L'un d'eux, Geoffroy, raconte avoir vendu un jour une dizaines de cachets à une jeune femme ivre morte: "le lendemain, j'ai appris qu'elle s'était suicidée; je n'étais vraiment pas à l'aise".

(AFP, Bangui, 6 juin 2000)

Actualité Centrafrique - Dossier 2