LA MAL GOUVERNANCE DE LA REPUBLIQUE CENTRAFRICAINE

 

" AUSSI LONGTEMPS QUE LES AUTORITES POLITIQUES AURONT UNE MAUVAISE LECTURE DE LA CONSTITUTION PRISE NOTAMMENT EN SES ARTICLES 21, 22, 23, 37, 38, 39, 44 ET 45 ET EN FERONT UNE MAUVAISE APPLICATION, LA RCA SERA MAL GOUVERNEE. "

par Henri POUZERE, Député

Lorsque le 19 septembre 1999 les suffrages des électrices et des électeurs ont été sollicités par les dix (10) candidats à la magistrature suprême, la majorité des votes valablement exprimés s'est portée sur le candidat du MLPC et de ses alliés : M. Ange Félix PATASSE soi-même, si l'on s'en tient, comme le veut le droit, à la proclamation de la Cour Constitutionnelle. Froidement analysé, le choix présumé libre et éclairé des électrices et des électeurs, saisis tels qu'ils étaient au moment du vote (état de dénuement avancé) ne pouvait être qu'un choix lié, un " oui, mais... "

Pour ces électrices et ces électeurs, en effet, le président élu de la République était impérativement tenu à une obligation de résultat vis-à-vis d'eux : les sortir coûte que coûte de la misère. Peu importe que cette obligation de résultat soit dévolue à son Premier Ministre, dès lors où le Président de la République avait la responsabilité de désigner un Premier Ministre, sous la réserve formelle qu'il s'assure de ses aptitudes à traduire dans le réel la politique telle qu'il l'a définie, et telle que les électrices et les électeurs l'ont perçue et en ont eu cette représentation qui les a déterminés dans leur choix.

C'est dire que le débat sur l'après élection présidentielle est fondamental, en tant qu'exercice théorique et pratique sur les situations créées depuis, surtout que le Président de la République qui est au centre du projet de Société vanté pendant la campagne est constitutionnellement interdit de descendre sur le chantier, et de s'investir physiquement et moralement dans la réalisation de sa politique, et que ce travail " d'Hercule " devait revenir à un " démiurge " qu'il avait la lourde tâche de désigner : le Premier Ministre.

L'entreprise est décidément périlleuse. Car ici, le Chef de l'Etat est acculé à un délicat jeu d'équilibre. En effet, en tant que Président élu sur une base précise, une vérité précise, devenues la base et la vérité du peuple, il se trouvait irrévocablement tenu de nommer quelqu'un qu'il sait imprégné de sa vision politique au point de donner le change, un " clone politique ", naturellement en communion constante avec son " géniteur ", et aussi naturellement capable de garantir au peuple l'avènement de la " Terre Promise ", une Terre gorgée de " miel " et de " lait " d'une part, d'autre part, cet " élu démocratiquement " sur la base de son Projet de Société est aussi impérativement tenu de désigner un Premier Ministre qui offre toutes les chances d'être adoubé et donc accepté par la majorité parlementaire, pour être à l'abri des désagréments, des votes de défiance ou des motions de censure adoptées.

Tout cela ressemble à une gageure, il est vrai. Mais les mécanismes constitutionnels sont sur ce point si bien articulés et si bien ordonnés que le Chef de l'Etat peut relever le défi et réussir le challenge si, écartant d'office et avec le dédain requis, ces voix sourdes et stupides, antidémocratiques et antirépublicaines des féaux, qui véhiculent la thèse anachronique d'un Droit Régalien essentiellement discrétionnaire, détenu par lui dans le choix de son Premier Ministre il accepte régulièrement d'être un Président élu qui évolue sur un terrain enlisé où le choix de son Premier Ministre doit rigoureusement se porter sur un homme qui lui va comme un gant certes, mais aussi sur un homme qui doit recueillir et l'adhésion du peuple, séduit par son charisme personnel, et l'adhésion de la majorité parlementaire, convaincue de ses mérites d'homme d'Etat... de Bâtisseur.

Comme on le voit, un Président élu d'une République n'est pas un Monarque, qui dit, qui veut et qui agit comme bon lui semble, sans être obligé de s'expliquer et de rendre compte à quiconque.

COMME SEUL UN MAÇON PROFESSIONNEL PEUT REUSSIR UNE MAÇONNERIE, SEUL UN POLITIQUE DE CARRIERE PEUT REUSSIR LA MISE EN ŒUVRE D'UNE POLITIQUE.

En effet, cela va sans dire, mais il vaut mieux le dire. La politique est une profession, une carrière. Elle s'apprend. Elle a ses lois, ses techniques et ses méthodes qui s'enseignent, notamment dans les organisations politiques (partis ou associations à caractère politique). Sa vocation naturelle et exclusive étant de tout entreprendre pour faire le bonheur du peuple dans tous les compartiments de la vie, la politique exige de celles et de ceux qui s'y investissent une formation acceptable dans tous les secteurs de l'activité nationale. C'est dire que le Premier Ministre qui a cette lourde tâche d'incarner le " chef d'orchestre " ne peut se hisser à la hauteur de cette difficile et délicate responsabilité que par une certaine maîtrise de chaque partition jouée par chacun des ministres dans son département.

Un tel exploit requis n'est réservé, on s'en doute, qu'à celles et à ceux qui ont l'humilité de reconnaître l'étroitesse de leurs connaissances acquises sur les bancs des universités ou des grandes écoles, et ont courageusement décidé d'élargir leur champ de compétence, en considérant qu'en définitive, le secteur d'activité où ils excellent sur le plan technique n'est qu'un élément d'un tout, un des nombreux maillons d'une chaîne qui a besoin qu'on maîtrise les lois et les mécanismes de son fonctionnement, pour réussir la transformation du pays, par la pensée, puis par l'action.

Pour en arriver là, il faut vouloir avoir du monde une vision politique. Et le Premier Ministre qui doit en arriver là, doit non seulement avoir cette vision politique du monde, mais encore il doit convaincre le peuple et la nation de " SA " vision politique pour rassurer sur ses aptitudes de guide, sur son professionnalisme.

A ce propos, des preuves fortes doivent être exigées, dont notamment la qualité de Député de la Nation, ou de militant de parti ou association à caractère politique, deux éléments objectifs qui, effectivement, ne font pas de mystère sur l'engagement politique et la prétention à gouverner de celles et de ceux qui ont ce statut.

Or, dans le cas vécu en R.C.A, le Premier Ministre n'est ni Député de la Nation, ni un militant d'un parti politique, dont (soit dit en passant) il a une auguste aversion, tout en affichant, goguenard, la prétention de réussir mieux qu'eux le traitement de la " Chose Politique ", bien que se sachant apolitique par conviction, et bien que conscient que son catapultage étrange et inique à ce poste au sommet de l'Etat ne gomme en rien son déficit politique dans le passé, au point, d'une part, de le faire passer allègrement de son état réducteur de prosélyte politique à un nouveau statut d'homme d'Etat, transfiguré, porté rapidement à maturation, et devenu par miracle un expert en Science politique, bâtisseur émérite de Nation, dispensé par conséquent de souffrir ce long apprentissage préalable infligé dans les structures politiques à tous les candidats présumés à l'exercice du pouvoir de l'Etat.

N'en déplaise à son " parrain " d'infortune, le Président de la République, qui a pu croire, à tort, que, d'une part, sa légitimité lui conférait une infaillibilité dans le choix de son Premier Ministre dont il serait seul juge des qualités et références ; d'autre part, que sa légitimité en faisait un fabricant en raccourci des hommes d'Etat pris sur le tas, c'est-à-dire en dehors des partis ou organisations politiques, ces structures qui ont la réputation établie de s'occuper du soin de former les femmes et les hommes d'Etat.

On en tombe donc à la renverse, lorsqu'on entend déclarer sentencieusement le Chef de l'Etat : " Dans sa phase actuelle, le pays a besoin d'un technocrate comme lui (Dologuélé Anicet) ; peu importe qu'il n'appartienne pas au parti. " (cf. " Jeune Afrique l'Intelligent ", N° 2052 du 9 au 15 mai 2000, p 21)

Quiconque voudrait saboter la RCA ne s'y prendrait pas autrement !

Quiconque voudrait tuer la politique et bâillonner les partis politiques pour une

monarchie de fait n'aurait pas un autre langage !

En effet, une culture d'entreprise (celle du technocrate fondamental) fondée sur l'impératif de l'excellence à tout prix, grosse d'exclusions sociales, n'est pas celle qu'un peuple, diminué physiquement et moralement, attend d'un Premier ministre. Un peuple réduit à ce stade a plutôt besoin d'une femme ou d'un homme Premier Ministre pétri(e) de cette nécessaire culture d'Etat qui sait rendre compte de la " clause sociale" prise dans sa fonction incontournable de levier de tout développement durable normal résolument fondé sur l'Homme comme la matière par excellence.

De ce point de vue, le Chef de l'Etat s'est trompé en tant que Président d'une République de surcroît baptisé Démocratique, faite pour être gérée par des femmes et des hommes politiques, qui ne sont jamais que des serviteurs du peuple en quête d'intelligence et de savoir-faire politique de ses meilleurs filles et fils pour l'aider à se développer et à s'épanouir. Car, il faut le dire fort et même très fort : il n'y a pas d'action qui rapporte sans théorie juste qui l'éclairé et l'oriente. Tout comme il n'y a pas de développement sans politique qui l'inspire et l'accompagne. C'est la raison pour laquelle un candidat à la Présidence de la République, qui s'aviserait de se présenter en vantant son passé de technocrate indifférent à la politique n'aurait aucune chance d'être élu. En effet, quoi qu'il en soit, le peuple n'est pas dupe au point de jeter son dévolu sur quelqu'un qui a choisi de se mettre en dehors de la politique, de se tenir à l'écart de la lutte politique, de n'afficher aucune opinion politique.

Ce qui vaut pour un Président d'une République Démocratique vaut forcément pour le Premier Ministre, son collaborateur immédiat dans l'attelage de l'Exécutif. On n'imagine pas non plus, en effet, un Premier Ministre technocrate, au passé fermé à la politique qu'il tient en horreur ; ou un Premier Ministre qui, parce que technocrate convaincu, fait prévaloir les facteurs techniques sur les facteurs humains, et privilégie l'influence déterminante des techniciens de l'administration au détriment des élus du peuple, considérés comme des empêcheurs de tourner en rond. Sauf quand il faut les instrumentaliser pour jouer les pompiers au moment des votes à l'Assemblée Nationale. Le mélange de ces deux extrêmes (Technocrate-Apolitique) est naturellement contre-productif, en même temps qu'il est un facteur d'instabilité chronique rendant le pays ingouvernable, dangereusement exposé au cortège inévitable des crises sociales, des scandales politico-financiers, de corruption au sommet de l'Etat et de l'Administration centrale.

C'est, hélas ! la situation que vit la R.C.A, au point d'obliger le Chef de l'Etat à devenir à son tour le grand pompier, en soutenant, nerveusement, son Premier Ministre technocrate, esseulé et déstabilisé notamment par la fronde des élus et du Comité Exécutif du MLPC, qui ont réclamé, avec la manière, son départ pour usurpation et incompétence caractérisée en matière de gestion de la chose publique, desservi qu'il est du capital d'expérience politique nécessaire et préalable, et contraint de tâtonner et de donner dans l'empirisme politique, l'improvisation suicidaire. Toutes choses fatales au pays.

" On ne dit pas que certains membres du Comité Exécutif de mon parti le Mouvement de Libération du Peuple Centrafricain ne sont pas étrangers à l'idée et à la formulation de cette Motion de censure dirigée contre le Premier Ministre et son gouvernement. Ceux-là, je vous le dis, ne perdent rien pour attendre. Ils le regretteront. J'ai déjà dû intervenir personnellement pour que les militants de base ne s'en prennent pas à eux et à leurs biens. J'attends pour agir la réunion imminente du Comité Politique National du MLPC. Il faut que ces gens (sic) comprennent deux choses : le parti est uni derrière moi qui en suis le chef, et nul n 'a de droit sur Ange-Félix PATASSE. Pour le reste, sachez que ma confiance envers Anicet-Georges Dologuélé est intact. " Ange-Félix PATASSE, (Voir article de JA l'Intelligent précité, p.21)

Bien évidemment, le soutien présidentiel à son Premier Ministre technocrate vient trop tard. Il ne peut aboutir qu'à une victoire à la Pyrrhus. Car le ver est dans le fruit. Et puis, " Un ministère qu'on soutient est un ministère qui tombe " (Talleyrand), avec le risque d'emporter dans sa chute son souteneur devenu partisan indéfectible. Pour peu en effet que ces élus et ces membres du Comité Exécutif du MLPC persistent dans leur légitime revendication de gouverner et de gérer leur victoire, il n'est pas exclu que l'échec de la Motion de censure de mars 2000 jette les bases solides d'une victoire mijotée de la Démocratie Républicaine sur l'obscurantisme de la technocratie militante, intrinsèquement destructrice parce que portée par la dictature feutrée de quelques illuminés " Dieu m'a choisi pour diriger un pays béni " A.F. Patassé, (in J.A. précité, p.22).

Toutes ces contorsions, divagations et entorses qui brutalisent les mécanismes de fonctionnement de la politique des Républiques Démocratiques ne s'expliquent pas. Car il suffisait, pour éviter ces bavures d'apprentis-politiques, d'inférer de l'article 19 de la Constitution que les forces les mieux placées pour redresser l'économie et les finances publiques ruinées, et réussir la Démocratie et le Développement en gouvernant le pays, ce sont naturellement, par vocation les partis et groupements politiques qui n'ont pas d'autres raisons d'exister, et travaillent à cet effet.

A ce propos, il est bon de rappeler que si le MLPC, qui est un parti politique vieux de plus de vingt (20) ans, et qui dispose en son sein de militants de talent doublés d'une excellente compétence technique a gouverné et a échoué de 1993 à 1996, avec un Président de la République et deux Premiers Ministres, issus tous les trois de ce parti, personne, en tout cas aucun politologue perspicace rompu aux pratiques des Républiques modernes ne peut s'autoriser à disqualifier ce parti au profit d'un apolitique déclaré hier, ou d'un technocrate solitaire aujourd'hui. Venu de surcroît au pouvoir à l'improviste, par surprise...

Même en tirant argument des échecs répétés du MLPC dans ses premières expériences de l'exercice du pouvoir de l'Etat, un homme politique normalement constitué et normalement informé de la complexité de la Chose Publique, du caractère hautement scientifique de son fonctionnement, ne peut oser conclure péremptoirement à la disqualification radicale de ce parti en matière de gestion du pouvoir de l'Etat, pour confier cette responsabilité à un technocrate singleton, porté à bout de bras par un seul homme politique, fut-il le Chef de l'Etat.

Ce serait ignorer en effet qu'un parti politique, créé pour gouverner, et qui échoue dans l'exercice du pouvoir, est obligé et s'oblige, par instinct de conservation, à tout entreprendre pour exercer sa vocation naturelle. Il en est ainsi parce qu'un parti de gouvernement est une ruche à cadres politiques, rompus aux mécanismes du jeu politique, et capables d'autocritique vitale et éclairée, donc sans complaisance, pour reprendre du service après avoir revu leur copie et s'être assurés des qualités requises de celles et de ceux qu'ils proposent aux commandes de l'Etat.

Cette réaction vitale est plus facile, plus spontanée et presque mécanique dans un parti qui évolue sous l'aiguillon permanent de ses nombreuses intelligences spécialisées, ambitieuses et convaincues de leur vocation de bâtisseurs. Une telle attitude est moins évidente dans un tandem déserté, constitué d'un Chef d'Etat et de son Premier Ministre aux ordres. En revanche, ce qui est évident ici, c'est qu'un tel tandem, pris dans le vertige de l'isolement, donne facilement et dans la dictature en prenant prétexte de la légalité constitutionnelle absolutoire, et dans la corruption active, et dans la complicité, y compris par abstention, pour se maintenir vaille que vaille au pouvoir jusqu'à la fin de la durée constitutionnelle du mandat présidentielle de six ans.

VU L'ARTICLE 37 DE LA CONSTITUTION,

LE PREMIER MINISTRE EST ET DOIT ÊTRE

DU MÊME BORD POLITIQUE QUE LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE

ET DE SON PARTI.

Chef de l'Etat, Président de la République, l'élu du peuple est obligé de faire son bonheur, en construisant la société promise avec aplomb et certitude pendant la campagne électorale. Dans le même temps, la Constitution en son article 21 lui confie des responsabilités incompatibles avec son implication directe dans cette œuvre de changement, avec le statut de joueur de champ :

" Le Président de la République est Chef de l'Etat.

" II incarne et symbolise l'unité nationale ; il veille au respect de la Constitution, assure

par son arbitrage le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité et la pérennité de l'Etat

" II est le garant de l'indépendance nationale, de l'intégrité du territoire... " (Art. 21)

Au terme de l'article 21 de la Constitution, il n'y a pas de doute. Le Président de la République est au-dessus de la mêlée. Il est mis à l'abri du risque rampant des comportements partisans (Président en exercice d'un parti politique). Il est soustrait des activités attentatoires à son indépendance (Président de Conseil d'Administration de société commerciale). Toutes choses incompatibles avec son statut auguste de Rassembleur, de Symbole, d'Arbitre Suprême, de Garant constituant à lui seul le cadre sécurisant qui rassure la Nation et permet le développement dans la paix.

A voir de près dans cette situation, on est en face d'un certain paradoxe. Car qui peut mieux que celui qui a promis un nouveau monde, "Le Grand Soir" au peuple peut-il le réaliser ? Si le Président de la République est dessaisi constitutionnellement de la mise en chantier de sa politique, qui d'autre que lui peut-il en être chargé et la traduire fidèlement, en fait et en actes, avec cette chance de réussite dont il est présumé détenir le secret ?

La réponse paraît, semble t-il, plus qu'évidente : cela ne peut être qu'un de ces plus fidèles et talentueux compagnons de lutte politique. Car pour traduire dans la réalité une vision politique du pays, il faut avoir de cette vision politique une excellente et juste perception au niveau des tenants et des aboutissants. Cela suppose une parfaite connaissance des débats et travaux préparatoires à la confection de cette vision politique.

Ici, les articles 21 et 37 de la Constitution désignent le Premier Ministre comme le personnage qui est chargé de la mise en œuvre de la politique du Président de la République. La question du substitut du Chef de l'Etat est donc réglée. Mais les articles 21 et 37 de la Constitution n'arrêtent pas le profil du Premier Ministre. Ils ne se

 

prononcent pas sur les qualités exigées pour cette fonction extrasensible. Sans doute, c'est aussi cela, la Constitution. C'est un cadre juridique qui, par sa nature et sa vocation, se ferme aux détails, aux précisions, laissant le soin aux théoriciens et praticiens de la politique de fournir les détails et précisions qui conviennent le mieux à la matière de la politique efficiente.

A la vérité, il n'y a pas lieu à débat sur le profil du Premier Ministre, quand on intègre bien la logique de l'article 37.

Le Premier Ministre doit être un homme politique avant sa nomination. Pas après coup. Il est nommé par rapport à ses expériences politiques, même en tant que technocrate. Mais il ne peut pas, mais pas du tout être un apolitique, c'est-à-dire un homme hermétiquement fermé à cette matière, ou qui fait de la politique du bout des lèvres, et en marchant sur la pointe des pieds. Personnalité forcément politique, le Premier Ministre doit être aussi politiquement et idéologiquement proche du Président de la République, partager sa vision du " Que Faire " pour réussir la fameuse " bonne gouvernance ".

II se trouve hélas ! que le Premier Ministre en R.C.A n'appartient à aucun parti politique, pas même au parti du Chef de l'Etat, qui l'a adoubé. Il est un apolitique déclaré et revendique ce positionnement. La conséquence tragique de cette situation négative est que le Chef de l'Etat se trouve en porte à faux et se leurre dangereusement quand il nomme son Premier Ministre pour ses seules qualités et vertus de technocrate, alors que ce dernier a toujours choisi jusque-là de se mettre en dehors de la politique, et n'avait de ce fait aucune compétence requise pour conduire une politique technocratique à laquelle bien évidemment son état d'étranger volontaire à la politique n'a pas permis d'y penser, de participer à son élaboration et d'en avoir les grandes orientations de sa mise en œuvre. Car, s'il est exact qu'un technocrate peut être aux commandes d'un gouvernement de combat économique, il est tout aussi exact qu'un technocrate apolitique Chef de Gouvernement est un contresens, voire une hérésie politique.

Et, pour aller plus loin, il sera dit qu'un technocrate volontaire pour une politique technocratique se conçoit parfaitement (ce qui semble être la position du Chef de l'Etat), mais à la condition nécessaire et suffisante que la technocratie à mettre en œuvre à la tête de l'Etat soit la ligne politique défendue par le candidat à la présidence de la République et primée par le peuple. Ceci pour éviter une escroquerie politique ; surtout lorsque l'on sait que la technocratie est ce système politique de gouvernement où prévalent les conceptions " techniques " d'un problème politique au détriment des conséquences sociales et humaines, un système politique de gouvernement où on assiste à un pouvoir prédominant des " techniciens " au détriment des élus, et plus largement, au détriment de la vie politique proprement dite, animée par les forces politiques organisées, qui veillent au grain pour prévenir que la Dignité et la Liberté ne dépendent du calcul des coûts et bénéfices ; et que le sacrifice des forces productives ne soient rien d'autre que le coût du progrès.

Par rapport à ces effets pervers qui portent les signes de la " Dialectique de l'Inhumain" d'un autre temps, la technocratie ne peut pas être la seule affaire du Chef de l'Etat, qui peut en décider tout seul, sans son parti politique, et surtout outre et contre son parti politique qui l'a soutenu à l'élection présidentielle. Il y aurait, dans un tel comportement, un signal fort d'une rupture politique et idéologique très grave entre le Président de la République et son parti, et l' expression d'un retour en force du Chef de l'Etat à une gestion patrimoniale et antidémocratique de la République, ce bien indivis de toutes les Centrafricaines et tous les Centrafricains, qui ont vocation à veiller à la manière dont il est géré par leur Mandataire Suprême, dont le degré de responsabilité est fonction de l'importance de son statut.

Pour aller encore plus loin, le Chef de l'Etat se trompe et donne dans l'imposture (ce qui doit être le cas), s'il pense qu'un Premier Ministre technocrate a par lui-même des vertus mobilisatrices des forces productrices et des capitaux intérieurs et surtout extérieurs, et qu'il faut et qu'il suffit qu'il ait la confiance du Président de la République et de lui seul, dans un rapport vertical et de complicité active.

Il se trompe parce que, au commencement était la politique, c'est-à-dire l'art d'organiser la Cité pour rendre ses habitants heureux. Or le technocrate, par définition, répétons-nous, est cet homme ou cette femme qui, au pouvoir de l'Etat, exerce son autorité en fonction des études notamment économiques et financières, de très grande valeur scientifique certes, mais des études qui ne tiennent pas un compte suffisant des facteurs humains, pourtant au centre de l'action politique de tout gouvernement des Démocraties Républicaines ; même si l'économie néolibérale qui porte la mondialisation tente d'inverser l'échelle des valeurs. Il se trompe encore parce qu'il considère comme suffisante, à la limite exclusive, la seule confiance du Chef de l'Etat en son Premier Ministre pour le créditer d'une assise démocratique mobilisatrice.

Pour jouir d'une assise démocratique qui rapporte, un Premier Ministre en exercice a besoin d'une triple confiance : celle du Président élu de la République, bénéficiant de l'onction du peuple qui lui confère la légitimité nécessaire ; celle des élus du peuple que sont les Députés de la Nation, jouissant eux aussi d'une légitimité procédant également du suffrage universel ; et, enfin, celle de l' ensemble des classes sociales, la majorité silencieuse qui s'exprime à travers la radio-trottoir, et ses résistances spontanées.

On voit donc que, tout bien compris, le choix du Premier Ministre n'est pas discrétionnaire. Le Chef de l'Etat n'est pas libre de nommer un Premier Ministre. Son choix doit porter sur un homme dont le profil répond à cette triple exigence. A peine de créer les conditions d'une instabilité politique par le dysfonctionnement des institutions de la République. Situation qui peut être fatale à son régime, même s'il spécule sur les vertus de la légalité constitutionnelle pour contenir tout débordement dans le cadre d'une résistance populaire, prévue et protégée par la Constitution dans son Préambule.

 

LE PREMIER MINISTRE EST ET DOIT ETRE ISSU DE LA MAJORITE PARLEMENTAIRE

Pour éviter la " cohabitation " que la Constitution n'a pas prévue et n'insinue pas, le Premier Ministre doit être assuré du soutien de la majorité parlementaire, de la même manière qu'il doit bénéficier de l'appui du Chef de l'Etat, qui le nomme et révoque (articles 21 et 37 de la Constitution). En effet, le Premier Ministre est responsable devant l'Assemblée Nationale, qui peut provoquer sa chute et celle de son gouvernement. Les articles 38, 39 et 45 de la Constitution ne font pas de mystère sur ce point, notamment l'article 45 qui cible les deux situations pouvant causer le renversement du gouvernement et de son Chef.

 

"Lorsque l'Assemblée Nationale adopte une Motion de censure (Art. 44 de la Constitution), ou lorsqu'elle désapprouve le programme ou une déclaration de politique générale du gouvernement (Art. 39 de la Constitution), Le Premier Ministre doit remettre sans délai au Président de la République la démission de son gouvernement ".

Le cheminement théorique de l'article 45 de la Constitution procède d'une logique démocratique imparable en ce que ce texte pose clairement le problème clé de la nécessaire séparation des pouvoirs, dans un souci d'équilibre des institutions. Il s'agit en fait de faire obstacle à la menace tendancielle de la dictature de l'Exécutif, en réaction contre les contestations légitimes d'un Parlement beaucoup trop regardant, qui refuse de servir d'alibi, déjouer le faire-valoir.

L'article 45 introduit en effet très nettement la possibilité constitutionnelle d'une opposition ouverte entre l'Assemblée Nationale et le Premier Ministre, convaincu de l'exécution calamiteuse de la politique définie par le Chef de l'Etat. La difficulté de cette situation est le fait que le Premier Ministre soit obligé de répondre à son corps défendant de la mise en œuvre chaotique d'une politique à laquelle il n'a participé ni au niveau de la conception, ni au niveau de l' élaboration pour prétendre à la maîtrise de sa gestion concrète et d'en minimiser les ratés. Et pourtant...

Cette difficulté demeure même lorsque le Premier Ministre a participé à la conception et à la formulation du contenu de la politique du Chef de l'Etat, quand ce "Premier Ministre n'a pas été investi du pouvoir réel et total d'apprécier la faisabilité de cette politique et de se donner les moyens notamment humains (cadres techniques compétents et honnêtes) pour la réaliser. Surtout que l'Art. 21 de la Constitution indique sans plus que " Le Chef de l'Etat fixe les grandes orientations de la politique de la nation ".

On devrait pouvoir comprendre dans ces conditions que le Premier Ministre et son gouvernement avaient la faculté de remplir les cases, et de gérer l'ensemble de la politique, vue globalement par le Président de la République, et qu'il était autorisé à tenir rigoureusement compte des contraintes du terrain, avec un droit de critique constructive, un droit de donner du sien.

Si c'est effectivement ainsi que les choses sont comprises, la justice distributive peut se satisfaire volontiers de la responsabilité pleine et entière du Premier Ministre devant les Elus du peuple, pour faute de gestion. A l'inverse (et le débat rebondit et se complique), si, d'une part, le Premier Ministre est strictement réduit au rôle d'agent d'exécution de la politique du Chef de l'Etat, sans changer un iota pour y donner du mou et de la souplesse ; si, d'autre part, en considération du fait négatif pour le Chef de l'Etat de ne pas gouverner, c'est-à-dire de ne pas gérer directement les affaires publiques, pour avoir de ce fait une connaissance suffisante des hommes du terrain, le Premier Ministre restait interdit comme c'est le cas (art. 21 de la Constitution) du droit de disposer de toutes les administrations et de nommer aux fonctions civiles, avec pouvoir de révocation, il ne serait pas juste de le déclarer entièrement responsable de la mauvaise mise en œuvre de la politique du Président de la République. Il devrait y avoir ici une responsabilité partagée avec le Chef de l'Etat, qui nomme seul et révoque seul dans les fonctions de la haute administration publique. La responsabilité du Premier Ministre devant être retenue pour complicité active dans le pourrissement de la situation. Faute pour lui de n'avoir pas choisi de démissionner. Tandis que le Chef de l'Etat répondrait de ses mauvais choix. Mais devant qui, avant six ans ? C'est encore un paradoxe.

Tout se passe en R.C.A comme si le Chef de l'Etat était constamment en rébellion contre l'article 37 de la Constitution qui lui fait défense de s'impliquer dans la gestion des affaires publiques, et de laisser libre cours au Premier Ministre dans ce domaine qui lui est réservé. De fait, à l'observation, le Président de la République donne la nette impression de faire corps avec son Premier Ministre, en prenant le risque d'apparaître en première ligne et de s'exposer aux coups auxquels son statut le mettait à l'abri.

En tout état de cause, on est ici en face d'une situation politique atypique, avec la combinaison bâtarde d'un régime crypto-présidentiel et un régime pseudo-semi-présidentiel, qui paralyse le contrôle de l'Assemblée Nationale, contrôle qui ne vise constitutionnellement que le gouvernement et non pas le Chef de l'Etat, responsable uniquement devant le peuple, et seulement à la fin de son mandat de six (6) ans (art. 23 de la Constitution). En tout cas ce comportement présidentiel bizarre embarrasse les Députés et les embrouille gravement du fait de l'imbrication des influences du Président de la République et de son Premier Ministre sur la marche du gouvernement, au point qu'il apparaît impossible de faire la part des choses et de désigner le coupable recherché, auquel l'on doit imputer la faute de gestion.

Et l'on comprend, dans ces conditions, pourquoi l'Assemblée Nationale redonne volontiers sa confiance à un Premier Ministre dont le gouvernement a failli de manière

éclatante. Il faut éviter, à ce qu'il semble, un désordre institutionnel. On l'a constaté pour le vote de confiance à l'occasion de l'exposé en novembre 1999 du Programme d'action du Premier Ministre, reconduit contre toute attente, et à l'occasion de la Motion de censure de mars 2000, où les charges qui pesaient sur le Premier Ministre et son gouvernement étaient si accablantes qu'ils pouvaient difficilement échapper à leur destitution.

Devant un tel embrouillamini politico-juridique, il devient urgent de se poser la seule question qui vaille, et de la trancher dans un souci de pédagogie et d'éducation politique sur le tas, à savoir : quel est le commode prétexte théorique qui a pu présider au comportement des Députés à l'occasion de ces deux votes, où ils ont choisi d'apporter leurs voix au Premier Ministre. Une telle question de principe peut surprendre. Mais cette démarche est volontairement recherchée, pour élever et clarifier le débat, par opposition aux approches sous fond de motivations primaires, bassement matérialistes et politiciennes, qui ruinent les chances d'affrontements qualitatifs d'idées dans le " Temple du Peuple ", désigné du nom évocateur de Parlement.

Avec cette démarche sur fond de principe, il s'agit effectivement de chercher à savoir si c'est à la suite d'une certaine compréhension brouillée des mécanismes du régime dit " semi-présidentiel " (introduit de fait en R.C.A), où le Chef de l'Etat élu dispose de pouvoirs importants, que la majorité parlementaire en est arrivée à justifier son immixtion trop visible dans le fonctionnement du gouvernement. Il semble que ce soit en définitive cette compréhension brouillée des données politico-juridiques qui ait présidé au comportement des Députés, qui ont pu penser qu'en " accrochant " le Premier Ministre, Fonde de choc atteindrait inévitablement le Président de la République.

Pourtant, un tel risque ne se conçoit pas, puisqu'il est connu de tout le monde que le Chef de l'Etat est constitutionnellement intangible pendant six (6) ans, au nom du principe de la Légalité qui continue de le protéger, même lorsqu'il perd de sa Légitimité, délaissé par la masse électorale, qui réalise que son élu démocratiquement a vite fait d'oublier, au lendemain du vote, ses promesses de campagne...

En tout cas, ici encore, on serait en face d'une mauvaise lecture et d'une mauvaise application des articles 21, 23 et 37 de la Constitution, qui désignent sans la moindre équivoque le Chef de l'Etat comme l'arbitre du fonctionnement régulier des pouvoirs publics (gouvernement, Assemblée Nationale notamment), et qui lui interdisent de cumuler les fonctions politiques, dont celle du Premier Ministre (art. 22 de la Constitution).

C'est dire, en définitive, après tous ces développements, que l'Assemblée Nationale, cette Maison du Peuple, doit être une tribune réservée à des femmes et des hommes, qui ne savent pas seulement lire et écrire (loi électorale), mais qui sont convaincus d'une bonne culture politique, au lieu que l'on donne paresseusement dans la démagogie et l'illusion démocratique, en ouvrant largement l'accès du " Temple du Peuple " à des personnes dont les compétences sont appréciables certes, mais dans un autre domaine, d'un autre niveau de culture, de savoir.

Il n'y a pas de doute que seule l'accession à une bonne formation technique et politique cumulativement, soutenue par une bonne expérience de terrain, facilite le frottement des idées de bon niveau et aide à discerner plus ou moins rapidement ce qui est essentiel à l'équilibre des pouvoirs au secours d'un ordre politique qui paye. Tandis que le forum des sous-politiques, même techniquement excellents, accouche rarement, sinon jamais, des visions politiques utiles. Car, " Les gens de bon sens savent que la suggestion selon laquelle chaque ouvrier peut administrer l'Etat est un conte de fée puisque l'ouvrier, le manœuvre, le chef de village, le cultivateur, l'éleveur, etc. pris en l'état de leur situation actuelle de personnes illettrées ou faiblement lettrées, manquent en général cruellement de savoir-faire politique et d'outils théoriques de réflexion à la hauteur des exigences du pouvoir de l'Etat.

Tout ceci nous amène à retenir que le Député de la Nation est et doit être cette femme ou cet homme, qui sait lire, comprendre et interpréter l'Economie et la Finance nationale dans leur articulation obligée avec l'Economie et la Finance mondiales. C'est cette femme ou cet homme capable d'établir la bonne et juste hiérarchie politique entre le social et l'économique. C'est cette femme ou cet homme qui, certes a son ego, ses fantasmes, ses faiblesses naturelles et essentielles, provoquées ou acquise, mais qui est capable de se hausser jusqu'à l'intelligence théorique de son rôle de contrôle sur le gouvernement.

Ce contrôle de l'Assemblée Nationale sur le gouvernement est un acte fondamentalement démocratique en même temps qu'il est politique, à condition que tous les Députés, notamment ceux de la majorité parlementaire fassent cette différence entre la Légitimité et la Légalité, toutes deux au secours du Chef de l'Etat, guetté constamment par le risque de devenir impopulaire, mais qui peut se maintenir au pouvoir au nom de la Légalité (mandat de 6 ans) quand dans le même temps, il a perdu de sa Légitimité (essentiellement précaire).

Si les Députés de la majorité présidentielle acquise au Chef de l'Etat maîtrisent ces considérations politico-juridiques, si le Premier Ministre maîtrise lui aussi les mêmes considérations, la question clé d'une nécessaire communion entre lui, le Chef de l'Etat, et la majorité parlementaire devient une évidence. Puisque les Députés de la majorité parlementaire et le Premier Ministre peuvent réaliser sans peine qu'ils sont au centre du combat du maintien du Chef de l'Etat en phase constante avec la population, tout comme ils sont au centre du combat pour le retour du Chef de l'Etat dans les grâces du peuple qui a pu se détourner un moment de lui après l'avoir déclaré coupable de faillite politique par ses collaborateurs et ses amis politiques interposés. Dans cet ordre d'idée, le contrôle du gouvernement par l'Assemblée Nationale à l'initiative de la majorité parlementaire devient un devoir de soutien politique au Premier ministre et, par ricochet, au Président de la République, qui a besoin d'une " bonne gouvernance " pour être aimé par son peuple et jouir de la Légitimité liée, sans se voir obligé de recourir à des moyens tirés de la Légalité constitutionnelle. Ici, le Premier ministre et son gouvernement ont besoin d'un contrôle permanent de cette majorité parlementaire, qui peut et doit donner l'alerte à un Exécutif déconnecté des forces sociales et politiques, épuisées et résignées face au drame d'une économie littéralement plombée et dynamitée depuis l'extérieur, avec des complicités intérieures, un Exécutif en panne de créativité, se contentant du commode soutien politique du Chef de l'Etat pour rester aux affaires et gérer le quotidien.

Par l'exploitation à fond des moyens de contrôle prévus par l'article 65 de la Constitution, la majorité parlementaire, saisie en tant qu'élément pivot de la mouvance présidentielle, peut en effet prévenir le dépôt et le succès d'une Motion de censure pour des fautes lourdes imputables à un gouvernement qui, assuré d'une majorité parlementaire mécanique très éloignée des critiques constructives, ne redoute nullement les coups de boutoir d'une opposition parlementaire incapable en l'état de le renverser, mais juste bonne à servir d'alibi à un fonctionnement démocratique de la République.

Comme on le voit, un Premier ministre qui est le poteau porteur de la construction nationale est et doit être un homme d'Etat, façonné et rodé par de longues luttes politiques qui raffermissent et instruisent ; un Homme d'Etat connu par ses pratiques sociales sanctionnées par le temps, et qui ne laissent aucun doute sur ses convictions républicaines et démocratiques, articulées sur la nécessaire solidarité nationale ; un Guide, qui est devenu progressivement et non catapulté pour son génie de technocrate radicalement opposé à la primauté des dimensions sociales et politiques sur les dimensions économiques et financières porteuses naturelles de fractures sociales dans " un système politique technocratisé ".

Pour réussir sa mission de mise en œuvre de la politique du Chef de l'Etat, pour jouer durablement son rôle naturel de " faiseur d'image " du Président de la République, le Premier ministre doit sacrifier à l'autel de la stabilité et de la longévité, dont il aura pris soin de forger par lui-même et en lui-même les bases primaires telles qu'énoncées plus haut. Cette stabilité et cette longévité lui sont assurées par l'Assemblée Nationale concurremment avec le Chef de l'Etat. Mais sous cette réserve politique fondamentale que l'Assemblée Nationale se retrouve dans les faits et actes du Premier ministre.

Averti de ce balisage constitutionnel, le Premier ministre se sait en danger permanent d'instabilité, s'il n'est pas une recrue issue de la majorité parlementaire. Peu importe que cette majorité parlementaire soit plurielle ou non, du moment où celle-ci affiche dans son discours politique une cohérence qui assure le Premier ministre de sa détermination à le soutenir et à l'accompagner dans ses heurs et malheurs.

Il se trouve (nous l'avons déjà dit) que le Premier ministre en exercice en R.C.A est (malgré ces exigences démocratiques relevées ci-dessus) un pur produit du hasard a pris d'autorité sur le tas par le Chef de l'Etat entré à nouveau en rébellion ouverte contre la Constitution dont il revendique pourtant la paternité. En effet, après s'être débarrassé, comme d'habitude sans le moindre scrupule et le cœur léger des barrières juridiques tirées du strict respect du principe de la constitutionnalité des décisions présidentielles, le Chef de l'Etat a décidé de juger de ce qui est bon pour le pays, et a dicté ses vues du Premier ministre qu'il faut à la R.C.A du moment : il doit être, dicte-t-il, un cadre intelligent, travailleur, honnête ; un technocrate. Peu importe qu'il n'appartienne pas au parti...

Ici, le Chef de l'Etat assume la rupture entre lui et son parti, jeté au rancart, dépouillé de son droit légitime de gouverner. Le Projet de Société qui porte portant le label " MLPC et autres petits alliés " sera exécuté, dicte-t-il, par un technocrate-à-la-tête-pleine, sans se

douter un seul instant que la présomption de la " tête-pleine " du technocrate est une présomption simple qui s'écroule face à la preuve de la vacuité criarde de cette tête. Ce qui est au demeurant le cas avec la série noire des scandales politico-économico-financiers, perpétrés à la faveur de l'ambiance délétère largement entretenue par le gouvernement " technocratique ", pourtant solennellement et publiquement déclaré " gouvernement de salut public ".

Le comble dans ce grossier jeu de dupes est que le technocrate, intelligent et honnête, choisi comme Premier ministre pour ces deux qualités cumulées, n'ait pas compris d'emblée qu'il n'est ni intelligent ni surtout honnête d'accepter de gérer un changement dont on ignore tout de son itinéraire intérieur théorique de ses dédales de ses scénarii de résolution des intrigues éventuels de parcours. Il n'est effectivement ni intelligent ni honnête, et à l'arrivée, ni responsable de faire fi de son déficit politique, et d'oser accepter de diriger un pays sur la base des approximations et des généralités servies par la politique vue au premier degré : celles de Monsieur " Tout-le Monde ", de Messieurs les diplômés des universités et grandes écoles, de messieurs les forts en thème.

Une chose est sûr, c'est que le Chef de l'Etat oublie que la gestion politique d'un pays ravagé, déboussolé, désespérément en attente de son redressement, n'est pas l'affaire d'un génie solitaire, fût-il un Prix Nobel d'Economie et de Finances. Un pays en mal de tout ne se relève que sous l'éclairage d'une ligne politique juste, pensée et appliquée par les meilleurs femmes et hommes du pays, abusé jusqu'ici par des dirigeants de tous les niveaux du savoir technique, qui se savent pourtant parvenus au pouvoir trop tôt dans un état d'impréparation très accusé. Peut-être fallait-il faire avec celles et ceux que le pays avait sous la main. Mais depuis, les eaux ont coulé sous les ponts, et la politique désormais mondialisée s'apprécie à l'aune du professionnalisme à tout prix.

De ce point de vue, on s'étonne du comportement d'un Chef d'Etat élu démocratiquement, qui s'abîme dans l'horreur de la dictature du type des partis uniques

et des régimes militaires ; un Chef d'Etat qui réduit la Constitution en chiffon de papier quand elle le dérange, et la brandit nerveusement quand elle peut lui fournir quelques prétextes au règlement de compte avec ses adversaires politiques.

De ce point de vue encore, on imagine difficilement qu'en quarante ans (40) ans d'indépendance politique, les partis politiques dont la vocation est de faire la politique, soient traités par le mépris et voués aux gémonies par un Chef d'Etat élu démocratiquement, constitutionnellement chargé du devoir d'assurer leur promotion en tant que machines privilégiées des transformations qualitatives des républiques démocratiques.

De ce point de vue enfin, on s'étonne du coup d'Etat très présidentiel, perpétré contre des forces politiques organisées en partis, qui ont un savoir-faire à faire savoir, et ont dans cette perspective sué sang et eau pour gouverner, mais qui se retrouvent brutalement stoppées sur le quai, dessaisies de la gestion de leur victoire au profit d'un quidam sorti d'une boîte de pandore pour conduire en leurs lieu et place la locomotive du changement.

Tout de même ! ! ! !

En tout cas, toutes ces brutalités exercées sur la Constitution par le Chef de l'Etat, qui prend des libertés avec les articles 21 et 37 de la Loi Fondamentale, toutes ces violations par le Chef de l'Etat de l'ensemble des lois et règlements de la République complique le jeu démocratique et fournissent des motifs de tensions et autres frustrations grosses de dangers fatals à la stabilité politique.

C'est pourquoi il est urgent de donner l'alerte en invitant les autorités politiques à avoir constamment à l'esprit cette phrase grave qui vaut une mise en garde : " C'est lorsque leur propre légalité les étouffe et qu'ils la violent que les régimes politiques commencent à susciter leurs propres fossoyeurs. " (Machiavel)

II y a pourtant une solution démocratique toute naturelle à cet imbroglio politico-juridique organisé au sommet de l'Etat : laisser le MLPC et les partis alliés gérer eux-mêmes leur victoire.

Maître Henri POUZERE

Député de la Nation


Actualité Centrafrique - Dossier 3