Le mal centrafricain : "bêtise centrafricaine, bêtise nationale, bêtise animale ?" (V)


ARRETONS LA BETISE NATIONALE!

ELLE NE NOUS HONORE PAS...

Un pays immensément riche et pauvre. Un Empereur couronné en plein milieu du 20e siècle au nom du "retour à la tradition africaine" Le massacre éhonté d'écoliers innocents. Un coup d'État aéroporté avec un président parachuté. Une opposition qui refuse de reconnaître la légitimité démocratique d'un "président démocratiquement élu". Un président élu qui passe le pouvoir à un Général. Un Général qui confisque les libertés démocratiques. L'émergence d'un tribalisme corrosif et pernicieux. Un Gouvernement incapable de payer des salaires aux fonctionnaires. Un nouveau président élu qui s'auto-proclame "sauveur" et Moïse de Centrafrique. Un pays qui sombre de nouveau dans le tribalisme et le chaos. Des arriérés de salaires qui s'accumulent, Des coups d'Etats et mutineries à la chaîne. La violence comme mode de gouvernement. Des exécutions sommaires comme forme de justice. L'exil intérieur et extérieur comme forme de liberté. Un peuple divisé, une armée divisée, une élite politique et intellectuelle divisée. Un pays qui se meurt sous nos yeux.

Quelle bêtise, mon Dieu ! C'est le moins qu'on puisse dire et écrire si l'on est un tant soi peu honnête, Ayons surtout le courage de nous poser quelques questions. Elles ont certainement été posées auparavant sans qu'on en ait mesuré l'importance ou la portée ? Alors reposons ces questions sans nous voiler la face !

Sommes-nous le peuple le plus bête au monde ? Avons-nous le Gouvernement le plus bête au monde ? Avons-nous les hommes politiques les plus bêtes au monde ? La classe politique centrafricaine est-elle la plus bête au monde ? L'opposition centrafricaine est-elle la plus bête au monde ? L'opinion centrafricaine est-elle la plus bête au monde? Les intellectuels centrafricains sont-ils les plus bêtes au monde ? La jeunesse centrafricaine est-elle la plus bête au monde?...

On pourrait continuer indéfiniment ce genre de questionnements qui s'appliquent à chaque sphère de la société centrafricaine. Ce sont des questions choquantes. Elles peuvent même apparaître comme injurieuses sinon tendancieuses.

Que gagnerait-on à choquer la sensiblerie de "bonnes gens" ou à injurier de respectables citoyens ?

Rien, sinon à verser dans l'immoralité ou la provocation puérile. Mais réfléchissons un peu ! Car c'est justement le courage de penser et de penser vrai qui nous manque le plus. Nous sommes plutôt habitués à la coutume, à ce qui va de soi, à nos préjugés, à nos croyances et sommes par conséquent incapables d'interrogation et même de discernement. Peut-être même que la bêtise à un certain degré commence par-là, c'est-à-dire par le refus de chercher à distinguer le vrai du faux, le refus de penser une seule fois autrement qu'on ne le fait.

Au fond, chaque homme porte en lui sa dose de bêtise autant que nous avons en nous un reste ou un substrat d'animalité. Peut-être même que l'homme quel qu'il soit se trouve dans cette formule magique d'Aristote : "l'homme est un animal politique"

L'"homme animal" et "animal politique" ?

Certains seraient prêts par empressement intellectuel de déceler une part de "bêtise" dans cette formule. Donnons leur raison, car rigoureusement, il n'est pas logique d'énoncer une chose et son contraire. On ne saurait être "homme" et "animal" à la fois. En réalité, c'est parce qu'on refuse d'aller au fond des choses ou d'une pensée aussi anodine soit-elle, qu'on verse parfois dans la bêtise.

L'homme appartient à l'espèce animale certes. Il est cousin et parent éloigné des australopithèques sans aucun doute. Mais il surpasse ses cousins "orangs-outans", justement par sa capacité d'adaptation ("l'intelligence") et surtout par son "génie" à organiser la "polis", c'est-à-dire la Cité ou la société. Organisation supérieure si tant est que les abeilles, les loups, les baleines, certains oiseaux, sont capables d'organisation ... Mais à un degré largement inférieur ...

Petite déduction : si les Centrafricains sont des hommes comme les autres, pourquoi ne sont-ils pas capables, comme les autres, d'organiser au mieux leur société pour le salut commun ? ... Il paraît que c'est même cela le but premier de la "politique" qui prend des significations détournées chez nous, justement à cause de notre "bêtise nationale".

Serions-nous des nains, des demeurés, des tarés au point de marcher à reculons pendant que d'autres hommes sensés marchent vers l'avant.

Il paraît que la bêtise, c'est le manque de "bon-sens" c'est-à-dire d'intelligence Cette chose dont le fondateur de la science moderne (René Descartes) disait qu'elle est "la chose du monde la mieux partagée".

En d'autres termes, créatures de Dieu parmi d'autres créatures, les Centrafricains ne sont pas moins dotés d'intelligence ou du bon sens que les Egyptiens, les Français, les Américains, les Anglais, les Espagnols ou les Marocains. Mais si c'est le cas, pourquoi diantre, tous ces ratages, ces bricolages, cette marche débridée de notre histoire à l'image des testicules de mouton ?

"Ratés", le mot est lâché ! Ne serions-nous que des "ratés" qui sommes incapables de manger avec le manche d'une fourchette, préférant même parfois manger sur le dos de l'assiette ou à même le soi dans la position d'un chien ? ...

Question somme toute osée mais pourtant légitime au regard de certains faits probants qui démontrent toute l'absurdité dans laquelle s'est enfermée la République centrafricaine par la faute de l'absurdité des hommes et des femmes qui la composent.

A titre d'exemple, la RCA est un "pays cotonnier" par excellence. Non seulement notre production a chuté de manière vertigineuse malgré la dépréciation des prix sur le marché mondial, mais nous sommes le pays d'Afrique où le pagne, les bandes, les compresses, le coton hydrophile, la moustiquaire qui se fabriquent à partir du coton naturel sont systématiquement importées à un coût excessivement élevé. Mieux, nombreuses sont les personnes qui continuent de dormir à même le sol sur une natte de fortune ("Kangagbâ") ou sur des matelas en matière synthétique ("mousse") pendant que des milliers et des milliers de personnes meurent de crise paludéenne, faute de moustiquaire.

Autre bêtise encore plus grotesque, "pays forestier" par excellence dans sa zone équatoriale et subéquatoriale, voilà que les écoles centrafricaines manquent cruellement de tables-bancs. Pendant que les pauvres écoliers s'asseyent à même le sol pour apprendre dans des conditions effectivement déplorables et honteuses. Mais on nous dit que des sociétés forestières brûlent de milliers de m3 de bois, on les laissent tout bonnement pourrir en forêt après abattage. N'est-ce pas un crime ? Ici le ridicule ne tue pas.

"Pays diamantifère" par excellence, notre diamant parmi les meilleurs au monde construit des buildings à Anvers, à Tel-Aviv, à Johannesburg, au Liban et même au Mali, pendant que la ville de Bangui offre encore l'image d'une ville coloniale avec ses tôles rouillées, ses tuiles qui datent de Mathusalem et ses taudis où s'étale la pauvreté des masses populaires dont les enfants ont les ventres ballonnés de parasites et les côtes visibles à mille mètres.

Ces exemples suffisent pour montrer à qui n'a pas voulu comprendre le sens de la "bêtise nationale" ; qu'ici, celle-ci s'apparente d'une véritable "aliénation" au sens où tout ce qui nous appartient nous échappe au profit d'autrui, tout ce que nous produisons par la force de nos bras nous est inaccessible à cause de l'iniquité du "capitalisme sauvage" dont tous nos dirigeants sans exception sont les complices en tant que principaux ver leurs de la domination, de l'exploitation, de la servilité et incommensurable de richesses qui sont pillées avec la complicité de certains de nos frères qui continuent de nous tromper avec des discours messianiques ou prophétiques. Être bête, c'est justement continuer à entendre ces "prophéties" au lieu d'oser briser les chaînes qui nous tiennent prisonniers. Notre bêtise n'est finalement pas différente de la condition de Sisyphe (personnage d'Albert Camus) qui continue d'arpenter imperturbablement sa falaise escarpée, poussant sa pierre qui retombera systématiquement comme s'il ne disposait pas du "libre arbitre", c'est-à-dire de la volonté de choisir entre la liberté et l'esclavage. Les Centrafricains ne seront-ils que "l'Âne du Buridan" qui, incapable de volonté et donc de liberté, meurt de faim et de soif entre un seau d'avoine et d'eau fraîche ? Je n'ai pas osé déduire que nous sommes crétins comme des ânes pour la simple raison que, dès qu'il y a encore des gens qui s'interrogent sur la "bêtise centrafricaine", c'est la preuve que tous, nous ne dormons pas debout ou les yeux ouverts ... Arrêtons donc "la bêtise nationale" car elle ne nous honore guère. Elle consiste effectivement à continuer à nous laisser tirer par le bout du nez, parfois par plus cancre que nous. Ne serions nous qu'au pays des aveugles où les borgnes sont rois? Je ne le crois pas, simplement, parce que notre bêtise consiste à accepter notre condition comme une fatalité alors qu'elle tient de notre volonté.

Que Patassé et Bozizé se battent une nouvelle fois autour de la mangeoire, n'est ce pas une preuve supplémentaire de bêtise ? Ceci n'est possible que parce que nous assistons à ce "combat de coqs" en spectateurs affamés alors que c'est notre destin qui est en jeu. Nous ne serons plus bêtes, le jour où collectivement et librement, nous déciderons de prendre notre destin en main, sans avoir besoin de compter sur un prétendu "conducteur d'âmes" qui n'existe du reste plus depuis Boganda.

A moins de penser que nous sommes heureux d'être ainsi traités par les marchands d'illusion, et autres vendeurs de miroirs aux alouettes. C'est encore une bêtise supplémentaire...

Choisir de s'affranchir des illusions dangereuses et des faux prophètes et autres messies, c'est lutter contre notre propre bêtise. Osons-le pour oser vaincre la bêtise nationale... en commençant par arrêter de marcher sur la tête et de faire l'inverse de -ce que font les autres pour avancer alors que nous nous enfonçons.

Gaston Mackouzangba, in Le Citoyen N° 1229 du vendredi 19 novembre 2001; www.kodro.org

A relire : Question d'actualité et débats : le devenir de Centrafrique, de la responsabilité des diplômés et de la paresse intellectuelle (Mal centrafricain III)


Actualité Centrafrique - Dossier 8