ZARAMBAUD ASSINGAMBI
Avocat à la Cour

Ancien Bâtonnier de l'Ordre des Avocats de la RCA

A

Monsieur le Président de la Cour Criminelle
- Bangui -

 

Zarambaud Assingambi

C/
MP

Monsieur le Président,

J'ai l'honneur de vous informer que, compte tenu de ce que le débats de la Cour criminelle sont diffusés à la radio, j'ai pu suivre comme tout le monde le déroulement de l'audience du 8/3/2002.

Afin d'éviter que les débats ne se focalisent inutilement sur ma modeste personne bien que j'aie quitté en silence la salle dès la prononcé de votre arrêt me déconstituant d'office et que je n'aie pas pris part à l'Assemblée générale extraordinaire des avocats pour ne pas être accusé d'influencer mes confrères ou de les manipuler, je me permets de vous donner quelques informations sur l'état de la procédure me concernant, la Cour, à ma connaissance, n'ayant reçu du Parquet général aucune pièce relative à la dite procédure.

Je vous confirme à nouveau que je n'ai procédé à aucune sollicitation de clientèle, et que tous les accusés que je défendais avaient librement eux-mêmes pris l'initiative de me constituer.

C'est justement pour éviter toute interprétation qui ne correspondrait pas à la réalité que je leur avais demandé de dresser eux-mêmes à la main leur liste, et que je vous avais envoyé cette liste manuscrite, alors que j'aurais pu vous envoyer une liste dactylographiée ; que ces clients risquent d'être mal défendus parce qu'un de leurs conseils a en charge une soixantaine de dossiers, cela ne peut en aucun cas concerner Monsieur le Procureur général, qui feint d'oublier que chacun de mes clients a constitué également un ou plusieurs autres avocats.

Je ne peux donc pas être considéré, me semble-t-il, comme ayant pris mes co-accusés en otages, ni comme ayant fait de la politique dans le prétoire. Je suis suffisamment responsable pour faire la distinction entre les points de vue politiques que j'exprime librement dans la presse en tant que citoyen de la défense de mes clients pour laquelle je dois m'en tenir aux seuls arguments de droit, ce que j'ai fait jusqu'à ma déconstitution d'office.

N'ayant fait aucune déclaration à caractère politique au cours de la présence session, je considère les accusations de défense politique portées contre moi comme un procès d'intention.

En ce qui concerne la procédure suivie contre moi, elle est fondée sur 2 séries de " preuves " : la première série est constituée par 2 FICHES ANONYMES DE GENDARMERIE selon lesquelles j'aurais participé à une réunion le 1er janvier 2001 avec l'ex-Président André KOLINGBA, ses fils et des dignitaires du RDC, chez un Monsieur YAZIMANGO qui habite mon quartier, ainsi qu'à d'autres réunions au quartier Ouango-Bangui, en février 2001, pour discuter de la prise du Pouvoir par les YAKOMAS.

La 2è série de " preuves " est constituée par 2 articles que j'ai publiés dans le journal " Le Citoyen " en décembre 2000 et en septembre 2001. Selon la poursuite, le caractère putchiste de ces articles résulterait du fait que j'ai appelé à la démission du Chef de l'Etat d'une part, et à l'instauration d'un dialogue avec des dizaines de milliers de réfugiés afin qu'ils regagnent pacifiquement le Pays pour éviter qu'ils ne soient tentés de revenir par d'autres moyens qui nous créeraient encore des troubles dont nous n'avons nullement besoin, d'autre part.

En ce qui concerne les fiches de Gendarmerie, j'ai fait observer que les indicateurs qui ont rédigé ces fiches ne sont pas très futés, car la date du 1er janvier 2001 qu'ils ont choisie correspondait non seulement au nouvel an, mais aussi au passage au 3è millénaire, que j'ai fêté chez moi comme beaucoup de gens dans le monde, en compagnie de nombreuses personnes qui peuvent aisément confirmer cet alibi.

En tout état de cause, je ne connais ni Monsieur YAZIMANGO, ni sa maison. C'est vainement que j'ai demandé à être confronté avec lui. D'ailleurs avant le coup d'Etat, d'autres personnes qui ont également été accusées d'avoir participé à des réunions séditieuses chez Monsieur YAZIMANGO avaient déposé plainte pour diffamation, et une procédure avait été montée. C'est en vain que j'ai demandé la production des procès-verbaux dressés à cette occasion. J'ai même demandé vainement le procès-verbal d'audition de Monsieur YAZIMANGO sur la prétendue réunion à laquelle j'aurais participé chez lui ; il semble qu'il n'ait même pas été auditionné !!!

Lors de l'une de vos audiences, vous avez bien voulu donner lecture du rapport de synthèse dressé par Monsieur le Ministre de l'Intérieur de l'époque, énumérant les réunions préparatoires à la tentative de coup d'Etat du 28 mai 2001, et désignant nommément les personnes qui y auraient participé. Ce rapport ne mentionne nom nom à aucun moment.

Je me suis étonné que les indicateurs, qui décrivent si bien les réunions séditieuses et rendent même compte des sujets qui y ont été traités, qui décrivent munitieusement les opérations de convoyages des armes, en en donnant la composition et le nombre, que ces indicateurs n'aient jamais songé à donner à temps l'alerte afin que ces armes soient interceptées et saisies, et que les putschistes soient pour ainsi pris la main dans le sac et mis hors d'état de nuire

Comment Monsieur le Procureur Général peut-il sérieusement envisager de me traduire devant la Cour Criminelle en procédure de crime flagrant, sans même faire un minimum de vérifications dont la nécessité est si évidente, si son objectif est réellement de rechercher la vérité ?

En ce qui concerne les réunions visant à faire prendre le pouvoir par les YAKOMAS, j'ai réitéré ce que j'ai toujours dit, à savoir que le tribalisme est étranger à mon système de pensée ainsi qu'à ma pratique sociale, et qu'on ne peut sérieusement me reprocher de faire une discrimination entre " sudistes " et " nordistes " entre " savaniers " et "forestiers ". ; il suffit de constater que j'ai épousé une véritable fée que Dieu à bien voulu faire naître, comme par prémonition (si ce n'est pas blasphémer) d'un père SOUMA (comme le Chef de l'Etat) et d'une mère GBANZIRI ; elle m'a donné 3 adorables enfants qui sont tant de ses ethnies que des miennes. Comment pourrais-je faire du tribalisme contre mes propres enfants et contre ma chère et tendre épouse, pour parler  comme Monsieur le Premier Ministre Georges DOLOGUELE ?

Il suffit aussi de constater que parmi mes amis de longue date, il y a des personnes comme Michel GBEZERA-BRIA, NDITIFEI BOYSEMBE, Jean-Paul NGOUPANDE, Eric SORONGOPE, Etienne DJIMARIM, Prosper NDOUBA et bien d'autres encore, quoiqu'avec les charges de chacun, nos fréquentations ne soient plus qu'un souvenir.

Je n'ai pas non plus manqué de souligner que je considère comme insultant qu'on me dise manipulé par des personnes qui pourraient tout aussi bien s'aligner derrière moi. J'ai fait des études supérieures, j'exerce la profession d'Avocat depuis près de 30 ans, ai été élu Bâtonnier à 2 reprises et sollicite en conséquence qu'on me fasse l'indulgence de considérer que je suis capable de réfléchir tout seul, sans être manipulé par qui que ce soit.

S'agissant de la 2è série de " preuves ", je me suis étonné que Monsieur le Procureur Général, qui avait déclaré sur RFI que je n'étais pas poursuivi pour mes écrits dans la presse parce que la RCA est un Pays de droit dans lequel chacun peut librement exprimer son opinion, mais que j'étais poursuivi parce que j'étais " SUFFISAMMENT IMPLIQUE " dans la tentative de coup d'Etat dont je suis même " LE CERVEAU ", utilise ces mêmes écrits pour me poursuivre.

Si j'étais suffisamment impliqué dans la tentative de coup d'Etat et en étais même le cerveau, comment expliquer que je n'aie été arrêté que le 26 septembre 2001, que je n'aie même pas été cité à comparaître à la présente session criminelle, et que je sois poursuivi, non comme auteur, mais comme complice ?

En réalité, chacun à compris que Monsieur BINDOUMI n'a décidé de ne me poursuivre qu'en septembre tout simplement parce que c'est en septembre que j'ai publié une série d'article le mettant personnellement en cause. Il est donc en train d'utiliser ses fonctions et les moyens de l'Etat à des fins de vengeance personnelle. La procédure n'étant pas encore entre les mains d'un magistrat du siège, le Gouvernement est en droit de lui donner l'ordre de mettre fin à cette mascarade.

J'ai relevé que les éventuelles infractions résultant de l'article publié dans " Le Citoyen " en décembre 2000 et appelant à la démission du Chef de l'Etat étaient déjà prescrites, la prescription en matière d'infractions de presse étant de 6 mois.

En tout état de cause, l'appel à la démission du Chef de l'Etat, par un citoyen qui considère que le Chef de l'Etat a falli à sa mission parce que les fonctionnaires, les pensionnaires et les étudiants ne sont pas payés depuis une vingtaine de mois, que des institutions prévues par la constitution ne sont pas mises en place, que les partis politiques de l'opposition, en violation de la loi, n'ont pas le libre accès aux médias d'Etat, que ces partis n'ont pas le droit d'organiser des meetings et des marches pacifiques, ni même de tenir leurs Assemblées Générales (le MLPC vient par contre d'organiser librement un meeting pour fêter l'aniversaire d'une tentative de coup d'Etat, si l'on croit " Le Confident "), un tel appel n'est qu'une OPINION de ce citoyen, dans un pays qui se veut libre et démocratique, libre à d'autres citoyens de soutenir une OPINION CONTRAIRE et dire que le Chef de l'Etat remplit parfaitement sa mission et que, non seulement il ne doit pas démissionner, mais encore il doit " rempiler ".

Nombreux et même très nombreux sont ceux qui le disent effectivement sans être poursuivis en justice. Ce n'est que justice.

Cela a pour nom le libre, nécessaire et vivifiant débat démocratique.

MON SEUL TORT EST D'AVOIR EU RAISON TROP TOT, puisque Monsieur le Président de la République a fini par arrêter un calendrier d'organisation des élections municipales, régionales et législatives partielles. Me dira-t-on aussi que ma proposition de révision dès à présent des listes électorales afin que ces élections se déroulent dans le calme et que toutes contestations soient évitées constitue aussi une " preuve " de tentative de coup d'Etat ?

MON SEUL TORT A ETE DE CLAMER TOUT HAUT CE QUE D'AUTRES COMPATRIOTES, BAILLONNES PAR LA FAIM OU LA PEUR, ET AUSSI PAR L'APPAT DU GAIN, RISQUE DE PERDRE SON POSTE OU L'ESPOIR D'EN OBTENIR, NE PEUVENT QUE GROMMELER TOUT BAS.

L' "infraction " constituée par l'appel à la démission du Chef de l'Etat étant non seulement prescrite, mais totalement infondée, il ne reste en ce qui concerne cette 2è série de preuves, que ma proposition faite aux autorités politiques de discuter avec les dizaines de milliers de compatriotes réfugiés à ZONGO et ailleurs afin qu'ils regagnent pacifiquement la mère Patrie.

Quand à cette proposition de discuter avec les dizaines de milliers de réfugiés, MON SEUL TORT EST EGALEMENT D'AVOIR EU RAISON TROP TOT, puisque tant Monsieur le Président de la République que Monsieur le Premier Ministre et les Ministres ont fini par lancer un vibrant appel à ces réfugiés pour qu'ils regagnent volontairement et pacifiquement la mère patrie, ont envoyé une délégation à ZONGO les rencontrer, et discuter avec eux, et les ont finalement accueillis avec le concours du BONUCA, du HCR et d'autres institutions internationales, avec une grande publicité à la radio et à la télévision.

En quoi le fait pour moi d'avoir suggéré cette démarche aux autorités politiques avant qu'elles n'y aient pensé elles-mêmes peut-il être constitutif de complicité de tentative de coup d'Etat, voire de complicité d'assassinats ?

En ce qui concerne l'état de la procédure, j'ai été arrêté le 26/9/2001, mis en liberté le 11/12/2001 et entendu par Monsieur le Procureur de la République en interrogatoire de crime-flagrant le 6/3/2002. A la fin de cet interrogatoire, Monsieur le Procureur de la République, sans répondre à mes demandes de versement du PV d'audition de Monsieur YAZIMONGO en qualité de témoin dans mon affaire, ou du PV de son audition dans l'autre affaire, ou de ma confrontation avec lui, m'a notifié mon inculpation pour complicité de tentative d'atteinte à la sûreté intérieure de l'Etat. Il m'a de même notifié qu'il me laissait en liberté provisoire, puis il m'a posé la question de savoir si j'entendais accepter la procédure de crime flagrant ou m'y opposer. J'ai répondu sans hésiter que m'y opposais.

Il a vainement tenté, en présence de mon conseil Monsieur le Bâtonnier TIANGAYE, de me persuader d'accepter la procédure de crime flagrant, sans doute pour pouvoir ainsi immédiatement me citer à comparaître à la présente session criminelle dont le rôle ne comporte pas mon nom, m'obliger en conséquence à me constituer prisonnier 48 heures avant l'audience comme le prescrit la loi afin de justifier ainsi a posteriori la demande de déconstitution d'office que Monsieur le Procureur Général n'était plus recevable à présenter, cette demande ayant été rejetée par omission de statuer par le premier arrêt avant dire droit de votre Cour.

Je n'exclus cependant pas qu'à la suite de la décision de mes autres confrères de se déconstituer, il soit décidé de m'arrêter à nouveau illégalement pour faire pression sur mes confrères et sur mes clients, mais je suis disposé à porter ma croix comme le fit un illustre innocent. LA VERITE FINIRA NECESSAIREMENT PAR TRIOMPHER, CAR NUL NE PEUT ETOUFFER LA VERITE.

A la suite de mon opposition à la procédure de crime-flagrant et ainsi que vous le savez mieux que moi, Monsieur le Procureur de la République près le Tribunal de Bangui doit transmettre le dossier à Monsieur le Procureur Général près la Cour d'Appel. Ce dernier, s'il demeure convaincu que ma culpabilité est établie bien que le dossier ne comporte strictement aucune preuve, doit me notifier une décision de traduction devant la Cour criminelle, ce qui n'est pas encore le cas au moment où j'écris. J'aurais alors 48 heures pour faire opposition contre cette décision.

Monsieur le Procureur Général devra en conséquence transmettre le dossier à la Chambre d'accusation de la Cour d'Appel, laquelle pourra, soit rejeter mon opposition, soit ordonner l'ouverture d'une information (instruction du dossier par un juge d'instruction), soit me mettre purement et simplement hors de cause.

C'est dire que je ne me trouve pas encore en robe dans le box des accusés, en train de porter atteinte à la dignité de la profession d'avocat, et que je conserve encore toutes mes chances de ne jamais m'y trouver pour les " faits " qui me sont reprochés ; je peux encore être mis hors de cause soit par la chambre d'accusation, soit par le juge d'instruction au cas où par impossible la chambre d'accusation déciderait d'ouvrir une information bien que le dossier ne contienne strictement aucune preuve, soit même par Monsieur le Procureur Général qui, comme chacun le sait, ne tient jamais compte que des preuves, à l'exclusion des fiches anonymes qui n'en sont pas. Les fiches anonymes ne sont que des alertes qui doivent permettre à la gendarmerie de rechercher les preuves. Ces fiches anonymes ne peuvent donc en aucun cas se substituer aux preuves, et aucun " digne et loyal magistrat " du parquet ne devrait les verser dans un dossier en guise de preuves.

Je rejette avec indignation les insinuations de Monsieur le Procureur Général selon lesquelles je serais, avec d'autres Avocats, en train de préparer un autre coup d'Etat au cours duquel vous-même, toute la Cour criminelle et Monsieur le Procureur Général doivent être assassinés, et que la déconstitution des autres Avocats viserait à gagner du temps pour que le projet de coup d'Etat sanglant se réalise.

Je n'ai pas comme Monsieur le Procureur Général les moyens de savoir si un autre coup d'Etat est en préparation, mais si tel était le cas, ce qu'à Dieu ne plaise, je ne suis en rien concerné, ni de près, ni de loin. JE SUIS ET DEMEURE UN DEMOCRATE ET UN NON VIOLANT, QUI N'A POUR TOUTES ARMES QUE SA LANGUE ET SA PLUME.

Ces insinuations viennent en droite ligne de la déclaration que Monsieur le Procureur Général avait faite le 26/9/2001 à Monsieur le Bâtonnier de l'Ordre des Avocats et à mon conseil, Monsieur le Bâtonnier TIANGAYE, venus lui demander ma mise en liberté : " JE MARCHERAI SUR LE CADAVRE DE ZARAMBAUD ET SUR LES CADAVRES DES YAKOMAS ". Au cas où Monsieur le Procureur Général, se rendant compte qu'il était allé trop loin en faisant une telle déclaration, s'aviserait de la nier, il vous suffirait d'entendre Messieurs les Bâtonniers KONGBETO et TIANGAYE pour en avoir confirmation.

Je considère les insinuations surprenantes de Monsieur le Procureur Général, insinuations qui s'ajoutent à sa précédente déclaration me menaçant de mort, comme UN APPEL AUX EVENTUELLES VICTIMES DE L'EVENTUEL COUP D'ETAT DONT J'IGNORE TOUT, A M'ASSASSINER PREVENTIVEMENT ; Je suis cependant convaincu que nul n'est dupe et que Dieu, en qui je me confie et qui sait que je suis innocent, me protègera.

Je suis convaincu que vous ne manquerez pas de tenir compte de tous les éléments ci-dessus spécifiés au cas où vous auriez encore à commenter votre arrêt avant dire droit dont le seul motif officiel était que la Cour avait décidé souverainement.

En ce qui me concerne, je ne puis demander à un magistrat des explications sur une décision qu'il a rendue, sachant que la seule voie qui s'offre à moi est d'élever un pourvoi en cassation contre ladite décision mais en même temps que contre votre future décision de fond.

Veuillez croire, Monsieur le Président, en l'expression de la haute et respectueuse considération.

Fait à Bangui, le 11 mars 2002

Me Zarambaud Assingambi

Avocat à la Cour

Ancien Bâtonnier de l'ordre
des Avocats de la RCA 


Actualité Centrafrique - Dossier 9