L'incertitude en Côte d'Ivoire du cessez-le-feu, tentative de médiation par la CEDEAO, la France soupçonnée


Nouveau report de la signature du cessez-le-feu en Côte-d'Ivoire
Par Silvia Aloisi

BOUAKE, Côte d'Ivoire (Reuters), 05 oct 2002, 19:14 - La signature de l'accord de cessez-le-feu entre le gouvernement ivoirien et les rebelles a été reportée pour la deuxième journée consécutive, ont annoncé les médiateurs de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest.

Un porte-parole de la Cedeao a précisé que si les insurgés étaient disposés à signer, le gouvernement du président Laurent Gbagbo n'avait toujours pas donné de mandat à son représentant pour parapher le projet de trêve.

Compte-tenu de l'heure tardive, la cérémonie de signature n'aura donc pas lieu ce samedi.

L'accord de cessez-le-feu devait être signé à 11h00 locales à Tiébissou, ville située sur la ligne de front, à environ 40 km de Yamoussoukro, la capitale administrative du pays, sur la route de Bouaké. Il est censé mettre fin à deux semaines d'une insurrection qui a fait plusieurs centaines de morts et menace de déstabiliser l'ensemble de la région.

Les soldats français avaient mis en place un cordon de sécurité draconien autour du lieu où ils devaient accueillir les deux délégations.

SLOGANS ANTI-FRANCAIS A BOUAKE

A Bouaké, fief des rebelles depuis le début de leur soulèvement le 19 septembre et deuxième plus grande ville de Côte d'Ivoire, des dizaines de milliers de personnes ont participé à des manifestations anti-gouvernementales au cours desquelles des slogans anti-français ont été scandés.

Une manifestation pro-gouvernementale de moindre importance s'est en revanche tenue à Abidjan, la capitale économique du pays.

Un cessez-le-feu avait été accepté par les rebelles jeudi et la signature avait d'abord été prévue pour vendredi à Yamoussoukro, mais elle avait ensuite été ajournée, les médiateurs de la Cedeao continuant les discussions avec les ministres ivoiriens de la Défense et des Affaires étrangères du président Laurent Gbagbo à Abidjan.

L'un des médiateurs, le ministre de la Défense ghanéen Kwame Addo Kufuor, a indiqué que les deux parties entameraient des négociations une fois le cessez-le-feu signé.

"Ils ne se sont jamais rencontrés auparavant donc quand ils vont se rencontrer, j'espère qu'il y aura suffisamment de bonne volonté", a-t-il déclaré.

Plus de 300 personnes ont péri dans les troubles qui se sont développés après le coup d'Etat manqué du 19 septembre, témoignant d'une exacerbation des tensions dans ce pays de 16 millions d'habitants, profondément divisé entre ethnies ainsi qu'entre chrétiens et musulmans.

VERS UNE OFFENSIVE MAJEURE DE RECONQUETE DU NORD

Des diplomates font valoir à ce sujet que même avec la signature d'un accord de cessez-le-feu, le fossé entre les deux parties reste très important, et qu'on ne peut assurer que le premier producteur mondial de cacao ne retombera pas dans la violence.

Le président Gbagbo, qui a été porté au pouvoir lors d'élections controversées, il y a deux ans, s'est dit prêt à accepter un cessez-le-feu. Mais le gouvernement craint d'entériner, ce faisant, une partition de fait du pays entre le Nord musulman et le Sud chrétien.

Mamadou Koulibali, le président de l'Assemblée nationale, a déclaré vendredi à la télévision que la Côte d'Ivoire était en train de renforcer ses forces armées et demandé aux Ivoiriens d'être patients.

De source militaire, on dit que l'armée poursuivrait ses préparatifs en vue d'une offensive majeure pour reconquérir le nord au main des rebelles ainsi que la ville de Bouaké.

S'ils parviennent à prendre le pouvoir, les rebelles ont dit qu'ils organiseraient de nouvelles élections après une période de transition.

Un commandant rebelle a également déclaré vendredi soir que les rebelles voulaient aussi le retrait des troupes françaises qui les ont effectivement confinés autour de Bouaké.

Nous avons accepté le rencontrer la délégation de la Cedeao parce que nous ne voulions pas être considérés comme ceux qui n'étaient pas prêts à négocier, mais nous ne faisons pas confiance au gouvernement pour tenir ses promesses, a expliqué en substance à Reuters le sergent Sherrif Ousmane.


Report de la signature d'un cessez-le-feu en Côte d'Ivoire

ABIDJAN (AFP), samedi 5 octobre 2002, 20h10  - La signature d'un accord de cessez-le-feu entre rebelles et autorités ivoiriennes, prévue samedi après-midi, a dû être reportée faute d'un document officiel donnant pouvoir au représentant d'Abidjan, a annoncé le ministre malien des Affaires étrangères, Lassana Traoré.

La délégation de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'ouest (CEDEAO) a attendu en vain à l'aéroport de Yamoussoukro l'arrivée en provenance d'Abidjan de documents attestant que le lieutenant-colonel Philippe Mangou, qui aurait dû signer l'accord de cessez-le-feu, était autorisé à le faire au nom du gouvernement ivoirien. L'officier n'était pas muni de pouvoirs en bonne et due forme à l'arrivée de la délégation dans la capitale administrative ivoirienne, en fin de matinée.

La délégation de la CEDEAO a ensuite quitté samedi soir Yamoussoukro pour Abidjan, où elle doit prendre contact avec le président Laurent Gbagbo.

Le ministre malien, membre de la délégation de négociateurs ouest-africaine a déclaré qu'il n'y avait "pas de place en ce qui concerne la CEDEAO pour la déception ni pour le découragement". "Nous nous emploierons à faire tous les efforts pour sauver la Côte d'Ivoire, un pays de la CEDEAO, un pays africain, de quelque conflit que ce soit", a-t-il souligné, ajoutant: "Nous sommes et serons toujours déterminés à le faire".

Le ministre a affirmé que les médiateurs ouest-africains allaient prendre contact samedi soir avec le président ivoirien Laurent Gbagbo.

La signature du projet d'accord de cessez-le-feu devait avoir lieu samedi à Tiébissou, ville sous le contrôle des troupes gouvernementales à une soixantaine de kilomètres au sud de Bouaké (centre). Initialement programmée pour vendredi après-midi à Bouaké, ville aux mains des rebelles depuis le 19 septembre, elle avait déjà été reportée une première fois en raison d'hésitations des deux parties.

En outre, une rencontre prévue vendredi entre le président Gbagbo et les médiateurs n'avait finalement pas eu lieu, le chef de l'Etat ayant envoyé à la place ses ministres de la Défense et des Affaires étrangères.

Selon des sources proches des médiateurs de la CEDEAO, le projet d'accord prévoyait notamment l'instauration d'un cessez-le-feu à partir de 18H00 (locales et GMT) sous la supervision de la CEDEAO et de l'Union africaine. Il interdisait en outre aux rebelles d'introduire des armes sur le territoire ivoirien.

La délégation du groupe de contact de la CEDEAO comprend notamment les ministres des Affaires étrangères togolais, ghanéen, nigérian, bissau-guinéen et nigérien, le ministre togolais de la Défense, le général Assani Tidjani, le secrétaire exécutif de la CEDEAO Mohamed Ibn Chambas et son secrétaire exécutif adjoint en charge des questions politiques, de défense et de sécurité, le général malien Cheick Oumar Diarra.

De nouvelles manifestations contre Laurent Gbagbo et la France ont eu lieu samedi à Bouaké (centre) et à Korhogo (nord), deux villes contrôlées par les militaires rebelles depuis le 19 septembre.

A Bouaké, entre 200.000 et 300.000 manifestants ont envahi la principale avenue de cette ville d'environ un million d'habitants. A Korhogo, ils étaient plusieurs milliers de personnes à scander des slogans anti-français et anti-Gbagbo. Les rebelles contrôlent la totalité du nord de la Côte d'Ivoire, de la frontière ghanéenne à la frontière guinéenne, à Odienné (nord-ouest), et une partie du centre du pays.

Les combats ont fait depuis le début du soulèvement militaire, le 19 septembre, quelque 400 morts et plusieurs centaines de blessés dans tout le pays.

Vue de la manifestation contre Laurent Gbagbo et la France samedi à Bouaké
Par Georges Gobet

 
samedi 5 octobre 2002, 20h10

La signature d'un accord de cessez-le-feu entre rebelles et autorités ivoiriennes, prévue samedi après-midi, a dû être reportée faute d'un document officiel donnant pouvoir au représentant d'Abidjan, a annoncé le ministre malien des Affaires étrangères, Lassana Traoré.
Georges Gobet.


Les mutins contrôlent le grand nord et ses extrémités est-ouest

PARIS (AFP), samedi 5 octobre 2002, 10h22 - Après s'être assuré de la maîtrise du "grand nord" ivoirien au début de l'insurrection, les militaires en lutte contre le régime du président ivoirien Laurent Gbagbo ont poursuivi leur conquête vers l'est et l'ouest du pays, avec des incursions dans la région de Bouaké, au coeur de la Côte d'Ivoire.

Quinze jours après le début des hostilités en Côte d'Ivoire, les mutins contrôlent une dizaine de grandes villes, de la frontière guinéenne à l'ouest à la frontière ghanéenne à l'est. Dès le début des hostilités, le 19 septembre, Korhogo, la "capitale du nord", est tombée entre leurs mains. Et avec elle, la quasi totalité des villes et des villages de la région des savanes, notamment Ferkessedougou, Diawala, Niellé, Pogo et Katiola.

Des combats de faible intensité ont opposé les rebelles aux forces loyalistes, dont beaucoup ont pris la fuite en direction de pays frontaliers, comme le Mali. Dans ces régions à population majoritairement musulmane, les rebelles bénéficient d'un grand soutien de la population locale, ce qui leur permet souvent de quitter les villes qu'ils viennent de "libérer" pour poursuivre leur avance vers des points plus stratégiques.

"Ils disent qu'ils sont venus sortir les populations du nord de la misère, ceci explique pourquoi les gens sont avec eux", explique un habitant de Bondoukou (nord-est). Invoquant la paupérisation des régions du nord et les vexations dont sont victimes, selon eux, leurs habitants de la part du régime du président Gbagbo, les rebelles se présentent comme des redresseurs de torts. "Nous ne voulons plus d'exclusion, nous ne voulons pas être taxés d'étrangers", insiste le sergent-chef Tuho Fozié, "porte-parole des mutins" à Bouaké. De son côté, l'adjudant-chef Koné, un chef rebelle de Korhogo a présenté ses hommes comme "des combattants du peuple".

Répétés inlassablement par les mutins, ces discours ont instauré une certaine "complicité" entre eux et les populations nordistes révulsées par le concept d'"ivoirité" développé par l'ex-président Henri Konan Bédié. Une fois leur "base arrière" assurée au nord, les mutins se sont efforcés d'élargir leur emprise sur les localités Baoulé (ethnie peuplant majoritairement le centre) à partir de Bouaké, la deuxième ville du pays. Sakassou, à une quarantaine de kilomètres au sud de Bouaké, est tombée sans grandes difficultés.

Mais l'envoi de militaires français dans la région, officiellement pour assurer la sécurité des Français et autres ressortissants étrangers, notamment à l'est de Bouaké (Brobo) et dans la capitale administrative Yamoussoukro, a porté un coup d'arrêt à l'avance des soldats mutins. La France a répété à plusieurs reprises qu'elle s'opposerait à tout mouvement rebelle dans la "zone de sécurité" de 15 à 20 km que ses soldats ont établie autour de l'aéroport de Yamoussoukro. Ce qui bloque de fait la progression des rebelles vers Abidjan (300 km au sud), la capitale économique et siège du pouvoir.

Sans abandonner l'idée de prendre Abidjan en passant par le centre, les mutins semblent avoir privilégié, avec une certaine réussite, une stratégie d'encerclement de la ville par l'est et l'ouest. A l'ouest, ils ont déjà sous leur contrôle la ville de Touba et celles du nord ouest Odienné et Seguela. Mercredi, ils se sont emparés de la ville de Bouna (nord est) et ne sont plus qu'à une heure de Bondoukou (est), se rapprochant ainsi de la lisière de la "Côte d'Ivoire forestière", la moitié sud du pays.


Côte d'Ivoire: l'accord de cessez-le-feu entre les rebelles et le gouvernement devait être signé samedi matin
par Alexandra Zavis

YAMOUSSOUKRO, Côte d'Ivoire (AP), 05 oct 2002, 04:12 - Les diplomates ouest-africains se sont démenés vendredi pour imposer l'accord de cessez-le-feu entre le gouvernement du président Laurent Gbagbo et les rebelles de la Côte d'Ivoire, tandis que les insurgés accusaient les loyalistes de préparer sur le terrain une contre-attaque sous le couvert des discussions au sujet de la trêve.

Les négociations entre le gouvernement contesté de la Côte d'Ivoire et les membres de la délégation de paix se sont poursuivies tard dans la soirée à Abidjan, la capitale commerciale du pays, avant l'annonce d'une signature prévue pour samedi matin.

A l'issue de ces discussions, le secrétaire général de la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest), à l'origine de l'initiative diplomatique, a déclaré que l'accord de cessez-le-feu serait signé samedi sur la ligne de front, dans la ville de Tiébissou, à 40km au nord de Yamoussoukro. «Nous sommes prêts pour demain 11h (11h GMT)», a déclaré Mohamed Ibn Chambas.

Le gouvernement ivoirien a rechigné à accepter l'une des conditions de l'accord de cessez-le-feu autorisant un déploiement des forces ouest-africaines à travers le pays pour vérifier le respect du cessez-le-feu, selon des sources proches des négociations.

Mohamed Ibn Chambas a précisé vendredi qu'un accord sur ce sujet n'avait pas été nécessaire. Le gouvernement ivoirien n'a pas commenté l'annonce de la signature du cessez-le-feu dans l'immédiat.

Sur le terrain, il y avait peu de signes annonciateurs de paix. Pour la première fois depuis le début de la rébellion il y a 16 jours, les troupes loyalistes pouvaient être aperçues sur les lignes de front divisant le pays en deux, le Nord contrôlé par les rebelles et le Sud par l'armée loyaliste.

Profitant de l'accalmie, de nombreux Ivoiriens ont quitté le Nord du pays, sous contrôle rebelle, laissant commerces et champs. Au centre, sur la ligne de front, à Tiébissou, aux mains des forces gouvernementales malgré une brève incursion des insurgés quelques jours auparavant, les soldats français accompagnés de camions et d'un véhicule blindé de transport de troupes se tenaient prêtes aux côté des forces loyalistes en pickup.

Des habitants de la ville, qui disent avoir vu des cadavres sur les rues plus au nord, ont fait état d'affrontements entre les rebelles et les troupes gouvernementales.

«J'espère que les dirigeants trouveront une solution, sinon il n'y aura plus de Côte d'Ivoire», s'inquiétait Mathias Nguessan, vendeur de boisson. «Tout le monde est terrorisé, même les poulets se sont enfuis!»

A Tiébissou, les habitants des quartiers nord de la ville ont précisé que les soldats loyalistes leur avaient conseillé vendredi de prendre leurs affaires et de se déplacer sur le Sud, avertissant qu'il y aurait «des balles perdues».


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