Chirac brandit le spectre de la CPI dans la crise ivoirienne

PARIS (Reuters), jeudi 20 février 2003, 21h30 - Le président Jacques Chirac a saisi l'occasion de la première journée du 22e sommet franco-africain pour intensifier jeudi ses pressions sur le chef d'Etat ivoirien, Laurent Gbagbo.

Dans son intervention publique puis lors de la séance plénière, Jacques Chirac a exhorté les responsables ivoiriens à respecter leurs engagements de Marcoussis et n'a pas hésité à évoquer la Cour pénale internationale (CPI).

"D'où qu'elle vienne, la violence doit être dénoncée", a-t-il dit dans son discours d'ouverture du sommet, au palais des Congrès. "Leurs auteurs ont désormais à craindre d'être sanctionnés par la Cour pénale internationale", avait-il poursuivi sans sortir néanmoins d'un cadre général.

Dans l'après-midi, il s'est fait plus précis lors des échanges portant spécifiquement sur la crise ivoirienne.

"Il lui a fallu constater qu'en Côte d'Ivoire, la tension demeure malgré l'unanimité de la communauté internationale", a souligné la porte-parole de la présidence française, Catherine Colonna, rendant compte de ces échanges.

"Le président de la République a cité en particulier l'existence d'escadrons de la mort, qui sont une réalité, et a rappelé que tout cela pourrait se terminer devant les tribunaux internationaux", a-t-elle ajouté.

Un rapport du Haut Commissariat des Nations unies pour les droits de l'homme rendu public au début du mois a mis en cause des proches du président ivoirien dans les activités des "escadrons de la mort" sévissant à Abidjan.

Selon ce document, "les escadrons de la mort seraient constitués d'éléments proches du gouvernement, de la garde présidentielle et d'une milice tribale de l'ethnie du président".

Le rapport du Haut Commissariat rappelle également - et ce rappel a été interprété comme une mise en garde à Abidjan - que "la Côte d'Ivoire a signé le statut portant création de la Cour pénale internationale".

 

LA FRANCE ASSURERA LA SECURITE DE DIARRA

Dans l'après-midi, un conseiller de Laurent Gbagbo avait jugé "indigne" de brandir la menace de la Cour pénale internationale pour faire pression sur le président ivoirien.

"Il ne faut pas qu'il y ait deux poids, deux mesures, il faut aborder cette question sans complexe, mais il ne faut pas agiter le chiffon rouge de la Cour pénale internationale comme pour faire pression sur le président Gbagbo", a déclaré à quelques journalistes Toussaint Alain, conseiller du chef de l'Etat ivoirien en France, ajoutant que la CPI n'avait pas été créée "pour renverser des gouvernements".

"C'est-à-dire que militairement, on ferait pression sur lui et que maintenant, on voudrait instrumentaliser le droit international pour le faire céder", avait-il poursuivi.

La France a indiqué en outre qu'elle était prête à assurer, en coordination avec les forces ouest-africaines, la sécurité du Premier ministre ivoirien Seydou Diarra et de son futur gouvernement, a rapporté l'Elysée.

"Le président Jacques Chirac a donné son accord à la suggestion du président (ghanéen John) Kufuor de participer à un dispositif conjoint réunissant des forces de la CEDEAO et des forces françaises visant à assurer la sécurité du gouvernement ivoirien et de son chef sous l'autorité de la CEDEAO", a déclaré Catherine Colonna.

La composition et le nombre de Français affectés à cette mission n'ont pas été fixés.

Seydou Diarra a été désigné le 25 janvier dernier Premier ministre par le président ivoirien Laurent Gbagbo aux termes de l'accord de Marcoussis.

Près de quatre semaines après, il n'a pas pu finaliser la composition du gouvernement de réconciliation nationale auquel doivent participer les rebelles.

"Le président Chirac a évoqué son souhait ardent que la Côte d'Ivoire puisse sortir de la crise (...) et a souhaité que le gouvernement puisse être formé le plus rapidement possible", a souligné Catherine Colonna.


Sommet France-Afrique: Chirac veut "redresser la barre" de l'aide française

PARIS (AFP), jeudi 20 février 2003, 17h26 - Le président Jacques Chirac a affirmé jeudi sa volonté de "redresser la barre" de l'aide à l'Afrique qu'il veut placer "au coeur des priorités de la France", mais a appelé les Africains à respecter la démocratie, à l'ouverture du 22e sommet France-Afrique à Paris.

"Il est fini le temps de l'impunité, le temps où l'on justifiait la force. Doit venir maintenant celui où l'on fortifie la justice", a déclaré Jacques Chirac, au cours de la séance inaugurale de ce sommet consacré, jeudi et vendredi, au "nouveau partenariat" entre la France et l'Afrique.

"D'où qu'elle vienne, la violence doit être dénoncée", a dit Jacques Chirac, prévenant les auteurs d'exactions qu'ils "ont désormais à craindre d'être sanctionnés par la Cour pénale internationale".

Le président s'exprimait devant quelque 45 chefs d'Etat et de gouvernement de 52 pays du continent africain, parmi lesquels le président zimbabwéen Robert Mugabe dont la venue à Paris, en dérogation de sanctions européennes pour atteintes graves aux droits de l'Homme, a suscité de vives critiques, notamment de la part de la Grande-Bretagne, et plusieurs manifestations.

La poignée de mains entre MM. Chirac et Mugabe a d'ailleurs été brève et froide, contrastant avec la chaleur exprimée par le président français envers les autres chefs d'Etat.

La porte-parole de l'Elysée, Catherine Colonna, a déclaré que M. Chirac allait rencontrer son homologue zimbabwéen Robert Mugabe pour lui faire part de la "préoccupation en Europe et dans le monde" devant la situation dans son pays.

Mais, alors qu'à Harare le chef de l'opposition zimbabwéenne Morgan Tsvangirai, actuellement jugé pour trahison, a accusé la France de "trahir" les Zimbabwéens, Mme Colonna a justifié la présence controversée du président zimbabwéen à Paris en affirmant que "l'ensemble des pays africains sont par tradition invités" à ces sommets.

Dans son discours, Jacques Chirac, comme après lui le secrétaire général de l'ONU Kofi Annan, a appelé tous les Ivoiriens "au respect des engagements pris" à Paris pour une "réconciliation nationale" conformément aux accords de Marcoussis du 24 janvier.

"C'est à tous les Ivoiriens, et en premier lieu à ceux qui les représentent, de faire revivre, avec détermination et sincérité, une société apaisée", a-t-il dit. "Leur responsabilité est immense, car le risque de fracture demeure".

Répondant à ces pressions renouvelées, des pourparlers sur la formation du gouvernement de réconciliation nationale pourraient avoir lieu à partir de vendredi en marge du sommet, le chef des rebelles ivoiriens Guillaume Soro devant arriver vendredi matin à Paris pour des discussions avec le Premier ministre ivoirien Seydou Diarra.

Par ailleurs, M. Chirac a insisté sur sa volonté de remettre l'Afrique "au coeur des priorités de la France" et de favoriser son développement et son accession à la démocratie.

Il a lancé une pique à l'ancien gouvernement socialiste de Lionel Jospin: alors que "certains parmi vous avaient l'impression que la France tendait à prendre ses distances", a-t-il dit, "le gouvernement a pris les décisions qui s'imposaient pour redresser la barre".

Mais il a aussi mis en avant ses exigences vis-à-vis des Africains et jugé nécessaire de "renforcer l'autorité de l'Etat, former des forces de sécurité civile, garantir l'honnêteté des consultations électorales".

Dans le même ton, Kofi Annan a estimé qu'"il y a bien du travail encore". "Conflits, mauvaise gouvernance, perte de récoltes, maladies, continuent d'infliger de grandes souffrances aux populations du continent", a rappelé le secrétaire général de l'ONU, qui a exhorté ses "frères" africains à "faire plus encore" contre le sida.

Selon des diplomates, des discussions se déroulaient en marge du sommet pour tenter d'élaborer une position commune en appui de la position française face aux menaces de guerre américaines en Irak.


Sommet France-Afrique : XXII ème Conférence des Chefs d'État d'Afrique et de France (Paris, 19-21 février 2003)