Deux villes encore aux mains des insurgés ivoiriens

ABIDJAN (AP), samedi 21 septembre 2002, 0h34 - La Côte d'Ivoire "attaquée". Au lendemain d'une sanglante tentative de coup d'Etat qui a coûté la vie à son chef d'orchestre présumé, le général Robert Gueï, le président Laurent Gbagbo, de retour en urgence à Abidjan, a appelé vendredi soir les forces loyalistes à lancer l'offensive contre la ville de Bouaké encore aux mains des mutins.

Dans une allocution radio-télévisée quelque heures après son retour précipité d'Italie, où il était en visite officielle, le président a affirmé que l'armée avait neutralisé les insurgés à Abidjan et s'attaquerait aux deux villes du nord toujours entre leurs mains, Bouaké et Korhogo. "Ce n'est pas juste une simple démonstration de colère de quelques soldats. C'est une tentative de coup d'Etat", a-t-il dénoncé. "Nous ferons face à cette bataille qui nous a été imposée", a-t-il lancé, déplorant les pertes gouvernementales, dont celle d'un des piliers de son régime, le ministre de l'Intérieur Emile Boga Doudou, qui aurait été criblé de plus de 30 balles.

"Quiconque viendra à moi avec un rameau d'olivier, je l'embrasserai", a ajouté le président, laissant la porte ouverte à des négociations. "Mais si quelqu'un vient à moi avec une épée, je tirerai l'épée et nous nous battrons".

Laurent Gbagbo a sous-entendu que des forces étrangères étaient impliquées dans le soulèvement, affirmant que les armes lourdes utilisées ne provenaient pas de l'armée ivoirienne, mais n'a pas cité de pays. D'autres responsables du gouvernement, sous couvert d'anonymat, précisaient quant à eux que des ressortissants libériens, maliens et burkinabé participaient au coup d'Etat.

Dès jeudi, peu après le déclenchement du soulèvement, le gouvernement parlait de véritable coup d'Etat, simultané dans au moins cinq villes. Et montrait du doigt le général Gueï, auteur en décembre 1999 du premier putsch militaire de l'histoire de la Côte d'Ivoire, qui a fait voler en éclats l'équilibre de cet ancien îlot de stabilité en Afrique.

Depuis lors, le pays a connu trois années de troubles qui ont fait des centaines de morts, entre tensions ethniques et religieuses, xénophobie, opposition politique et instabilité militaire, et Laurent Gbagbo bataille pour instaurer une fragile réconciliation.

Vendredi soir, la normalité était loin d'être rétablie, des tirs étant brièvement entendus à Abidjan près de la principale caserne de gendarmerie où tout a commencé. Dans le nord, des témoins faisaient état de mouvements de véhicules militaires aux mains des insurgés, transportant des armes anti-aériennes et autres armes lourdes entre Bouaké et Korhogo, les deux villes aux mains des insurgés. Dans la soirée, des tirs ont été entendus sur la route principale les reliant, sans qu'on puisse en savoir plus.

A Bouaké, deuxième ville du pays (centre), les habitants restaient cloîtrés chez eux, les soldats rebelles sillonnant la ville et les forces loyalistes étaient désarmées, au profit de civils fraîchement enrôlés. Les rebelles y retenaient en otage le ministre des Sports François Albert Amichia. A la radio, ce dernier a affirmé que les mutins ne sont que des soldats victimes des récentes purges dans l'armée revendiquant leur réintégration.

Les forces loyalistes se rassemblaient à Yamoussoukro, la capitale (centre), avant de lancer l'assaut sur les villes rebelles. Les mutins, rejoints par des civils, tenaient aussi Korhogo (nord), fief de l'opposition et de son chef, l'ancien Premier ministre Alassane Ouattara. Ce dernier, craignant de se voir accuser de complicité, s'est réfugié à l'ambassade de France à Abidjan avec des membres de son Rassemblement des républicains (RDR). "Ils veulent nous impliquer dans le coup d'Etat", affirmait un haut responsable du parti. La maison de Ouattara a été pillée par les gouvernementaux, et un de adjoints aurait été tué.

Le porte-parole de la présidence Toussaint Alain avait lui aussi accusé "des déserteurs et d'autres éléments extérieurs aux forces armées venus agresser la Côte d'Ivoire". La nationalité de Ouattara, accusé d'être burkinabé, a fait l'objet d'un long débat juridico-politique en Côte d'Ivoire.

A Abidjan, sous couvre-feu, le bilan, impossible encore à établir avec précision, s'annonçait lourd, avec la mort de plusieurs responsables militaires et de nombreux gendarmes côté gouvernemental. Après avoir tué le général Gueï, les gendarmes ont également attaqué sa maison, abattant sa femme, son fils et ses petits-enfants. Les gendarmes ont incendié des dizaines de maisons du quartier, provoquant la fuite des habitants. La plupart sont originaires des pays voisins, musulmans, et mal vus des pro-gouvernementaux dans le sud chrétien.

La France, toujours liée à la Côte d'Ivoire par des accords d'assistance militaire, ne cachait pas son inquiétude. Mais Paris n'a reçu aucune demande d'aide, a précisé la ministre de la Défense Michèle Alliot-Marie. Reste que l'inquiétude est forte de voir sombrer la Côte d'Ivoire dans le chaos, livrée à ses multiples démons.


Mutinerie de militaires en côte d'Ivoire ou remake du coup d'Etat de 1999 ? (19 septembre 2002)