GUERRE EN COTE D'IVOIRE - « Gbagbo finira comme Milosevic... »
Alors que les négociations de Paris semblent progresser, et tandis que Jacques Chirac s'apprête à recevoir, vendredi, Laurent Gbagbo, Blaise Compaoré, le président du Burkina Faso, voisin de la Côte d'Ivoire, assène sa vérité.

 

OUVERTEMENT accusé par les autorités d'Abidjan d'être derrière la rébellion du Nord, le Burkina Faso a décidé de réagir. « Notre pays n'est pas au centre du problème ivoirien », assure son président, Blaise Compaoré, qui s'inquiète pour les trois à cinq millions de ses compatriotes qui vivent en Côte d'Ivoire. Et de renvoyer la balle dans le camp du président ivoirien Laurent Gbagbo, qui, affirme-t-il, « travaille à détruire la cohésion nationale ». Le président Compaoré, qui participera le week-end prochain à Paris au « sommet africain » organisé par Jacques Chirac, s'indigne : « Tout le monde a fermé les yeux sur le concept d'ivoirité (NDLR : censé distinguer les « vrais » Ivoiriens des... autres). Il a faussé les élections dans ce pays. » Et il ajoute, ironique : « En France, vous auriez eu la même instabilité si l'on avait éliminé Chirac, Jospin, Bayrou et Le Pen lors de la dernière présidentielle, comme ont été éliminés a priori en Côte d'Ivoire, en octobre 2000, l'ancien président Bédié, l'ex-Premier ministre Ouattara et quelques autres. Cela ne pouvait que créer une poudrière. Ce sont ces élections-là, viciées dès le départ, qui ont amené la guerre. Seules de véritables élections propres pourront y mettre fin. A terme, la seule solution, c'est que Gbagbo s'en aille. »
« Paris ne lâchera pas le dossier » Pour ramener la paix en Côte d'Ivoire, martèle Blaise Compaoré, « le minimum, ce sont des élections anticipées et le départ de Gbagbo ». De toute façon, s'empresse-t-il d'ajouter, « Gbagbo finira comme Milosevic, c'est-à-dire devant le Tribunal pénal international (TPI), où il lui faudra répondre des charniers et des nombreuses exactions commises par ses partisans ainsi que des escadrons de la mort qui sévissent dans son pays ». Ce qui n'empêche pas Compaoré de souligner qu'il n'y a entre lui et Gbagbo aucun « conflit personnel » : « Quand on se voit, comme la dernière fois à Dakar, il n'y a pas de problème entre nous. » Et de rappeler que, pendant plusieurs années, il avait accordé à Gbagbo l'asile politique et un passeport diplomatique quand ce dernier était dans l'opposition à Houphouët-Boigny : « C'est notre tradition entre Africains. » Compaoré enchaîne : « La seule fois où Gbagbo est venu à Ouagadougou en qualité de président, en décembre 2001, je ne lui ai pas caché qu'une dizaine de déserteurs ivoiriens se trouvaient au Burkina, et qu'il vaudrait mieux les amnistier pour qu'ils rentrent au pays. Il n'a rien voulu savoir... ». Mais comment résoudre la crise ivoirienne ? Trois points apparaissent incontournables au président burkinabé : 1. « Mettre sur pied un gouvernement d'union nationale avec des représentants des groupes armés. » 2. Organiser le cantonnement des rebelles sous supervision de la France et des forces de la Cedeao (Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest). 3. Nettoyer la constitution ivoirienne en supprimant le concept d'ivoirité, et en préparant des élections ouvertes à tous les Ivoiriens. » La France a-t-elle les moyens d'imposer une solution ? « Même si elle a mis un peu de temps pour prendre toute la mesure de la crise, la France a bien joué son rôle, répond le président burkinabé. Son interposition a permis d'empêcher des combats dans la ville même d'Abidjan. » Et de s'en dire « persuadé » : « La France ne lâchera pas le dossier comme cela. Je ne pense pas, conclut Compaoré, que la France va retirer ses troupes. » Motif : « Un affrontement Nord-Sud, ce serait, pour tous, la catastrophe. »

Propos recueillis par Bruno Fanucchi
Le Parisien , mardi 21 janvier 2003

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