Côte d'Ivoire: La poire en deux

Fraternité Matin (La Côte d'Ivoire au quotidien), 13 fév. 2003Tout au long du week-end passé, nous avons écouté à la radio et vu à la télévision les nombreuses interventions d’Ivoiriens demandant, presque dans une belle unanimité, de laisser une chance à la paix. En faisant preuve de retenue, de tolérance et de pardon. C’est d’ailleurs avec émotion et plaisir que nous avons savouré, mardi sur la Première chaîne de la télévision, Mme Doumbia qui, au cours de l’émission rédiffusée “On est ensemble”, lançait, entre deux sanglots, des appels pathétiques au pardon.
Aujourd’hui, en dépit des meurtrissures, le peuple souhaite, au nom de la paix, des concessions. C’est pourquoi nous revenons sur notre supplique aux deux camps parue dans notre édition de lundi dernier. Nous avons estimé que chaque partie prenante au conflit doit accepter de faire des concessions et ne pas tout réduire à l’acquisition ou à la conservation de postes ministériels.
Au lendemain de l’éprouvante concertation tenue à Yamoussoukro sous l’égide de la CEDEAO, lundi, pour dessiner les contours du gouvernement d’unité, la peur a envahi les cœurs et les foyers, car les positions demeurent diamétralement opposées, voire inconciliables. Or qui dit réconciliation, dit conciliation. C’est pourquoi, les déclarations de principe doivent faire la place à l’arrangement politique. Si les rebelles persistent à dire que les ministères de la Défense et de la Sécurité ne sont pas négociables tandis que le Président Laurent Gbagbo s’oppose systématiquement à l’entrée d’un seul rebelle au gouvernement, on court tout droit à l’affrontement. Faut-il considérer ces durcissements de position comme une tactique de négociation ou comme un choix définitif ?
Le Président Gbagbo qui a su déjà calmer l’opinion publique désireuse maintenant d’accorder le pardon aux “frères égarés” devrait expliquer à l’armée (passablement remontée) que les compromis bâtards actuels sont dus au fait que les forces loyalistes n’ont pas gagné la guerre. En pareille situation, on coupe la poire en deux.
A notre humble avis, le Président Gbagbo rallierait beaucoup d’Ivoiriens et d’observateurs extérieurs à sa cause si, tout en récusant les portefeuilles de souveraineté comme la Défense et l’Intérieur aux rebelles il ne refusait pas d’emblée leur seule présence.
Aujourd’hui, le temps est compté pour la Côte d’Ivoire. Une autre guerre vient de s’installer dans la guerre avec la délocalisation de nombreux bureaux et services du système des Nations-unies. Après la BAD dont le départ était programmé depuis longtemps, il faut arrêter l’hémorragie et l’érosion de l’image d’un pays qui compte. Une seule solution : la paix des braves en faisant fi d’un certain nombre de considérations fondées en droit mais ne s’accommodant pas du simple bon sens. Tout en condamnant fermement la tentative d’accès au pouvoir par la force, par les armes, par les raccourcis et le sang, la communauté internationale a créé une situation de fait à Paris, avec la réunion de Kléber et de Marcoussis.
Le Président Gbagbo a invité le peuple a essayé le médicament de Paris après avoir tenté ceux d’Accra, de Bamako, de Dakar… Il peut remettre en cause le nombre et la qualité des postes attribués aux rebelles mais accepter de se faire violence à cause de la paix qu’il recherche.
Les forces en présence actuellement laissent penser qu’une nouvelle guerre serait horriblement meurtrière pour la Côte d’Ivoire et la sous-région. Acceptons alors, tous, de couper la poire en deux.

Par Jean-Baptiste Akrou, Editorial - Fraternité Matin (La Côte d'Ivoire au quotidien), 13 fév. 2003

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