La mutinerie en Côte d'Ivoire change de visage : les troupes loyalistes attaquent, le renfort français arrivent à Yamoussoukro


L'armée ivoirienne affirme avoir pénétré dans Bouaké - ABIDJAN (Reuters), 24 sept 02 10h38
La situation continue de s'enliser - ABIDJAN (AFP), 23 sept 2002, 19h42
Des soldats français prennent position près de Bouaké - YAMOUSSOUKRO (Reuters), 23 sept 2002, 15h30
Les forces loyalistes ivoiriennes attaquent Bouaké - BOUAKE, (Reuters), 23 sept 2002, 8h02

Carte des opérations militaires en Côte d'ivoire : armée loyaliste, armée française, les insurgés et présence de ressortissants français (24 sept 02)


L'armée ivoirienne affirme avoir pénétré dans Bouaké
ABIDJAN (Reuters), 24 sept 02 10h38 - L'armée ivoirienne affirme avoir pénétré à Bouaké, deuxième ville du pays, qui selon des habitants serait toujours contrôlée par les mutins.

Plusieurs centaines d'Occidentaux, dont plus d'une centaine d'écoliers américains et d'autres pays suivant les cours d'une école chrétienne, sont bloqués à Bouaké depuis la prise de la ville jeudi par des hommes opposés au gouvernement ivoirien.

"Nos troupes sont entrées hier (lundi) à Bouaké", a déclaré un porte-parole de l'armée à la radio publique ivoirienne.

Des habitants ont fait état dans la nuit d'échanges de tirs nourris à l'arme légère et à la grenade anti-chars dans plusieurs quartiers de cette ville commerçante où vivent plus de 500.000 personnes, et située à 350km au nord d'Abidjan. Les armes se sont tues mardi matin.


La situation continue de s'enliser
ABIDJAN (AFP), undi 23 septembre 2002, 19h42 - Le principal opposant ivoirien Alassane Ouattara a accusé lundi des gendarmes ivoiriens d'avoir voulu l'assassiner le 19 septembre, premier jour du soulèvement militaire en Côte d'Ivoire où la situation continuait de s'enliser lundi, notamment à Bouaké et Korhogo, villes du nord du pays tenues par les mutins.

Ces derniers jours, le gouvernement a annoncé plusieurs fois l'imminence d'une offensive générale pour reprendre et "nettoyer" Bouaké, deuxième ville du pays, où sont pris au piège environ 600 Français et 300 Américains. Lundi, Bouaké était calme en apparence, selon des témoignages sur place.

Un détachement de soldats français est arrivé lundi à l'aube à Yamoussoukro, à 350 km au nord d'Abidjan. Ces renforts français étaient arrivés dans la nuit de samedi à dimanche à Abidjan, officiellement pour protéger les ressortissants français et de la communauté internationale.

Dans une interview accordée par téléphone à La Croix, Alassane Ouattara s'en est pris avec violence aux autorités ivoiriennes.

"On a tenté de m'assassiner à mon domicile. Le même char qui est venu chez moi jeudi à 14h30, défonçant le portail, était passé avant chez le général Robert Gueï qui a été assassiné ainsi que son épouse, ses enfants et des proches", affirme l'ancien Premier ministre, actuellement réfugié à l'ambassade de France à Abidjan.

"J'accuse la gendarmerie. En fait, un groupe de trente hommes, une véritable brigade de la mort", poursuit M. Ouattara, selon lequel trois femmes témoins de l'assassinat du général Gueï ont affirmé que les tueurs "parlaient la langue bété, la langue de l'ethnie du président Laurent Gbagbo.

De son côté, le commandant en chef de la gendarmerie ivoirienne, le général Touvoli Bi Zogbo, a annoncé à la télévision ivoirienne que sa maison avait été attaquée le 19 septembre à l'aube.

"J'ai réussi à en réchapper, grâce notamment aux jeunes gens qui étaient de service à mon domicile", a déclaré le général Bi Zogbo.

La Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme (FIDH) a demandé "l'organisation d'une commission internationale d'enquête qui devra faire la lumière sur les violations des droits de l'Homme de ces derniers jours" en Côte d'Ivoire.

"Les auteurs de ces exactions doivent être jugés afin que les populations de Côte d'Ivoire puissent reconstruire un pays libre, démocratique et tolérant", ajoute la FIDH.

Pour le journal français Libération, "il n'y a eu ni mutinerie ni coup d'Etat. Ce qui se passe ressemble fort à un règlement de comptes interne au régime" ivoirien. Une thèse qualifiée par le gouvernement de "montage grossier dicté par des informateurs mal intentionnés".

"La Côte d'Ivoire est bel et bien victime d'une coalition d'intérêts nationaux et étrangers qui veulent lui ravir la maîtrise de son destin (...) Les événements douloureux que vit aujourd'hui (le pays) procèdent d'un putsch minutieusement préparé", a affirmé le conseiller en communication du président ivoirien Toussaint Alain, qui a mis de nouveau en cause, sans le nommer, un pays voisin.

"La France joue un rôle important, nous l'en remercions", a par ailleurs déclaré à l'AFP Toussaint Alain.

Selon certaines informations, non confirmées à Paris, la France aurait entrepris une médiation entre les mutins qui occupent la ville de Bouaké et les autorités ivoiriennes.

"Nous sommes toujours sur le principe de non-ingérence, non-indifférence", a expliqué le colonel Charles de Kersabiec, chef de corps commandant du 43e BIMa (Bataillon d'infanterie de marine) d'Abidjan, posté à l'aéroport de Yamoussoukro.

Le ministre français des Affaires étrangères Dominique de Villepin a estimé lundi à Kinshasa que le gouvernement du président Gbagbo "doit rester mobilisé et éviter absolument une dégradation de la situation".

A Korhogo (nord), des tirs sporadiques ont été entendus lundi après-midi, ont indiqué des témoins contactés au téléphone depuis Paris.

"Des hommes en armes et en tenue militaire patrouillent dans toute la ville et affirment leur présence en tirant en l'air", a indiqué l'un de ces témoins, selon lequel la ville est "barricadée", ajoutant: "Tout le monde se terre chez soi".

La frontière entre le Burkina Faso et la Côte d'Ivoire a par ailleurs été fermée. Le Ghana, le Togo et le Nigeria ont affirmé leur solidarité et leur soutien au gouvernement et au peuple ivoirien, tandis que le président centrafricain, Ange-Félix Patassé, a condamné au nom de la Communauté économique et monétaire des Etats d'Afrique centrale (CEMAC) la tentative de coup d'Etat et a exprimé "toute (sa) sympathie ainsi que (son) soutien total (...) au gouvernement et au peuple ivoirien tout entier".

A Abidjan, l'appel lancé par le Premier ministre Pascal Affi Nguessan pour convaincre la population de reprendre une vie normale semble avoir été entendu, même si une certaine nervosité est perceptible.


Des soldats français prennent position près de Bouaké
Par Emmanuel Braun

YAMOUSSOUKRO (Reuters), lundi 23 septembre 2002, 15h30 - Les renforts français dépêchés pour venir, le cas échéant, en aide aux Français de Bouaké et Korhogo se sont installés sur la route menant à la deuxième ville de Côte d'Ivoire, en proie depuis quatre jours à un soulèvement militaire.

Les mutins qui contrôlent Bouaké, à 350 km au nord d'Abidjan, ont assuré lundi avoir repoussé l'assaut lancé par l'armée pour mater le soulèvement qui a plongé le pays dans une crise sans précédent depuis l'indépendance, en 1960.

Des fusillades ont éclaté dans la matinée dans le centre habituellement paisible de Bouaké, où vivent un demi-million de personnes.

"Nous avons repoussé une attaque de la garde présidentielle la nuit dernière et saisi un véhicule", a déclaré à Reuters un porte-parole des mutins. "Nous ne voulons pas tirer sur nos camarades soldats, mais nous sommes en mesure de nous défendre", a-t-il ajouté.

Parmi les Occidentaux présents à Bouaké se trouvent plus d'une centaine de petits écoliers américains et d'autres pays suivant les cours d'une école chrétienne et dont le personnel a signalé des tirs à proximité de l'établissement dimanche.

La France a pris position en faveur d'une solution négociée de la crise tout en dépêchant dimanche des renforts auprès de sa garnison existante de 675 "marsouins" du 43e Bima stationnés à Port-Bouët, en bordure de l'aéroport international d'Abidjan. Leur mission est officiellement d'assurer la sécurité de ses 20.000 ressortissants et des étrangers présents dans l'ancienne colonie française.

Environ 200 soldats équipés de blindés et d'hélicoptères ont installé une position avancée lundi matin à l'aéroport de Yamassoukro, la capitale administrative située à une centaine de kilomètres au sud de Bouaké.

"Nous sommes ici pour nous rapprocher du centre de la crise et de la zone où pèse une menace pour les expatriés", a déclaré un officier français. "Nous espérons que notre présence dissuadera quiconque de menacer notre sécurité"

A Paris, le Quai d'Orsay a fait savoir que la France restait "vigilante quant à la situation de ses ressortissants" en Côte d'Ivoire mais qu'aucun soldat français n'avait été envoyé dans les villes tenues par les mutins.

Les soldats ivoiriens insurgés avaient appelé dimanche à des négociations avec le gouvernement du président Laurent Gbagbo afin d'éviter un bain de sang.

PARIS MULTIPLIE LES CONTACTS

Les autorités françaises ont indiqué qu'elles restaient en contact avec des responsables ivoiriens et africains, sans toutefois confirmer qu'elles tentaient une médiation entre les dirigeants d'Abidjan et les mutins.

"Ces derniers jours, les autorités françaises ont été en contact avec les autorités ivoiriennes, ainsi qu'avec d'autres responsables politiques de la région", a dit un porte-parole du ministère des Affaires étrangères.

Les dissidents disent protester contre leur prochaine démobilisation. Le gouvernement les accuse de vouloir s'emparer du pouvoir dans le cadre d'une conspiration fomentée par l'ancien général-président Robert Guéï, tué jeudi à Abidjan. Le ministre de l'Intérieur Emile Boga Doudou a également été tué.

Selon la télévision publique, les combats ont fait 270 morts et 300 blessés environ depuis le début du soulèvement.

Rentré précipitamment de Rome, le président Laurent Gbagbo avait promis vendredi soir de livrer une guerre totale aux mutins. Le Premier ministre, Affi N'Guessan, a exhorté sur les ondes de la RTI la jeunesse à rejeter la voie de la violence.

Le Quai d'Orsay a confirmé la présence à l'ambassade de France à Abidjan d'Alassane Ouattara. L'opposant ivoirien, dont la maison a été incendiée dimanche, aurait échappé à des groupes armés qui voulaient le capturer ou le tuer.

"S'agissant des menaces dirigées contre lui, ce n'est pas à moi de me prononcer mais j'observe que son domicile particulier a été pillé et incendié", a déclaré le porte-parole du Quai d'Orsay.

Les troubles font craindre un conflit majeur sur le territoire du premier pays producteur mondial de cacao qui compte plus de 16 millions d'habitants. Jusqu'au coup d'Etat du général Gueï à Noël 1999, le pays était un havre de stabilité dans une région meurtrie par les conflits affectant le Liberia et la Sierra Leone.

Enfin, la compagnie South African Airways (SAA) a annoncé lundi avoir repris ses vols à destination d'Abidjan, interrompus depuis le début des troubles.

"Il n'y a aucun problème. Le vol d'aujourd'hui a décollé à 07h00 (05h00 GMT). Si le gouvernement de Côte d'Ivoire lève le couvre-feu, nous verrons si nous pouvons reprendre les vols de nuit", a déclaré un porte-parole de SAA, qui assure trois vols hebdomadaires entre l'Afrique du Sud et la Côte d'Ivoire.


Les forces loyalistes ivoiriennes attaquent Bouaké
Par Fiacre Vidjingninou

BOUAKE (Reuters), lundi 23 septembre 2002, 8h02 - Les forces gouvernementales ivoiriennes ont attaqué dimanche les rebelles contrôlant Bouaké, rapportent des habitants et des sources militaires, alors que des convois militaires français ont pris la route du nord pour y évacuer des Occidentaux.

Bouaké, située à 350 km au nord d'Abidjan, est tombée jeudi aux mains des mutins. Les forces loyalistes l'ont encerclée dans la journée de dimanche, selon des sources militaires françaises.

Les soldats ivoiriens insurgés avaient auparavant appelé à des négociations avec le gouvernement afin d'éviter que la crise politique la plus grave depuis l'indépendance, en 1960, ne dégénère en bain de sang.

"Les tirs au sud de Bouaké ont été très nourris. La riposte de la part des mutins a été très rapide également", a déclaré dans la soirée une source proche de soldats loyalistes bloqués à l'intérieur même de la deuxième ville de Côte d'Ivoire.

Les dissidents disent protester contre leur prochaine démobilisation. Le gouvernement les accuse de vouloir s'emparer du pouvoir dans le cadre d'une conspiration fomentée par l'ancien leader de la junte militaire Robert Guéï, tué au cours de combats jeudi à Abidjan. Le ministre de l'Intérieur Emile Boga Doudou a également été tué.

Selon la télévision publique, les combats ont fait 270 morts et 300 blessés environ depuis jeudi.

Les émissions de Radio France Internationale (RFI), de la BBC et d'Africa Number One se sont tues dimanche après-midi, sans qu'on sache exactement pourquoi. Le gouvernement avait auparavant critiqué les radios étrangères en les accusant de colporter de fausses rumeurs.

Un couvre-feu nocturne imposé jeudi après le soulèvement a été prolongé jusqu'au dimanche 29 septembre mais réduit, de 20h00 au lieu de 18h00 jusqu'à 06h00 au lieu de 08h00 locales

(GMT).

PARIS POUR UNE SOLUTION NEGOCIEE

La France a pris position en faveur d'une solution négociée de la crise tout en dépêchant des renforts pour assurer la sécurité de ses 20.000 ressortissants et des étrangers présents dans l'ancienne colonie française.

Un convoi français composé de plusieurs dizaines de véhicules dont une ambulance et des jeeps a quitté Abidjan vers 20h00 locales (GMT). Des journalistes voyageant dans le convoi ont indiqué qu'il se dirigeait lentement vers la capitale administrative Yamoussoukro.

"On ne monte à Bouaké que pour assurer la sécurité de nos ressortissants et des étrangers. On n'a rien à faire dans les affaires ivoiro-ivoiriennes", a déclaré une source militaire française, qui a précisé qu'un deuxième convoi devait quitter Abidjan, la capitale économique, dans la nuit.

Une centaine d'écoliers américains étaient notamment bloqués à Bouaké alors que les tirs retentissaient en soirée.

"Nous avons environ 160 ressortissants américains dans cette école, principalement des enfants", a précisé Michel Cousineau, directeur et responsable de la sécurité de l'Académie chrétienne internationale (ICA).

Dans l'après-midi, des rebelles lourdement armés ont dressé des barricades dans la rue de la grande ville du Centre, ont affirmé des témoins.

Des habitants ont aussi vu les rebelles recruter une centaine de jeunes gens dans le faubourg de Nimbo, leur remettant des armes et leur promettant de l'argent pour combattre les forces loyalistes. Plusieurs centaines de jeunes ont également manifesté dans les rues de la ville pour soutenir les mutins et critiquer le président Laurent Gbagbo.

Rentré précipitamment de Rome, ce dernier avait promis vendredi soir de livrer une guerre totale aux mutins.

Le Premier ministre Affi N'Guessan a exhorté à la radio publique la jeunesse à rejeter la voie de la violence.

LE DOMICILE DE OUATTARA INCENDIE

Les troubles font craindre un conflit majeur sur le territoire du premier pays producteur mondial de cacao qui compte plus de 16 millions d'habitants. Jusqu'au coup d'Etat mené par Gueï à Noël 1999, le pays était un havre de stabilité dans une région meurtrie par les conflits affectant le Liberia et la Sierra Leone.

Selon des sources diplomatiques, certains rebelles, qui parleraient anglais, viendraient du Liberia voisin, lui-même aux prises avec une rébellion sanglante après une guerre civile anarchique dans les années 90. En Côte d'Ivoire, le français est la langue la plus communément utilisée.

Les relations, déjà tendues avec le Burkina Faso, risquent de se détériorer encore, le gouvernement ayant déclaré que les rebelles bénéficiaient de renforts d'un pays voisin. La Côte d'Ivoire accuse depuis longtemps Ouagadougou d'abriter des forces dissidentes.

Ces deux derniers jours, les forces de sécurité ont mis le feu à des habitations d'immigrés burkinabés expulsés de leurs bidonvilles sous la menace, dans le cadre de la chasse aux auteurs du soulèvement de jeudi.

Des millions d'immigrés, originaires pour la plupart du Burkina Faso, jouent un rôle vital dans la culture du cacao en Côte d'Ivoire, où ils sont de plus en plus harcelés depuis quelques années.

La question de l'immigration est très liée à la polarisation politique de la Côte d'Ivoire entre le Nord musulman, où le leader de l'opposition Alassane Ouattara recrute nombre de ses partisans, et le Centre-Ouest à majorité chrétienne, d'où Gbagbo est originaire.

A Abidjan, la résidence de Ouattara, située à quelques centaines de mètres de celle du président Gbagbo, a été incendiée dimanche aux premières heures de la journée par les forces de sécurité, a annoncé son parti, le Rassemblement des républicains (RDR).

Ouattara, auquel la justice a interdit de participer aux élections en raison de doutes sur sa nationalité, a trouvé refuge à la résidence de l'ambassadeur de France.


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