Lourd bilan du naufrage du ferry Joola  : 1.034 personnes à bord dont 64 survivants, et la question de "conscience" collective par le président Abdoulaye Wade


Wade à la nation sénégalaise : “La tragédie du ‘Joola’ doit être intégrée dans notre conscience…

Le Soleil de Dakar , Mercredi 02 septembre 2002

“ En ces heures graves que traverse notre pays : pleurons nos morts, prions pour eux, mais en même temps, faisons notre examen de conscience pour nous remettre en cause, afin que des faits pareils ne se reproduisent plus”.

En concluant ainsi son message à la nation, suite à la catastrophe engendrée par le naufrage du bateau “le Joola”, le chef de l’Etat s’est voulu à la fois rassurant, mais ferme. En effet, dans le discours qu’il a délivré hier à la nation, le président Wade a appelé les Sénégalais à faire leur introspection et à admettre que les vices qui sont à la base de cette catastrophe trouvent leur fondement dans nos habitudes de légèreté, de manque de sérieux, d’irresponsabilité, parfois de cupidité lorsqu’on tolère des situations qu’on sait parfaitement dangereuses, simplement parce qu’on en tire un profit.

Pour le chef de l’Etat, le destin est, bien sûr, le fait du Tout-Puissant, mais Dieu nous a aussi doté de liberté, donc de responsabilité dans les actes que nous commettons et qui peuvent précipiter le cours des choses. Aussi, a-t-il rappelé que “la vérité, toute la vérité” sera dite dans cette affaire. “La tragédie qui a frappé notre pays doit être intégrée dans notre conscience, afin que cela ne se reproduise plus”, a notamment souligné Me Wade qui a promis une nouvelle fois que l’enquête de la commission technique va situer les responsabilités.

Autres décisions annoncées par le chef de l’Etat : la création d’un cimetière en Gambie pour les corps déposés sur la plage dans un état qui ne permettait plus le transport, l’indemnisation des victimes, l’édification d’un mémorial pour les naufragés du “Joola”. Le président Wade, qui s’est, par ailleurs, félicité de la “bonne organisation des secours, a rappelé que “ce malheur aura été aussi l’expression d’une solidarité africaine et internationale particulièrement puissante. Aussi, a-t-il tenu à réitérer sa gratitude à tous les chefs d’Etat et de gouvernement, ainsi qu’à toutes les personnalités du monde qui ont tenu à nous exprimer leur compassion.


Après le naufrage du “Joola”, le message du chef de l’Etat à la Nation (Dakar, Le Soleil Multimédia, 02 oct 2002)

Voici le texte intégral de l’adresse prononcée hier par le président de la République, Me Abdoulaye Wade, après le naufrage, le 26 septembre dernier, du bateau “Le Joola”.

Sénégalaises, Sénégalais, mes Chers compatriotes,

Notre pays vient d'être durement frappé par une immense tragédie qui a coûté à notre peuple plus d'un millier de personnes, hommes, femmes et enfants. Notre douleur est insondable, notre malheur incommensurable, tant le désastre, par son étendue, touche toutes les catégories ethniques, sociales et religieuses de notre pays.

Bien sûr, le destin est le fait du Tout-Puissant, mais Dieu nous a aussi dotés de liberté, donc de responsabilité dans les actes que nous commettons et qui peuvent précipiter le cours des choses. Le choc, par sa soudaineté, sa violence et son ampleur, a jeté dans le désarroi les familles, les amis, les parents des victimes et tout simplement nos concitoyens.

Les Sénégalais de tous les niveaux doivent se regarder dans les yeux, comprendre et dire pourquoi cela est arrivé. Cet examen de conscience fait avec lucidité, courage et impartialité nous préservera, peut?être, à l'avenir, de pareilles catastrophes. Dès le départ, ma conviction a été qu'il y avait quelque part des manquements et fautes successives ou concomitantes dont le cumul est à l'origine de la tragédie. Les premières informations le confirment, de même que les rapports que j'ai reçus des deux Ministères impliqués dans le lancement et le fonctionnement du “Joola”, à savoir le Ministère des Transports et le Ministère des Forces Armées.

Sénégalaises, Sénégalais,

J'ai décidé que la vérité, toute la vérité, sera dite dans cette affaire. Aussi me fais?je le devoir de vous rendre compte des dispositions concrètes que j'ai prises depuis la survenance du drame, et cela au?delà des mesures de sauvetage entreprises par le Gouvernement qui a immédiatement déclenché le plan ORSEC.

J'ai aussitôt demandé aux deux Ministères impliqués de m'établir chacun, pour le lundi à 18H, un rapport technique sur les causes lointaines et immédiates de l'accident, en accompagnant mes instructions de termes de référence précis. J'ai institué par décret une Commission technique comprenant non seulement ces deux Ministères, mais, en outre, des représentants des organisations de navigation marchande, des parents des victimes ainsi qu’un expert d'accident maritime envoyé par la France. Ce dernier est déjà arrivé à Dakar.

J'ai commis l'Inspection générale des Armées pour procéder à une enquête et me déposer un rapport sur les responsabilités dans la commission de l'accident, dans l'organisation de la surveillance maritime à l'heure du drame et aux heures qui ont suivi jusqu'aux premiers secours, sur les responsabilités dans le choix du bateau avec ses caractéristiques techniques, sur les réparations et tout autre fait pouvant nous éclairer.

Au plan politique, j'ai reçu la démission du ministre de l'Equipement et des Transports et du ministre des Forces Armées dont les départements sont impliqués dans l'acquisition du bateau, les réparations, la maintenance et la gestion. L'enquête approfondie de la Commission technique va situer les responsabilités. Parallèlement, j'ai demandé au chef d'Etat-Major Général et au Haut Commandement de la Justice Militaire de me proposer des sanctions au cas où des fautes seraient relevées.

Après avoir pleuré nos morts et prié pour eux, nous nous devons de faire notre introspection et admettre que les vices qui sont à la base de cette catastrophe trouvent leur fondement dans nos habitudes de légèreté, de manque de sérieux, d'irresponsabilité, parfois de cupidité lorsqu'on tolère des situations qu'on sait parfaitement dangereuses, simplement parce qu'on en tire un profit. La tragédie qui a frappé notre pays doit être intégrée dans notre conscience collective et nous amener, à quelque échelon que nous soyons, à faire notre examen de conscience, afin que cela ne se reproduise plus.

Nous devons être conscients que nous vivons une époque de technologie qui entraîne les foules à se retrouver au même endroit ou dans les mêmes moyens de transport et, surtout, nous dire qu'un seul manquement, une seule défaillance de notre part, une erreur ou une faute peut entraîner mort d'innocents. Vous comprendrez que je sois plus que jamais décidé à éliminer toute tolérance d'actes de nature à déboucher sur pareille hécatombe. J'en appelle à vous tous, à votre conscience de citoyen pour faire en sorte que le Sénégal ne soit plus jamais cité au palmarès de catastrophes ayant à leur base une faute humaine.

Les circonstances m’avaient conduit à décider, au?delà des personnes identifiées qui doivent être remises à leurs parents, de créer trois cimetières : Ziguinchor, Kafountine, dans la proximité des lieux de survenance du naufrage, Dakar. J'ai pris cette décision après avoir consulté tous les chefs religieux, chrétiens et musulmans, qui ont estimé qu'un cimetière national sans considération de confession religieuse ou d'ethnie est conforme à nos croyances. Je voudrais préciser que des instructions ont été données pour que chaque corps ait sa tombe personnelle.

Ce matin, nous avons dû, avec les autorités gambiennes, accepter un nouveau cimetière en Gambie pour les corps déposés sur la plage par les vagues dans un état qui ne permettait plus le transport. Les victimes seront indemnisées. Une Commission des indemnisations va être mise en place autour de l'Agence Judiciaire de l'Etat. Les représentants des familles des victimes en seront membres.

Comme je l'avais dit, un Mémorial sera édifié à un endroit qui sera choisi d'un commun accord et selon une conception qui sera soumise à l'agrément de toutes les parties. Je renouvelle mes condoléances aux parents, aux amis, à toute la nation. Des prières vont être dites au Port par les différentes confessions religieuses qui choisiront un jour de prières communes. Mais, j'ajouterai que ces prières devront se prolonger de façon permanente dans les églises et les mosquées.

Dans ce sombre tableau d'un drame national sans précédent, nous devons quand même relever quelques signes de fierté. D’abord rendre hommage à tous les naufragés, marins du bateau, simples passagers ou marins de chalutiers accourus qui, au péril de leur vie, malgré l'épuisement, se sont engagés à sauver d'autres naufragés jusqu'à la limite de leurs forces.

Je félicite aussi tous les services qui, dès l'information du drame, se sont dévoués corps et âme pour sauver des victimes sur place ou pour les transporter vers les différents centres hospitaliers. Je confonds dans ces félicitations le corps médical, médecins, infirmiers qui se sont mobilisés sans interruption pour recevoir les malades, les psychologues qui ont compris qu'ils pouvaient aider les rescapés à surmonter les souvenirs de la tragédie qu'ils ont vécue, les parents désorientés à absorber le choc, la société civile qui s'est mobilisée pour accompagner les efforts de l'Etat en vue d'assister les familles des victimes.

J'ai relevé la bonne organisation des secours, du transport des corps, de leur acheminement vers les différents centres hospitaliers. Je voudrais terminer en remerciant très sincèrement le Gouvernement gambien et les citoyens gambiens qui ont considéré ce drame comme frappant le même peuple et, aussitôt, ont décidé de prendre toutes les mesures requises par la situation.

Ce geste spontané de fraternité fait partie de ces gestes qui marqueront l'histoire commune du Sénégal et de la Gambie. Enfin, mes remerciements s'adressent à la France et aux Pays?Bas qui ont amené des secouristes et des engins dès la réception de notre appel de détresse.

Au total, ce malheur aura été aussi l'expression d'une solidarité africaine et internationale particulièrement puissante. C'est pourquoi je tiens à exprimer ma gratitude à tous les chefs d'Etat et de Gouvernement, ainsi qu'à toutes les personnalités du monde qui ont tenu à nous exprimer leur compassion. Mes Chers compatriotes,

Tels sont les messages que je me devais de vous transmettre en ces heures graves que traverse notre pays : pleurons nos morts, prions pour eux, mais, en même temps, faisons notre examen de conscience pour nous remettre en cause, afin que des faits pareils ne se reproduisent plus.

Les nombreuses fautes relevées seront sanctionnées, sans précipitation, mais avec diligence et dans la lucidité, sur la base des enquêtes. Et pour finir, je pense que la leçon républicaine à tirer de ce drame est que chaque citoyen a un droit à la sécurité qui ne doit pas être compromis par les comportements des autres. Ce droit à la sécurité pour chaque citoyen doit être inscrit en lettres d'or flamboyantes dans le ciel, afin que nul ne puisse jamais s'en détourner et que sa permanence nous arrime pour toujours aux sources de nos devoirs.

Sénégalaises, Sénégalais, étrangers qui vivez parmi nous, que Dieu vous préserve et protège votre pays.

ABDOULAYE WADE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE


Sanctions promises après le naufrage d'un ferry au Sénégal

Par Diadie Ba

DAKAR (Reuters), mercredi 2 octobre 2002, 8h03 - Les ministres sénégalais de la Défense et des Transports ont démissionné à la suite du naufrage d'un ferry surchargé au large de la Gambie, qui a coûté la vie à un millier de personnes, et le président Abdoulaye Wade a promis de sanctionner les responsables du drame.

Les secouristes, qui ont mis fin lundi à leurs recherches, n'ont trouvé que 64 survivants sur les 1.034 personnes qui avaient embarqué sur le Joola, bateau assurant la liaison entre Ziguinchor, en Casamance, et Dakar. Le Joola s'est renversé en pleine tempête dans la nuit de jeudi à vendredi.

Le président sénégalais, Abdoulaye Wade, a déclaré que le navire, qui était conçu pour transporter un maximum de 550 personnes, n'était pas fait pour prendre la mer.

"Les nombreuses fautes relevées seront sanctionnées sans précipitation mais avec diligence sur la base des enquêtes", a annoncé mardi le chef de l'Etat, dans sa première allocution radio-télévisée à la nation depuis l'accident.

"J'ai demandé au chef d'état-major général des armées et au haut commandement de la justice militaire de me proposer des sanctions au cas où des fautes seront relevées", a-t-il ajouté.

COLERE DES PROCHES

"Au plan politique, j'ai reçu la démission du ministre de l'Equipement et des Transports, et des Forces armées, dont les départements sont impliqués dans l'acquisition du bateau, les réparations et la maintenace et la gestion", a par ailleurs confirmé Wade.

Le ministre des Forces armées, Youba Sambou, a démissionné à la suite du naufrage du bateau, exploité par l'armée, avait-on auparavant appris de source proche de la présidence. Le ministre des Transports, Youssouf Sakho, avait annoncé un peu plus tôt son départ sur la radio Sud FM.

"Cette décision, je l'ai prise de façon très réfléchie avec le seul objectif de permettre au chef de l'Etat d'être à l'aise dans le traitement de ce dossier", a expliqué ce dernier.La colère des proches des victimes va croissant depuis les révélations sur l'ampleur de la surcharge du bateau, qu'ils imputent aux pouvoirs publics.Le bateau transportait notamment plusieurs étrangers, dont dix Français, cinq Espagnols, deux Néerlandais, deux Belges, deux Suisses et vingt ressortissants de Guinée Bissau. Un Français figure au nombre des rescapés.

Le ministre de l'Intérieur, Mamadou Niang, a fait savoir mardi que des propositions avaient été faites en vue de remonter le bateau ou de le transformer en mémorial aux victimes.

Quelque 400 corps ont été repêchés. Ceux qui ne seront pas identifiés seront brûlés. Mais le gouvernement a assuré qu'il n'y aurait pas de fosse commune, et qu'ils seraient tous enterrés séparément.


A la cellule de crise du consulat de France, les mots impossibles à trouver
par Annie THOMAS
AFP, 2 octobre, 09h37 - Comment, depuis Dakar, parler au téléphone à un père, une mère, dont l'enfant est mort dans le naufrage d'un bateau un soir de septembre, au Sénégal ? Forcément, on ne sait pas trouver les mots. Les gens mobilisés depuis le 27 septembre au consulat de France à Dakar le savent bien.
Ils font ce qu'ils peuvent et comprennent qu'au bout du fil, ce soit perçu comme trop peu.
Après le naufrage du bateau "Le Joola", qui a fait le 26 septembre au large de la Gambie un millier de morts pour seulement 64 rescapés, une cellule de crise a été mise en place au consulat de France.
Beaucoup de touristes français viennent au Sénégal, visitent la Casamance, région du sud du pays d'où était parti le navire. Beaucoup de Français vivent aussi au Sénégal, des expatriés, des Franco-Sénégalais, des Franco-Libanais.
"Très vite, des gens nous ont appelés de Ziguinchor, en Casamance, pour nous dire qu'ils avaient amené des Français au bateau", explique à l'AFP Mme Simone Poudade Hailloud, consule générale de France. Un hôtel aussi, dont des clients français avaient pris "Le Joola" pour rentrer sur Dakar.
Par la suite, les autorités sénégalaises ont fourni une liste de 10 passagers français du navire. "Il s'est avéré que deux de ces personnes, deux jeunes femmes, n'étaient pas sur le bateau", poursuit la consule.
Et, "petit à petit, nous avons eu des coups de fil des familles, nous avons fait des recoupements, et la liste des disparus est devenue nettement plus longue". Elle a atteint une quarantaine de noms, avant de revenir à une trentaine.
Des gens ont appelé, pour dire que leurs proches étaient finalement bien rentrés à la maison. D'autres, en revanche, ne les ont pas vus revenir, alors qu'ils les attendaient le week-end d'après le naufrage.
Les noms de certains disparus ne figurent pas sur le manifeste des passagers fourni par les autorités sénégalaises, ce qui a rendu le travail de recherche encore plus difficile et donné de l'espoir à des parents, alors qu'il n'y en avait plus.
Un seul Français a réchappé du naufrage, dans lequel il a perdu sa compagne.
Sur un mur, dans le bureau de la consule, des photos des disparus sont affichées. Des jeunes femmes, un jeune homme, un enfant, un homme d'âge mûr... Des descriptions, leur taille, des signes distinctifs.
Plus de la moitié des corps des victimes n'ont pas été récupérés et, pour beaucoup, reposent encore dans la coque du navire. Pour les dépouilles retrouvées, le travail d'identification doit être fait, avant de penser au rapatriement.
Une équipe d'experts néerlandais en identification judiciaire, habitués à travailler sur les catastrophes, est arrivée à Dakar et a commencé lundi son travail.
Selon les autorités sénégalaises, plus d'une quarantaine d'étrangers se trouvaient sur "Le Joola". Outre les Français, il y aurait eu une vingtaine de Bissau-Guinéens, trois Espagnols, trois Belges, deux Néerlandais, deux Suisses, deux Nigériens, un Libanais, un Burkinabè.
Le conseil du consulat aux familles des disparus est pour l'instant d'attendre qu'il y ait sur place des éléments probants, avant de venir au Sénégal. Mais l'attente est trop dure, l'incertitude trop terrible. Certains proches sont venus à Dakar, pour voir ce qui se passait, être là au cas où...
"Je l'ai reconnue, sur une photo. C'est fini. Je rentre ce soir en France", disait tristement mardi l'ami d'une jeune disparue.


Actualité internationale et africaine 5