Question de départ d'Aristide, l'étau et les acteurs haïtiens en présence


Les rebelles prêts au blocus de Port-au-Prince

Port-au-Princre, samedi 28 février 2004, 2h08 - Les rebelles haïtiens se préparent à affamer Port-au-Prince. Désormais à une quarantaine de kilomètres de la capitale, après la prise de Mirebalais, les insurgés rechignent toutefois à lancer directement l'assaut, préférant assiéger la ville, où des pillages et exactions ont éclaté vendredi dans le port.

Pressé de toute part de quitter le pouvoir, Jean-Bertrand Aristide assure toujours qu'il ira jusqu'au bout de son mandat, mais il apparaît de plus en plus isolé. Après Paris, Washington a clairement invité le président haïtien à tirer les conclusions de sa situation, entre l'avancée des rebelles et l'inflexibilité de l'opposition qui exige sa démission.

Un haut responsable du département d'Etat a toutefois précisé que l'administration américaine n'appelait pas à la démission de Jean-Bertrand Aristide, espérant que le pouvoir et l'opposition pourraient parvenir à un accord.

Le président haïtien a de nouveau rejeté l'idée d'une démission vendredi, accusant la communauté internationale de racisme. "Aujourd'hui c'est à cause de la question du racisme qu'Haïti ne peut compter sur le soutien de la communauté internationale pour dire non à des meurtriers convaincus... qui ont tué plus de 5.000 personnes", a-t-il déclaré sur CNN, faisant référence aux antécédents de Louis-Jodel Chamblain, chef d'un ancien escadron de la mort.

Le ministre français des Affaires étrangères Dominique de Villepin a répété vendredi à Paris devant une délégation gouvernementale haïtienne emmenée par son homologue Joseph Philippe Antonio qu'il appartient à Aristide de "tirer les conséquences de l'impasse" actuelle. Chaque heure compte si l'on veut "éviter une spirale de violence qui serait incontrôlable", a prévenu le chef de la diplomatie française, fort de l'appui des Etats-Unis et du Canada.

Car Washington a 'lâché' à son tour Jean-Bertrand Aristide: interrogé vendredi sur la situation en Haïti, le président George W. Bush a renvoyé aux propos du secrétaire d'Etat Colin Powell, qui posait clairement la question de savoir si le président haïtien peut rester au pouvoir.

Selon un haut responsable américain s'exprimant sous couvert d'anonymat, l'administration Bush estime que le meilleur moyen d'éviter une prise du pouvoir par les rebelles armés en Haïti, c'est que le président haïtien Jean-Bertrand Aristide démissionne et transmette ses pouvoirs à son successeur constitutionnel. AP


Haïti: Aristide rejette toute démission, demande une force internationale

WASHINGTON (AFP), vendredi 27 février 2004, 23h55  - Le président haïtien Jean Bertrand Aristide a affirmé vendredi qu'il avait "la responsabilité de rester" à son poste de chef de l'Etat en Haïti, et réclamé instamment l'envoi en Haïti d'une force internationale pour lutter contre les "terroristes".

"J'ai la responsabilité comme président élu de rester où je suis, pour protéger les gens (...) et demander à la communauté internationale et aux Etats-Unis de s'opposer aux terroristes et c'est possible", a-t-il déclaré à la chaîne de télévision américaine CNN.

Il a à nouveau qualifié de "terroristes" les insurgés qui revendiquent le contrôle de 70% du pays, et regretté que l'opposition politique, à laquelle il propose un partage du pouvoir, ait préféré leur apporter son soutien.

Interrogé pour savoir s'il pouvait décider de quitter ses fonctions pour éviter un bain de sang en Haïti, il a répondu: "Ce n'est pas le problème". Le problème, ce sont les "tueurs" qui en 1991 lors d'un coup d'Etat avaient tué plus de 5.000 personnes et qui sont de retour aujourd'hui, a-t-il précisé.

"Ce sont des tueurs, des tueurs qui ont été condamnés. Ce sont des terroristes. Ma vie est liée à la vie de huit millions de personnes. J'ai une responsabilité de président élu de faire tout ce que je peux pour que la communauté internationale se joigne à Haïti pour empêcher ces tueurs de venir et tuer des milliers et des milliers de gens".

Si le président américain George W. Bush "peut nous aider à avoir une force de police maintenant en Haïti, augmenter le nombre de policiers internationaux qui sont déjà ici, cela pourrait être un bon signal pour ces criminels", a-t-il ajouté.

Sur le terrain, des troubles ont fait plusieurs morts à Port-au-Prince, théâtre également de scènes de pillage notamment dans la zone du port, selon des journalistes de l'AFP.

Plusieurs centaines de personnes ont été observées pillant des entrepôts, et les corps d'au moins trois hommes, vraisemblablement exécutés de tirs dans la tête, étaient visibles à Poupelard et Christ-Roi, des quartiers périphériques de la capitale haïtienne.

Autour du Palais présidentiel, les barricades ont été renforcées vendredi matin et étaient gardées par des hommes en armes.

Les banques et les magasins étaient fermés et la circulation était presque totalement arrêtée. Les militants armés du président Jean Bertrand Aristide tentaient d'arrêter les rares véhicules encore en circulation, en agressant les occupants, leurs lançant notamment des grosses pierres.

Les insurgés armés de Guy Philippe ont de leur côté, aux premières heures vendredi, pris le contrôle de Mirebalais (140.000 habitants), à 57 km au nord de la capitale, selon un journaliste haïtien.

Cette ville était l'un des deux derniers verrous stratégiques sur les axes du nord du pays menant à Port-au-Prince, avec Saint-Marc qui reste la dernière localité du nord encore tenue par les policiers fidèles au président Jean Bertrand Aristide.

La veille, des membres de l'opposition armée s'étaient emparés de la troisième ville du pays, les Cayes, au sud du pays. La deuxième ville, Cap Haïtien (nord), était tombée dimanche.

Le chef militaire des insurgés Guy Philippe, qui affirme avoir plusieurs centaines d'hommes à ses ordres, avait fait part mercredi de son souhait d'être à Port-au-Prince dimanche pour son 36e anniversaire.

Jeudi, le Conseil de sécurité de l'ONU s'est penché sur l'envoi d'une force internationale pour faciliter un règlement de la crise, sans prendre de décision, les Etats-Unis et la France notamment souhaitant un accord politique entre les parties en présence avant un déploiement.


 

Aristide devrait démissionner pour éviter une prise du pouvoir par les armes, selon un haut responsable américain

WASHINGTON (AP), vendredi 27 février 2004, 21h50 - L'administration Bush estime que le meilleur moyen d'éviter une prise du pouvoir par les rebelles armés en Haïti, c'est que le président haïtien Jean-Bertrand Aristide démissionne et transmette ses pouvoirs à son successeur constitutionnel, a annoncé vendredi à Washington un haut responsable américain s'exprimant sous couvert d'anonymat.

Sans pression, M. Aristide pourrait choisir d'essayer de rester au pouvoir même si sa défaite contre des adversaires armés semble certaine, a précisé ce responsable.

Selon la constitution haïtienne, si le président Aristide démissionne, son successeur serait le président de la Cour suprême, Boniface Alexandre, jusqu'à l'organisation d'élections.

Parallèlement, les Marines ont annoncé qu'ils se préparaient à une possible mission dans les eaux au large de la côte haïtienne. Un tel déploiement aurait pour but de prévenir une éventuelle crise des réfugiés et de protéger les quelque 20.000 citoyens américains en Haïti. AP


La revue de presse internationale - "Haïti"
27/02/2004
RFI Dossier d'actualité


Alain Masson
© S. Bonijol/RFI

C'est le «sauve qui peut» en Haïti, annonce la première page d'Aujourd'hui en France. «Le pouvoir s'écroule. Déjà, les deux filles d'Aristide sont loin. Le sort du président est scellé. Il va quitter le pouvoir sous la pression conjuguée de la communauté internationale et de l'opposition insulaire. Mais quand ?». «Fin de règne» titre La Croix, tout comme L'Humanité en sa Une. Ici l'éditorial souligne: «Ce peuple a besoin de retrouver une condition humaine: le pain, le vêtement, un abri, de l'eau, de l'énergie, et le droit inaliénable à la parole». L'Humanité estime encore que «si une nouvelle fois, la France négocie avec les Etats-Unis un bricolage hâtif, si elle résume son action à un échaffaudage politique, Haïti revivra un nouveau cataclysme dans quelques années. Ce qui voue ce pays au malheur, c'est l'écrasant héritage de violences légué par le colonialisme».

Selon France Soir cependant, «Paris impose sa médiation». Le Figaro nuance: «Paris aide Washington à se débarrasser du président Aristide». De son côté, Libération décrit Port-au-Prince telle une capitale qui «tremble de peur des Chimères». Et le peuple haïtien «tout simplement en train de se noyer. Quant à l'inaction américaine, elle tient au souvenir de la dernière intervention sur place. Avec la lamentable métamorphose de leur poulain d'alors, Aristide. Revenu grâce à eux au pouvoir, il a achevé sa mue de prêtre des pauvres en potentat vicieux».


Non-assistance à peuple en danger

Sud-Ouest observe que certes, «les Américains ne laisseront pas sombrer Haïti dans le chaos qui suivrait inéluctablement la chute de Port-au-Prince entre les mains des rebelles. Le risque serait trop grand pour Saint Domingue comme pour l'ensemble de la zone caraïbe. Washington activerait alors l'envoi de cette force internationale qui est au coeur des débats de l'ONU comme des voisins latino-américains. Si tel était le scénario, la question se poserait légitimement des raisons pour lesquelles on aurait laissé faire un tel gâchis». Nord-Eclair assure aussi «que les Américains ne sont pas chauds pour une nouvelle expédition, et encore moins pour accueillir une foule de réfugiés sur leurs côtes». Ce journal «imagine aussi qu'à Washington, on n'est pas enthousiaste à l'idée de mener une opération conjointe avec la France, à quelques encablures de leur «mare nostrum». Mais si les choses tournaient mal, l'opinion internationale comprendrait difficilement une attitude de non-assistance à peuple en danger».

Le Courrier Picard n'imagine pas non plus «un instant que celui qui était affectueusement baptisé «Titide» au temps de sa lune de miel avec les Haïtiens, ne soit pas remplacé par un autre dictateur en puissance. Même s'il s'en défend, le commissaire de police Guy Philippe, chef des insurgés, a le meilleur profil pour remplir ce rôle. Il rêve de faire appliquer dans la mythique Hispaniola de Christophe Colomb, les préceptes des philosophes français du siècle des lumières. Ceux qui le combattent le décrivent comme un beau parleur, vulgaire, factieux et voleur de surcroît. Entrer en vainqueur dans Port-au-Prince n'est plus pour lui qu'une question de jours. Que fera-t-il de la victoire annoncée ?»


Synchroniser la lecture des infos et le strip tease

De Chicago, câble le Herald Tribune, le chancelier Gehrard Schröder apporte le soutien de l'Allemagne au plan Bush pour le Moyen-Orient, afin d'y assurer «stabilité et démocratie» ! Ce plan, révélé hier par le quotidien Al Hayat, englobe aussi, selon Les Echos, «le Pakistan, l'Afghanistan, l'Iran et la Turquie». Il s'agit de «faire face notamment au défi démographique. Plus de 100 millions de jeunes vont faire leur entrée sur le marché du travail d'ici à 2020. Un minimum de 6 millions d'emplois devra être créé chaque année pour absorber ce flux. Une tâche difficile, alors que le Produit intérieur brut (PIB) des 22 pays de la Ligue arabe est inférieur à celui de l'Espagne». L'initiative n'est pas «du goût des pays arabes. Le président égyptien Moubarak a pris la tête de la fronde, rejetant avec force les recettes toutes faites proposées de l'extérieur, notamment par les Etats-Unis».

Consacrant toute sa page 2 à ce projet de «grand Moyen-Orient», Le Monde relève qu'il prévoit de «bâtir une société de la connaissance. Diminuer de moitié le taux d'analphabétisme d'ici 2010. Former quelque 100 mille enseignantes d'ici à 2008». En matière économique, «la méthode préconisée est celle du micro financement» pour aider «à sortir de la pauvreté». Cependant, il reste «assez vague sur la lutte contre la corruption que la Banque Mondiale a identifié comme le principal obstacle au développement». Toujours d'après Le Monde, «la France se méfie du caractère hybride de l'initiative de Washington», renforçant «les craintes d'une approche de bloc à bloc, l'Occident face au monde musulman».

Un juge américain vient d'interdire la vente du groupe de presse Hollinger International aux jumeaux britanniques Barclay. Ce groupe possède nombre de titres prestigieux, comme le britannique Daily Telegraph, le Jerusalem Post ou encore le Chicago Sun Times. Enfin, à en croire le quotidien South China Morning Post de ce matin, les Hongkongais qui veulent connaître la vérité sans fard vont pouvoir regarder un journal télévisé présenté par des jeunes femmes toutes nues. Le premier spectacle, ce week-end, révélera l'anatomie de Chan Long, une jeune femme de 18 ans, qui se déshabillera pendant 5 minutes en présentant le bulletin d'information. «Ce n'est pas facile, dit-elle, de synchroniser la lecture des infos et le strip tease de tous vos vêtements» !

                                                     Alain MASSON


Les acteurs-clé de la crise haïtienne

Port-au-Prince (AP), vendredi 27 février 2004, 15h07 - Voici le portrait des principaux protagonistes de la crise en Haïti:

-JEAN-BERTRAND ARISTIDE:

Ancien prêtre des bidonvilles, Aristide est extrêmement populaire lorsqu'il est élu à la présidence en 1990. Il est renversé en 1991 par la junte de Raoul Cédras, qui persécute et assassine ses partisans jusqu'à l'intervention des Etats-Unis en 1994 qui rétablit Aristide.

A nouveau élu président en 2000, après l'interlude de la présidence de René Préval, Aristide est de plus en plus contesté depuis la tenue d'élections législatives entachées d'irrégularités la même année, qui ont conduit les donateurs internationaux à geler leur aide.

Ses adversaires l'accusent de ne pas avoir tenu ses promesses d'aider les pauvres, de laisser libre cours à une corruption alimentée par le trafic de drogue et d'utiliser des bandes armées contre ses opposants. La rébellion qui se reproche de Port-au-Prince veut désormais l'arrêter et le juger.

--L'OPPOSITION LEGALE--

-ANDY APAID:

Un des chefs de l'opposition, coordinateur du "groupe des 184" de la société civile, la cinquantaine, Apaid est un propriétaire d'usine né aux Etats-Unis. Sa famille a fui Haïti à l'époque de la dictature de François Duvalier, "Papa Doc", au pouvoir de 1957 à 1971.

Avec ses chemises pastel et ses lunettes à la monture dorée, il a l'allure d'un homme d'affaires de Miami, mais il se dit totalement haïtien. "Nous devons choisir une autre voie pour le pays", dit-il.

Mais, sans un amendement constitutionnel, il ne pourra jamais être président en raison de sa double nationalité américaine et haïtienne. Il a rejeté le plan de paix soutenu par Washington et estime qu'Aristide doit partir.

-EVANS PAUL:

Autre figure de l'opposition, à laquelle il sert le porte-parole, cet ancien maire de Port-au-Prince approchant la cinquantaine a vécu dans la clandestinité sous la junte de Raoul Cédras. Il était le chef d'une coalition de centre-gauche qui a désigné Aristide comme candidat à la présidence en 1990. Il a organisé la campagne électorale d'Aristide avant de s'éloigner du président haïtien.

Dramaturge et journaliste sous l'ère Jean-Claude Duvalier, alias "Bébé Doc", Evans Paul a été emprisonné pour s'être opposé au dictateur.

-- LES REBELLES--

-GUY PHILIPPE:

Devenu le chef des rebelles qui menacent de prendre Port-au-Prince, Philippe, 35 ans, a rejoint l'insurrection armée une semaine après son déclenchement le 5 février aux Gonaïves. Il est revenu de son exil en République dominicaine voisine où il s'était réfugié en 2000 après avoir été accusé de fomenter un coup d'Etat.

Né dans une famille de paysans près de la ville de Jérémie (sud-ouest), cet ancien officier de l'armée s'entraînait dans une académie militaire en Equateur lorsqu'Aristide a dissous l'armée. Il avait été nommé chef-adjoint de la police pour le nord du pays par Aristide dans les années 90.

-BUTTEUR METAYER:

Le chef du gang qui a lancé la rébellion en s'emparant de la ville des Gonaïves, reconnaît qu'il terrorisait auparavant les adversaires d'Aristide. Sa milice, surnommée l'"Armée cannibale", aujourd'hui rebaptisée Front de résistance de l'Artibonite, avait été armée par le président dans ce but.

Ce gang de 'chimères' (miliciens pro-Aristide), dont le fief est le bidonville de Raboteau aux Gonaïves, s'est retourné contre Aristide après l'assassinat en septembre de son chef d'alors, Amiot Métayer, frère de Butteur. Depuis, ce dernier accuse le gouvernement d'avoir réduit son frère au silence pour l'empêcher de faire des révélations embarrassantes pour Aristide.

Butteur, qui s'est autoproclamé président de la région de l'Artibonite (ouest), refuse, comme les autres rebelles, de déposer les armes tant qu'Aristide reste au pouvoir.

-LOUIS-JODEL CHAMBLAIN

Rallié à la rébellion en même temps que Guy Philippe, cet ex-sergent de l'armée haïtienne dissoute traîne derrière lui une sinistre réputation de spécialiste des escadrons de la mort. Après le renversement d'Aristide en 1991, il est devenu co-dirigeant de la milice paramilitaire du Front révolutionnaire pour le progrès et l'avancement d'Haïti (FRAPH), exécutrice des basses oeuvres de la dictature militaire, responsable de la mort, de la torture et de la mutilation de centaines de personnes, notamment les partisans d'Aristide dans les bidonvilles. En exil en République dominicaine depuis 1994, il est revenu à la mi-février. Chamblain a été condamné à la prison à vie par contumace pour le massacre du bidonville de Raboteau en 1994, et l'assassinat en 1993 d'Antoine Izmery, financier d'Aristide. AP

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