Etienne Tshisekedi: "Pour un embargo total sur le diamant et les armes"

 

Leader historique de l’opposition dans l’ex-Zaïre, adversaire acharné de l’ancien président Mobutu et désormais de Laurent Désiré Kabila, Etienne Tshisekedi fait son retour politique.

Quelque peu marginalisé par les mouvements rebelles en lutte contre Kinshasa et par un régime peu amène avec ses adversaires, le président de l’UDPS (Union pour la démocratie et le progrès social) entend reprendre l’initiative. Il achève une tournée internationale, qui l’a mené de l’Afrique du Sud aux Etats-Unis, en passant par plusieurs pays européens et le Canada. Son mot d’ordre: isoler les belligérants qui combattent en RDC par un embargo sur le commerce du diamant et des armes, et redonner sa place à l’opposition civile en prévision du dialogue intercongolais prévu par les accords de paix Lusaka.

 

RFI: Etienne Tshisekedi, vous achevez une vaste tournée internationale. Qu’avez-vous demandé aux responsables que vous avez rencontrés?

Etienne Tshisekedi: Je suis venu pour sensibiliser les décideurs occidentaux sur le dossier congolais, en leur demandant de faire pression sur les belligérants, afin de les amener, non seulement à respecter le cessez-le-feu, mais à poursuivre toutes les procédures prévues par les accords de Lusaka, jusqu’au dialogue inter-congolais. Je leur ai proposé trois mesures principales. Vous savez qu’au Congo, plus rien ne tourne sur le plan économique. C’est le diamant qui est la seule ressource permettant aux dirigeants d’obtenir des armes. C’est ainsi que nous demandons que la France et les autres pays de la communauté internationale décrètent un embargo total sur la vente de diamants. Sur l’ensemble du territoire congolais. Parce qu’il y a des diamants au centre du pays, dans le Kasaï, où Kabila fait ce qu’il veut, comme dans la région de Kinsangani, à l’est, où les rebelles font également ce qu’ils veulent. La deuxième décision que nous attendons de la communauté internationale, c’est un embargo total sur les ventes et achats d’armes aux pays de la région concernés par la guerre au Congo. Enfin, la dernière décision concerne particulièrement la France et l’Union européenne. Ce sont des mesures de restriction ou de refus de visas d’entrée à l’endroit des dignitaires que ce soit du côté de Kabila ou de celui des rebelles.

RFI: Quelles réponses avez-vous obtenu jusqu’ici?

ET: En général les réponses sont favorables. Tout le monde s’engage à consulter les autres et à voir dans quelle mesure on peut introduire un projet commun sur ce dossier là à l’ONU.

RFI: Monsieur Tshisekedi, jusqu’à cette tournée, l’opposition a donné l’impression d’être en retrait, face à des mouvements rebelles occupant le devant de la scène. Pourquoi?

ET: Vous autres journalistes préférez le sensationnel. Vous préférez là où il y a des morts. Nous autres, nous ne tuons personne. C’est pour cela que nous donnons l’impression de nous taire. Mais nous faisons un travail fondamental. Nous sommes en train de nous battre pour créer un Etat démocratique. Deuxièmement, presque trois semaines après l’arrivée de Kabila à Kinshasa, c’était des manifestations tous les jours. Et monsieur Kabila a réagi de manière sanglante. Cela, il faut l’avouer, a traumatisé notre population. Et il nous faut maintenant un grand travail de conscientisation pour les impliquer à nouveau dans le combat politique. Ce qui est en train de se faire actuellement.

RFI: Mais quelle est votre marge de manœuvre politique, compte tenu de la pression du pouvoir actuel sur l’opposition ?

ET: Elle est assez étroite, parce que nous sommes décidés à ne pas nous laisser faire par quelqu’un qui n’a aucune légitimité : Monsieur Kabila. Par conséquent, il y a énormément de nos militants en prison, parce qu’ils ne veulent pas se laisser faire. Donc nous continuons la lutte, malheureusement dans la clandestinité. Mais cela n’a pas empêché que nous ayons des groupes de contact qui, épisodiquement, échangent des points de vue.(…). Il y a presque deux mois, avant que je ne quitte le Congo, nous avons convenu de former de chaque côté un groupe de quatre juristes, qui sont informellement en train de se réunir pour échanger sur la manière dont nous envisageons ce dialogue.

RFI: Justement, le délai qui avait été fixé, à savoir le mois d’avril, pour la tenue de ce fameux dialogue intercongolais est dépassé, est-ce que vous avez encore espoir qu’il se tienne?

ET: Quel que soit le report de ce dialogue, une chose est certaine : il aura lieu. Peu importe la date. C’est une certitude. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas d’autre alternative pour sortir de la crise. Or, on devra bien en sortir.

RFI: Imaginons que ce dialogue se tienne. Quel sera votre rôle?

ET: D’abord, je suis défenseur de l’Etat de droit, démocratique. Le dialogue va nous en donner un. Je jouerai donc le rôle que le peuple me confiera.

RFI: Vous avez parlé de retrouver le poste de Premier ministre que vous occupiez du temps de la Conférence nationale souveraine…

ET: Ça c’est pour la transition. Pendant la transition j’ai reçu cette mission. Et jusqu’à preuve du contraire, je ne vois pas qui va l’assumer pendant la période transitoire qui s’approche. Le peuple ne s’étant plus réuni pour me retirer sa confiance, je crois que j’exercerai ces fonctions, c’est-à-dire celles de premier décideur politique du pays.

RFI: Avant d’arriver à cet Etat de droit que vous appelez de vos vœux, il faudra effectivement parvenir à la paix. Les Nations Unies sont censées envoyer environ 5500 hommes pour la faire respecter. Mais, tant que les violations du cessez-le-feu continuent, l’arrivée de cette force n’est pas à l’ordre du jour. Est-ce qu’on ne risque pas de la repousser indéfiniment?

ET: Nous craignons en effet qu’on finisse par oublier ce dossier. C’est la raison pour laquelle j’ai décidé de faire cette tournée, pour rappeler aux uns et aux autres qu’ils doivent continuer à faire pression sur les belligérants pour qu’ils respectent le cessez-le-feu et pour que le dialogue ait lieu. (…) Car derrière ce problème, il y en a un plus grave. C’est un peuple qui se meurt, sans l’attention de la communauté internationale. Il y a déjà beaucoup de morts de famine, parce que dans les régions où il y a la guerre, les gens vivent en brousse où ils n’ont rien, et où même les organisations non-gouvernementales les mieux intentionnées n’ont pas accès. Encore quelques mois et nous n’aurons qu’à ramasser des cadavres.

RFI: Qu’attendez vous de l’ancien président botswanais, Ketumilé Masiré, choisi comme médiateur dans la crise congolaise?

ET: En principe je lui fais confiance, mais il a commencé à mettre sur pied trop de bureaucratie. Et je crains que celle-ci l’amène lui-même à s’occuper de problèmes internes au pays. Certes un facilitateur doit jouer son rôle. Mais le dialogue est intercongolais, donc ce sont les Congolais eux-même qui doivent trouver les solutions à la crise congolaise et non pas le facilitateur ou qui que ce soit d’autre.

RFI: Une réunion s’est tenue récemment à Alger sur la guerre en RDC. L’Afrique du Sud et le Nigeria ont proposé d’envoyer des troupes. Comment accueillez-vous cette offre?

ET: C’est très encourageant. Cela a montré que le dossier congolais n’est pas oublié. Deux poids lourds de l’Afrique qui se prononcent comme ça ! Je crois que l’exemple va faire tâche d’huile et que le problème congolais ne sera pas jeté aux oubliettes.

RFI: Votre périple vous a aussi mené aux Etats-Unis. Qu’espérez-vous? Qu’ils fassent pression sur l’Ouganda et le Rwanda?

ET: Sur tous les belligérants. Il y a aussi le Zimbabwe et l’Angola. Il faut que les Etats-Unis utilisent leur poids international pour que les belligérants se soumettent aux accords de Lusaka et au dialogue intercongolais.

RFI: Que pensez vous de l’idée, lancée par la France et l’Union européenne, d’une vaste conférence pour régler de manière globale les problèmes de la région des Grands Lacs?

ET: Je la soutiens à une condition : que le Congo y aille comme Etat, car je crois que la solution du problème des Grands Lacs doit commencer par celle du problème congolais.

Une fois que ce sera le cas, je suis tout à fait d’accord pour que cette conférence se tienne. Mais pas tel que la situation se présente, c’est-à-dire chaotique.

 

Propos recueillis par CHRISTOPHE CHAMPIN, 02/05/00

(AFP, RFI : http://www.rfi.fr/Kiosque/Mfi/AfriqueOnu/index.htm )

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