Quand un concept spécifique pousse à l’interpellation civique de ses inventeurs.

 

Par Gervais Douba

Enseignant en Sciences de gestion

 IUT-IUP (Université de Rouen)

 

- Excellence M. Le Président de la République Centrafricaine ; Général François BOZIZE

- M. Le Premier ministre ; Le Professeur Abel Goumba

- Mmes et Messieurs les ministres

- Mesdames et Messieurs les membres des bureaux politiques des partis politiques ayant vocation à siéger au CNT.

 

A la faveur des évènements survenus dans notre pays le 15 mars 2003,  vous avez contribué à l’euthanasie du régime, non seulement dépité mais également en décrépitude de M. Patassé. Vous avez mis en scène un changement institutionnel en promettant simultanément de solder les égarements de vos prédécesseurs et en accouchant de la notion de « Conseil National de Transition »

Eu égard aux vagues de ralliements et à l’aune des concerts de louanges qui ont acclamé –avec ferveur et euphorie- votre action ; accélérant et amplifiant la légitimité de votre régime puis, vous reconnaissant à la fois messie, guérisseur et nouvelle idylle d’une nation désemparée et en désarrois, il y a peu de place à l’analyse critique. D’ailleurs, M. Le Premier ministre en a donné le la, lors de sa rencontre avec la presse. Il a confondu une presse de propagande, une presse de pensée unique à une presse « qui analyse, qui prend du recul et met en perspective».M. Le premier ministre a joué la carte de l’intimidation, de l’appel à la soumission et à la crainte au lieu d’inciter au respect et à l’obéissance.

 

Mesdames, Messieurs, je ne représente aucun courant. Par conséquent je ne veux m’arroger aucun droit , a fortiori m’autoproclamer –avec précipitation -opposant ou régicide . En la matière, je suis certain qu’il n’y aura même pas un balambo usé pour moi. Vous ne vous êtes même pas installés, certains de vos ministres n’ont même pas de bureau. Ma lettre part d’une hypothèse. Comment ferez-vous en sorte que la transition, en matière politique , économique et sociale ne se réduise au passage clandestin de témoins entre la baronnie civile et militaire, entre les castes et les différentes féodalités administratives et politiques qui, part connivence, ont fossilisé la défense réactionnaire de leurs intérêts depuis les indépendances jusqu’à nos jours ?  Ma lettre n’a d’autres prétentions que d’être une interpellation civique fondée- non sur la notion de CNT mais uniquement sur le concept de « transition ». J’ai peur que ce soit du déjà vu, du déjà entendu dans l’histoire de nos institutions…J’ai peur que le coktail « Bozizé-Goumba » se trompe d’époque en allumant un pétard mouillé ou en suscitant une tempête dans un verre d’eau !

 

M. Le Président et M. Le Premier ministre. Vous auriez aimé recevoir des lettres de félicitation, d’encouragement, comme l’ont fait quelques fieffés flagorneurs et autres potentiels félons.. Ce genre de comportement ne m’est pas coutumier et n’est pas dans mon filtre cognitif. En revanche, je suis persuadé que vous avez conscience que vous jouez, ou l’ironie de l’histoire ou l’histoire d’une ironie. Vous savez l’un et l’autre ce que recouvre le concept « transition » sur le plan épistémologique- toutes disciplines confondues. Il est tout sauf une formule anesthésiante pour la nation dans toutes ses composantes et ne saurait engendrer l’asthénie de l’âme. Un célèbre penseur([1] )disait en son temps que la plus belle ruse du diable est de nous persuader, qu’il n’existe pas.

 

Le concept est entré avec fracas dans la littérature politique et économique des années quatre-vingts. Comme vous le savez, il désigne le passage d’un corps d’un état à l’autre. Utilisé en transport de marchandises, le transitaire en tant qu’auxiliaire de transport est celui dont les prestations sont requises ou sollicitées contractuellement pour l’acheminement des marchandises. Il est l’interface de la douane et le mandataire soit du transporteur soit de l’expéditeur soit du destinataire. Dans le registre de transport des voyageurs, les passagers en transit relèvent d’un régime différent quant aux opérations de police de l’air et des frontières

En matière économique, la transition désigne la métamorphose des systèmes de production. Le passage d’un système artisanal et d’autosubsistance à un système moderne, d’une agriculture extensive à une agriculture intensive. Il a également servi à caractériser l’abandon de l’économie planifiée et l’adoption de l’économie de marché. Le concept n’échappe pas à la politique. On parle de transition démocratique pour désigner le renoncement au coup d’Etat à répétition comme unique moyen d’accès au pouvoir pour recourir aux mécanismes démocratiques de représentation.

 

Qu’il soit utilisé en économie ou en politique ou ailleurs, la transition induit un mouvement, un changement radical. C’est la rupture d’avec un certain état d’esprit du genre « père de la nation, papa ; bienfaiteur de la Nation ou autre papa-noél », une certaine pratique ou une certaine technologie manifestement surannés, obsolètes pour adopter des références plus compétitives, des repères ou des normes plus crédibles. La transition peut être chaotique lorsque les déterminants sont mal identifiés, le pilotage se faisant à vue et les données mal maîtrisées.

S’il faut faire une typologie, on distingue les transitions radicales et à la remède de cheval, des transitions réformistes ; étapes par étapes. La transition radicale a la caractéristique d’opérer des transformations qui brutalisent.  On provoque des chocs, on interpelle de façon folklorique et spectaculaire pour marquer toutes les inerties ou mettre au grand jour les habitudes égoïstes et réactionnaires. En revanche, les transitions « réformistes » nécessitent un calendrier, une pédagogie, des expérimentations crédibles et une voie tracée avec des scénarii et des règles de jeu bien identifiées et des références lisibles. L’une et l’autre supposent le choix des socles qui font que les jeux  de dilemme du prisonnier  et celui du passager clandestin échouent. L’enjeu est de trouver ces socles sur lesquels reposeront les nouvelles colonnes de la société et de trouver les points d’ancrage qui doivent être répercutés dans toutes les sphères stratégiques, décisionnelles et opérationnelles de l’Etat et de la nation : partis politiques, administrations civiles et militaires, syndicats, associations, leaders d’opinion,  communautés religieuses. Il s’agit de trouver des jantes à une société qui, jusqu’à présent, n’en a pas ou prou.

 

Des modèles de transition réussie ; c’est-à-dire pensée et non seulement pansée, on en trouve de part le monde dont le continent Africain et particulièrement les pays d’Afrique au sud du sahara. Je veux citer le modèle Malien et le modèle Ghanéen. Je citerai aussi le modèle de l’Afrique du Sud. Modèle ne signifie pas qu’il y a un KIT, qu’il suffit de se procurer et de suivre les consignes de montage. Modèle ne signifiant pas non plus, référence ou exemple à suivre de façon servile.

La prétention de ce papier n’étant ni de soulever des polémiques stériles à l’encontre de l’autorité issue du 15 mars 2003 ni de donner l’impression de lui prescrire une feuille de route, je reste sur le terrain analytique et m’en tiens à cette interpellation civique. Par interpellation civique, j’entends amener en débat la relation  problématique qu’entretiendra le concept transition avec les différentes composantes de la nation Centrafricaine, puis de nourrir ce débat par une quête d’éclairage sur le « comment faire », le « comment penser . » et le «comment être » dans un contexte d’économie mondialisée et dans le cadre de la NEPAD ; bref trouver le moteur du progrès socio économique et les leviers sur lesquels il faut agir pour mettre cette nation sur la rampe du décollage vers l’entente politique et l’épanouissement individuellement

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Si la chance m’est offerte de rencontrer le duo ou le coktail Bozize-Goumba, je leur demanderais quel est l’état des lieux de la maison qu’ils ont occupée depuis un mois  et quelle est la pertinence du concept, qu’ils nous ont bazardés dès leur entrée en fonction ?

 

I : Transition ; quel état des lieux ?

 

« Si ton projet a un an de durée, sème une graine ; Si ton projet a dix ans de durée, plante un arbre ; Si ton projet doit durer cent ans, éduque et forme les jeunes » dit un proverbe chinois.

 

La maison centrafricaine est devenue trop étroite pour héberger convenablement toutes les têtes pensantes et ses murs tombent en ruine. Elle appelle des travaux de rénovation en termes d’expansion et d’extension.  Cette bâtisse a été conçue pour abriter les intérêts des françafricains c’est-à-dire la nébuleuse d’acteurs économiques, politiques et militaires en France et en Afrique, organisés en réseaux et en lobbies pour faire mains basses sur deux rentes : les matières premières et l’aide publique au développement. Cette organisation a fonctionné et fonctionne encore sur des logiques scoliogénes au regard des intérêts vitaux des Centrafricains. Elle a érigé - en système de gouvernement- les rigidités structurelles à tous les niveaux de la société. Mettre les intérêts vitaux de la Centrafrique et la citoyenneté Centrafricaine en état de s’assumer n’a jamais été sa tasse de thé. Depuis 1979 à nos jours, les victimes des ruines ( celles qui sont mortes sous les décombres ou qui sont mortellement atteintes par les tuiles ou les éclats de verre) ont pour tort d’être nés Centrafricains et d’être assis sous l’immeuble qu’ils avaient légitimement raison de croire que c’était la propriété de leurs parents. Cette croyance légitime leur a été fatale. On peut synthétiser la situation ainsi :

Intrinsèquement cette ruine se caractérise par un niveau incroyablement élevé de dénis de toutes sortes, de privations en tous genres, de misère et d’oppression.

Extrinsèquement, les effets des mutations internationales ont induit des problèmes inédits qui sont venus s’ajouter aux anciens fléaux tels que la persistance de la pauvreté, les besoins élémentaires non satisfaits, la violation chronique des libertés politiques élémentaires et ont suscité des interrogations angoissées quant à la viabilité à long terme de notre unité nationale.

Tous les régimes qui se sont succédés sont pour le maintien du statut quo. Aucun n’a cherché –à l’instar de Barthélémy Boganda - à construire un paradigme alternatif ou une quelconque prééminence servant de colonne vertébrale ou de point d’ancrage à un projet de société. Cette maison est truffée de mines antipersonnelles et de dynamites. Pour employer une métaphore biblique, la situation est comparable à ce que décrivait le prophète Néhémie au sujet des murs de Jérusalem. Alors, comment analyser la situation ? La transition promise part –elle de ce diagnostic ?

 

I.1 : Les déterminants retenus retenues pour analyser la posture polyarthritique de nos mœurs et pratiques politiques

 

On peut –sans trop se tromper- appliquer à notre pays, une autre métaphore ; celle du «Triangle de Bermudes ».

Les 625000 km2  de superficie  que couvre  notre pays, nos 16 préfectures et 44 sous-préfectures, ce qui en fait 60 villes souffrent de polyarthrie politique qu’aucun  des régimes qui se sont succédés n’a osé prendre des mesures de soins. J’appelle cette polyarthrie, le triangle des « D ». C’est la traduction tangible du credo de la cellule Centrafricaine de la nébuleuse françafricaine et sa toile d’araignée. Notre pays passe pour être le sanctuaire du Triangle des trois D :

- D comme dénis de toutes sortes. Dénis de justice, dénis de respect, dénis du droit à entreprendre selon des règles.

- D comme dilettantisme dans les rapports au travail, dans la reconnaissance des droits élémentaires des autres

- D comme désinvolture dans l’accomplissement de sa tâche, ce qui est normale puisqu’on y parvient sur des bases douteuses et non par créativité ou par compétence. Il suffit d’être très obséquieux, larbin et bon pourvoyeur de fesses aux plus hauts placés, pour qu’ils se souviennent de vous, une fois arriver dans leur royaume. ( Je regrette d’avoir à recourir à la métaphore biblique pour illustrer ma colère, mon indignation) La désinvolture étant par nature sclérosante et paralysante- puisque confine à l’incompétence, elle engendre dans les administrations civiles et militaires, des assymétries d’information, des dissymétries de toutes sortes à tous les niveaux hiérarchiques . Ce sont les virus des trois « D » qui sont les agents propagateurs  des dysfonctionnements et du déclin des institutions civiles et militaires dont nous nous plaignons tous et notamment le mépris et l’arrogance vis-à-vis du citoyen.  Comment expliquer qu’ailleurs en Afrique, il y a une volonté affichée de s’en sortir et qu’en Centrafrique, rien n’a l’air d’aller ?

 

I.2 : Les facteurs explicatifs  du déclin de l’Etat et de la citoyenneté.

 

1) Le premier facteur générateur et amplificateur des trois « D » est, sauf erreur ou omission de ma part et toute proportion gardée- est l’approche du pouvoir chez nous et ailleurs aussi mais surtout chez nous. Le pouvoir est approché sous l’angle patrimonial et clientéliste. C’est ce qui amène certains à prendre des raccourcis, à faire des analyses sommaires ou à trouver des chemins de traverse au sujet de la démocratie. La démocratie n’est pas de date récente en Centrafrique et n’est pas l’œuvre de Patassé ; lequel a travesti la démocratie, en libérant à grande échelle, la scoliose politique- dans notre balbutiante démocratie car, c’est le seul et le premier chef d’Etat Centrafricain a détenir le record des expériences ministérielles et gouvernementales. Mais, comme il nous a toujours pris pour des nains de jardin, il en a fait à sa tête, avec des méthodes relevant du narcissisme fusionnel et rétrograde à l’instar de son référant Bokassa. Contrairement aux allégations obscurantistes, la démocratie n’est pas synonyme de multipartisme. La démocratie n’est pas  le club de tyrans obscurs qui se repassent le pouvoir à tour de rôle quand bon leur semble. Il suffit pour s’en convaincre de revisiter l’hymne national » la Renaissance ». Dans un des couplets, il y est clairement mentionné qu’il faut briser la tyrannie, ne pas permettre à la tyrannie de faire son nid et cela d’où qu’elle vienne, quelle que soit la forme qu’elle prend : de l’intérieur comme de l’extérieur, à visage d’ange ( je suis désolé, c’est un lapsus) comme en peau d’agneau.. L’approche clientéliste et patrimoniale  se concrétise dans son dévoiement le plus achevé par l’intrônisation de tous les proches en faisant, et, sous couvert des liens de parenté plus ou moins proche, voire de l’ethnie, des dépositaires illégitimes d’une part de notre souveraineté. Ces imposteurs s’octroient des immunités diplomatiques et parlementaires que mêmes les monarchies constitutionnelles les plus impudiques de part le monde, ignorent ! Les titres de conseillers à la présidence ou autres galons n’ont de sens que pour se partager le butin depuis les parents jusqu’aux enfants et aux petits enfants. Ces titres ne reposent sur aucune expertise, aucune capacité à faire triompher les intérêts vitaux des Centrafricains. Certains, appartenant à la tribu sont là pour servir de fusible. Ceux de la tribu au sens large, sont placés là pour payer un tribut élevé à savoir; jouer le rôle de paratonnerre, de bouclier humain au patriarche et son entourage autocratique. Dès qu’une occasion manquée se présente- histoire de dire que le patriarche est juste, on les fait sauter, véritable poudre aux yeux.

 

Enfin, les partis politiques et les syndicats ont manqué- eux – aussi - leur rendez-vous avec l’histoire de la démocratie, de la formation au civisme et à la citoyenneté. Je veux dire par là que la démocratie n’est pas non plus la prolifération de l’amateurisme politicien ou de tribuns en quête de tribune pour faire leur numéro de fascination ou, à l’exemple des cracheurs de feu- trouvent toute occasion propice pour cracher leur venin de démagogie. Malgré les efforts non négligeables de l’OPPO, des partis politiques- tel que le MLPC et ses alliés ont largement contribué à l’enracinement de l’obscurantisme et du prosélytisme fanatisant- Ils ont confondu militantisme à comportement de mouton de panurge

 

2) le deuxième facteur est la représentation qu’ a la cellule Centrafricaine des françafricains de l’argent et de la pauvreté pour désinstitutionnaliser la citoyenneté.

J’ouvre une parenthèse pour réfuter la thèse de la crise institutionnelle chez nous. Il y a crise lorsque les institutions –structurellement mises en place- se révèlent inadaptées sous la pression de la conjoncture ou autres facteurs exogènes. Or, lorsque les structures dénient elles-mêmes leur raison d’être, elles se dénaturent, bifurquent et amplifient leur dévoiement, on ne parle plus de crise mais de désinstitutionnalisation. Le citoyen est désinstitutionnalisé, la notion d’intérêt vital de la nation est vidée de son contenu, dévoyée au profit d’autres intérêts.

 

Une des manifestations tangibles de cette désinstitutionnalisation est  la représentation de la pauvreté et de la citoyenneté dans l’exercice du pouvoir. L’exercice du pouvoir autorise à faire main basse sur le trésor public et toute autre pompe à finance. Ce n’est pas la rémunération qui en résulte mais le fait d’y être déjà. Par connivence avec les autres éléments du réseau, on se partage au point de racler toute pièce qui s’aventurerait- sans protection- dans le fond du tiroir, sa durée de vie dépend de la pleuridémangeaison d’étalage de l’argent dans les boîtes de nuit le soir dont nous souffrons tous ( Je n’insinue ni attitude puritaniste ni populisme démagogique) .

 

Le raisonnement  sur le plan des rapports au travail est curieux sur deux points. 1) Les dirigeants semblent portez sur les travailleurs un regard comparable à celui que la féodalité moyennageuse portait sur les travailleurs ; ce sont des personnes à asservir plutôt qu’à servir, elles sont assimilables à des esclaves. Dans les hypothèses optimistes, le travail dans les bureaux devenant un prestige, il est normal que les agents de l’Etat soient de corvée alors que certains membres de cette féodalité se vautrent dans leur sinécure.

Cette lecture se déteint sur le plan économique et social. Tout détenteur d’une minime responsabilité n’a d’yeux que pour la caisse et la domination et rarement pour faire passer son leadership. On ne rend jamais compte ( dissymétrie d’informations) mais on crée les conditions du soupçon, de la calomnie. Nous avons du plaisir à compter ceux qui dépendent de nous, ceux qui légitiment notre « aura » tels les éléveurs de moutons. Quand on parvient à créer une entreprise, une petite unité de production, elle n’a même pas de racine que nous nous permettons de jouer dans la cour des grands. Une entreprise en soi n’est qu’un instrument de création de richesse et non la richesse elle-même. Or, la maladie orpheline des petits entrepreneurs Centrafricains, c’est de vendre son blé en herbe.

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Nombreux sont les compatriotes qui en veulent à l’omniprésence de la communauté libanaise dans la vie économique et commerciale. les pauvres boucs émissaires. Je me permets de rappeler deux vérités : La première ; c’est la chambre de commerce de Bangui, à travers M. NAUD, son président d’alors, qui, de connivence avec la veuve Boganda, a hypothéqué l’indépendance de la République Centrafricaine, en évinçant Goumba et en propulsant Dacko au pouvoir. Cela s’est fait sur une base herméneutique très curieuse du processus du pouvoir en Afrique. Je mets le Premier ministre Goumba au défi de me démentir. Je ne soutiens pas que Goumba aurait été le digne héritier politique de Boganda ou qu’il serait notre messie. Maintenant qu’il est là, que la césure de l’histoire s’est refermée, on verra !

La deuxième vérité (les deux vérités ne sont pas des vérités révélées. Nous sommes sur le terrain épistémologique et le débat est ouvert )est celle-ci. Sans chercher la petite bête, l’économie- quelle que soit sa forme- pour être viable et pérenne doit reposer sur un circuit et une articulation des capitaux ( capitaux financiers et capitaux humains).Les communautés d’origine étrangère vivant en Centrafrique – depuis les comptoirs des Portugais, Moura et autre Gouvéa, SKN- jusqu’aux Libanais, Dahomey ( Beninois et Togolais), les Camerounais etc parviennent à réaliser chez nous, cette vérité élémentaire de l’économie –même à coup de corruption. Le monde des affaires est par nature un monde de corruption. Qu’on soit Libanais ou Centrafricain, dès lors qu’on a investi, on est fondé à se préoccuper de la rentabilité de ses investissements et l’on on use de toutes les subterfuges pour réduire les coûts. C’est ainsi que se sont développées les firmes multinationales, les lobbies professionnelles de toutes sortes dont la françafrique, les roses croix, la franc maçonnerie et autres. Symboliquement, je trouve ce débat dangereux car ouvrirait la voix au racisme et à la xénophobie et épistémologiquement, cette thèse a peu de chance d’être fertile et utile. Elle est difficilement modélisable et pêche surtout par le fait de ne pas établir un rapport rigoureux de causalité. Elle a un parfum de réaction épidermique. Et pour terminer, la nature a horreur du vide. Après le départ des portugais et autres CFAO, les points de vente tombaient en ruine faute de capitaux Centrafricains. Il faut bien qu’il y ait une activité ! Ces deux vérités m’amènent à dire qu’il faut être très regardant sur l’influence des milieux d’affaires composés - en majorité d’étrangers - sur nos orientations politiques lorsque notre tissu économique dont les chambres consulaires en sont les représentantes, sont aux mains exclusives de ceux dont la vocation première est de s’enrichir surtout que les communautés d’origine étrangère( Européens et Africains)  connaissent notre tendon d’Achilles ; les trois F « fric, fesses et frime ».

Ce n’est pas aux libanais qu’il faut en vouloir ; c’est un raccourci et lorsqu’on aspire à être un maillon dans la chaîne de dirigeants actuels ou ayant la possibilités de le devenir, il faut se garder des propos ambigus, haineux et susceptibles de susciter des antagonismes des communautés. C’est aux Centrafricains d’être vigilants par leur génie, leur ingéniérie de toute sorte.

 

Lorsque l’on observe les catégories de nos principales initiatives politiques, économiques, culturelles et artistiques - si initiatives il y a – ces dernières ne visent pas à lutter contre la pauvreté c’est-à-dire s’alimenter correctement, chercher à être en bonne santé pour éradiquer notre pénurie de capacité et autres facteurs d’ aggravation des manques et des déficits qui affectent la vie humaine, mais elles visent à édifier en réseau la prédation acquisitive violente et à rendre non opérationnelles les quelques rares structures économiques et commerciales. Regardons les lycées hérités de la colonisation. Ils sont tous en ruine. Rappelez-vous notre bulding administratif dans les années 1970. Il y avait des toilettes, des ventilateurs. Dans cet édifice, il n’y avait pas un paysan centrafricain. Il n ‘y avaient que des bardés de diplômes de retour de France, des Etats-Unis, du Canada, des deux ex Allemagnes. C’était là que travaillaient les « Henri  Maîdou . » et autres crèmes des crèmes de l’intelligentsia et de la nomenclatura de Centrafrique. Avant même la chute de sa majesté ( que Dieu ait son âme), ce bâtiment est déjà tombé en ruine et, devenu la honte de notre manière d’entretenir les propriétés immobilières relevant du domaine public , le symbole de notre incapacité à entretenir quoi que ce soit !

 

M. Le Président, M. Le Premier ministre, j’espère que vous ne formez pas une dyarchie à la « Patassé-Ngoupandé » qui ont amené chez nous, la cohabitation et le duel permanent au sommet de l’Etat. Construire une transition pertinente quant à la défense des intérêts vitaux de notre pays suppose que vous aussi transitiez.. La réalité socio économique de chez nous vous adresse l’injonction de faire un constat d’indignation – du genre ne plus admettre l’ostracisme sous toutes ses formes en Centrafrique, et que de ce constat vous alliez vers l’action ; c’est-à-dire vers une logique d’Etat de droit. Cela demande que vous cherchiez des volontés à catalyser autour de cette transition- non pas à l’aveuglette ou avec du mysticisme mais en élaborant des outils, des instruments et des modes identificatoires. La transition étant en soi un outil et non une fin en soi. Toute une réflexion est à mener, en particulier , sur les actions à mener pour transformer les trois « D » et  sur le comment agir , d’une part sur les deux facteurs entre la société civile ( syndicats, associations, communautés religieuses) et la société politique ( partis politiques, administration civile et militaire)  et d’autre part entre la société politique et toute la baronnie des complexes miltaro-industriels de françafrique. Il me semble  qu’il ne peut avoir de transition dans ces systèmes de décision que par un effet d’intervention, de mobilisation, de cristallisation d’un certains nombre d’enjeux ( les trois D et les deux facteurs). C’est cela qui permettra de dévoiler les fondements implicites et explicites ( les points d’ancrage et les socles ) sur lesquels reposeront les nouvelles représentations de la Centrafrique . L’enjeu pour vous, est d’arrimer la Centrafrique sur les rivages des sociétés ouvertes et non des sociétés closes où l’on a coutume de se substituer aux autres dans la réalisation de leur bonheur. La transition serait, dès lors une œuvre d’artisan plombier notamment dans la lutte en profondeur contre les résignations qui nous ont empoisonnent ou nous tiennent prisonniers et dont nous avons de la peine à en être sevrés-La transition ne se réduirait pas à un slogan creux et évanescent.

 

II : Transition ; être catalyseur de métamorphose, être le Moïse même sans voir la terre promise.

 

Le plus souvent, quand les éléphants se battent, ce sont les fourmis qui sont écrasées dit un vieil adage du Kénya

 

Les transitions qui ont réussi, ont été l’oeuvre des Moïse. Je reste attaché aux trois modèles de transition en Afrique : celle du Ghana, du Mali et de l’Afrique du Sud. Chacun des acteurs a préféré construire la société au lieu de conquérir le pouvoir pour le pouvoir . Ces nations ont réussi à donner des repères d’émancipation à leurs citoyens et ont refusé de continuer à demeurer des repaires pour les cellules françafricaines situées sur leur territoire respectif. Ces pays ont des points de ressemblance avec nous et parfois une histoire institutionnelle faite de violences et d’obscurantisme  Certains ont des cultures et traditions plus archaïques, moins intolérantes que nous. D’autres n’ont même pas notre grand et enviable atout  qu’est; la langue nationale unique. Ils ont été capables- malgré et en dépit des pressions et de certains pesanteurs psychologiques - d’identifier les rigidités qui bloquaient les interactions et les interconnexions entre société civile, société politique et baronnie civile et militaire puis ont fait subir à ces anciennes rigidités des traitements qu’appelle la situation. Cà n’a pas été- pour eux- une quadrature du cercle. Ils ont réussi à trouver le moteur ou les leviers générateurs de transition politique pour l’entente et le choix d’une trajectoire de progrès.

 

II.1 : Dynamiter pour faire émerger une dynamique sociétale.

 

Sans remettre en cause votre bonne foi ; Mesdames et Messieurs- je n’ai aucun élément d’appréciation pour me risquer dans cette aventure- j’hésite à qualifier votre accession à la magistrature suprême de « coup d’Etat ».

Pour moi, c’est de l’euthanasie politique. Le régime défunt était chroniquement sous dialyse et, la nation Centrafricaine qu’il dirigeait, sous perfusion. Il était , certes légal mais ne reposait sur aucune légitimité.  Vous lui avez abrégé la souffrance en débranchant les nombreux tuyaux qui partaient de partout pour le maintenir en survie artificielle. Il était cliniquement mort. Et, ce n’est pas la première fois que les Centrafricains vivent l’euthanasie politique en direct. Si notre mémoire ne nous joue pas de tours, le régime Kolingba avait, en son temps, euthanasié celui de Dacko II en récupérant le pouvoir sous le manteau. Ce régime était aussi sorti des urnes – quoiqu’on en dise- mais, était cliniquement mort. Et la suite de l’histoire se passe de commentaire. C’est pourquoi, je suis circonspect, et fais le wait and see.

 

Alors, pour la transition, M. Le Président et M. Le Premier ministre, agirez-vous en duo, en tandem ou en duel ? . Cette demande de précision faite, les transformations qu’induise la transition vous somment de ne pas réduire celle-ci à quelques rafistolages ou rapiéçages sous la férule des groupies. Tous, vous avez une idée de l’étendue des dégâts. La baronnie civile et militaire a infesté notre pays de mines et de dynamites. La réaction est là, qui espère que c’est –enfin, son tour, c’est-à-dire est prête à tout mettre en œuvre pour cumuler les présidences des conseils d’administration de deux à trois entreprises parapubliques et capter les affaires dites « juteuses ». Constituent- à mes yeux- des dynamites également, les précarités professionnelles organisées sur simple dénonciation calomnieuse ou pour une légère écorchure narcissique ; des crimes de lèse majesté. La disparition de la confiance des citoyens en l’Etat- qui se traduit par la prolifération des prosélytes des partis politiques, des néophytes arrogants et désinvoltes dans les différents corps de l’Etat sont autant de scléroses en plaque qui nous rigidifient.

 

Je ne veux pas- vous manquer de respect en insinuant une profanation de votre opération du 15 mars 03 mais je pense qu’il serait judicieux et votre couple agissant en tandem ou duo- signera dignement les pages de l’histoire de notre pays, s’il expérimente le déminage systématique  sur le plan aussi bien militaire que civil. Faites nous connaître plutôt votre leadership que votre volonté de domination. Mettre au grand jour les maladies sociétales qui ont jusqu’à maintenant empêché l’amorce d’un bon positionnement de la Centrafrique pour les citoyens et sur le plan internationale. Mettez en déroute les marchands du temple du marché des diplômes et de la réussite scolaire et universitaire et proposez nous – non de façon démagogique ou téméraire- mais courageusement, ne serait-ce que  l’esquisse d’un véritable projet de développement. Le sens, le robuste moteur dont il faut équiper, outiller la transition, c’est d’aller  à contre courant de la réaction. Ouvrir aux entrepreneurs Centrafricains, les portes des frontières Tchadiennes, Congolaises, Camerounaises, Soudanaises, Gabonaises et au delà de la Région de l’Afrique Centrale, l’Afrique de l’Ouest, de l’Est. Faciliter les implantations à Bangui ou à Bouar ou à Bambari des organes de presse internationale, des missions de recherche sont les autres aspects des opérations matérielles de transition. La complexité du monde est telle que le gouvernement ne peut prétendre être l’unique architecte de la transition- d’ailleurs, bien qu’il ait l’autorité, il n’a ni l’expertise ni les moyens et de contrôle de l’exécution réelle de sa politique ni toujours la méthodologie de mise en œuvre.  Passer pour un chef d’Etat ou un Premier ministre distributeur automatique de cadeaux par complaisance est passé de mode dans ce monde de la mondialisation et de l’intelligence économique. M. Le Premier ministre est bien placé pour nous faire le bilan de santé de la Centrafrique ; depuis 1959 à nos jours. Le monde a changé, le patriotisme a changé de ressort et la motivation de vivre ou pas dans son pays est autre. Tout ceci, sous l’influence conjuguée des aspirations à vivre librement et à laisser exploser sa technicité et sa compétence au profit du global. On a plus envie d’être globalement citoyen du monde  Dés lors, quelles sont les autres conditionnalités de réussite de la transition ?

 

II.2 : Avoir pour épine dorsale de la transition la prééminence de la citoyenneté et en garantir le respect  .

 

La transition induisant une nouvelle ligne de conduite pour progresser dans la paix, l’unité, la justice et la lutte contre la misère, en vivant et en approfondissant la compréhension commune des bonnes questions et, en relevant ensemble les défis, je pense qu’il faut oser être catalyseur de rupture avec la logique d’ostracisme, de flagornerie et de félonie pour faire émerger des pôles structurants sur le plan économique et social. Sur le plan pratique, ces questions pourraient faire l’objet des plates formes minimum républicaines pour :

-          la société civile et toutes ses composantes : syndicats, communautés religieuses, associations etc

-          la société politique ; les partis politiques, les institutions civiles, militaires et paramilitaires, les collectivités territoriales.

 

Conclusion :

 

La transition suggère de convaincre les comportements de blocage en valorisant les contraires. J’entends par comportement de blocage, le comportement de travailleurs frontaliers, des indifférents, des approximatifs.

Les approximatifs sont dans nos rangs mais dangereux car mal informés, politiquement racoleurs et aguicheurs, ils ne font pas passer la substance du message mais l’adapte à leur sauce. Présents dans les communautés religieuses, les syndicats, les partis politiques, ces comportements soutiennent que la misère est le résultat d’une condamnation divine. La misère est en partie le résultat des mécanismes de redistribution de la société que nous avons choisie ou qu’on nous a imposée de l’extérieur comme la seule sans autre alternative possible aux lendemains des indépendances et jusqu’à nos jours. Ce modèle de société  a fait que nos rapports sont des rapports de loups pour pouvoir manger le dernier morceau de la gamelle ou pour pouvoir arracher le dernier morceau de tissu pour se couvrir le corps. Nous avons privé le citoyen Centrafricain du monde rural et périurbain  de la possibilité de s’identifier à un idéal.

Nous ne sommes pas les seules nations à avoir raté notre sortie. Il n’est pas tard ! est-il possible de commencer enfin- dans le cadre de la transition- à développer des théories et des pratiques à partir de la vie plutôt que de voir la vie à travers les théories préétablies et cela, dans tous les rouages de la société civile et  de la société politique ! Puisse la transition annoncée être l’occasion de relever les défis. Le concept est une véritable aubaine, ne le laissons pas à la médiocrité seule des politiques. Surveillons ensemble la trajectoire qui se dessine et tirons la sonnette d’alarme chaque fois que nous estimons que le débat est clos précipitamment, que les protagonistes rééditent les «  fumeuses et nauséabondes conférences nationales ; occasions plutôt d’invectives et de jouxtes oratoires que de débats de fond sur l’avenir et le devenir d’une nation »

Exerçons notre droit de vigilance afin que personne ne nous confisque rien en termes de critères de représentativité, de composition et de formation des collèges, de temps de paroles, d’exigence de suivi des recommandation.

Exigeons la mise en place d’une structure de médiation citoyenne dont une des missions serait de clarifier  les représentations de la citoyenneté et de les rendre visibles, lisibles et réciproques pour toutes les composantes de la société ; société civile et société politique face aux marché, à la mondialisation, aux nouveaux défis de la redistribution des richesses et des outils dont chaque Centrafricain doit se doter, s’approprier pour affronter les enjeux du XXIè siècle.

 

Au fait, Excellence  M. Le Président et M. Le Premier ministre. La poursuite de Patassé devant la CPI fait elle partie des dossiers de la Transition ?  Je vous rappelle que Bokassa a été jugé !

 

A la lumière de ces développements, le calendrier réaliste serait d’un an et demie à trois ans.

Le général Bozizé et le Professeur Goumba accepteraient-ils d’être pour nous, des Moïse au risque de ne pas voir la Terre promise ( Pardonnez moi cette hermeunétique à la con)

Bonne route aux aventuriers de la transition pour que triomphent les intérêts vitaux de la citoyenneté centrafricaine dans une CEMAC et une Union Africaine citoyennes et démocratiques.

 

N.B. « Ceci n’est ni une ordonnance médicale ni une prescription d’expert, ni une demande d’emploi à un poste ministériel. Soyez tranquilles. C’est la réflexion d’un agitateur social à partir d’une interrogation épistémologique. Je ne suis inféodé à aucune cellule françafricaine, à aucune loge maçonnique, à aucun part politique. C’est une pensée librement construite à partir d’interrogation des faits politiques qui ont jalonné l’histoire de mon pays, des intrigues et des témoignages des compatriotes non panellisés. Ce qui m’a motivé, c’est  l’adhésion à cette réflexion du Pasteur Martin-Luther King dans un de ses sermons à Atlanta.

« Nous cessons de vivre le jour où nous passons sous silence les choses qui comptent pour les autres »

Donc, à consommer avec modération ! Faites gaffe ; il y a de l’indigestion dans l’air !

 

 


([1]) Charles Beaudelaire. Dans les fleurs du mal


Regards et points de vue des partis politiques et mouvements centrafricains