DISCOURS DE
MARTINE AUBRY
MINISTRE DE L'EMPLOI
ET DE LA SOLIDARITE

Conférence de presse
Lancement du numéro d’appel gratuit
114
" Lutte contre les discriminations raciales "

le mardi 16 mai 2000

Ministre de l’intérieur, au ministère de l’emploi et de la solidarité pour vous présenter le numéro d’appel gratuit dédié à la lutte contre les discriminations raciales qui est en fonction / opérationnel depuis quelques heures.

Comme vous le savez, le gouvernement de Lione Mesdames, Messieurs,

Je suis très heureuse de vous accueillir, avec M. le ml JOSPIN s’est fortement mobilisé sur le terrain de la lutte contre les discriminations raciales. Les assises de la citoyenneté et de la lutte contre les discriminations du 18 mars dernier en témoigne (I).

Le numéro d’appel gratuit 114 s’inscrit pleinement dans cet engagement gouvernemental, en s’attachant à répondre aux situations individuelles et à faciliter la rencontre entre, d’un côté, les outils nouveaux mis en œuvre pour prévenir et traiter les cas de discrimination et, de l’autre côté, les personnes potentiellement victimes de discriminations. (II).

I. Le gouvernement s’est résolument engagé dans la lutte contre les discriminations raciales

a) Cet engagement répondait à une nécessité : ces discriminations sont inacceptables

La première étape passait par la reconnaissance de l’existence de ces discriminations raciales. Reconnaissons-le, le mot était tabou il y a quelques années encore. Pourtant, les témoignages convergeaient tous dans la mÍme direction : les discriminations sont à l’œuvre, dans l’accès au logement, à l’emploi, dans les rapports avec les services publics … A chaque fois, le principe d’égalité, au cœur de notre pacte républicain, se trouve bafoué.

La prise de conscience a d’abord était porté par des chercheurs, des associations et des organisations syndicales. Ils ont contribué à renouveler le discours sur l’intégration qui a dominé dans la décennie précédente. Aujourd’hui, nous savons bien que les difficultés que rencontrent les jeunes –et les moins jeunes – en raison de la couleur de leur peau, de la consonance étrangère de leur nom ou de leur quartier d’origine ne tiennent plus à je ne sais quel défaut d’intégration mais bel et bien à des blocages existants au sein de la société franÁaise.

Il revenait dès lors à la puissance publique de relayer et d’amplifier les actions déjà engagées par les acteurs associatifs, à l’échelle du quartier ou les acteurs syndicaux dans l’entreprise.

Il fallait aussi que l’Etat s’impose l’exigence de l’exemplarité en la matière. La discrimination est insupportable, elle l’est davantage encore quand elle vient des services publics ou de certaines administrations.

L’enjeu, c’est l’insertion économique et sociale, c’est réussir à trouver une place dans la société. La politique économique et sociale du gouvernement y contribue. L’amélioration de la situation économique, la diminution du chômage sont, disons-le, les premiers outils de la lutte contre les discriminations. Mais il fallait les compléter par des réponses spécifiques.

b) Des outils spécifiques se sont mis progressivement en place

∑ Nous avons créé le groupe d’étude sur les discriminations (le GED), qui nous aide à mieux connaÓtre la réalité des phénomènes discriminatoires et à nourrir le débat public. Parce qu’il associe pouvoirs publics, associations, syndicats, organisations patronales, chercheurs, ses travaux, ses propositions prennent appui sur l’expérience et la volonté de l’ensemble des forces mobilisables pour lutter efficacement contre les discriminations. Car cette lutte contre les discriminations ne concerne pas que l’Etat. L’Etat doit montrer le chemin. Mais il doit aussi s’appuyer sur la société mobilisée.

∑ C’est dans cet esprit que j’ai réuni, il y a tout juste un an, dans cette mÍme salle, les partenaires sociaux , organisations syndicales et patronales, pour envisager ensemble les moyens de lutter contre les discriminations au travail. Cette table ronde a débouché sur l’adoption de la déclaration de Grenelle qui marque l’engagement des acteurs du monde du travail. Cette journée a également souligné la nécessité d’apporter un certain nombre de modifications au code du travail pour prévenir et sanctionner plus efficacement les discriminations à l’embauche, dans le déroulement de carrière ou en cas de licenciement. Les propositions mises en débat à cette date trouvent aujourd’hui une traduction législative dans le cadre du projet de loi de modernisation sociale qui sera soumis au Parlement au mois de juin.

∑ Les modifications législatives contenues dans le projet de loi de modernisation sociale portent :

sur l’aménagement de la charge de la preuve en matière de droit du travail, qui renvoie à l’appréciation du juge, et non plus à la seule preuve apportée par le plaignant.
sur la possibilité désormais offerte aux inspecteurs du travail de dresser des procès-verbaux en matière de discrimination raciale
sur la capacité à ester en justice pour les organisations syndicales, en lieu et place du salarié, en cas de discrimination raciale.
sur l’inscription dans le champ de la négociation collective du thème de la lutte contre les discriminations raciales
sur la répression de toute discrimination à l’encontre des collégiens, lycéens ou étudiants recherchant des stages en entreprise.

∑ Le service public de l’emploi a également été fortement sensibilisé et des actions spécifiques sont développées :

convention avec l’ANPE et le FAS prévoyant la formation annuelle de 2.500 agents des ANPE, convention avec l’AFPA, instructions données aux inspecteurs du travail
développement de l’accompagnement personnalisé des jeunes vers l’emploi via les actions de parrainage

∑ La création des commissions départementales d’accès à la citoyenneté (les CODAC) a permis d’enclencher au niveau départemental, autour des préfets, la mobilisation des acteurs locaux, qu’il s’agisse bien évidemment des services de l’Etat mais aussi des associations de lutte contre le racisme, des syndicats, des entreprises et des collectivités locales. Une circulaire récente du Premier ministre consacre le rôle déterminant de cette instance, en prévoyant la conduite d’actions locales animée par la CODAC, en renforÁant l’articulation avec l’autorité judiciaire, en les dotant de moyens humains, et en en faisant les relais locaux du numéro d’appel gratuit. J’y reviendrai.

∑ Enfin, il faut souligner que les autres ministères ont également développé des actions significatives. Je pense notamment :

s’agissant de la politique de la ville, à l’inscription dans les contrats de ville de la thématique " lutte contre les discriminations " ;
à la demande adressée par la Garde des Sceaux aux Parquets pour que soient suivies d’effet les plaintes en discrimination, qui se heurte trop souvent à des classements sans suite, face à la difficulté d’en établir la preuve ;
aux campagnes de sensibilisation menées par le ministère de la jeunesse et des sports
Ainsi, une politique publique de lutte contre les discriminations raciales se construit. La volonté politique l’anime, des outils nouveaux la servent, des acteurs associatifs et syndicaux ont marqué leur attachement. Mais il fallait dans le mÍme temps s’assurer que ceux qui subissent quotidiennement ces discriminations accèdent facilement à ces dispositifs, soient entendus, et que leur situation personnelle trouve une réponse. C’est le sens de la mise en place de ce numéro d’appel gratuit.

II. Le 114 répond au besoin d’une prise en charge individualisée et s’inscrit pleinement dans la mobilisation gouvernementale

Le 114 est un dispositif national qui s’appuie sur des relais locaux, et répond à une exigence essentielle : chaque cas signalé fera l’objet d’un traitement de proximité.

- un dispositif national
Dans son intervention de clôture des assises de la citoyenneté et de la lutte contre les discriminations, le Premier ministre avait souligné qu’au-delà du rôle de détection et de veille assurée par les CODAC, il fallait trouver de nouvelles formes d’écoute et de vigilance. A partir d’expériences locales initiées par certaines CODAC, mais aussi au regard d’autres dispositifs de téléphonie sociale fonctionnant actuellement, il est apparu qu’un numéro national d’appel gratuit clairement identifié sur les discriminations raciales pouvait remplir cette mission. Pour plusieurs raisons :
le dispositif national permet une accessibilité plus grande. Ainsi, le 114 sera accessible partout en France, du lundi au samedi de 10 heures à 21 heures. A noter qu’il pourra Ítre joint depuis les téléphones portables.
le dispositif national garantit un fonctionnement avec du personnel compétent. Les écoutants téléphoniques ont été formés aux spécificités de la téléphonie sociale ainsi qu’aux enjeux et aux outils de la lutte contre les discriminations. Il faut souligner ici que les grandes associations de lutte contre le racisme et les organisations syndicales ont participé, aux côtés des services de l’Etat et du FAS, à la formation de ces écoutants et je les en remercie.
à dispositif national, campagne d’information et de communication nationale, autour de cette affiche qui va Ítre diffusée à 300.000 exemplaires dans les mairies, les maisons de quartiers, les commissariats, les services publics et auprès des associations.
enfin, ce dispositif sera intégré au sein du GED, qui à cette occasion deviendra le GELD (groupe d’étude et de lutte contre les discriminations). C’est ici la garantie d’un pilotage national, associant pouvoirs publics, associations, organisations syndicales et patronales, c’est-à-dire de tous ceux dont l’implication dans la lutte contre les discriminations est indispensable. En outre, les signalements effectués par le 114 nourriront les travaux du GELD, notamment le rapport annuel sur les discriminations qu’il remettra au premier ministre.
Les écoutants recueilleront les situations individuelles, et apporteront la réponse appropriée, depuis la simple demande d’information, l’écoute ou le conseil jusqu’à l’établissement d’une fiche de signalement pour traitement local individualisé.
- des réponses locales
Les CODAC constitueront le portail départemental pour le traitement des signalements qui leur seront transmis par le 114, mais aussi pour la prise en charge des situations pour lesquelles elles auront été directement sollicitées.
Autour du secrétariat permanent de la CODAC, et sous l’autorité directe du préfet se construira un réseau de référents, dans chaque administration ou services publics, qui associera les associations et les organisations syndicales.
La réponse adaptée sera recherchée : intervention auprès d’une administration, conseils, rappel à l’ordre, médiation, et le cas échéant, saisine de l’autorité judiciaire.
Par ailleurs, les signalements permettront d’orienter les actions collectives menées par la CODAC dans le cadre d’un programme départemental de lutte contre les discriminations qu’elle animera. Les actions de sensibilisation du tissu économique local, de formation des agents des services publics, les initiatives associatives de lutte contre les discriminations pourront ainsi être impulsées, coordonnées et soutenues au niveau départemental. Elles bénéficieront du soutien, de l’expertise et des moyens mobilisés dans le cadre de la politique de la ville, ainsi que de la participation active du FAS et de ses délégations régionales.

Voilà donc quel est l’architecture générale du numéro d’appel gratuit. Vous l’avez compris, il s’agit là d’opérer un saut qualitatif et quantitatif dans la prise en charge des personnes victimes de discrimination, qui va entrainer une forte mobilisation, à la hauteur de l’enjeu : pour faire changer les mentalités et les comportements, pour refuser la banalisation, l’engagement de la collectivité nationale est indispensable. Nous l’avons fait par la prise en compte, par l’acceptation même de la réalité discriminatoire. Nous le faisons aujourd’hui pour ne laisser personne sans réponse.

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