Haïti et Centrafrique : deux pays à histoires politiques semblables

Par Thierry BANGUI

En regardant à la télé, en écoutant à la radio, en lisant la presse écrite et numérique des informations sur les évènements en Haïti, on se croirait regarder un film sur l’histoire politique de la Centrafrique. En effet, l’histoire politique du Haïti et celle de la Centrafrique de ces cinquante dernières années se ressemblent fort.

Voici un bref aperçu historique, de la seconde moitié du siècle dernier (les années 50) à ce jour, des deux pays :

Haïti

François Duvalier sera succédé par son fils Jean-Claude Duvalier qui dirigera le pays de 1971 à 1986. Une crise politique va obliger ce dernier à s’exiler en France.

Centrafrique

 

Rôle des hommes politiques et intellectuels de ces deux pays dans les crises et la suite des évènements

En Centrafrique

Un certain nombre d’hommes politiques et d’intellectuels opposés au régime de Patassé avaient trouvé exile en France d’où ils luttaient (avec ceux restés au pays) pour le renversement du régime au point de soutenir la prise du pouvoir par les armes. Ces derniers qualifieront cette prise de pouvoir de « soulèvement populaire », de « sursaut patriotique ». Cette prise de pouvoir par les armes a été précédée par une rébellion très destructrice à la fois en vie humaine et en infrastructures. La RCA, qui était déjà économiquement faible, est mise à néant par la destruction et le pillage de ses infrastructures par les ex-rebelles (autoproclamé aujourd’hui « libérateurs ») en général et les Zakawa de Idriss Déby en particulier. Les régions Nord et Nord-Ouest du pays d’abord et ensuite la capitale, dans les jours qui ont suivi le 15 mars 2003. On a ainsi vu la destruction et le pillage des :

Les cautions politiques et intellectuelles de la rébellion, à l’époque, faisaient de la situation économique difficile du pays, des arriérés de salaires, pensions et bourses leurs fonds de commerce. Le président Patassé est alors renversé le 15 mars 2003. Où est-ce qu’on en est dans le pays depuis lors ? Tous ceux qui combattaient le régime renversé sont aux affaires dans le pays c’est-à-dire « aux pieds du mur » depuis un an déjà ; on se rend compte que ces marchands de rêve n’ont pas fait mieux que le régime qu’ils avaient, bec et ongles, combattu et renversé. L’avenir du pays reste obscur. Pire, il faut reconstruire les infrastructures (le tissu économique déjà précaire) détruites. Mais comment ? Avec quels moyens (argent) ? Il faut demander à la communauté internationale (autrement dit de l’argent des contribuables d’autres pays) de nous reconstruire ce que nous avons nous-mêmes, par irresponsabilité et inconscience, détruit ? Les partenaires de notre pays ne trouveront, certainement, pas cela sérieux.

En Haïti

Comme leurs confrères centrafricains, des hommes politiques et intellectuels haïtiens, ont trouvé exile en France où ces dernières semaines, ils sont omniprésents sur les plateaux de télés françaises, à la radio, dans les colonnes des journaux où ils manifestent leur sympathie pour ne pas dire leur soutien (comme les hommes politiques et intellectuels centrafricains, il y a un an) à la rébellion de Guy Philippe, des tristement célèbres Gonaïves qui se comportent ou se sont comportés comme la rébellion centrafricaine, il y a un an en détruisant, saccageant, incendiant des bâtiments administratifs (les commissariats) sur leur passage. Ils ont obtenu, ce faisant, le départ de Jean-Bertrand Aristide, ce dimanche 29 février 2004. Quelle sera la suite des évènements ? Les hommes politiques et intellectuels haïtiens s’empressent à dire que c’est un soulagement, un nouveau départ pour le Haïti. C’était ce genre discours qu’on avait entendu au lendemain du 15 mars 2003, en ce qui concerne la Centrafrique et les Centrafricains n’ont, en ce moment, que leurs yeux pour pleurer. Le départ de Aristide changera t-il la situation (principalement économique, la soif du pouvoir des uns et autres) en ce qui concerne le Haïti ? Je le souhaite vivement pour nos sœurs et frères Haïtiens mais je crains que la réponse à cette question soit négative. Car cela fait déjà deux siècles que les hommes (présidents, empereurs) s’en vont mais l’histoire se répète en Haïti au point que ça se dit, ces derniers jours-ci, dans le milieu journalistique américain que « le Haïti ne peut connaître la stabilité que sous une dictature totale ou une occupation étrangère » ; une manière de dire, comme Jacques Chirac il y a quelques années, que les Noirs (Africains !!) ne sont pas faits (ou près) pour la démocratie.

Moralité

Que ça soit en Centrafrique, en Haïti ou autres pays pauvres, les hommes politiques et intellectuels doivent jouer un rôle constructif, pacifique. Ils doivent renoncer à soutenir la prise de pouvoir par des armes pour quelque motif que ce soit. Les hommes politiques doivent bâtir leur carrière dans la durée, avec patience, de façon méthodique, en allant vers les populations (dans tout le pays), en les éduquant à la citoyenneté, au travail, au respect de la démocratie et en leur exposant leur projet politique. Ils construiront ainsi leur popularité au niveau national car c’est là que les choses se jouent. Une reconnaissance internationale ne peut qu’être un plus et non une obsession ; c’est leur peuple qui mettra le bulletin dans l’urne pour les élire ou non. L’exemple de Abdoulaye Wade doit les inspirer. Ce dernier est resté plus d’un quart de siècle dans l’opposition : il a fait la prison, il a participé aux gouvernements sous son adversaire de l’époque (Abdou Diouf). Il n’a jamais prôné la violence, ni inciter l’armée à renverser son adversaire. Il a accédé au pouvoir à 74 ans, de façon crédible aux yeux de ses concitoyens, de ses adversaires et de la communauté internationale. Il en est de même pour Mwai Kibaki, l’actuel président du Kenya.

Thierry BANGUI

Marseille (France) - 29 février 2004